Leur bal

Notes sur des photos de Magic-City, bal des tantes de l’entre-deux guerres

DOI : 10.54390/modespratiques.117

Traduction(s) :
Their Ball

Plan

Dédicace

À Michel Cressole

Texte

Travestis, dont un en gretchen, sans doute devant Magic-City, années 1930.

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© Collection Roger-Viollet / Roger-Viollet.

Les photos présentées ici sont un échantillon d’un ensemble de plus de deux cents, provenant du fonds Fréjaville du département des arts et spectacles de la Bibliothèque nationale de France. Elles ont été prises au début des années 1930, sans doute en 1931, au bal de travestis le plus célèbre du Paris de l’entre-deux-guerres, le bal du Magic-City. Après sa disparition en 1940, le souvenir de ce bal longtemps jugé scandaleux s’enfonça dans un semi-oubli ou plutôt une semi-clandestinité qui en fit avec le temps un petit mythe.

En 1976, dans Le Paris secret des années 30, en six photos, Brassaï fut le premier à donner une visibilité médiatique post mortem au bal du Magic-City1. Certaines de ses photos conquirent alors le statut de documents sinon de manifestes, iconiques, dignes de figurer sur les manèges de cartes postales du Gay Paris. Depuis, hormis quelques autres qui circulent en orphelines, l’iconographie du bal ne s’est guère enrichie. Les portraits en pied du fonds Fréjaville, inédits pour la plupart, n’ont pas la vitalité des photos de Brassaï, prises dans la proximité physique des danseurs sur la piste, mais la valeur documentaire de leurs poses, pauvres dans leur immobilité, est sans prix. Les notes qui suivent sont une rapide synthèse d’une recherche en cours.

En 1931, la salle de danse du Magic-City (ou du « Magic », comme on disait tout court) était ce qui restait d’un parc d’attractions du même nom, créé en 1911 sur un modèle industriel américain. Installé sur quatre hectares quai d’Orsay sur la rive gauche, face au pont de l’Alma, à deux pas de la tour Eiffel, Magic-City avait un temps rivalisé avec l’autre grand parc d’amusement parisien, Luna Park, lui Porte Maillot. Réquisitionné par les autorités militaires en 1914, Magic-City ne rouvrit que partiellement après la guerre et disparut en 1926, affecté à des lotissements traversés par une nouvelle rue, créée à cette occasion, la rue Cognacq-Jay. Seule la salle de bal, ou plutôt les deux salles de ce bal, demeurèrent, au 180, rue de l’Université. Avant la Première Guerre mondiale, le tango avait fait là ses premiers pas, ou presque. Après la Seconde, réaménagé, le site abritera les studios Cognacq-Jay des pionniers de la télévision française.

La parenthèse enchantée

Le bal des travestis avait lieu deux fois par an, la veille l’un du Mardi-Gras, l’autre du jeudi de la Mi-Carême. Ces soirs-là, la préfecture de police autorisait qu’on se travestît pour aller aux bals costumés et masqués, selon la tradition de Carnaval de retournement des hiérarchies de classes et des assignations de genre. Rappelons que si la loi, depuis 1800, interdisait toujours aux femmes d’aller vêtues en hommes, aucun texte toutefois n’interdisait aux hommes de se travestir. En revanche, une décision préfectorale datant du début du siècle leur faisait défense de danser entre eux dans les lieux publics2.

En 1939, une note de la Brigade mondaine résume la période glorieuse du bal de Magic-City : « De 1920 à 1934, le caractère spécial de ces bals s’accusa peu à peu ; au début, quelques timides travestis d’hommes en femmes ; puis, les années suivantes, la renommée s’étant faite, de nombreux invertis fréquentèrent assidûment les soirées du mardi-gras et de la mi-carême à « Magic-City ». Enfin, des « curieux de choix » étant venus, il devint courant dans le milieu spécial des homosexuels d’être remarqué ces nuits-là à Magic-City.  Quoiqu’il en soit, jusqu’au mardi-gras de l’année 1934, l’attention ne fut pas autrement attirée sur ces bals qui conservaient un décence suffisante et ne troublaient pas l’ordre public. »3

On appelait le bal de travestis de Magic-City « le bal des tantes » ou « le bal des tapettes », désignation fréquente dans les rapports de police. Ces appellations étaient les plus populaires. Elles prévalaient sur d’autres, « le bal des invertis », « le bal des pédérastes » ou encore « le  bal des folles ». Toutes mériteraient commentaire, tout comme le pudique « spécial », longtemps de mise pour qualifier tout ce qui avait trait à l’homosexualité, comme en témoigne son emploi dans la note de la Brigade mondaine citée plus haut.

Magic-City ne fut pas le premier bal de travestis de Paris. Au XIXe siècle, il y avait un « bal des tapettes » à la Mi-Carême. Ce n’était pas non plus le seul. Aux lendemains de la guerre, celui de la salle Wagram tint le haut du pavé avant d’être détrôné par Magic-City. Existaient également, et surtout, un réseau d’établissements de nuit, eux aussi dits « spéciaux », fréquentés par les homosexuels et les travestis prostitués. À Montmartre, l’Isis-Club, Tonton, le Binocle, la Petite Chaumière, le Club liégeois, Mon Jardin, le Liberty’s . Rues. Rue de Lappe, dans le quartier de la Bastille, les Trois Colonnes ou Noygues , « Le bal permanent des jeunes gens un peu trop fardés »4. Au Quartier latin, le bal de la Montagne Sainte Geneviève, anciennement bal Pradal, photographié lui aussi par Brassaï. Tous incarnent cette période qui, de l’immédiat après-guerre à 1934, fait figure en France d’âge d’or de la « libération » et de la « flamboyance » homosexuelles finement décrit dans sa complexité par Florence Tamagne5. À Paris, le bal de Magic-City fut la scène la plus spectaculaire de cette flamboyance. « Leur bal », titrait Candide le 10 mars 1932.

