Je tiens tout particulièrement à remercier Colette Morel et Sébastien Quéquet de m’avoir fait profiter d’un suivi éditorial aussi stimulant. Qu’Anne Clergue et Maja Jerne reçoivent ici aussi toute ma gratitude pour leur aide.
« Un corps glorieux qui à la fois commande les quatre éléments et se dilue en eux au point que le nuage peut s’inscrire sur la courbe d’un sein, la rive présenter l’anse évasée d’une hanche, la vague recouvrir ou sculpter un buste dans une communion totale entre la nature et ce corps qui est l’incarnation même de la femme1. »
La photographie de nu féminin constitue, chez Lucien Clergue, l’un des marqueurs les plus significatifs, parmi ses autres séries consacrées aux environs d’Arles, d’une œuvre entamée au milieu des années 1950 et qui s’achève avec ses dernières surimpressions de nus photographiques et de tableaux peints au début des années 2010. La permanence du nu se manifeste d’emblée, au sein de travaux de recherche qui lui valent très rapidement ses premiers succès avec la publication de ses Nus de la mer dans l’ouvrage Corps mémorable de Paul Éluard en 1957. La carrière artistique de Clergue connaît alors des débuts fulgurants, avec une série d’expositions aux États-Unis, en Europe et en France, doublée d’un cycle de publications qui accordent une place non négligeable à diverses séries de nus méditerranéens. Souvent associés à d’autres photographies à la tonalité plus sombre (cadavres d’animaux ou portraits d’enfants dans les ruines d’Arles) lorsqu’ils sont exposés, ses nus bénéficient parfois d’éditions spécifiques, qu’il s’agisse d’illustrer des poèmes – c’est encore le cas avec des extraits d’Amers de Saint-John Perse dans Genèse en 1973 – ou de composer des livres photographiques au sens strict comme Poesie der Photographie en 1960, Naissances d’Aphrodite en 1963 ou Née de la vague en 1968.
Malgré des variations significatives durant cette période, ces divers ensembles offrent cependant un trait commun : il est frappant de voir que, chez Clergue, le nu photographique se trouve systématiquement assujetti à un cadrage centré sur un corps féminin privé de visage, quels que soient le modèle, l’angle de vue et la pose adoptés. L’exposition « Les nus de la mer » que sa fille Anne Clergue a consacrée tout récemment aux nus méditerranéens des années 1956-1973, dans le cabinet d’art graphique du musée d’art de Toulon pour le Grand Arles Express 2022, permet parfaitement de le mesurer. Le choix d’un accrochage non chronologique soulignait la récurrence d’un tel cadrage dans ces images qui sont emblématiques de l’œuvre du photographe ; et l’on se situe, ici, au fondement même de son institutionnalisation.
Ces quelques remarques sur le motif des femmes sans tête chez Clergue soulèvent un ensemble de questions aux implications iconographiques, mais aussi politiques et institutionnelles. Quelles sont l’origine et la signification des nus féminins sans visage ? Quels sont les effets produits par cette forme d’anonymisation du modèle par le cadre ? Les nus photographiques ont-ils joué un rôle dans l’entrée en art du photographe ? Face à ces corps anonymisés par le cadrage, le modèle demeure, dans le cas présent, fortement invisibilisé à l’image et dans les sources ; il s’agira donc moins d’établir une histoire des modèles que de questionner les effets entraînés par la relation de pouvoir entre photographe et modèle. Étant entendu que ces effets agissent à la fois sur la forme des images, sur leurs réceptions et sur le processus d’institutionnalisation de la photographie d’auteur, deux problématiques, représentationnelle et historique, se croisent ici. Elles nous permettent de mettre en tension politique du regard masculin et invisibilisation du modèle féminin.
Le modèle féminin face aux « discours autorisés2 »
Wally Bourdet, le modèle de Clergue à partir de 1967 que l’on retrouve dans certaines héliographies de Née de la vague3 – bien que sa couverture soit illustrée par le sculptural modèle allemand Christine [Fig. 1] –, livrait peu de temps après la disparition du photographe en 2014, un témoignage éclairant sur ce sujet. Son entretien avec Christian Lacroix et François Hébel dont il subsiste un film4, diffusé lors de l’exposition « Lucien Clergue, premiers albums » au Grand Palais en 2015, permet d’en juger. Conviée par les commissaires à donner son point de vue sur le travail du cadrage serré sur le corps des nombreux modèles qui posèrent, nues, pour Clergue, elle affirmait alors, et à plusieurs reprises, que le photographe leur « coupait la tête ». La violence sacrificielle de cette expression et le processus qu’elle désigne semblent, à première vue, caractériser la relation de pouvoir entre l’artiste et ses modèles ; ils permettent d’examiner l’œuvre des débuts de Clergue sous l’angle de la question de l’invisibilisation du modèle féminin dans les années 1960.
