Delphine Baron, la fée du travestissement en procès

Bals costumés et normes sociales sous le Second Empire

DOI : 10.54390/modespratiques.77

Traduction(s) :
Delphine Baron, “the Queen of Fancy Dress” on Trial

Plan

Notes de la rédaction

Dans son édition papier, cet article est accompagné d'illustrations de Pablo Grand Mourcel. Ces denrières sont visibles dans le PDF associé à l'article.

Texte

Où l’on voit que les costumes de jeune fille ne sont pas chose légère. Au tribunal civil de la Seine, se joua, en 1859, un duel qui aurait pu n’être que le simple affrontement entre une couturière et sa cliente : une histoire de mauvais payeur, en somme. Mais c’était sans compter avec leurs avocats qui firent de ce procès un bien singulier conflit de normes.

Il suffit parfois d’un simple nom pour éveiller le rêve d’une histoire à écrire. Tel fut celui de Gustave-Gaspard Chaix d’Est-Ange, croisé incidemment au gré d’une recherche sur les bals masqués et costumés au XIXe siècle. Chaix d’Est-Ange avait été, en 1857, l’avocat de Flaubert et de Baudelaire pour les retentissants procès de Madame Bovary et des Fleurs du Mal ; pourtant, hasard du catalogue de la Bibliothèque nationale de France, il surgissait ici étrangement associé à une couturière méconnue, Delphine Baron, dans une affaire qui l’opposait à la baronne de Korf, défendue par Me Léon Duval, le 6 avril 1859, au Tribunal civil de la Seine. Dans La Tribune Judiciaire. Recueil des plaidoyers et des réquisitoires les plus remarquables des tribunaux français et étrangers1, qui a publié les plaidoiries des deux avocats, se nouait ainsi une intrigante rencontre entre le monde de la couture parisienne, une baronne russe et l’un des plus célèbres avocats du temps. L’affaire, au reste, pouvait sembler n’être qu’une simple « affaire de chiffons » (Le Journal du Loiret, 11 et 12 avril 1857) : la baronne refusait de payer les costumes de bouquetières Louis vi qu’elle avait commandés pour ses filles, pour le bal du comte de Morny du 2 mars 1859, au prétexte qu’ils auraient été « immodestes »2 et livrés trop tard ; elle réclamait, de surcroît, 3000 francs de dommages-intérêts. La couturière, quant à elle, exigeait le paiement des costumes fournis. Les acteurs aux prises, l’argumentaire déployé de part et d’autre, le contexte autant que l’écho immédiat de l’affaire, tout concourt cependant à ne pas s’en tenir à l’expéditive et sarcastique formule du Journal du Loiret. Enquêter, tenter de démêler les fils de ce procès, revient en effet à ouvrir le champ d’une histoire plus ample qu’il n’y paraît, cristallisant une âpre compétition de normes où le temps de la fête travestie n’est jamais étranger aux pulsations du monde.

« Oh ! le joli procès que celui de Mme la baronne de Korf contre Mme Delphine Baron »3

« Vous savez, Messieurs, que la fin du carnaval a été signalée par un véritable déluge de bals costumés : c’est ainsi que le 28 février, il y avait bal costumé chez M. le ministre d’État ; le 2 mars, bal costumé chez M. le comte de Morny ; le 5 mars, bal costumé aux Affaires Etrangères, et le 7, enfin, bal costumé chez l’impératrice ; et je ne parle ici que des fêtes officielles, sans compter toutes les réunions particulières qui ont été nombreuses ».

Bal costumé (époque Louis XV) dans les salons du comte de Morny, le 7 mars 1859.

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Dessin Bligny, gravure Henri Linton ; page du journal L’Illustration. Collection particulière.

Billet d’invitation pour le bal de Morny.

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Collection particulière

Par cette énumération qui ouvre sa plaidoirie, Chaix d’Est-Ange souligne la singularité festive du règne de Napoléon III. De fait, si le Second Empire n’invente pas un divertissement – les fêtes costumées et masquée – qui court, sans relâche, de la Restauration aux Années Folles, il en consacre en revanche une forme spécifique : les bals politiques, ces bals privés mais organisés par les cercles du pouvoir. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, la duchesse de Berry ou Marie-Amélie, femme de Louis-Philippe, ont certes organisé des bals costumés, mais il s’agissait alors surtout de la persistance, au demeurant peu vivace, d’une longue tradition aristocratique des fêtes de cour ; sous le Second Empire, en revanche, se singularisent ces festivités orchestrées par les ministres, les conseillers d’État, les ambassadeurs, Napoléon III lui-même ou l’impératrice Eugénie. Elles alimentent un vertigineux calendrier mondain sur toute la période, sans commune mesure avec ce qui a précédé et avec ce qui suivra – les bals travestis officiels disparaissant de l’arsenal festif républicain, sinon de ses salons. Au rang des grands orchestrateurs de bals masqués, Chaix d’Est-Ange cite Fould, ministre d’État entre 1852 et 1860, Morny, président du Corps Législatif de 1854 à 1865, et Walewski, ministre des Affaires Étrangères entre 1855 et 1860. Il faut également évoquer ici Persigny, durant son second ministère de l’Intérieur entre 1860 et 1863, ou Chasseloup-Laubat, ministre de la Marine et des Colonies de 1860 à 1869, qui, tous deux, en furent friands. Les invitations à ces bals, conservées pour l’essentiel à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, en sont une trace précieuse, qui nous renseignent sur les codes festifs autant que sur les sociabilités tissées. Il en va ainsi de l’invitation adressée à la comtesse d’Ornano, par le comte de Morny et sa femme, pour le bal du mercredi 2 mars 1859. Les invités sont attendus à 10h du soir, au domicile des Morny, soit l’hôtel de Lassay, et sont priés « de venir en costume ; époque Louis xv, avec poudre, ou en domino ». Ouvertes aux notabilités du Second Empire, telle la comtesse d’Ornano, ces fêtes le sont également aux élites européennes, telle la baronne de Korf. C’est ainsi que la princesse Pauline de Metternich, la comtesse de Castiglione ou la comtesse Barbara Rimsky-Korsakov fréquentent assidûment ces bals, où d’audacieux costumes dévoilent souvent leurs corps bien plus qu’ils ne les masquent. Le 7 février 1866, elles participent au grand bal organisé par Napoléon III et Eugénie et la comtesse Rimsky-Korsakov y paraît ainsi simplement vêtue du costume de la Salammbô de Flaubert – autant dire à peine voilée. Sur la baronne de Korf, les renseignements sont, de prime abord, ténus. La plaidoirie de son avocat, Me Léon Duval, ne nous fournit que quelques repères : elle est une « grande dame russe », « femme du général baron de Korf », venue de la cour de Russie, de passage à Paris et résidant à l’Hôtel Richmond avec ses deux filles. Ils permettent cependant d’ouvrir plusieurs pistes. Rien d’étonnant tout d’abord, à cette présence russe à Paris dans les lendemains de la guerre de Crimée, qui virent Alexandre II rompre avec la fermeture du pays imposée par son père, Nicolas Ier. Après les exilés politiques (tels Tourgueniev arrivé en 1832 ou Bakounine arrivé en 1844), revinrent alors en nombre gens du monde, artistes et négociants4, qui renouaient, pour certains d’entre eux, avec les usages mondains et touristiques des élites russes habituées à passer une partie de l’hiver à Paris. La rive droite est leur lieu de prédilection, autour de la rue de Rivoli, du boulevard des Italiens et de la rue de la Paix ; l’hôtel Richmond, rue du Helder, s’inscrit dans cette géographie élective et socialement signifiante. Simultanément, la vie et la personnalité de Morny lui-même concourent à expliquer ces sociabilités partagées : ambassadeur extraordinaire en Russie en 1856, il épouse, en 1857, une princesse russe, Sophie Troubetzkoï ; de retour en France, le couple multiplie les bals et réceptions où se croisent notables du Second Empire, artistes, aristocrates européens.

Le Moniteur de la coiffure, for the Bulletin of Fashion, New York, tome 21, janvier 1860.