Le tournant de 1934

Comme ceux de son époque, les enchantements du Magic-City étaient paradoxaux, sinon trompeurs. Dans leur belle échappée, leurs travestissements masquaient aussi une misère existentielle et un arrière-fond oppressif, répressif, que ne manquèrent pas de rappeler certains articles. En 1934, avec l’interdiction de son bal de la Mi-Carême, se referma la parenthèse enchantée du Magic-City. Après les émeutes antiparlementaires des ligues d’extrême-droite du 6 février, le bal du Mardi-gras du 13 février avait échappé aux mesures de maintien de l’ordre qui avait frappé alors la majorité des salles de danse parisiennes. Mais la soirée n’avait guère eu de succès : 600 entrées dont 50 travestis. La direction avait pourtant mis des autobus à la disposition des danseurs découragés par une grève des taxis qui n’arrangeait pas non plus ses affaires. Elle avait aussi distribué un grand nombre de cartes à tarif réduit – une politique commerciale récurrente, en particulier dans les années 1930 (15 fr. au lieu de 40 en 1931) pour « parer aux inconvénients de la crise et amener du monde »6.

Le bal de la Mi-Carême, lui, ne put se tenir. Sous la pression de L’Action française et de La Liberté qui firent campagne contre « la nature de la réunion » et menacèrent de « manifester contre les invertis », il fut interdit7. La soirée fut confuse. La direction avait imaginé pouvoir malgré tout organiser un bal privé à partir de minuit. Nombre de travestis se présentèrent devant le 180 de la rue de l’Université entre les barrages de la police, mais les portes étant closes sur ordre de la préfecture, ils remontèrent finir la nuit à Montmartre, à la brasserie Graff de la place Blanche, comme il était de coutume quand on sortait du Magic ces soirs-là. Dans une ultime tentative, la direction envisagea une nouvelle date pour ce bal perdu, le 24 mars, elle en fit la publicité, envoya des lettres, mais il n’eut jamais lieu8.

En 1935, le bal lui-même ne fut pas interdit mais la direction, reculant devant l’hostilité qu’il continuait de susciter et craignant une mesure préfectorale, décida de son propre chef d’en refuser l’accès aux travestis et l’annonça dans ses encarts de presse, comme ici dans Paris-Soir le 25 mars 1935 : « Pour répondre à certaines critiques, la direction de Magic-City prévient sa clientèle qu’elle assistera à un bal costumé très gai, mais de bon goût, auquel les hommes travestis en femmes ne seront pas admis ». On est loin de l’encart du 2 mars 1926 qui proclamait dans le même journal : « Les travestis sont admis ».

Annonce publiée dans Paris-Soir du 25 mars 1935 (ci-dessus), puis à nouveau dans ce même journal du soir ainsi que Le Petit Journal, rubrique « Bals », le 28 mars 1935.

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Paris-Soir, 25 mars 1935.

Le bal des travestis survécut néanmoins. En 1936, 1937 et 1938, selon la courte synthèse historique rédigée par la police en 1939 (le document intitulé « Notes »), il ne donna lieu « à aucune critique sérieuse, à part quelquefois des entrefilets dans une certaine presse hebdomadaire, inspirés, le plus souvent, par des concurrents jaloux ». Durant cette période, la Brigade mondaine semble avoir exercé une forte pression sur la direction de la salle pour que le bal se fasse le plus discret possible. On lit dans une note du 23 février 1939 : « Conformément aux instructions reçues la direction de Magic-City a été prévenue d’avoir à donner le moins d’importance possible à la publicité qu’elle compte faire à l’occasion du bal de la Mi-Carême qui a lieu cette année le jeudi 16 Mars. » « Le bal est désormais moins brillant, parfois terne, nostalgique de ses éclats passés, mais toujours fréquenté par les travestis, souvent en plus petit nombre. Le bal de Mardi-Gras 1939 n’accueillit que 300 spectateurs. Mais celui de Mi-Carême, qui fut le dernier de Magic-City, fut aussi un succès, selon la Brigade mondaine : « on pouvait, vers minuit et demi, compter exactement 2 000 entrées payantes et sur ces entrées 300  costumes déguisements environ se faisaient voir à l’admiration du public car ils étaient plus jolis les uns que les autres. » Dans ces nuits de crise de cette fin de décennie, dans ce Paris nocturne partout ailleurs souvent déserté, le bal des travestis demeurait l’ultime refuge de la gaieté parisienne9.

Le chœur antique du trottoir

Vers dix heures, les grands soirs de mardi-gras et de mi-carême, il y avait foule dans la rue de l’Université, face aux marches du Magic-City, sans qu’on sache précisément qui la composait. En 1937, Candide mentionne « un groupe d’ouvriers de l’Exposition, d’égoutiers, de chauffeurs et quelques concierges »10 au milieu au milieu de badauds dont certains du « troisième sexe ». Ils commentent et charrient la prestation des travestis à leur descente de taxi, « maquillés, emplumés et emperlousés ». La Rampe du 1er avril  1931 (reproduite ici) compare ce personnel d’accueil spontané à un « chœur antique » à la gouaille faubourienne : bon enfant et bon public (« Eh ! Pige-moi le costume, s'il est bath*! »), railleur et persifleur (« Regarde, celle-ci fait sa dédaigneuse. Mais, je la reconnais, c’est le garçon coiffeur de la rue Vaugirard. Et qu’elle est laide ! »).

Devant un tel parterre, la montée des marches, semble-t-il assez « raides »11, était une démonstration de cabotinage, tenait du tour de chauffe, d’un examen de passage à ne surtout pas rater. En 1931, pour emporter son public, Lucien « relève sa traîne d’un geste de poissarde, exhibe ses cuisses énormes », « traverse la chaussée en minaudant » puis, encouragé par son succès, « se trémousse, envoie des baisers au chœur antique, monte l’escalier en croupionnant et répond aux lazzis avec une voix de chauffeur de taxi.»12 Devant ces descriptions aux effets souvent convenus, il n’est pas facile de faire la part de ce qui relève de la prestation du travesti devant  sa galerie de badauds et de ce qui relève de celle du chroniqueur devant son carré de lecteurs. Pour flatter le voyeurisme de leur public respectif, la parade du travesti tendait au numéro d’exhibitionnisme et l’exercice de style du journaliste au morceau de bravoure.

L’affluence. Envolée des jeunes invertis

Il y avait donc deux salles de danse au Magic-City : l’une au rez-de-chaussée, l’autre au premier étage, peut-être plus vaste. Le défilé-concours de travestis, qui constituait le pic de la soirée, se déroulait dans cette salle. On y accédait par un double escalier qui constituait aussi un redoutable point de vue pour passer au peigne fin les prétendants et leurs atours dans la cohue générale. Après le jugement de la rue, le jugement des pairs. Cette cohue mélangeait travestis, homosexuels en tenue de ville, parfois en smoking, lesbiennes, en contingents plus irréguliers, gens du monde, jeunes prostitués et curieux anonymes venus seuls, en couple, ou même en famille, regarder, approcher, « sinon palper ces extraordinaires « messieurs-dames », suggère Charles-Etienne dans son roman Le Bal des folles en 193013.