Fig. 1 Lucien Clergue, Née de la vague, Paris, P. Belfond, 1968, couverture. 30 × 24 cm.
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Wally Bourdet explique l’origine toute prosaïque de ces cadrages serrés sur les attributs féminins, à l’exclusion du visage donc, par l’inconfort total dans lequel le photographe la plaçait et que son visage aurait pu trahir. Qualifiant l’expression faciale du modèle, elle précise qu’elle était exclue du champ précisément parce que « c’était affreux ». Notons-le, sa remarque éclaire la question du hors-cadre mais ne nous dit rien des effets recherchés par Clergue. Une des photographies publiées dans Née de la vague [Fig. 2] permet cependant d’en juger. L’extrême torsion du corps féminin renversé, placé à la diagonale du cadre, et dont les contours et les ombres sont traités comme autant de volumes par le photographe qui surplombe, de près, son modèle, donne un aperçu on ne peut plus explicite des moyens employés par l’auteur pour obtenir une plasticité totale du corps. Dans la mesure où l’on ne saurait attribuer au modèle aucune autonomie dans cette objectification du buste qui se plie à la nécessité d’une vue plongeante, il en va ici, manifestement, d’un des signes de la relation de pouvoir du photographe vis-à-vis de son modèle.
On aurait tort, cependant, de s’en tenir à l’explication de Wally Bourdet. Il nous semble évident que si les visages sont absents des images c’est surtout parce qu’ils sont susceptibles d’évoquer l’inverse d’une jouissance du corps dans les vagues et de couper les effets provoqués par la sensualité des caresses de l’eau sur la peau rugueuse. Le cadrage obéirait dans ce cas à une certaine logique, cherchant à éliminer de la photographie tout ce qui pourrait contredire un langage corporel censé évoquer une forme de plaisir. En l’occurrence, il masquerait la contrainte du modèle qui, comme nous l’apprend Wally Bourdet, ne prend aucun plaisir à la séance.
Wally Bourdet affirme ensuite « qu’en coupant les têtes il se mettait souvent à la place de ta tête [et qu’ainsi] il avait en gros la vision que tu avais de toi-même ». Ce détail, tel qu’il apparaît dans l’interview, peut être corroboré par des images où l’appareil photographique se substitue clairement au visage du modèle [voir Fig. 2]. Il suggère que Clergue prend possession du regard féminin et se livre, plus ou moins consciemment et d’un point de vue énonciatif, à une forme d’auto-érotisme en lieu et place du modèle.
Fig. 2 Lucien Clergue, Née de la vague, Paris, P. Belfond, 1968, page intérieure, n. p. 30 × 24 cm.
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Malgré l’indéniable intérêt de l’exposition de 2015, le vœu des commissaires « d’aller au-delà de ce qui [avait] fait la célébrité du photographe : le nu féminin5 » se limitait, on le voit, à défaire certains préjugés relatifs à une œuvre qui n’avait alors bénéficié d’aucune recherche monographique véritablement scientifique, à l’exception d’une étude biographique alors en cours6. Une approche prosopographique nous permettait d’entrevoir que les nombreux ouvrages consacrés jusqu’ici à Clergue avaient multiplié les signes et la prégnance d’un discours qui, du photographe à ses prestigieux thuriféraires, jusqu’à sa correspondance7, semble avoir abouti, parfois, à une forme d’hagiographie de l’artiste8.