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« Costumes historiques artistiques et travestis de la Maison Moreau, Delphine Baron, successeur, draperie, gilet et haute nouveautés de la Maison Dubois jeune, chemises, cols et cravates de la Maison du Phénix, S. Hayen aîné, chapellerie de la Maison René Pineau, taille de cheveux et coiffures de Loisel, Parfums de Violet, inventeur du savon Thridace, fournisseur de S. M. l’Impératrice. Paris, Rue des Petites Écuries, 19. »

BnF

Un témoignage inattendu permet cependant de tracer un portrait plus précis de la baronne de Korf. Au gré des déambulations qui tissent toute enquête, un pan de mystère se trouve en effet levé sur cette famille par la découverte de l’identité de son arrière-petit-fils : Vladimir Nabokov, l’auteur du fameux Lolita5. Deux protagonistes de l’affaire de 1859 sont, de fait, les grands-parents paternels de l’écrivain : Marie, l’une des filles de la baronne pour laquelle Delphine Baron réalisa précisément l’un des costumes incriminés, et Dimitri Nabokoff (1827-1904), alors conseiller d’État6. Près d’un siècle plus tard, leur petit-fils relate ainsi en détail le contentieux de 1859, « incident passablement grotesque » selon ses mots, et jette la lumière sur certains de ses acteurs. Nina Alexandrovna (1819-1895), son arrière grand-mère, est l’épouse d’un général d’origine allemande servant dans l’armée russe, Ferdinand Nikolaus Viktor von Korf(f ) (1819-1895), dont elle eut cinq filles. La baronne vint passer l’hiver 1859 à Paris avec deux d’entre elles : Olga et Marie, l’aînée, née en 1842. Dimitri Nabokov, ami de la famille et futur époux de Marie, s’y trouve également. À l’heure du bal, et de son mariage en septembre de la même année, Marie a donc 17 ans, âge de toutes les vigilances maternelles et sociales. En un commentaire direct quoiqu’allusif, Nabokov ajoute cependant que sa « bonne arrière-grand-mère » était « belle, passionnée et, j’ai le regret de le dire, beaucoup moins austère dans ses mœurs privées qu’il ne le sem-blerait d’après son attitude à l’égard des décolletés »7. En regard de ces propos, résonne alors singulièrement l’ironie mordante de Chaix d’Est-Ange dans sa plaidoirie : « je m’explique peu que ce qui était assez collet-monté la veille, vous le trouviez trop décolleté le lendemain, et cet excès d’amour pour les corsages très montants, qui vous saisit juste au moment de payer la note qu’on vous présente [...] me paraît suspect ». S’esquisse alors en filigrane une question sur laquelle nous reviendrons : et si, au fond, l’enjeu de l’affaire n’était pas seulement un crime d’immodestie ? Pas seulement la trahison par une couturière de l’impérative pudeur de deux jeunes filles ?

« Une rencontre désagréable entre un tailleur et l’un de ses mauvais payeurs ».

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Dessin de Daumier, La Comédie Humaine, paru dans Le Charivari, 3 avril 1843. Collection particulière.

Dans le champ clos du tribunal civil, se dresse face à la baronne de Korf une figure venue d’un tout autre milieu : Delphine Baron. Avec elle, est ainsi convoqué ce monde de l’ombre si souvent oublié derrière les fastes de la fête impériale : les petites mains qui cousent et brodent, façonnent les costumes, les bouquets et les rubans voués à parer les corps masqués et travestis ; les ateliers de couture avec leurs contraintes et leurs pressions en ces veilles fiévreuses de bal8. Sur Delphine Baron, « ayant succédé depuis peu de temps à la célèbre maison Moreau » précise La Tribune Judiciaire, l’enquête est erratique avant que ne s’ébauchent les contours d’une vie9. Publicités, articles de presse, dictionnaires et correspondances arrachent cependant très vite Delphine Baron à l’anonymat pour lui rendre un peu de cette notoriété qui fut la sienne sous le Second Empire et au début de la IIIe République, jusqu’à sa mort en juillet 1895. L’Annuaire des Artistes et de l’enseignement dramatique et musical10 signale en effet son décès en un laconique avis nécrologique, qui tait ce que fut son parcours et la réduit au statut de « femme de » : « Mme Delphine Baron, veuve de Marc Fournier, qui, de 1851 à 1868, fut directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin ». Plus largement, c’est bien le silence qui entoure la disparition de la « fée du travestissement »11, engloutissant la vogue qui fut la sienne, brouillant jusqu’au souvenir de son activité. Les sources disparates qui lui rendent vie entre les années 1850 et 1880 témoignent pourtant d’une histoire plus riche. Lorsqu’elle reprend la maison Moreau, en 1856 ou 1857, Delphine Baron rompt avec une première carrière d’actrice : née à Lyon en 1818, venue à Paris avec sa famille en 1833, elle y est entrée au Conservatoire avant de débuter à l’Odéon en 1844. En 1845, elle épouse le vaudevilliste Marc Fournier et rentre alors au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1846, où sa notoriété d’actrice s’établit – suffisamment, au demeurant, pour que le sculpteur Calmels réalise son buste en plâtre et l’expose au Salon de 1857. Sa séparation d’avec Marc Fournier, en 1856, la conduit à quitter la scène. Elle achète alors visiblement le fonds de costumes de théâtre du célèbre costumier Babin puis ouvre sa maison de couture12. Ce choix, cristallisé par sa carrière d’actrice, semble s’arrimer surtout au creuset familial, où le père – inspecteur des domaines et peintre – permit à Delphine et son frère Alfred (lui-même sculpteur avant de devenir acteur) de recevoir des formations artistiques. C’est ainsi que la jeune Delphine se forma dans l’art de la gravure et en fit un temps sa profession avant de se lancer dans le théâtre. À la Porte-Saint-Martin, elle continua cependant à dessiner – avec grand talent disent ses contemporains – fournissant les modèles de costumes qu’elle faisait ensuite exécuter sous sa direction13. Devenue propriétaire de sa maison, elle se spécialise alors dans les costumes – de théâtre, de bals ou d’artistes – ainsi que dans les toilettes de ville, avec une réussite dont viennent témoigner plusieurs indices. Dès les années 1860, son nom revient ainsi régulièrement dans la presse, dans les rubriques de mode, mondaines ou théâtrales, associé à des commentaires louangeurs sur ses réalisations. En 1860, elle est, on l’a dit, la « fée du travestissement » pour Le Moniteur de la Coiffure, qui poétise ainsi joliment la formule la plus fréquente à son sujet : celle de « grande couturière ». En 1877, sa maison est recommandée pour les étrangers qui souhaiteraient se rendre au bal masqué de l’Opéra de Paris et, en 1878, Le Monde Artiste s’enflamme sur les costumes « merveilleux » qu’elle a fournis pour une représentation théâtrale à Rouen14. Au gré des sources, se dessine également un réseau de clients qui l’attache à des artistes de renom : en 1863, elle loue un costume de Pierrot au fils de Théophile Gautier15 et en 1865, La Petite Revue l’associe à Nadar :

« Nadar passe dans le salon où le flot des visiteurs circule à grand’peine autour des vitrines. Cent voix l’accueillent par cent interpellations entrecroisées :
– Nadar, n’oublie pas qu’on t’attend à sept heures pour notre dîner du mardi.
– Nadar, tu as promis à ma femme de venir ce soir à son bal masqué.
– Nadar, il me faut un feuilleton de toi pour mon journal, sur l’ascension d’Amsterdam. [...]
– Oui, mes enfants ; oui, mes biches, je suis à vous, tout de suite, dans cinq minutes, dans huit minutes, dans un quart d’heure... Henri compte sur moi pour le dîner. Charles, sois heureux ; Delphine Baron vient de m’envoyer un costume inouï pour ton bal. Victor, attends moi à cinq heures au café Riche. »16

Parallèlement, le transfert de sa maison – qui s’opère entre 1863 et 187 – de la rue des Filles-Saint-Thomas à l’angle de la rue de Richelieu (n° 112) et du boulevard Montmartre (n° 21) semble indiquer un essor de son activité, inscrite désormais plus nettement en ce quartier d’élection des maisons de couture réputées – avant que la haute-couture ne consacre la rue de la Paix et ses entours comme son cœur battant. Enfin, et au-delà de l’affaire de 1859, Delphine Baron surgit également à plusieurs reprises dans la presse pour des contentieux avec certains de ses clients. En 1881, elle affronte une cantatrice, Marie Heilbron, qu’elle accuse d’avoir nui à sa réputation en évoquant dans une lettre ses costumes « ratés »17 ; en 1886, nouveau procès contre une actrice, Jane Granier, pour obtenir cette fois le paiement de plus de 3000 francs de culottes façonnées par la couturière. L’impresario et l’actrice sont condamnés à payer la note quand le journaliste, pour sa part, trouve là prétexte à ironie : « Mlle Granier porte donc culotte ? »18.