Les chiffres les plus fiables sur cette fréquentation viennent des rapports des inspecteurs de la Brigade mondaine de la Police judiciaire – deux en principe, dont parfois un gradé – qui à partir de 22  heures jusqu’à la fin de la soirée étaient « chargés d’intervenir éventuellement et de rendre compte »14. Aux archives de la préfecture de police de Paris ne figure aucun rapport d’avant 1928 et, des 24  bals de travestis de la période 1928-1939, restent dix rapports, y compris celui du bal interdit de 1934.

1928, Mardi-Gras : « Vers 1h30 du matin un millier de personnes se trouvaient réunies dans les deux salles de danse et on peut estimer le nombre des travestis à 5 ou 600. »

1931, Mardi-Gras : « L’affluence était considérable, en augmentation très sensible sur le chiffre de l’année dernière, car on estime à environ 2 500 le nombre de personnes qui y assistaient. » Clientèle « très ordinaire ».

1931, Mi-Carême : « entre 23 heures et 1 heure 30, il y avait plus de 3 000 personnes dans les deux salles, parmi lesquelles on remarquait un grand nombre d’étrangers ». « La clientèle était beaucoup plus recherchée qu’au bal du Mardi-Gras. »

1932, Mi-Carême : « 2 000 personnes environ dans les 2 salles […]. La clientèle était plus élevée et plus recherchée qu’au bal du mardi gras et les déguisements étaient beaucoup plus riches ».

1933, Mardi-Gras : « environ 1 800 » personnes. « 300 personnes s’exhibaient dans des déguisements les plus divers et sans aucune originalité. Ces dernières sont presque toujours les mêmes que les années précédentes, travesties de la même façon. La plupart des assistants étaient des homosexuels ou des sympathisants. L’élément étranger n’existait pour ainsi dire pas. Un certain nombre de lesbiennes ont été remarquées. Il a été également observé la présence d’un grand nombre de jeunes invertis âgés de 18 à 20 ans, (ce qui n’existait pas les années précédentes). »

Tonton et la grosse Amédée

Le défilé des travestis avait lieu autour d’une heure du matin. Compte tenu de ce programme, on n’arrivait pas à n’importe quelle heure, surtout si l’on n’était pas n’importe qui ou qu’on y prétendait. Onze heures, semble-t-il, était la bonne heure, l’heure de l’aristocratie des tantes, celles qui faisaient la différence entre « déguisement » et « toilette ». Celles-là dédaignaient « les vulgaires déguisements de carnaval», ces tenues « ordinaires » qui faisaient la désolation des inspecteurs de la Mondaine et étaient le lot du tout-venant arrivé sans doute bien plus tôt. Les vraies héroïnes du soir faisaient « leur entrée, une à une, sur le coup d’onze heures, dans des toilettes du goût le plus exquis et de la coupe la plus parfaite», rapporte Candide en 1932. « Les étoiles, les vedettes » du bal, c’était elles15.

Elles seules avaient droit à ces sobriquets d’emprunt qui leur donnaient rang de personnes de qualité ou de stars dans la mondanité parodique de leur société parallèle : « la Pompadour », « la Moreno »*, « la Récamier »*, « la Garbo »*, « la Marlene »*, la « Duchesse », etc. Leur « entrée » dans la salle du bal avait le caractère dramatique d’un rituel, elle devait être « remarquée ». 1939, Mardi-Gras, Paris-Midi : « De temps à autres, des applaudissements, des gloussements approbatifs, des petits cris : c’est une “entrée” particulièrement remarquée. »16 C’est pour cela qu’on allait au Magic : pour « se faire admirer », notent avec bon sens les inspecteurs Ruyssen et Lignon en 193917.

Les travestis « professionnels » appartenaient de plain-pied à cette aristocratie. Ils arrivaient souvent plus tard, souvent en bande, des boîtes « spéciales » où ils officiaient, mais toujours à temps pour assister au concours, y participer ou même être membre du jury. C’était le cas de Tonton et de Ryls, célèbres tenanciers de Montmartre, le premier de la boîte du même nom rue de Norvins, le second de Mon Jardin, déjà mentionné. Ils se présentaient accompagnés de leur clientèle habituelle et de leur personnel, tels une suite18. Leur entrée était toujours très remarquée.

Plus populaire encore peut-être, quoique non professionnel, était Amédée, dit « la grosse Amédée », gérant du restaurant Julien, 12 Faubourg Saint-Martin ». « Amédée est connu du tout-tata-parisien », écrit Michel du Coglay dans son livre-enquête Chez les mauvais garçons (Choses vues), publié en 1937, sur ce « plus que quinquagénaire, à la bouche gourmande, qui pousse des cris aigus sans qu’on la pince et se pâme quand on la touche un brin ». Il décrit Amédée défilant deux fois par an à Magic-City « dans de riches toilettes de plumes ou de dentelles » et ne regardant jamais « à la dépense pour faire sensation », ce qui lui valait systématiquement, à l’en croire, de remporter « l’un des trois prix »19. En 1939, Amédée eut les honneurs et de la presse et de la police. La presse pour le Mardi-Gras. Paris-Midi, 22 février : « L’arrivée d’Amédée, une des gloires de ce monde travesti fut accueillie par des hurlements de joie. Il faut dire qu’Amédée avait bien fait les choses et n’avait lésiné ni sur le fond de teint, ni sur le bistré des yeux, ni sur la poudre, ni sur le rouge, si sur le strass et les falbalas. » Puis la police, pour la Mi-Carême. Rapport du 16 mars : « Un [costume] particulièrement, porté par un inverti bien connu, Amédée, gérant du restaurant Julien, 12 faubourg Saint-Martin, remportait tous les suffrages par sa somptuosité. En effet, il représentait la Ville de Paris et était constitué par une robe de cour, bleue et noire avec un superbe écusson brodé sur la poitrine. »

Le Tout-Paris

Avoir son nom à la fois dans les journaux et dans les rapports de police était aussi un privilège du Tout-Paris qui frayait au Magic. « Tout Paris vient voir, écrit Marcel Montarron dans Voilà le 3 mars 1933. Il y a là Raimu*, morose et bougon, Michel Simon*, plus oxygéné que jamais, et Joséphine Baker*. Et Damia* qui, pour se distraire, tire la barbe d’un vieux monsieur déguisé en demi-solde. Et Jean Weber* enfin, poudré de frais, et qu’assiègent de jeunes et frétillants admirateurs. » Outre les célébrités de l’écran et de la scène, le Tout-Paris du Magic-City brassait grands et petits noms du barreau, de la finance, de la fonction publique, du journalisme, de la politique, de la diplomatie, des arts, de la littérature, des maisons closes et de la couture.