Dans un tel contexte, il nous paraît difficile de postuler que l’individuation du modèle et la centration sur sa (rare) parole permettraient à eux seuls de renverser son invisibilité. Pour ses premiers nus, Clergue prend le parti de respecter l’anonymat des jeunes femmes qu’il sollicite dans son entourage arlésien, ce qui complexifie leur identification. À l’anonymisation du modèle réduit à un corps dans la photographie de nu s’ajoute ici le silence des sources. Wally Bourdet, l’une des rares à s’être exprimée a posteriori sur son expérience, ferait donc figure d’exception pour les années 1960. Mais son témoignage, fruit de sa proximité amicale avec Christian Lacroix, lui aussi natif d’Arles et co-commissaire de l’exposition de 2015, reste cependant tributaire des nécessités d’un hommage posthume : il participe, toutes proportions gardées, d’une forme de faire-valoir du discours autorisé de l’artiste et des commissaires. Dans le cas présent, entreprendre l’écriture d’une histoire du modèle revient à se heurter à un bloc, hagiographique et historiographique, à l’intérieur duquel son invisibilisation s’est organisée au détriment, du reste, d’une juste appréhension du nu photographique chez Clergue.
L’importante production des nus postérieurs à l’engagement du photographe dans la création des Rencontres d’Arles en 1970 a été, quant à elle, totalement ignorée alors qu’elle se diversifie. Ses modèles sont ainsi parfois cadrés en entier, dans un contexte urbain ou privé, ce dont témoignent des livres photographiques comme Visions sur le nu (1982), Ève est noire (1982), Practical Nude Photography et Passion de femmes (1983), Lucien Clergue, Eros and Thanatos (1985) et Grands nus (1990). Dès lors, le goût immodéré de Clergue pour des modèles répondant, selon lui, au « besoin d’une plénitude, d’une profusion, de seins opulents9 » n’échappe plus aux canons d’une beauté féminine largement diffusée par la photographie de mode, la publicité et le cinéma, autrement dit une économie visuelle où le regard sexualisé flirtait avec la pornographie selon Brian McNair10.
On aurait donc tort de croire que les modèles de Clergue « ne [furent] qu’incidemment des femmes à la plastique façonnée pour les magazines » dont il entendait « sublimer le corps […] sans aucune connotation sexiste11 ». Bien au contraire, l’inclination formaliste des années 1980 semble faire écho à une standardisation et une libération du regard masculin sur le corps nu. L’œuvre du photographe, une fois rattrapée par les nus explicites des cartes postales estivales12, aurait-elle subi une forme de déni qui devait tenir sa dimension érotique en dehors du soupçon du vulgaire et de la délectation pornographique ? Dans les discours autorisés sur l’œuvre, tout se passe comme si la légitimation artistique cherchait à euphémiser l’érotisme des nus de façon à créditer les photographies de Clergue d’un supplément d’âme symbolique, mythologique, littéraire ou pictural. Comment expliquer, sinon, le faible intérêt suscité par des formes d’érotisation du nu, contre toute évidence ?
Pour en revenir aux premiers nus, les discours de Clergue produisent – semble-t-il – un double effet : le modèle est invisibilisé alors que l’on ne voit que « lui », et son érotisation est minimisée au profit d’une lecture formaliste de l’image. Dans les Nus de la mer, la sujétion du modèle, la suggestivité érotique de l’écume et les poses extatiques ne manquent pas d’évoquer une simulation de l’acte sexuel avec des vagues. Il est frappant de voir l’énergie avec laquelle Clergue, son modèle et ses commentateurs ont omis de relever ce lexique érotique au profit d’autres lectures. Jean-François Dreuilhe a montré, par exemple, que l’éditeur Pierre Seghers avait souhaité éliminer l’une des photographies qui frôlait selon lui la pornographie lors d’une édition allemande de Corps mémorable13. En ce sens, l’inscription du nu sculptural dans une forme de généalogie du mythe d’une Aphrodite « née d’une écume qui de spermatique devint maritime14 », mythe réactualisé par Marguerite Yourcenar15 auquel le photographe se référera explicitement dans ses livres Naissances d’Aphrodite16 en 1963 et Née de la vague en 1968, s’avère tout à fait déterminante pour la suite. Pour emprunter la formule d’Abigail Solomon-Godeau, le recours à cette figure mythologique relève d’emblée d’une stratégie destinée à créditer les nus de Clergue d’une « généalogie respectable17 ».
Ces tentatives de légitimation artistique des nus des années 1956 et suivantes débordent largement la question des formes engendrées, d’un côté, par un respect des normes proscrivant l’obscène18 – explication souvent invoquée aux cadrages éliminant la tête –, et de l’autre, par un héritage de la photographie de l’entre-deux-guerres – Man Ray et Edward Weston, essentiellement. Ce qui change, à partir du moment où la pornographie devient un objet d’étude19, tient à l’apparition, dans l’esthétique féministe et la critique d’art des années 1970, d’une approche de la « politique de la représentation » qui nous invite, selon Abigail Solomon-Godeau, à repenser la façon dont les « rapports de pouvoirs opèrent au sein de l’acte de représentation lui-même, ainsi que dans les relations qui régissent la production et la réception des objets culturels20 ».