Vue stéréoscopique, « Un mariage sous Louis XV », 1859.

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La Photographie : journal des publications légalement autorisées : faits intéressants la photographie, annonces, Paris, Furne fils et H. Tournier, propriétaires-gérants, mai 1859, précise pages 3-4 : « Cette petite série de douze épreuves stéréoscopiques que la Maison Furne Fils & Tournier viennent de mettre en vente se distingue par la richesse et l’exactitude des costumes (ils sortent des magasins de la maison Delphine Baron) par la composition élégante des groupes et surtout par le fini des épreuves qui peuvent soutenir la comparaison avec tout ce que la photographie anglaise a produit de plus achevé et de plus réussi. »

Collection particulière

Sur son chemin, Delphine Baron croise donc nombre de mauvais payeurs. L’histoire, en cela, n’est pas nouvelle et la littérature les a, au demeurant, consacrés depuis longtemps comme consubstantiels à l’imaginaire du tailleur. Dès le XVIIe siècle, Molière a forgé ce duo querelleur sous les traits de M. Dimanche, couturier cherchant en vain à se faire payer, et de Dom Juan, son client retors. Les artistes du XIXe siècle le croquent cependant bien davantage, jusqu’à en faire un cliché. Couturier et mauvais payeur deviennent ainsi deux types indissociables, consacrés par le roman, en particulier La Comédie Humaine de Balzac, par les physiologies19, le théâtre et la caricature. Daumier s’est fait le peintre aigu et mordant de ce duo ; « une rencontre désagréable entre un tailleur et l’un de ses mauvais payeurs »20, parue dans Le Charivari du 3 avril 1843, est l’exemple. Si le cliché est ancien, semble pourtant se dessiner quelque chose de neuf en cette seconde moitié du siècle : le couple n’est plus seulement matière à cliché littéraire et artistique, il s’invite en effet désormais régulièrement dans les colonnes de la presse, alimente les chroniques judiciaires et devient, dans les faits, un duo procédurier. De fait, les procès opposant couturiers et clients se multiplient. Ainsi la norme admise du rapport entre ces deux mondes telle que l’art la dépeint – mépris social du client pour son tailleur, négligence bohème ou impécuniosité réelle du mauvais payeur – semble-t-elle désormais contestée de plus en plus fermement par des couturiers qui n’hésitent plus à assigner leurs clients en justice21. Accessible en ligne, consulté le 01 Février 2022. URL : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/56876-commerce-du-vetement-et-de-la-toilette-au-xixe-siecle-le.pdf. Un contexte neuf, qui voit s’épanouir des enjeux commerciaux plus âpres, permet de comprendre cette nouvelle donne : la concurrence se fait alors plus vive contre la confection émergente et les premiers grands magasins, le clivage et la hiérarchie se creusent entre la « haute-couture » naissante et les multiples lieux de production du sur-mesure22. Simultanément, et indissociablement, s’affirme également une conscience sociale inédite des petites, et grandes, mains du monde de la couture. Autant d’éléments qui concourent à muer le cliché en réalité judiciaire.

« Quel est donc l’événement du jour et pourquoi tant d’émotions parmi les disciples ferventes de la mode ? »23

En son objet, « l’événement du jour » paraît fort simple, on l’a dit. Le scénario de l’affaire, en revanche, est truffé de rebondissements, où se mêlent, dans une suite d’hôtel, une dizaine de protagonistes : la baronne de Korf, Nabokoff, l’ami de la famille, des ouvrières de l’aiguille, une première demoiselle d’atelier, une couturière rivale de Delphine Baron, deux huissiers et quelques témoins, un commissaire de police. Suivons, pour commencer, Me Léon Duval dans son récit des événements. Recevant l’invitation des Morny en février, la baronne décide de passer commande de trois costumes, un pour elle auprès de la maison Delille, deux pour ses filles auprès de Delphine Baron. Elle souhaite pour elles des costumes de bouquetière Louis xv et fournit à la couturière une gravure pour servir de modèle. Elle passe commande pour 21 h la veille du bal : son costume arrive à temps, mais ceux de ses filles se font attendre. Ils sont finalement livrés à 21 h, le soir même du bal, sans les fleurs demandées, promises, elles, pour un quart d’heure plus tard. C’est alors que le grief majeur surgit : « immodestes », sans goût ni style, faits de toile là où de la soie était attendue, les costumes déçoivent et choquent leur commanditaire. La couturière est immédiatement avertie et envoie deux ouvrières pour effectuer des retouches, qui « au lieu de réparer le mal, se mirent tout à fait en licence ». La baronne envoie alors chercher Mlle Fortunée, couturière de la maison Delille, qui juge implacablement que les costumes sont « incorrigibles ». À 23 h, madame de Korf décide donc de priver ses filles du bal chez le comte de Morny. Le lendemain matin, les choses s’emballent quand la baronne entreprend de refuser les costumes par un acte consigné. Le surlendemain, en effet, Delphine Baron envoie chez sa cliente un huissier chargé d’une saisie conservatoire en attente d’un paiement de 700 francs. Dimitri Nabokoff, alors sur les lieux, propose de payer les 700 francs et exige en retour une quittance ; l’huissier la lui refuse et ordonne la saisie, tout cela « en se dispensant de toutes civilités ». Un second huissier est alors mandé, qui ne parvient pas à dénouer la situation et conseille de résister à la procédure de saisie « en tenant un siège s’il le »... Un commissaire de police est donc appelé en renfort, qui permet la résolution momentanée de l’affaire : le premier huissier accepte finalement d’arrêter la saisie contre le versement des 700 francs, qui sont remis au commissaire de police. Me Léon Duval réclame donc que les costumes soient repris par Delphine Baron, que les 700 francs soient rendus à la baronne et que des dommages-intérêts lui soient versés.

Face à ce récit, la réaction de Me Chaix d’Est-Ange est d’une impitoyable raillerie : « Je ne sais pas si c’est parce qu’il s’agit dans ce procès de bal costumé et de déguisement que Mme la baronne de Korf s’est crue autorisée à travestir les faits d’une façon aussi étrange ». Il offre alors une version sensiblement différente de l’affaire, non pas, au fond, dans ses grandes lignes, mais dans l’interprétation faite des comportements respectifs des protagonistes. Et c’est tout le sens de ces deux plaidoiries, qui opposent les conventions sociales à la règle du jeu (ou du bal), l’aristocratie au monde de la couture, l’Ancien Régime à la société nouvelle.

« Les corsages étaient trop décolletés : je comprends toute la gravité d’un pareil reproche adressé à un corsage »24