La recension de ces personnalités par les inspecteurs de la Mondaine était plus systématique que celle des journalistes, et parfois d’une précision inaccessible dans un journal. Le compte-rendu du bal de la Mi-Carême de 1939 indique ainsi la présence du « Comte Montgommery, qui est à Paris l’habituel intendant des menus plaisirs du Duc et de la Duchesse de Windsor », avant de préciser : « Il est du reste à remarquer qu’il est un adepte fervent de la débauche antiphysique. » À la brève liste de Voilà citée plus haut, le rapport du bal de Mardi-Gras de 1933 ajoute, lui, Pépito Abatino », « amant et manager » de Josephine Baker, Oscar Dufrêne, conseiller municipal du 10e arrondissement, Henri Varna et Marcellin, respectivement directeur et régisseur général du Casino de Paris, les chanteurs Jean Sablon et Pierre Meyer, Géo London, journaliste, Henri Bernstein, « homme de lettres », « l’artiste » Gisèle Picard, Suzy Surcouf (déjà dans le rapport de la Mi-Carême 1931), « lesbienne notoire, ex-amie de la baronne de Bremond d’Ars* », et les comtesses de Boismorand et de Flaméricourt. Y figure enfin Charles-Etienne, déjà mentionné, sorte de grande plume du bal de travestis, dont les deux romans Notre-Dame de Lesbos et Le Bal des folles décrivent le premier celui de la salle Wagram en 1919 et le second celui de Magic-City en 1930. Charles Etienne figurera à nouveau dans le rapport du bal de Mardi-Gras de 1934.

Pour les inspecteurs, ces listes relevaient d’un décompte factuel, sans commentaire. Les journalistes amateurs de name dropping étaient, eux, à l’affût de gens connus dont les noms pourraient faire sensation, exciter la pulsion comptable du « qui en est ? » de leurs lecteurs et permettre de prendre la température du bal. Au bal de la Mi-Carême de 1932, par exemple, là où l’inspecteur relève la présence de douze personnalités, Mellor, le journaliste de Candide, ne trouve, « sauf Maurice Rostand*, qui se borne à une brève apparition,  aucune physionomie connue. » Il y voit même un signe de désertion et de déclassement mondains du bal. Le bal certes drainait, ce soir-là, une « énorme affluence », mais elle était, fait nouveau à ses yeux, de « caractère essentiellement bourgeois » : « Visiblement, nos notabilités parisiennes sont blasées sur ce spectacle et c’est, maintenant, les couches moyennes qu’il attire.20 »

La couture et les métiers de l’apparence occupaient une place à la fois à part et centrale dans le Tout-Paris du Magic-City. Elle était son milieu, dans tous les sens du mot. Elle reste à être documentée. Au bal de Mi-Carême de 1931, les inspecteurs de la Mondaine relèvent bien la présence de Mme  Charlotte Revyl, « tenancière d’une importante maison de couture de la rue Saint-Honoré » et de M. Jean Rodgers, « directeur de la maison de couture « Pax », avenue Victor-Emmanuel »21. Mais jamais, dans ce rapport comme dans les autres, n’est mentionné le personnel de ces nombreuses maisons parisiennes dédiées, selon le mot de l’époque, aux « arts de la femme ». Pour Brassaï, le Magic-City grouillait de gens de la mode. « Ils arrivaient par petits groupes, ayant dérobé tout l’arsenal du beau sexe, ses robes et ses sous-vêtements, ses chapeaux, sa lingerie, ses perruques, ses bijoux, ses colliers, ses rimmels, ses onguents et ses parfums. […] Ils étaient pour la plupart dans la couture, la fourrure, la coiffure, la guipure, créateurs de chapeaux, de rubans, de broderies, de tissus, de dentelles… »22.

Comme pour éclairer un détail de ce tableau, la revue La Rampe saisit (à moins qu’elle n’invente la scène) deux travestis qui s’interpellent dans l’escalier du Magic en 1931 :

« - Ah !C’est vous ma toute belle ! Mais vous êtes ravissante ce soir. Est-ce vous qui avez fait votre robe ? 
- Bien sûr, mon vieux. C’est que je suis devenue sérieuse. J’en avais assez du truc*. Maintenant je travaille dans une maison de couture. »23

Un an plus tôt, dans Le Bal des folles, une tante se faisait traiter de « couturasse »24.

Le jury

Le jury du concours était recruté dans le dessus du panier du Tout-Paris. Par qui et comment ? Combien de membres comptait-il ? Qui le présidait ? On l’ignore, à quelques exceptions près. Dans les articles de presse et les rapports policiers consultés, se distinguent l’acteur Michel Simon* (trois fois membre) et quatre vedettes féminines du music-hall français : Damia (trois fois), Marie Dubas* (trois fois), Mistinguett* (deux fois) et Joséphine Baker (deux fois). La présence de ces personnages idolâtrés par les travestis du Magic était un atout essentiel à la réussite du bal : après le jugement des pairs, le verdict des stars. En 1932, pour Mardi-Gras, Mistinguett, qui avait été annoncée, ne vint pas, causant « une vive déception », note l’inspecteur25. Mais, un mois plus tard, pour la Mi-Carême, elle « fut saluée de vivats » à son arrivée à minuit trente et on l’obligea à chanter plusieurs des refrains de sa revue du Casino de Paris26. En 1937, le défilé de la Mi-Carême faillit capoter, Joséphine Baker ayant décidé de ne pas présider le jury, rebutée par l’atmosphère « sombre » de la salle. « Elle voulut partir, raconte Candide. Mais sa résistance mit en émoi tous les groupes des concurrentes, ils se jetèrent sur elle, pleurant, baisant ses bras dorés, ses mains nerveuses et même, avec une galanterie brusquement virile, un danseur vêtu en matrone romaine l’entraîna vers la scène. Elle y monta et fut applaudie27. » On avait frôlé le drame mais l’incident laisse percevoir à fleur de peau les enjeux de reconnaissance et de compétition qui exaltaient ces soirées.