La question des pouvoirs mérite, on le comprend, d’être déplacée : il s’agit moins de faire l’histoire des modèles de Clergue à proprement parler que d’analyser une politique du regard centrée sur les nus sans visage. D’un côté, l’érotisation du corps peut se comprendre compte tenu des processus d’institutionnalisation, éditoriaux et expographiques, qui sont intervenus, à partir du milieu des années 1950, pour ce type de photographie. Quel rôle les nus féminins sans tête ont-ils joué dans l’entrée en art de Clergue ? De l’autre, il y a lieu de déconstruire les visions et les processus de fétichisation du corps chez le photographe en se demandant dans quelle mesure il est possible d’inscrire le motif iconographique des nus féminins sans visage dans une « scopophilie fétichiste21 ».
Une entrée en art par le genre du nu féminin
Le processus d’institutionnalisation de l’œuvre de Clergue démarre début 1958 avec la série intitulée les Nus de la mer. Dès 1956, Pablo Picasso joue un rôle déterminant dans l’émergence artistique du photographe en réalisant gracieusement la première de couverture de Corps mémorable publié fin 195722 [Fig. 3], qui réunit quatorze poèmes d’Éluard – publiés une première fois en 1947 sous le pseudonyme de Brun dans un des numéros de la revue Poésie édité par Seghers23 – et douze Nus de la mer de Clergue [Fig. 4].
Fig. 3 Photographie de Lucien Clergue et dessin de Pablo Picasso dans Paul Éluard, Corps mémorable, Paris, Pierre Seghers, 1957, couverture. 27,5 × 38 cm.
Collection de l’auteur. © Picasso Administration. © Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Fig. 4 Poème de Paul Éluard et photographie de Lucien Clergue dans Paul Éluard, Corps mémorable, Paris, Pierre Seghers, 1957, p. 28-29. 27,5 x 19 cm (chaque page). Collection de l’auteur.
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023. Tous droits réservés.
Réalisée aux Saintes-Maries-de-la-Mer en septembre 1956, la série correspond au moment où le photographe, résolu à « montrer du travail24 » à Picasso, avait orienté ses recherches autour du nu en extérieur, loin des difficiles conditions de luminosité de son grenier et de ses tentatives de cadrer ses modèles en pied. L’utilisation de la lumière du jour permet à Clergue d’explorer sous un angle nouveau le corps féminin jouant avec la vague. L’adoption d’un cadre en plongée quasiment zénithal et diverses variations autour du ventre, des seins et du pubis lui donnent l’occasion d’obtenir de subtiles visions d’un buste sans bras, ni jambe, ni tête, qui n’est pas sans évoquer une sorte de Vénus de Milo plus ou moins immergée [Fig. 5]. La référence à l’Antique est loin d’être fortuite puisque Clergue avouait s’intéresser à ses débuts au nombre d’or « des statues de l’Arles antique notamment la copie de la Vénus25 ». Rien de marmoréen ni de lisse, cependant ici, tant le flux et le reflux d’une eau froide provoquent, à la surface de l’épiderme horripilé, l’apparition de grains saillants. La réussite de la série tient au caractère particulier, dans l’histoire des représentations du corps féminin, d’un nu dont la peau brune et la noire pilosité soulignent l’origine méditerranéenne. Ce corps partiellement recouvert d’écume, de bulles et de lobes transparents inscrit résolument l’écriture du nu dans un acte photographique où l’instantané gèle l’image mouvante du corps et des vagues [Fig. 6]. Comme pour Explosante-fixe (1934) de Man Ray, un jeu s’opère entre fixité du corps et mouvements fluides et flous : ici, agitation des flots et vitesse de déclenchement permettent d’obtenir toute une gamme de stries, de reflets et de matières argentiques et pas seulement l’image d’un nu.
Fig. 5 Photographie de Lucien Clergue dans Paul Éluard, Corps mémorable, Paris, Pierre Seghers, 1957, page intérieure, n. p. 27,5 × 19 cm (page).
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023. Tous droits réservés.
Fig. 6 Photographie de Lucien Clergue dans Paul Éluard, Corps mémorable, Paris, Pierre Seghers, 1957, page intérieure, n. p. 27,5 × 19 cm (page).