Le premier conflit de normes – le cœur apparent du procès – se joue autour de l’indécence présumée des costumes fournis par Delphine Baron pour les deux jeunes filles de la baronne. Me Léon Duval le déclare d’emblée : ces costumes étaient « immodestes », trop décolletés, trop étroits, serrant de trop près les corps. Il fonde ainsi son jugement sur les normes sociales qui codifient alors la tenue et l’allure des jeunes filles de bonne famille. Elles sont dominées par une bienséance impérieuse, par cette vertu fondamentale qu’est la « modestie » : celle qui fait éviter les regards appuyés et impose de ne pas se faire remarquer, celle qui commande la retenue et rassure les futurs maris – la simplicité obligée des jeunes filles relevant largement d’une stratégie matrimoniale. Cet archétype de la jeune fille modeste se renforce, au demeurant, en ces années 1860, où l’accent est mis avec une vigueur nouvelle sur la chasteté des femmes dans leurs rôles de filles, d’épouses et de mères25. Il nourrit plus largement toute une police morale sous le Second Empire : le procès de Madame Bovary en atteste, qui voit l’accusation, en la personne d’Ernest Pinard, s’emporter contre la « poésie de l’adultère », ses « tableaux lascifs » et la volupté inconvenante d’Emma. Cette pudibonderie est raillée d’abondance, on le sait, par Baudelaire s’amusant des « feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke », ministre des Beaux-Arts de Napoléon III qui fit couvrir la nudité des statues, ou par Astolphe de Custine : « Nos puritains en robe noire s’obstinent à vouloir faire de ce monde un couvent consacré à l’éducation des jeunes filles »26. C’est ainsi que les codes vestimentaires de la décence suivent rigoureusement les étapes de la vie : à la jeune fille, une robe touchant le sol et une coiffure élaborée ; à la « grande fille », une jupe à la cheville, une natte ou des cheveux serrés dans une résille ; à la petite fille, une robe laissant voir ses bottines ou ses pantalons (« tuyaux de modestie » selon la langue du temps, fort significative) et des cheveux épars27. Ils s’imposent également, quoique paradoxalement, en ce temps particulier du bal qui, pour reprendre les termes de la vicomtesse de Renneville, « a une influence énorme sur les éventualités de la famille et de la vie sociale »28. L’enjeu y est en effet de séduire en respectant les normes de la décence, de montrer son rang social sans étaler un luxe déplacé ; en un mot, de chercher pudiquement un mari. Aussi les mères veillent-elles avec un soin extrême aux tenues de bal de leurs filles ; Léon Duval le rappelle : « une mère doit veiller sur la toilette en pareille occasion et il faut pouvoir modifier ». D’une certaine façon, Chaix d’Est-Ange lui-même ne dit pas autre chose dans sa railleuse formule : « les corsages étaient trop décolletés ; je comprends toute la gravité d’un pareil reproche adressé à un corsage ; je comprends qu’un corsage manque à tous ses devoirs quand il ne remplit pas exactement la mission de confiance dont il a été chargé ». C’est qu’en ce XIXe siècle hanté par la lisibilité du corps social, le vêtement est, avant tout, un signe, une traduction immédiate du statut, de l’âge et du sexe : « on est dans le monde un homme sérieux ou bien un évaporé, une femme comme il faut ou bien une femme appartenant à toutes les nuances de la société parisienne, suivant la façon dont on s’habille. Ce que les Latins appelaient habitus corporis, la façon d’être dépend beaucoup de la façon dont on se met » résume ainsi Me Duval. Qu’une jeune fille expose ses épaules et sa gorge aux regards et sa relégation hors de la bonne société est immédiate, telle est la sentence implicite de Duval. Il n’en va pas de même, soulignons-le cependant, pour les femmes du Second Empire. De fait, l’impératrice Eugénie a fait des décolletés généreux une norme pour les toilettes de bal, lançant ainsi une véritable mode qui s’impose dans les soirées de Compiègne ou des Tuileries. À chaque âge, donc, une tenue, mais à chaque circonstance également : le décolleté serait indécent pour une toilette du matin, alors qu’il est exigé pour les robes du soir de toute grande dame du Second Empire29. Impossible, donc, de lire le XIXe siècle à l’aune d’une pudibonderie triomphante et générale : les normes de la pudeur sont en effet très socialement marquées, mais aussi très contextuelles – fonction des activités pratiquées, des moments de la journée et des âges de la vie. Elles nourrissent également, et indissociablement, un imaginaire érotique particulièrement fécond focalisé sur ce que la bienséance impose, par exemple, de contenir (les cheveux) ou de dérober au regard (les chevilles).

Ce procès en immodestie mené par Léon Duval pose cependant un certain nombre de problèmes. Le tout premier est résumé avec esprit par Chaix d’Est-Ange, qui présente au tribunal la gravure d’un costume de bouquetière Louis XV : « il paraît que sous Louis XV, c’est ainsi que s’habillaient ou plutôt que... se déshabillaient les bouquetières ». Le choix de la baronne de Korf est en effet intrigant puisque ce costume se caractérise toujours par un corsage très décolleté et une jupe courte. S’il rentre, bien sûr, dans le code costumier du bal du comte de Morny, dont le thème était l’époque Louis XV, il échappe, en revanche, et d’emblée, aux codes sociaux rappelés avec fermeté par Me Duval. Quoi qu’il en soit, le plus intéressant réside sans doute, à un autre niveau, dans l’application de ces codes à un bal masqué et costumé : la fonction sociale du vêtement propre à l’esprit du temps – de distinction et de prestige, d’identification statutaire – est ainsi appliquée à un univers qui, a priori, l’ignore ou semble voué à la subvertir. Ce faisant, l’idée d’un « hors-temps » de la mascarade, qui permettrait, en toute impunité, l’affranchissement vis-à-vis des normes et autoriserait des licences que les codes sociaux condamnent, vacille largement. L’interprétation dominante des mascarades, construite sur cette lecture30, trouve ici une limite manifeste : la sphère sociale et le monde de la fête travestie ne sont pas étanches et les normes de l’une pèsent, indéniablement, dans le déploiement de l’autre. De fait, ce que montre la plaidoirie de Duval, c’est bien la rigidité de représentations qui résistent à la dissociation entre règle du jeu et ordre social, et qui, même pour un bal costumé, consacrent la morale convenue pesant sur les jeunes filles. Dans ce cadre, même le déguisement ne saurait être subversion et le costume doit confirmer lisiblement leur statut. Du reste, les costumes fort dénudés mais fort luxueux des aristocrates provocantes que sont les comtesses de Castiglione ou Rimsky-Korsakov en témoignent à leur façon : le dévoilement de leur corps s’accompagne en effet d’une richesse costumière qui conforte leur place dans la hiérarchie sociale.

Cette intrication paradoxale des normes, qui fait du bal travesti un espace de consolidation sociale, inséré dans l’ordre du temps auquel il ne doit pas déroger, explique au demeurant la stratification très forte de ces bals, telle que rappelée par Léon Duval : au bal du comte de Morny, qui requiert grande couturière et bienséance, il oppose en effet le bal de l’Assommoir pour lequel Delphine Baron aurait été la couturière idéale et les costumes parfaitement seyants... pour une camériste.

Sur ce terrain – de la réintroduction des codes sociaux dans l’ordre du bal costumé – Chaix d’Est-Ange choisit de botter en touche : en rappelant, d’une part, que lors de l’essayage, la baronne n’a pas trouvé les corsages trop décolletés et, d’autre part, qu’il suffisait de reculer quelques agrafes pour qu’ils soient moins étroits. Chose si facile, souligne-t-il, qu’elle fut faite, mais... pour resserrer l’un des corsages qui était trop large. C’est donc sur un tout autre terrain qu’il place sa plaidoirie : celui de l’opposition entre le monde, frivole et inconséquent, d’une aristocrate russe et le monde, laborieux et dépendant, de la couture. Partant, il la déplace également vers une toute autre compétition de normes.

« C’en serait fait de la grâce française et du goût français, si les couturières faisaient la loi »31

Au crime d’immodestie des costumes, s’ajoute d’emblée, dans la plaidoirie de Me Duval, ce qui constitue très vite l’un des points de cristallisation du procès : les accusations de licence et d’incivilité portées contre la maison Baron. Les normes en jeu, et aux prises, ne sont donc pas seulement celles de la bienséance impérieuse de deux jeunes filles, mais bien, et sans doute surtout, celles de la hiérarchie et des relations sociales.