Le Pont d’Argent

Le défilé se déroulait sur une passerelle de bois, appelée parfois le « pont-aux-travestis » mais baptisée par la direction « Le Pont d’Argent ». Elle était installée vraisemblablement durant la soirée-même, traversant la salle entre deux estrades. Commençait alors le défilé avec un speaker en maître de cérémonie et sous les lazzis vachards d’un public à la langue vipérine : duchesses en crinoline et soubrettes en tablier, merveilleuses du Directoire, matrones romaines, Carmen andalouses aux châles criards, « gretchen » aux blondes nattes, grandes dames arts décos aux longs gants élégants, garçonnes en robes lamées et aux interminables sautoirs de perles, gommeuses de caf’conc’ Belle Époque, mais aussi durs à rouflaquettes, petit foulard au cou et casquette à pont, accompagnés de leur gigolette, mèche en accroche-cœur collée au front, etc. La majeure partie des travestis était des références à des stéréotypes et à des personnages féminins célèbres, contemporains ou du passé. En 1939, le rapport du bal de la Mi-Carême constate que la plupart est « composée de marquis, de marquises, de gauchos, de Mexicains » et des « traditionnels costumes humoristiques qu’on est habitué à voir presque tous les ans en cet endroit, c’est-à-dire Bijoux*, les Halles, costumes 1900, Madame Cardinal*. »

Les moussaillons et marins de revues étaient un autre de ces standards. En 1932, Candide note toutefois que le contingent « des petits matelots dont M. Jean Cocteau s’était fait le peintre et le chantre » accuse une forte diminution : « Tout juste en découvre-t-on une demi-douzaine. Mais en dépit de leur fraîcheur, ces pauvres petits datent déjà. Ils semblent sinon 1900, du moins présidence Doumergue*. Et l’on sent qu’ils n’en ont plus pour longtemps.28 »

Dans cette procession de modèles, de stéréotypes et de citations, figurait en majesté l’inévitable théorie des sosies, des copies et des doubles de célébrités de la scène et de vamps de l’écran : fausses Dolly Sisters*, fausses Mary Marquet*, fausses Marie Dubas*, fausses Marlene Dietrich*, fausses Greta Garbo*, fausses Jeannette MacDonald*, fausses Joan Crawford*, fausses Mae West*, fausses Mistinguett, etc. Le soir où Mistinguett, tant attendue, n’était pas venue, le premier prix fut attribué « à un inverti revêtu d’un costume identique à celui » de la vedette dans cette même revue du Casino de Paris29.

Le jury décernait trois prix aux trois travestis « les plus beaux » ou « les plus originaux ». Le speaker proclamait les résultats. Là encore, les sources sont peu bavardes. En 1937, le jury, présidé par Joséphine Baker, attribua le premier prix à une Marlene, préférée à une Garbo qui s’était « livrée à toutes sortes d’excentricités pour attirer l’attention ». Candide décrit la victorieuse : « la Marlène repassa, sur la scène, dans sa robe noire d’un goût parfait. Il se prenait au sérieux, pleurait presque d’émotion, saluait, mince avec une petite tête aigüe », tandis que la Mae West amère demeurait « éplorée et jalouse au milieu de la scène »30. Dans Le Bal des folles de Charles-Etienne en 1930, la palme revient au couple « Albert et Robert » : « L’élégance innée de l’un s’harmonise avec les gestes, fidèlement copiés, de l’autre. Vertigineusement empanaché d’autruches noires, endentellé de Chantilly laissant passer le flot neigeux des dessous, le duo personnifie des grues, 1900, retour des Drags*. Suivant « ces dames », une femme de chambre à taille de guêpe, poitrine en balustrade et canotier ciré, porte un blanc caniche enrubanné de feu. » Quant au second prix, il « va à “La Miss”, un grand garçon d’une invraisemblable minceur. Regard de flamme, bouche de crucifié, coiffure en gratte-ciel, traîne de féerie, à volants de soie rose, portée par trois boys, même ton. »31

Les inspecteurs de la Mondaine n’avaient pas le lyrisme descriptif de Charles-Etienne. Observateurs difficiles, presqu’indifférents, voire blasés, ils n’hésitaient pas à souligner, s’ils les jugeaient telles, le caractère sans surprise des tenues présentées, leur manque de « cachet ». 1934, Mardi-Gras, rapport du 14 février : « Il y avait seulement environ 50 personnes déguisées dans des costumes divers, sans aucun goût ni originalité. Ces dernières sont presque toujours les mêmes que les années précédentes travesties de même façon. » Si les tenues étaient réussies, les inspecteurs se contentaient de l’indiquer, la plupart du temps sans les décrire. Le rapport du 13 mars du bal de la Mi-Carême 1931  fait figure d’exception : « Contrairement aux années précédentes, les « travestis » n’avaient rien de transcendant. À noter toutefois un inverti déguisé en tenue fantaisiste de gardien de la paix, dont le képi était muni sur le devant d’une petite ampoule électrique, et portant sur chaque fesse deux motifs dont l’un représentait un disque « Sens interdit », de couleur rouge, l’autre « P. réservé », de couleur bleu ciel. Ces deux motifs étaient éclairés par une petite ampoule électrique. Le travesti était également porteur d’un petit bâton blanc dont l’extrémité était également éclairée. Il a obtenu un très vif succès. »

Remarque. Par son caractère caricatural, ce travesti comique illustre de manière inattendue la remarque acerbe formulée à la même époque par Claude Cahun dans son Journal à l’encontre du célèbre bal et de ses protagonistes : « Magic-City. Ils font une telle différence entre « actif » et « passif » – les imbéciles ! qu’il y aura bientôt un « féminisme » des cinèdes alors qu’elle – même se rêvait « abeille ouvrière » du « neutre » : « Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. »32