Collection de l’auteur. © Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023. Tous droits réservés.
Le dessin de Picasso, pour la couverture, adopte un cadre similaire à celui de Clergue et souligne, en quelques traits rouge-vif, la courbe d’un sein et celles, plus abstraites, du buste féminin, ponctués par deux sortes d’astérisques noires qui évoquent la toison pubienne du modèle. Il va sans dire que l’effet Picasso jouait à plein auprès d’éditeurs rassurés par la promesse d’une couverture avec un dessin de l’artiste. Jean Cocteau, qui avait décidé d’adresser cette série de nus à Seghers26, n’en doutait pas un instant, lui qui écrivait à Clergue fin 1955 que « le désintéressement a disparu d’un monde où les toiles de Picasso et de Braque sont devenues des chèques27 ».
Sans parler du prestige d’Éluard auprès des lecteurs du moment, la réussite du projet éditorial repose sur les multiples relations qui s’établissent entre les photographies et certains vers, comme le poème « Mais elle » par exemple :
« Elle ne vit que par sa forme
Elle a la forme d’un rocher
Elle a la forme de la mer
Elle a les muscles du rameur
Tous les rivages la modèlent28. »
S’il est notable que le dernier vers s’applique particulièrement bien à toute cette série de nus, on remarque au passage combien le verbe « modeler » désigne ici un effet de l’eau sur un modèle féminin objet – et non pas sujet – de l’action. La photographie d’un modèle soumis aux désirs du photographe redouble la vision du poète.
Ces Nus de la mer sont exposés de manière tout à fait concomitante à la sortie du livre, début 1958, dans l’exposition « Poesie der Photographie » que Georg Schmidt consacrait à Clergue au Kunstgewerbemuseum de Zurich du 11 janvier au 9 février 1958. Ils se trouvent associés à d’autres séries du photographe comme les cadavres d’animaux échoués sur les rives du Rhône, les Saltimbanques et les tombes de Montmajour. Une vue de cette exposition révèle la dimension plus importante accordée au tirage d’un nu par rapport aux Saltimbanques, dans cette salle du moins [Fig. 7]. Bien que présentée dans les sous-sols du musée, cette exposition profite de la présence quasi simultanée, du 25 janvier au 2 mars 1958, dans les salles au-dessus, du plus grand événement expographique mondial du moment, l’exposition itinérante « The Family of Man » qu’Edward Steichen avait initiée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York trois ans plus tôt. Jean-François Dreuilhe mentionne que le lien avec Steichen s’était opéré grâce à l’un des assistants de ce dernier29 – sans toutefois le nommer – qui accompagnait « The Family of Man » en Europe, sans préciser si le conservateur était présent ou non à ce moment-là. Cette analyse diverge nettement des affirmations de Clergue lui-même, qui mettait surtout en avant « sa » rencontre avec Steichen lors de l’événement zurichois30.
Fig. 7 Lucien Clergue, [Vue de l’exposition au Kunstgewerbe de Zurich, 1958].
Tirage contact, dim. inconnues.
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Il n’en reste pas moins que c’est bien à Steichen que l’on doit la présentation au MoMA de trois Nus de la mer de 1956, nouvellement acquis, dans l’exposition « Photographs from the Museum Collection » en 195831. Une des vues d’accrochage [Fig. 8] montre la lecture abstraite qu’en propose le conservateur qui les associe à des œuvres comme The Wall (1951) de Frederick Sommer (au centre en haut), à une abstraction de 1952 de Lennart Olson (Untitled, en bas à gauche) ou à Water (Abstraction Number 1-), c. 1959, de Charles Damiano (à droite). L’effet d’objectification du nu, tout à fait perceptible au sein de l’accrochage proposé qui établit des liens formels entre les corps et les motifs végétaux ou minéraux, éclaire les choix opérés en amont par le conservateur lors de l’acquisition de trois Nus de la mer, les plus pudiques, et dont un seul figurait déjà dans Corps mémorable. Les effets combinés de la publication des nus et de leur exposition au MoMA se mesurent d’autant mieux qu’ils se prolongent par d’autres manifestations aux États-Unis, en Europe et en France et par de nouvelles parutions dont Poesie der Photographie32.
Fig. 8 Rolph Petersen, [Vue de l’exposition « Photographs from the Museum Collection », New York, Museum of Modern Art, 26 novembre 1958 – 18 janvier 1959].