« Pourquoi a-t-on occupé les canapés avec cette verve de roture ? » : en ce mots cinglants, Duval dit tout, d’une certaine façon, de la conception du monde qui sous-tend sa plaidoirie. Il s’y attache en effet à réaffirmer la distinction sociale entre sa cliente et la couturière ou, pour reprendre son lexique d’ancien régime, l’aristocratie et la roture. Accusant les ouvrières envoyées par Delphine Baron de s’être comportées sans égard ni respect pour la baronne de Korf, il déploie un ensemble de représentations dépréciatives, alors courantes, qui associent « grisettes » ou modistes et femmes légères : elles « avaient la langue facile et une habitude démesurée du bal masqué » souligne-t-il. Ce faisant, il reprend à son compte le cliché d’une féminité ordonnée autour de deux pôles : l’un ordonné, rassurant, celui de la vertu domestique incarnée par la baronne de Korf et ses filles ; l’autre, déviant et inconvenant, celui des femmes exerçant un métier et, tout spécialement, ceux d’ouvrière ou d’actrice – associées si longtemps, on le sait, aux prostituées32. Ces mondes, Duval les mêle au demeurant dans sa plaidoirie quand il affirme que les couturières dirent que « les costumes n’étaient pas trop décolletés, et qu’on les portait ainsi dans le grand monde, à savoir sur tous les théâtres du boulevard ». Tout en rappelant ainsi, à dessein, le passé d’actrice de Delphine Baron, il raille également ce qui serait l’horizon normatif brouillé de femmes pour lesquelles le « grand monde » se bornerait aux « théâtres du boulevard ». Ce « boulevard », c’est celui du Temple (dans la continuité duquel se trouve précisément le Théâtre de la Porte-Saint-Martin), le « boulevard du Crime » pour les contemporains, où se jouent chaque soir, dans les théâtres qui le bordent, les mélodrames qui lui ont valu son surnom33. Il draine alors un public considérable, bourgeois (qui s’y « encanaille »), artiste (fasciné par le genre) mais surtout populaire, jusqu’en 1862, date à laquelle ces théâtres sont démolis sous l’impulsion d’Haussmann. Dans la hiérarchie théâtrale du Paris du XIXe siècle, elle-même socialement signifiante, le boulevard du Crime est donc l’espace du « théâtre à quatre sous », celui des Enfants du Paradis de Carné, accessible à tous, mêlant théâtres, baraques foraines, spectacles de rue et cafés populaires – autant de « bouis-bouis », pour reprendre les mots du préfet de la Seine qui les fit raser sans état d’âme34. Lieu de licence, voire de dépravation populaire pour les élites sociales, son évocation permet ainsi à Duval d’assimiler les ouvrières de la couture à des coquettes perverties.

L’argumentaire et l’imaginaire ainsi mobilisés servent bien sûr, et au premier chef, à discréditer la parole de la maison Baron, portée par Chaix d’Est-Ange, en renvoyant le monde de la couture à un univers sans morale ni respectabilité. Cependant, une autre piste, plus féconde, est ouverte par la plaidoirie de Duval, qui révèle combien l’enjeu va bien au-delà d’une seule question de crédibilité des parties en présence. Alors que Chaix d’Est-Ange souligne que seule une expertise permettra d’évaluer si les corsages étaient véritablement trop décolletés, Duval lui rétorque :

« Une expertise pour savoir si une robe va bien ! autant vaudrait une expertise pour apprécier si une mouche est bien placée. Je soutiens, moi, qu’en ces matières, même en un pays d’égalité, les dames sont souveraines, et que c’en serait fait de la grâce française et du goût français, si les couturières faisaient la loi. Qu’un mécanicien ne soit pas à la discrétion d’un industriel pour qui il a fabriqué une machine, je le conçois. Il y a là des conditions précises, mathématiques, connues [...]. Mais en fait d’habits, c’est le goût individuel qui décide. [...] Labruyère l’a dit : « ... il n’y a qu’un philosophe qui se laisse habiller par son tailleur. » C’est qu’un habit peut très bien s’adapter à notre taille, et n’en rester pas moins un habit de mauvais goût. »

Souveraineté de la cliente contre les couturières, réaffirmation de son « goût individuel » comme seule instance légitime, réduction du tailleur au « faiseur » qui ne fait qu’exécuter sur commande et folie de qui s’en remettrait à ses conseils : c’est bien le rôle – classique, ancien régime lui aussi – de la noblesse comme arbitre exclusif du goût que défend ici Duval. Or, et d’une certaine façon, c’est l’enjeu fondamental de ce procès, cette « norme », ce jeu de rôles qui cantonne le couturier à l’exécution sur-mesure d’un costume dont le client apporte le modèle, sont singulièrement mis à mal en ces années 1850-1860. En 1858, Worth, considéré comme le père de la haute-couture, a fondé sa maison : il y propose lui-même ses créations, fruits de son imagination, et exposées sur les premiers mannequins de l’histoire. À lui donc de déterminer ce qu’il faut porter. Mais d’autres noms, moins connus de nous aujourd’hui, ont joué également un rôle décisif dans ce « sacre du couturier » : Staub, par exemple, que cite Duval, tailleur le plus célèbre de l’époque selon Balzac qui en fait le couturier de Lucien de Rubempré, Dusautoy, également cité, tailleur de Napoléon iii, ou Humann, pour lequel Gavarni dessina et qui lança, dit-on, à l’un de ses clients : « Savez-vous pourquoi il y a tant de gens mal habillés, Monsieur le Marquis ? C’est qu’on veut choisir ses habits au lieu de choisir son tailleur »... Mots emblématiques, s’il en est, de ce qui se joue alors : l’avènement des « artiste  » en lieu et place des « faiseurs », la consécration des couturièr(e)s « qui font la loi », détrônant l’aristocratie et lui contestant son monopole pluriséculaire de lancer les modes. Ce mouvement est inscrit dans une promotion nouvelle des métiers de la couture, l’entrée dans l’âge des « arts du vêtement » et s’accompagne, encore en ces années (avant la masculinisation frappante du « grand couturier »), du maintien et de l’affirmation de modistes réputées, dont fait partie Delphine Baron. Ce que révèle ainsi la plaidoirie, c’est bien la crispation qui entoure le passage d’un système de normes à un autre, la résistance opposée à la disparition de conventions anciennes qui participent profondément de l’identité nobiliaire : quand Duval affirme que la gloire des Staub est faite par les clients qui, après avoir refusé de nombreux habits, finissent par en accepter un et le porter, il signifie bien la persistance de ces représentations soumettant le couturier à son client. Ce procès de 1859 met ainsi au jour ce qu’a pu représenter, pour certains, la fin de l’ancien régime vestimentaire. C’est le sens, au fond, de ces mots de Duval : « quand on est naturellement des grands de ce monde, je dis naturellement par le sang, par les aïeux, par le ton, par l’éducation, par le savoir-vivre, on est au moins l’égal de madame Baron »... qui trahissent implicitement la quasi défaite de la naissance face au talent dans cette querelle des instances de définition de la norme du goût.