Les préparatifs

Faute de correspondances et de témoignages, on sait peu de choses sur les préparatifs que demandaient ces performances pour les travestis. Ces petites cérémonies de la préparation revêtaient une grande importance. Dans son roman Hôtel du Nord paru en 1929, Eugène Dabit consacre un fringant chapitre à l’un des locataires de l’hôtel du canal Saint-Martin, « M. Adrien », jeune homme élégant et sérieux qui travaille dans une confiserie et n’a l’esprit accaparé que par un seul objectif : se faire un costume de « gitana », robe rouge, châle et sombrero, pour aller à Magic-City. Adrien réquisitionne la patronne de l’hôtel, Louise, et Dabit détaille en quelques lignes leurs trucs et astuces pour y parvenir, un art du bout de ficelle dans lequel bien des lectrices et des lecteurs du roman ont dû se reconnaître. « Ils se mettent aà̀ l’ouvrage, le temps presse. Louise raccourcit son jupon, le porte à la teinturière. Adrien déniche chez un fripier une petite veste en forme de « boléro ». Il est préoccupé de ses « dessous » car il désire être habillé en femme des pieds à la tête. Il achète une chemise, un jupon, des bas de soie. Il se rase les mollets et les bras. Impossible de trouver un sombrero passable. Il se résigne à louer une perruque brune et pique dessus deux fleurs de papier. Le soir du bal il fait un dernier essayage devant Louise. Elle lui conseille de se rembourrer un peu la poitrine, de mettre des œillets rouges dans sa perruque. Elle s’amuse de la coquetterie d’Adrien. .« Quand on est jeune, on est bien fou… », pense-t-elle, indulgente. »33

Quatre ans plus tard, peut-être inspiré par Dabit, le journaliste Marcel Montarron ouvre son article dans Candide du 4  mars  1933 sur Magic-City par un long préambule qui met en scène les affres du jeune M.  Lucien, « Lulu pour les Messieurs », à une semaine de Mardi-Gras. Lucien, lui, est vendeur dans un magasin d’étoffes du Sentier. Il « édifie tout le monde par sa ponctualité et ses bonnes manières. » « Il a vingt- cinq ans. Mais il a l’air encore d’un grand gosse ». Il a des gestes « délicats », des mains « fines » et ses cheveux « sont d’un blond si pâle, ils ondulent avec tant de complaisance qu’ils n’ont pas l’air vrai ». Comme Adrien, il porte des vestons qui lui moulent la taille et, comme Adrien, il rêve de Magic-City.

Depuis deux mois, comme dans un conte de fées, Lulu prépare « sa » robe pour son premier bal, « son premier bal de jeune fille » : une longue robe mauve, très échancrée dans le dos, comme le veut alors la mode, que de minces bretelles maintiennent sur les épaules. « Il a dessiné lui-même le modèle » et « économise depuis des semaines, sou par sou sur ses gains. » Avant son départ, il n’a pas osé se farder devant sa mère. « Il se maquillera chez « Jeannette » qui est employé de banque et dont la robe, bien qu’elle ait déjà servi l’an passé, fera encore son effet sous les lumières. ». « Jeannette est brun, plus maigre, plus élancé. Il porte, sur ses bras nus aux muscles saillants, de longs gants noirs à crispin, qui allongent encore sa silhouette efflanquée de grande fille plate comme une lime à ongles. »

Le journaliste esquisse ainsi deux scénarios sans doute très proches de la réalité : celui de Lulu et de la robe, première ou non, qu’on fait soi-même, avec ses propres deniers, et celui de Jeannette et de la robe qu’on remet d’une année sur l’autre en espérant que cela ira. À ces deux scénarios, modestes et pragmatiques, il en adjoint un troisième, celui-là luxueux et vénal, celui de Mado et de sa toilette « épatante avec des plumes hautes comme cela et du strass, comme s’il en pleuvait. » C’est le scénario du travesti entretenu. L’auteur de l’article fait parler ses personnages. Jeannette : « Tu penses, avec les deux types qui l’entretiennent, “elle” peut se payer des costumes de ce prix-là. » À quoi Lulu répond, « mi-gouailleur, mi-méprisant » : « Moi, tu sais, les professionnels, ça ne m’intéresse pas. »34

Un album de famille

Peut-être cette Mado, aussi fictive soit-elle, faisait-elle partie de ces jeunes travestis entretenus qui ne portaient pas de « déguisements » stéréotypés, mais des toilettes féminines de leur temps, sorties des ateliers des maisons de couture parisiennes, tels que les évoque Brassaï. « Coiffés par Antoine*, habillés par Lanvin ou par Madeleine Vionnet, les grands couturiers de l’époque, certains de ces éphèbes au bras de leurs riches protecteurs, étaient souvent d’une rare beauté. Je vis aussi maintes créatures énigmatiques, floues, flottant entre les frontières mal tracées des deux sexes dans une sorte de no man’s land»35

Devant certaines des photos du fonds Fréjaville, c’est à elles que l’on pense. Ces photos restent mystérieuses. On ignore qui les a prises et où dans Magic-City. En 1932, Candide évoque l’existence de tribunes dont l’accès était réservé par de « sévères gardiens » « aux gentils ménages désireux de se faire photographier, par souvenir. »36 Les photos du fonds Fréjavillle ont toutes été prises au même endroit, devant la petite rambarde d’un escalier étroit. Menait-il à l’une de ces tribunes peut-être aménagées en studio de fortune ? Ces photos, enfin, ont un air de famille, elles semblent avoir été prises par le même photographe. Mais dans quel but ont-elles été prises ? 1931 est la seule date repère : trois d’entre elles figurent, reprises au pinceau, dans le numéro de La Rampe d’avril 1931 reproduit plus loin. Des doubles quasi exacts. Mais pas de mention de photographe dans la revue. Au-delà de cette piste, rien.

Les rapports de la Brigade mondaine nous apprennent que les travestis ne formaient qu’une partie seulement du public ces soirs-là, en moyenne entre dix et cinquante pour cent : 5 à 600 sur un millier en 1928, 200 sur 2 500 en 1931 pour Mardi-Gras. Ils nous apprennent aussi que ces travestis, d’un bal à l’autre, d’une année sur l’autre, étaient souvent les mêmes. Cet ensemble, c’est l’album de famille des travestis parisiens des années 1930. Amédée, Tonton, la Miss, la Pompadour, la Grunchen, la Garbo, la Marlene, la Dubas, la Mae West, la Cardinal, toutes sont certainement là.

Archives de la Préfecture de Police de Paris, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce ».

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Photographie Farid Chenoune.

Lettre d'invitation à un bal privé organisé par la direction du Magic-City.

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Pour contourner l’interdiction du bal de la Mi-Carême 1934, la direction du Magic-City décida d’organiser un bal privé, le même soir, à partir de minuit. Elle le fit savoir, par cette lettre par exemple. Le bal n’eut jamais lieu.