Tirage gélatino-argentique, 15,2 × 24,8 cm. New York, The Museum of Modern Art, Photographic Archive, IN636.44.
Digital image © 2023, The Museum of Modern Art New York/Scala, Florence.
Cette tendance à traiter les photographies de nu de Clergue comme des objets formels et abstraits est reprise en 1961 dans « Diogene with a Camera V », qui achevait un cycle d’expositions collectives initié par Steichen en 195233. Elle est présentée au MoMA du 26 septembre au 12 novembre 1961 avec des œuvres de Bill Brandt, Yasuhiro Ishimoto et Clergue. Parmi les cent cinquante à deux cents photographies que Steichen avait initialement suggéré à ce dernier d’envoyer à New York, soixante-six sont finalement retenues, soit dix de moins que pour Ishimoto mais bien plus que les quarante-quatre tirages de Brandt. La particularité de l’accrochage consiste à établir un dialogue indirect entre les nus du photographe anglais issus de Perspective of Nudes34 et les images du marais camarguais de Clergue, ce qui permet à Steichen de souligner l’origine méditerranéenne de l’œuvre du Français.
Contrairement à la lecture explicitement érotique suggérée par les poèmes d’Éluard35 et aux effets similaires que les interactions texte-image entraînaient sur la réception des photographies [voir Fig. 4], la dimension érotique des nus est donc euphémisée au profit de lectures conformes aux projets expographiques qui prévalent alors au MoMA : être attentif à l’émergence de nouvelles formes en France36 et les situer dans leur espace méridional et méditerranéen de façon à pouvoir distinguer leur auteur d’une photographie américaine ou anglaise. L’approche des nus féminins, tantôt érotisés, tantôt réduits à leur formalisme, repose sur une totale anonymisation du modèle alors que la figure d’artiste de Clergue se dessine au sein des cercles masculins qui déterminent les formes et les conditions de visibilité de l’œuvre.
Les succès rencontrés par Clergue entre 1958 et 1961, en partie grâce au genre du nu, éclairent les rôles conjoints du livre et de l’exposition comme double processus de reconnaissance de l’auteur-photographe et du médium dans le contexte particulier des années 1960. C’est une période où diverses dynamiques territoriales émergent, avant l’exemple arlésien de la seconde moitié des années 1960 que l’on a souvent appréhendé comme un phénomène isolé37, à tort38. Une forme de dynamisation régionale se manifeste au moment même où le territoire français se trouve privé du centre d’impulsion que constituait Paris via, notamment, les Salons annuels de la Bibliothèque nationale qui cessent d’exister à partir de 196139. Des initiatives locales défendant la photographie comme art existent en dehors d’Arles même si elles sont loin d’avoir bénéficié d’une aussi grande postérité. Denis Brihat dans le Lubéron, Jean-Pierre Sudre à Paris puis en Provence et Jean Dieuzaide à Toulouse choisissent, par exemple, de mobiliser dès 1960 l’exposition de la photographie dans des institutions artistiques françaises et européennes40.
Dans ce contexte, le Midi de la France, et en particulier la Provence et la Côte d’Azur, constituent un « échangeur culturel41 » intermittent où se croisent, au gré des multiples festivals d’été42, de nombreux artistes et acteurs de l’art européens et américains que le jeune Clergue n’a eu de cesse d’approcher avec la réussite que l’on sait : Steichen établit une liste des personnalités destinées à cautionner le jeune inconnu lors de son exposition au MoMA en 1961 parmi lesquelles se trouvent Jean Renoir, Picasso, Cocteau43, que Clergue a régulièrement croisés en Provence à partir de 1954, avant de devenir le proche ami de certains. L’effet des relations transatlantiques liées au MoMA44 et la reconnaissance artistique internationale du photographe, antérieurement à son implication auprès de Jean-Maurice Rouquette lors de la création d’un département photographique au musée Réattu en 196545, suivis de celle des Rencontres d’Arles, ont favorisé l’émergence d’un pôle majeur en faveur de la reconnaissance artistique du médium dans le sud de France. Les nus méditerranéens en sont l’emblème.