À cette défense aristocratique, placée sur le terrain de l’inféodation sociale, morale et culturelle des « faiseuses » d’habits, Chaix d’Est-Ange oppose une toute autre lecture : la prise en compte du monde de la couture et de ses réalités sociales pour, au final, renverser l’argumentaire et montrer que légèreté et inconséquence sont l’apanage de la baronne. Labeur couturier contre caprice aristocratique, tel est donc le registre de l’avocat. Il souligne, tout d’abord, les heures fiévreuses d’un atelier de couture en plein carnaval : « Vous concevez à merveille quelle est, dans un pareil moment, l’activité qui règne dans la maison Moreau et Delphine Baron : vous comprenez à combien de demandes il faut répondre, à combien d’exigences il faut satisfaire ; on n’y dort plus, on ne s’y couche plus ; c’est, pardonnez-moi l’expression, un véritable coup de feu ». Scandé de bals et de fêtes, le carnaval est en effet l’un des temps forts de l’activité de toute maison de couture au XIXe siècle, ce moment où l’ordinaire des ouvrières de l’aiguille est celui des veillées tardives, jusqu’à 23 h souvent, que la législation n’encadra qu’en 1892. Chaix d’Est-Ange rappelle ainsi qu’une ouvrière, puis la première demoiselle, furent envoyées pour l’essayage à 21 h, pour ne repartir de l’Hôtel Richmond qu’à 22 h. Ce moment, c’est aussi celui de l’incessant va-et-vient qui caractérise encore la production vestimentaire sous le Second Empire – et que n’interrompit que le grand magasin avec sa centralisation des produits au sein d’un même espace : va-et-vient des « trottins », ces jeunes ouvrières qui livrent les costumes à leurs commanditaires, ou va-et-vient entre les maisons de couture et les ateliers fournissant les parures spécifiques – ainsi des guirlandes de roses dont Chaix d’Est-Ange rappelle qu’il fallut les commander ailleurs. Ce moment, c’est enfin celui d’une rude compétition commerciale qui conduit l’avocat à rappeler, pour nier toute légitimité aux témoignages convoqués par la partie adverse, « qu’il suffit qu’on présente à une couturière une robe qui ne sort pas de ses mains, pour qu’elle lui trouve tous les défauts ». Aussi les veilles de bal prennent-elles l’allure, selon les mots de l’avocat, de véritables « batailles à mener » ; aussi la demande de la baronne de Korf paraît-elle singulièrement aveugle à cette réalité laborieuse : elle « lui demande quoi ? deux costumes neufs pour ses filles ; et pour quel jour ? pour le 2 mars [...]. Deux costumes neufs à un pareil moment, deux costumes à livrer dans trois jours, quand déjà madame Baron, ceci est à la lettre, a refusé pour environ 20 000 frs de commande ; c’était impossible » lance-t-il avec force. Son ton se fait alors mordant et ironique, quand il feint de comprendre l’obstination de la baronne : « ce désespoir, je le comprends : il s’agissait d’aller au bal, d’aller au bal costumé, et d’aller au bal costumé chez M. de Morny. ». Et il peint d’abondance une baronne harcelant sans relâche la couturière jusqu’à ce qu’elle cède, « vaincue, fatiguée par cette insistance qui s’attachait à elle ». Le contraste des mondes est alors patent sous les mots de Chaix d’Est-Ange : futilité d’un bal érigée en impérieuse obligation par les codes aristocratiques ; complaisance malheureuse d’une couturière débordée et bien mal remerciée par un procès et d’étonnantes « aménités ». La bienséance, on le voit, change de camp dans la plaidoirie de l’avocat de Delphine Baron. Du même coup, il malmène également, et résolument, l’ordonnancement aristocratique de la société défendu par Duval. À ses yeux, la respectabilité de naissance invoquée par l’avocat de la baronne ne vaut pas : Delphine Baron a cru avoir affaire à une intrigante et son « langage étrange, pittoresque », les « manières non moins énergiques avec lesquelles on avait accueilli sa première demoiselle » l’ont confortée dans ce sentiment. Les usages langagiers qui signent alors l’appartenance de classe, et qu’avaient invoqués Duval pour prétexter la licence des ouvrières, sont ainsi retournés contre la baronne. Il se joue au demeurant à plaisir de cette respectabilité de naissance invoquée par Duval, s’exclamant : « il faut avouer que madame de Korf entend bien les affaires ; commander des costumes, ne pas les payer et réclamer 3000 francs ! Elle était née pour le commerce ». À cette dernière, il ôte enfin – répondant pied à pied à l’argumentaire de son avocat – sa clairvoyance en matière de bon goût et de bienséance. Il souligne tout d’abord que Delphine Baron avait bien pris soin de réaliser des corsages plus montants que sur la gravure apportée. Il s’attarde surtout, avec une ironie qui fait mouche, sur sa méconnaissance des usages du grand monde : « À dix heures ! Était-il trop tard ? Il suffit de faire remarquer que les invitations portent dix heures, et que, quelque désir que l’on pût avoir de ne rien perdre d’un bal, y venir avant dix heures et demie, c’eût été s’exposer à voir allumer les lustres et cirer les parquets ; que mesdames de Korf soient étrangères, ce n’est pas une raison pour arriver comme des provinciales. »

Plus sûrement que ceux d’une simple « affaire de chiffons », se dessinent ain-si, au gré de ce procès, les contours d’un conflit de pouvoir, en un moment où se joue la dépossession de la noblesse de son statut d’arbitre du goût par le monde de la couture. Il se fait ainsi théâtre d’une lutte des classes. S’y dessinent également l’envers de la fête impériale et les réalités industrieuses qui la sous-tendent. S’y dessinent enfin deux univers de pensée antagonistes, que trahit la politisation, inattendue et singulière, des références convoquées de part et d’autre. Derrière l’immodestie prétendue de deux corsages, se joue alors un autre conflit de normes : celui qui convoque la France de l’égalité, du Code civil et du droit, fille de la Révolution, contre la Russie de l’ancien régime, du knout et des serfs.

« Je ne sais pas si, en Russie, on traite de cette façon les serfs qui y sont encore ... »35

Dépassant la confrontation des normes de la pudeur et le contentieux commercial, les plaidoiries donnent finalement à l’affaire une toute autre dimension : celle, politique, d’un conflit entre société d’ancien régime et société nouvelle. En témoigne d’emblée la frappante mobilisation, de part et d’autre, de références à 1793, à l’égalité, au Code Napoléon, au drapeau tricolore, au servage et aux gentilshommes. S’y joue ainsi, étonnamment, un autre affrontement normatif : celui qui oppose un imaginaire social conservateur, porté par Me Duval, à un imaginaire social de l’égalité juridique et de naissance, défendu par Me Chaix d’Est-Ange.

La plaidoirie de Duval est parcourue par la dénonciation de ce qu’il présente comme un égalitarisme forcené : celui des ouvrières de la couture et de l’huissier envoyé par Delphine Baron, qu’il dépeint bafouant les hiérarchies sociales et maltraitant les élites titrées. « Elles dirent que, dans un pays d’égalité, la femme d’un boyard n’était pas plus qu’une autre, qu’il n’y avait pas de serfs en France » souligne-t-il. À cette accusation récurrente, il ajoute celle d’incivilité : « on ne craint personne, et [...] les dames peuvent s’asseoir sur les chaises, la place étant prise sur le canapé ». Le procès, ainsi, se déplace du crime d’immodestie au crime social de mépris des distinctions statutaires. L’accusation, cependant, ne vaut pas pour Me Chaix d’Est-Ange, disons-le d’emblée, qui l’évacue d’un revers de manche : « maintenant l’huissier s’est-il assis en entrant sur un fauteuil, sur un canapé ou un tabouret, j’avoue qu’il m’est difficile de le défendre à cet égard, que je n’ai pas pensé à demander des renseignements à ma cliente, et que je regarde ce point comme assez indifférent au procès. » Elle est pourtant un point majeur pour Me Duval, qui fait de cette revendication égalitaire une menace tout à la fois diplomatique et sociale. N’hésitant pas à dramatiser à outrance l’écho de l’affaire, il lance en effet : « Malheur aux marchands de luxe ! Malheur aux modistes s’ils nous brouillaient avec la Russie ! ». Dès lors, l’enjeu devient, à ses yeux, celui du renom et de la réputation de la France : « Il ne faut pas qu’à l’étranger on s’imagine que le code Napoléon une fois établi chez nous, la civilité s’en est allée ». Il reprend ainsi à son compte une image née précocement dans l’univers de pensée anti-révolutionnaire : celle d’une Révolution accouchant de mœurs grossières, rompant avec la délicatesse et l’urbanité des siècles passés. Il en fait, tout d’abord, un risque diplomatique : à l’heure d’un rapprochement, nouveau, avec l’autocratie russe, cette invocation d’une « France de l’égalité » par les ouvrières est, à ses yeux, une provocation dangereuse. Aux yeux de Me Duval, la menace n’est cependant pas uniquement diplomatique, elle est aussi sociale : « jadis les huissiers au Châtelet faisaient un état périlleux ; chez les grands, ils attrapaient quelquefois des coups de bâtons. On le trouvait mauvais et on avait raison ; mais ces licences ont été amplement vengées en 93 : il ne faut pas qu’aujourd’hui ce soient les huissiers qui donnent des coups de bâtons aux gentilshommes ». Pour l’avocat de la baronne, le danger est clair : c’est celui d’une inversion de l’ordre social, en une sorte de subversion carnavalesque où les grands reçoivent les coups de bâton... Sur ce terrain, Me Chaix d’Est-Ange choisit quant à lui de dénoncer, à l’inverse, la brutalité d’une aristocratie russe pétrie d’usages arbitraires36. Il rappelle ainsi que la première demoiselle « fut reçue... je ne peux pas vous dire comment ; je ne sais pas si, en Russie, on traite de cette façon les serfs qui y sont encore, mais, en France, il y a peu de grandes dames qui s’émanciperaient jusqu’à pousser aussi loin la liberté du langage ». Le conflit devient ainsi un conflit de cultures politiques, ironiquement résumé par l’avocat de Delphine Baron : « Madame de Korf ne s’est pas contenté de demander des dommages-intérêts, elle a porté plainte contre l’avoué, contre l’huissier. En Russie, on nous aurait donné le knout37 à tous ; mais, en France, le knout n’existe pas... C’est un malheur, mais il n’existe pas. En attendant que cette lacune regrettable de notre législation fût comblée, on s’est contenté, je le répète, de porter plainte [...] ». Son argumentaire le conduit alors à dénoncer une aristocratie d’apparence – Nabokoff, « un monsieur qui est, à ce qu’on assure, un très grand seigneur en Russie » – à la brutalité réelle et, partant, à l’incivilité manifeste : Nabokoff proposa à l’huissier, selon ses mots, « de le jeter par la fenêtre ; et je dois avouer, je suis forcé de convenir que l’huissier eut le mauvais goût de ne pas s’y prêter, je dois avouer aussi qu’il en conçut peut-être un peu d’irritation et, en vérité, il me semble qu’à sa place beaucoup d’honnêtes gens auraient fait comme lui. » Ainsi Chaix d’Est-Ange renvoie-t-il ses adversaires à leurs usages autocratiques et place résolument l’affaire sur le terrain du droit et de l’égalité juridique. La conclusion de sa plaidoirie est, à cet égard, implacable : « voilà, messieurs, ce procès, duquel on peut tirer peut-être une petite moralité ; c’est que quand on commande des costumes, il faut les payer ; c’est que la loi est faite pour madame la baronne de Korf comme pour tout le monde ; c’est qu’enfin, en France, les huissiers ont le droit, qu’on ne peut pas trouver exorbitant, de s’opposer à ce que même M. Nabokoff les jette par la fenêtre. ».