Archives de la Préfecture de Paris, série W, dossier n° 103119. Photographie Farid Chenoune.

Portfolio, lexique et index

Portfolio

Bal au Magic-City

https://devisu.inha.fr/modespratiques/119?file=1

Lexique

Bath. Bien, bon, joli, agréable.

Bijoux. Voir La Môme Bijou, plus bas.

Drags. Initiée en 1883, la « journée des drags » consistait en un défilé en voitures attelées, de la place de la Concorde à l’hippodrome d’Auteuil où l’on assistait ensuite aux courses. Grand événement mondain de la saison, le « défilé des drags » était l’occasion de somptueuses démonstrations d’élégance couturière.

Gretchen. Comme Greta, diminutif de Margarete. Dans la culture allemande, la jeune fille pure. En France, dans le contexte anti-germanique des années 1870 aux années 1920, l’allemande pataude, un peu neuneu et dépourvue d’élégance, version féminine du « boche ».

Truc. Prostitution.

Index des noms propres

Personnages

La Baker, Joséphine (1906-1975). Artiste de music-hall, révélée à Paris dans La Revue nègre en 1925.

La Cardinal, Madame. Personnage de la petite bourgeoise parisienne prétentieuse et étriquée, créé et ridiculisé par Ludovic Halévy dans son livre Madame Cardinal en 1870, et représenté par Degas dans son tableau Pendant la classe de danse.

La Crawford, Joan. Actrice américaine (1905-1977). À partir de 1929, elle est habillée à l’écran et à la ville par le couturier hollywoodien Adrian qui contribua à son aura d’actrice glamoureuse et sexy.

La Damia, Maryse. Actrice et chanteuse réaliste, surnommée « la tragédienne de la chanson », elle donna à la robe de scène noire sa classe iconique (1889-1978).

La Dubas, Marie. Populaire chanteuse au répertoire multiple, douée pour la scène, « une comédienne de la chanson » (1894-1972).

La Garbo, Greta. Actrice suédoise, 1905-1990. Une des stars hollywoodiennes les plus influentes de l’entre-deux-guerres auprès des femmes. En avril 1933, Vogue consacre un article au phénomène d’imitation qu’elle provoque : le « gretagarbisme ».

La MacDonald, Jeannette. Cantatrice et actrice américaine, célèbre pour ses rôles dans des comédies musicales, notamment La veuve joyeuse, d’Ernst Lubitsh, avec Maurice Chevalier (1903-1965).

La Mae West. Actrice américaine, fameuse pour son anatomie généreuse et son humour salé (1893-1980).

La Marlene, Marlène Dietrich. Avec Greta Garbo, l’autre grand modèle féminin du glamour hollywoodien, tout aussi épidémique (1901-1992).

La Marquet, Marie. Comédienne à la personnalité décidée, consacrée au théâtre dans L’Aiglon d’Edmond Rostand, puis au cinéma dans Sappho de Léonce Perret, 1895-1979.

La Môme Bijou. Personnage mythique du noctambulisme montmartrois, survivante de la Belle époque, légendaire pour ses frusques d’un autre siècle et sa débauche de maquillage, de bagues, de strass, de fausses perles et de fausses pierres. Brassaï lui consacra un chapitre de son livre Le Paris secret des années 30.

La Moreno, Marguerite. Comédienne, connue pour son manque de beauté, reconnue pour son abondance de talent (1871-1948).

La Récamier, Juliette, dite Madame Récamier. Célèbre femme du monde parisien du début du XIXe siècle (1777-1849). Son portrait par David vers 1800 est devenu une des illustrations de référence de la mode sous le Directoire et le premier Empire.

Les Dolly Sisters. Sœurs jumelles vedettes du music hall américain des années 1920.

Personnes

Antoine. Coiffeur du Tout-Paris (1884-1976).

de Bremond d’Ars, Yvonne. Antiquaire renommée et diariste prolixe, figure de la mondanité lesbienne parisienne (1894-1976).

Doumergue, Gaston. Homme politique français, président du Conseil de 1913 à 1914 et président de la République de 1924 à 1931 (1863-1937). Ici, synonyme de démodé, vieillot.

Raimu. Acteur, célébré pour ses rôles dans les films « marseillais » ou provençaux de Marcel Pagnol : Marius, Fanny, César et La Femme du boulanger (1883-1946).

Rostand, Maurice. Journaliste, écrivain et poète, réputé pour son homosexualité (1891-1968).

Simon, Michel. Acteur français, un des plus populaires de l’entre-deux guerres, collectionneur de pornographie et connaisseur du Paris nocturne (1895-1975).

Weber, Jean. Acteur et sociétaire de la Comédie-Française (1906-1995).

1 Brassaï, Le Paris secret des années 30, Paris, Gallimard, 1988 [1ère édition 1976], p. 166-169. Ce livre est une reprise partielle de Paris de nuit

2 Christine Bard, « Le “DB58” aux Archives de la Préfecture de Police », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n°10, 1999. URL : http://journals.

3 Archives de la Préfecture de police de Paris (APP), série W Fonds contemporains, dossier n° 103119, « Notes », non datée, chemise « Bal “Magic-City”

4 Jean Bouchon, « J’ai visité Paris. Une nuit à Paris en car pour 125 francs », Candide, 7 octobre 1937.

5 Florence Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris. 1919-1939, Paris, Seuil, 2000. Sur la vie nocturne

homosexuelle à Paris voir en particulier p. 79-91.

6 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 1er mars 1933

7 Ibid., Rapport du 9 mars 1934.

8 Ibid., Rapport du 19 mars 1934.

9 Ibid., Rapports des 22 février 1939 et 19 mars 1939 ; Alexandre, « Le bal de Magic-City. La grande parade du “Décrochez-moi ça” », Candide, 11 mars

Gras a déroulé cette nuit ses fastes joyeux et factices », Paris-Midi, 22 février 1939.

10 Alexandre, op. cit.

11 Charles-Etienne, Le Bal des folles, Paris, Curio, 1930, p. 152.

12 Jean Laurent, « Le Bal de Magic… un soir de Mi-Carême », La Rampe, 1er avril 1931.

13 Charles-Etienne, op. cit., p. 157.

14 APP, série W, dossier n° 103119, « Notes », non daté, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », p. 4.

15 Mellor, « Leur bal », Candide, 10 mars 1932.

16 Roger Féral, op. cit.

17 PP, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », Rapport du 17 mars 1939, « Physionomie de la nuit de la Mi-Carême à

18 Ibid., Rapport du 13 mars 1931.

19 Michel du Coglay, Chez les mauvais garçons (Choses vues), Paris, R. Saillard, 1937, p. 165.

20 Mellior, op. cit.

21 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 13 mars 1931.