Qui l’emporta donc ? Me Léon Duval, « cette fine lame, ce maître de l’épigramme attique » selon Le Monde Illustré38, ou Me Chaix d’Est-Ange, ce jeune avocat si spirituel qu’il accomplit ce jour le « plus joli tour de force » possible « sur une pointe d’aiguille » pour Le Figaro39 ? Disons-le, dans ce duel, la victoire revint à la baronne : Delphine Baron fut condamnée à payer 1000 francs de dommages-intérêts du fait de la saisie dont madame de Korf avait été l’objet et qui fut considérée comme vexatoire par le substitut du procureur. La victoire est partielle cependant : une expertise fut en effet ordonnée au terme du jugement. La victoire est brouillée également, sur laquelle flotte un mystère en suspens : pour Chaix d’Est-Ange, les costumes ont été portés... sans que rien, pour l’heure, ne nous permette de le démentir ou de le confirmer. La victoire, enfin, est sans doute surtout de court terme, à l’orée du basculement d’un monde où le rapport de force, bientôt, penchera plus souvent en faveur des couturières : « un jour viendra où vous prendrez votre revanche. [...]. Alors messieurs les avocats, vous aurez la bouche close, et madame Baron coupera le fil de vos plaidoyers. Prenez garde à vous, messieurs de la Basoche, vous qui, à un moment donné, causez si bien toilettes et chiffons ; que diriez-vous si, un beau jour, vous alliez être obligés de comparaître devant un tribunal de couturières qui, jugeant souverainement et sans appel, introduirait de grands changements dans le sévère costume de votre profession [...]. Vous ne pourriez plus, cette fois, déclarer ces pauvres couturières incompétentes ; et vous qui avez si bien plaidé pour la mode et le bon goût, vous seriez forcés de les subir sans vous plaindre et de vous taire sans murmurer... » prédit Le Tintamarre.

Au terme de cette petite histoire, reste pour nous l’espoir d’avoir montré combien les « affaires de chiffons » cristallisent des normes complexes, des jeux de pouvoir et de hiérarchie, à la charnière des représentations sociales, des cadres économiques et des imaginaires politiques. Bien loin, donc, du rayon des futilités et au plus près de la singularité d’un temps.

1 Par J. Sabbatier, Paris, Borrani, 1859.

2 Trop décolletés et trop étroits.

3 Le Monde Illustré, 16 avril 1859, rubrique « Courrier du Palais »

4 Brigitte de Montclos, Les Russes à Paris au XIXe siècle, Paris, Paris Musées, 1996.

5 Vladimir Nabokov, Speak, Memory : an Autobiography Revisited, 1951. Traduit en français sous le titre Autres

6 Il fut, entre 1878 et 1885, ministre de la Justice d’Alexandre II puis d’Alexandre III.

7 op. cit., p. 56.

8 Fort peu de travaux leur ont été consacrés hors l’ouvrage d’Henriette Vanier, La mode et ses métiers : frivolités et

9 Nous livrons ici le premier état d’une enquête appelée à être approfondie et précisée.

10 Dans la rubrique « Nécrologie de l’année 1895 », Annuaire des artistes et de l’enseignement dramatique et musical, Paris

11 Le Moniteur de la coiffure, janvier 1860 : « Mme Delphine Baron, artiste du plus grand mérite, qui dirige aujourd’hui

12 Maison de couture ou maison de costume, la distinction n’est pas – avouons-le – très nette dans le cas de Delphine Baron. Le

13 Notice « Delphine Baron » dans La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, sous la dir. de

14 27 avril 1878 : « Les costumes de la maison Moreau ne sont rien moins que merveilleux, et jamais, au Théâtre-Français nous n’

15 Lettre de Delphine Baron-Fournier à Théophile Gautier du 24 octobre 1863 : elle y réclame le paiement de sa note de 8 francs

16 La Petite Revue du samedi 9 décembre 1865, rubrique « Intérieur de quelques gens de lettres et artistes », Paris, Émile

17 Chronique « Tribunaux » du Gaulois, mercredi 16 mars 1881.

18 Chronique judiciaire du Journal de l’Ain, 20 novembre 1886.

19 Voir la notice « Le Tailleur » dans Les Français peints par eux-mêmes, Paris, Curmer, 1842 : « Si le tailleur d’un

20 Dessin qui servit, par ailleurs, à illustrer la Comédie Humaine de Balzac. On pourrait également citer une autre caricature

21 Maugas, couturier en vogue sous le Second Empire, obtint ainsi, à l’hiver 1866, le paiement des toilettes qu’il avait fournies

22 Là encore, faute de travaux, nous posons ici une hypothèse : à savoir que ce contexte neuf qui vaut pour les maisons de

23 Le Tintamarre, critique de la réclame, satire des puffistes, du 17 avril 1859, rubrique « Revue de la mode et des magasins de

24 Plaidoirie de Gustave Chaix d’Est-Ange.

25 Voir sur ce point Geneviève Fraisse, Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, T4, Le XIXe siècle, Paris, Plon

26 Cité par André Guyaux, dans Baudelaire. Un demi-siècle de lectures des Fleurs du Mal (1855-1905), Paris, Presses

27 Histoire des femmes en occident, op. cit., p. 396.

28 La Sylphide, 20 janvier 1854.

29 Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Paris, Hachette, 1997, p. 93 et suiv. Voir également, sur cette question, Philippe

30 Cette lecture est, en particulier, celle de Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à

31 Plaidoirie de Me Léon Duval.

32 Sur ce point, outre L’histoire des femmes, déjà citée, on peut renvoyer à l’ouvrage d’Anne Martin-Fugier

33 Des pièces fondées sur les ressorts de la vertu menacée ou outragée, du pathos outrancier et des crimes à foison.

34 Comme le note Jean-Claude Yon dans son Histoire des spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin, 2010, p. 75-76.

35 Plaidoirie de Me Gustave Chaix d’Est-Ange.

36 Le servage, évoqué à plusieurs reprises dans ces plaidoiries, est aboli par Alexandre II en 1861. À la date du procès, il est

37 Fouet utilisé en Russie pour la flagellation, en particulier des criminels politiques.

38 Le Monde illustré du 16 avril 1859.

39 Le Figaro du 9 avril 1859.

Notes

1 Par J. Sabbatier, Paris, Borrani, 1859.

2 Trop décolletés et trop étroits.

3 Le Monde Illustré, 16 avril 1859, rubrique « Courrier du Palais »

4 Brigitte de Montclos, Les Russes à Paris au XIXe siècle, Paris, Paris Musées, 1996.

5 Vladimir Nabokov, Speak, Memory : an Autobiography Revisited, 1951. Traduit en français sous le titre Autres rivages, Paris, Gallimard, 1961.

6 Il fut, entre 1878 et 1885, ministre de la Justice d’Alexandre II puis d’Alexandre III.

7 op. cit., p. 56.

8 Fort peu de travaux leur ont été consacrés hors l’ouvrage d’Henriette Vanier, La mode et ses métiers : frivolités et lutte des classes, 1830-1870, Paris, Armand Colin, 1960.

9 Nous livrons ici le premier état d’une enquête appelée à être approfondie et précisée.

10 Dans la rubrique « Nécrologie de l’année 1895 », Annuaire des artistes et de l’enseignement dramatique et musical, Paris, Risacher, 1896 (A10), p. 78. Ce décès intervient un an après qu’un entrefilet dans Le Gaulois du 12 novembre 1894 ait annoncé : « malade, Delphine Baron désire céder son magasin de costumes et son matériel boulevard des Italiens ».

11 Le Moniteur de la coiffure, janvier 1860 : « Mme Delphine Baron, artiste du plus grand mérite, qui dirige aujourd’hui cette maison, est sans contredit la fée du travestissement. Sous sa baguette se reproduisent à volonté les costumes de tous les siècles et des époques les plus reculées. », p. 1.

12 Maison de couture ou maison de costume, la distinction n’est pas – avouons-le – très nette dans le cas de Delphine Baron. Le statut des costumiers en regard des maisons de couture au XIXe siècle est, de surcroît, un chantier encore largement à défricher.

13 Notice « Delphine Baron » dans La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, sous la dir. de M. Berthelot et alii, T5, Paris, Lamirault et Cie, 1885, p. 459.

14 27 avril 1878 : « Les costumes de la maison Moreau ne sont rien moins que merveilleux, et jamais, au Théâtre-Français nous n’avions vu déployer pareil luxe ».

15 Lettre de Delphine Baron-Fournier à Théophile Gautier du 24 octobre 1863 : elle y réclame le paiement de sa note de 8 francs et le retour d’un petit chapeau d’Arlequin et d’une batte qui manquaient au costume rapporté par Théophile Gautier fils, Correspondance générale de Théophile Gautier, T.8, Genève, Droz, 1993, p. 191.

16 La Petite Revue du samedi 9 décembre 1865, rubrique « Intérieur de quelques gens de lettres et artistes », Paris, Émile Voitelain, tix, 11 novembre 1865-10 février 1866.

17 Chronique « Tribunaux » du Gaulois, mercredi 16 mars 1881.

18 Chronique judiciaire du Journal de l’Ain, 20 novembre 1886.

19 Voir la notice « Le Tailleur » dans Les Français peints par eux-mêmes, Paris, Curmer, 1842 : « Si le tailleur d’un homme à la mode fait souvent crédit à son client, s’il accepte humblement les conditions de ce Don Juan nouveau comme un modeste M. Dimanche ».

20 Dessin qui servit, par ailleurs, à illustrer la Comédie Humaine de Balzac. On pourrait également citer une autre caricature, parue le 2 novembre 1839 dans Le Charivari : « Tailleur, vous me demandez de l’argent, mais je n’en fais pas et je fais des portraits... Prenez ça, c’est Mme votre épouse que j’ai faite en souvenir. »

21 Maugas, couturier en vogue sous le Second Empire, obtint ainsi, à l’hiver 1866, le paiement des toilettes qu’il avait fournies à la duchesse de Persigny. On pourrait également citer un autre différend entre une couturière et sa cliente, en 1870, qui se solde par l’obligation faite à cette dernière de payer. De la couturière, Madame Achard, son avocat déclare significativement : « C’est que madame Achard n’est pas une modiste vulgaire [...]. Elle est de la nouvelle école, et vous la connaissez cette école-là, l’immortel Worth en est le chef. C’est à dire que madame Achard n’est pas une faiseuse, c’est une artiste. », cité par Chloé Antoine, « Le commerce du vêtement et de la toilette au XIXe siècle. Rencontres de la littérature réaliste et de l’histoire », Mémoire de Master, 2009, Université Lyon-2, enssib

22 Là encore, faute de travaux, nous posons ici une hypothèse : à savoir que ce contexte neuf qui vaut pour les maisons de couture pourrait bien peser également sur les costumiers et costumières surtout quand, et c’est le cas de Delphine Baron, leur activité ne s’y cantonne pas exclusivement.

23 Le Tintamarre, critique de la réclame, satire des puffistes, du 17 avril 1859, rubrique « Revue de la mode et des magasins de Paris ».

24 Plaidoirie de Gustave Chaix d’Est-Ange.

25 Voir sur ce point Geneviève Fraisse, Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, T4, Le XIXe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 304.

26 Cité par André Guyaux, dans Baudelaire. Un demi-siècle de lectures des Fleurs du Mal (1855-1905), Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2007, p. 133.

27 Histoire des femmes en occident, op. cit., p. 396.

28 La Sylphide, 20 janvier 1854.

29 Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Paris, Hachette, 1997, p. 93 et suiv. Voir également, sur cette question, Philippe Perrot, Les dessus et les dessous de la bourgeoisie. Une histoire du vêtement au XIXe siècle, Bruxelles, Complexe, 1981, p. 168 et suiv.

30 Cette lecture est, en particulier, celle de Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001.

31 Plaidoirie de Me Léon Duval.

32 Sur ce point, outre L’histoire des femmes, déjà citée, on peut renvoyer à l’ouvrage d’Anne Martin-Fugier, Comédiennes : les actrices en France au XIXe siècle, Paris, Complexe, 2008.

33 Des pièces fondées sur les ressorts de la vertu menacée ou outragée, du pathos outrancier et des crimes à foison.

34 Comme le note Jean-Claude Yon dans son Histoire des spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin, 2010, p. 75-76.

35 Plaidoirie de Me Gustave Chaix d’Est-Ange.

36 Le servage, évoqué à plusieurs reprises dans ces plaidoiries, est aboli par Alexandre II en 1861. À la date du procès, il est donc encore en vigueur. À partir des années 1857-58, la souffrance des serfs et la nécessité de l’abolition du servage étaient devenues un thème récurrent de certains grands journaux français et en particulier de la Revue des deux Mondes, qui s’engage résolument dans une campagne en faveur d’une réforme libérale.

37 Fouet utilisé en Russie pour la flagellation, en particulier des criminels politiques.

38 Le Monde illustré du 16 avril 1859.

39 Le Figaro du 9 avril 1859.

Illustrations

Bal costumé (époque Louis XV) dans les             salons du comte de Morny, le 7 mars 1859.

Bal costumé (époque Louis XV) dans les salons du comte de Morny, le 7 mars 1859.

Dessin Bligny, gravure Henri Linton ; page du journal L’Illustration. Collection particulière.

Billet d’invitation pour le bal de             Morny.

Billet d’invitation pour le bal de Morny.

Collection particulière

Le Moniteur de la coiffure, for the Bulletin             of Fashion, New York, tome 21, janvier 1860.

Le Moniteur de la coiffure, for the Bulletin of Fashion, New York, tome 21, janvier 1860.

« Costumes historiques artistiques et travestis de la Maison Moreau, Delphine Baron, successeur, draperie, gilet et haute nouveautés de la Maison Dubois jeune, chemises, cols et cravates de la Maison du Phénix, S. Hayen aîné, chapellerie de la Maison René Pineau, taille de cheveux et coiffures de Loisel, Parfums de Violet, inventeur du savon Thridace, fournisseur de S. M. l’Impératrice. Paris, Rue des Petites Écuries, 19. »

BnF

« Une rencontre désagréable entre un             tailleur et l’un de ses mauvais payeurs ».

« Une rencontre désagréable entre un tailleur et l’un de ses mauvais payeurs ».

Dessin de Daumier, La Comédie Humaine, paru dans Le Charivari, 3 avril 1843. Collection particulière.

Vue stéréoscopique, « Un mariage sous             Louis XV », 1859.

Vue stéréoscopique, « Un mariage sous Louis XV », 1859.

La Photographie : journal des publications légalement autorisées : faits intéressants la photographie, annonces, Paris, Furne fils et H. Tournier, propriétaires-gérants, mai 1859, précise pages 3-4 : « Cette petite série de douze épreuves stéréoscopiques que la Maison Furne Fils & Tournier viennent de mettre en vente se distingue par la richesse et l’exactitude des costumes (ils sortent des magasins de la maison Delphine Baron) par la composition élégante des groupes et surtout par le fini des épreuves qui peuvent soutenir la comparaison avec tout ce que la photographie anglaise a produit de plus achevé et de plus réussi. »

Collection particulière

Citer cet article

Référence électronique

Corinne Legoy, « Delphine Baron, la fée du travestissement en procès », Modes pratiques [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 07 mars 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/77

Auteur

Corinne Legoy

Université d’Orléans (laboratoire Polen, EA 4710)

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