22 Brassaï, op. cit., p. 166.

23 Jean Laurent, op. cit.

24 Charles-Etienne, op. cit., p. 152

25 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 10 février 1932.

26 Ibid. APP, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », Rapport du 3 Mars 1932.

27 Alexandre, op. cit.

28 Mellor, op. cit.

29 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 10 février 1932.

30 Alexandre, op. cit.

31 Charles-Etienne, op. cit., p. 168.

32 Claude Cahun, Aveux non avenus, Paris, Éditions du Carrefour, 1930, p. 45.

33 Eugène Dabit, Hôtel du Nord, Paris, Robert Denoël, 1929, p. 233-240.

34 Marcel Montarron, « Corydon conduit le bal », Voilà, 3 mars 1933.

35 Brassaï, op. cit., p. 166-167.

36 Mellor, op. cit.

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  • Bal au Magic-City

    Bal au Magic-City

Notes

1 Brassaï, Le Paris secret des années 30, Paris, Gallimard, 1988 [1ère édition 1976], p. 166-169. Ce livre est une reprise partielle de Paris de nuit, publié en 1933 aux éditions Arts et métiers graphiques avec un texte non de Brassaï mais de Paul Morand.

2 Christine Bard, « Le “DB58” aux Archives de la Préfecture de Police », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n°10, 1999. URL : http://journals.openedition.org/clio/258 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.258.

3 Archives de la Préfecture de police de Paris (APP), série W Fonds contemporains, dossier n° 103119, « Notes », non datée, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », p. 1.

4 Jean Bouchon, « J’ai visité Paris. Une nuit à Paris en car pour 125 francs », Candide, 7 octobre 1937.

5 Florence Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris. 1919-1939, Paris, Seuil, 2000. Sur la vie nocturne

homosexuelle à Paris voir en particulier p. 79-91.

6 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 1er mars 1933

7 Ibid., Rapport du 9 mars 1934.

8 Ibid., Rapport du 19 mars 1934.

9 Ibid., Rapports des 22 février 1939 et 19 mars 1939 ; Alexandre, « Le bal de Magic-City. La grande parade du “Décrochez-moi ça” », Candide, 11 mars 1937, et Roger Féral, « Le traditionnel “Bal des travestis” du Mardi

Gras a déroulé cette nuit ses fastes joyeux et factices », Paris-Midi, 22 février 1939.

10 Alexandre, op. cit.

11 Charles-Etienne, Le Bal des folles, Paris, Curio, 1930, p. 152.

12 Jean Laurent, « Le Bal de Magic… un soir de Mi-Carême », La Rampe, 1er avril 1931.

13 Charles-Etienne, op. cit., p. 157.

14 APP, série W, dossier n° 103119, « Notes », non daté, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », p. 4.

15 Mellor, « Leur bal », Candide, 10 mars 1932.

16 Roger Féral, op. cit.

17 PP, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », Rapport du 17 mars 1939, « Physionomie de la nuit de la Mi-Carême à Montmartre ».

18 Ibid., Rapport du 13 mars 1931.

19 Michel du Coglay, Chez les mauvais garçons (Choses vues), Paris, R. Saillard, 1937, p. 165.

20 Mellior, op. cit.

21 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 13 mars 1931.

22 Brassaï, op. cit., p. 166.

23 Jean Laurent, op. cit.

24 Charles-Etienne, op. cit., p. 152

25 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 10 février 1932.

26 Ibid. APP, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce », Rapport du 3 Mars 1932.

27 Alexandre, op. cit.

28 Mellor, op. cit.

29 APP, série W, dossier n° 103119, Rapport du 10 février 1932.

30 Alexandre, op. cit.

31 Charles-Etienne, op. cit., p. 168.

32 Claude Cahun, Aveux non avenus, Paris, Éditions du Carrefour, 1930, p. 45.

33 Eugène Dabit, Hôtel du Nord, Paris, Robert Denoël, 1929, p. 233-240.

34 Marcel Montarron, « Corydon conduit le bal », Voilà, 3 mars 1933.

35 Brassaï, op. cit., p. 166-167.

36 Mellor, op. cit.

Illustrations

Travestis, dont un en gretchen, sans doute devant Magic-City, années 1930.

Travestis, dont un en gretchen, sans doute devant Magic-City, années 1930.

© Collection Roger-Viollet / Roger-Viollet.

Annonce publiée dans Paris-Soir du 25 mars 1935 (ci-dessus), puis à nouveau dans ce même journal du soir ainsi que Le Petit Journal, rubrique « Bals », le 28 mars 1935.

Annonce publiée dans Paris-Soir du 25 mars 1935 (ci-dessus), puis à nouveau dans ce même journal du soir ainsi que Le Petit Journal, rubrique « Bals », le 28 mars 1935.

Paris-Soir, 25 mars 1935.

Archives de la Préfecture de Police de Paris, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce ».

Archives de la Préfecture de Police de Paris, série W, dossier n° 103119, chemise « Bal “Magic-City”. Noël Aldonce ».

Photographie Farid Chenoune.

Lettre d'invitation à un bal privé organisé par la direction du Magic-City.

Lettre d'invitation à un bal privé organisé par la direction du Magic-City.

Pour contourner l’interdiction du bal de la Mi-Carême 1934, la direction du Magic-City décida d’organiser un bal privé, le même soir, à partir de minuit. Elle le fit savoir, par cette lettre par exemple. Le bal n’eut jamais lieu.

Archives de la Préfecture de Paris, série W, dossier n° 103119. Photographie Farid Chenoune.

Citer cet article

Référence électronique

Farid Chenoune, « Leur bal », Modes pratiques [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 21 juin 2022, consulté le 25 avril 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/117

Auteur

Farid Chenoune

Farid Chenoune enseigne l’histoire de la mode à Paris (Ifm, Ensad, ECSSP). Visiting Fellow of the University of the Arts London et chercheur indépendant. Il est notamment l’auteur de Des modes et des hommes : Deux siècles d’élégance masculine (Flammarion, 1993)  ; Christian Dior (éditions Assouline, 2015) est son dernier ouvrage paru.

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