Origines et effets des nus féminins à la tête « coupée »
Pour ses tout premiers essais de nus d’inspiration nettement surréaliste, en 1953, Clergue fait appel à son amie Lucette et sa sœur Josette, après qu’une prostituée l’eut sévèrement rabroué46. Dans le Nu avec un couteau sur le sein, Lucette, photographiée à mi-corps, fixe l’objectif et simule un acte d’automutilation. La prescription d’un geste de violence autosacrificielle à la jeune fille atteste sans aucune ambiguïté de l’emprise totale du photographe amateur sur son modèle. Avec Josette, qui refusait selon Clergue47 que l’on puisse apercevoir son visage, le cadrage coupe la tête, signe d’une relative capacité d’adaptation aux exigences du modèle. Pour préserver cet anonymat, le photographe joue également des effets de contre-jour, ou bien alors le modèle se contorsionne pour éviter que son visage soit reconnaissable par l’entourage. L’un des albums de 1955, antérieurs de quelques mois à la seconde rencontre avec Picasso, montre des nus féminins cadrés en pied sur la plage [Fig. 9] et dont la chevelure permet de dissimuler les traits du visage, sans que l’on sache si cette pose répondait également à une demande du modèle. Peut-être certains s’inspirent plutôt, encore maladroitement, du Nude de Weston48 (Charis, Santa Monica) publié en première page de Photo-Monde dans son numéro d’octobre 1953 et conservé dans les archives Clergue.
Fig. 9 Lucien Clergue, [Nus sur une plage], septembre 1955. Planche contact, 18 × 24 cm (ensemble).
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
D’autres essais révèlent encore certaines faiblesses compositionnelles et techniques49, comme cet album de contacts de 1955-1956 [Fig. 10] où les noirs bouchés et les surexpositions récurrentes accentuent les marques de bronzage, tandis que diverses positions inconfortables adoptées par le modèle féminin évoquent de simples clichés d’amateurs. La prédilection pour des corps sans tête, obtenus grâce à des cadrages serrés, se manifeste ici clairement pour la première fois. Cependant l’effet d’anonymisation recherché – ou négocié par le modèle ? – parvient mal à dissimuler la nature du contrat voyeuriste qui se noue, entre photographe et modèle, dans l’intimité d’une pièce aveugle. La blancheur des fesses, des seins et de la ligne qui court, d’une hanche à l’autre, au-dessus du pubis étroitement préservé de la vue par une pudique contraction des cuisses, dessine une cartographie des surfaces autour desquelles culminent conjointement le désir et l’acte photographique masculins.
Fig. 10 Lucien Clergue, [Détail de l’album no 7, avec annotation de l’auteur : « premiers nus, plage, 1956 ? »], 1955.
Planche contact, 6 × 6 cm (chaque cliché).
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Les contacts intitulés Nus de la mer (Premiers Eroticas) réalisés en septembre 1955 [Fig. 11] montrent un niveau de maîtrise encore insuffisant et des faiblesses évidentes relativement au genre du nu, à moins d’admettre que la référence à L’origine du monde de Gustave Courbet ne soit un gage de réussite.
Fig. 11 Lucien Clergue, Nus de la mer (Premiers Eroticas), 4 septembre 1955.
Planche contact, 18 × 24 cm (ensemble).
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023.
Ces exemples permettent, ajoutés à d’autres travaux du photographe de la même période, comme toute la série des Saltimbanques, de comprendre ce que Clergue était en mesure de présenter à Picasso en novembre 1955. On peut donc imaginer que c’est moins pour ses aspects techniques que pour ses thèmes de prédilection que Clergue paraît si prometteur au maître espagnol.
Après une période de tâtonnements autour du nu en extérieur cette fois, Clergue parvient à se libérer progressivement des références à des modèles photographiques connus. Lorsqu’il saisit en septembre 1956 le mouvement des vagues au contact du corps féminin, avec des cadrages volontairement tronqués, il réalise un travail davantage abouti et maîtrisé. La position critique d’Hélène Cingria, dans son texte déjà mentionné à propos de l’exposition de Zurich en 1958, corrobore l’idée d’un parcours d’apprentissage : Clergue se serait « trouvé » dès 1956 en désapprenant ce qu’il avait expérimenté d’après les livres qui lui servaient de modèles, au profit de ce qu’elle identifie comme un regard apte à se laisser saisir par la nature50.
En caractérisant Clergue comme le « photographe de la réalité pathétique51 », l’auteure souligne la faculté de ses images à émouvoir, mais elle remarque aussi à quel point cette œuvre n’est pas exempte de douleur ni de tristesse. Son texte tente de prendre en compte des séries photographiques où apparaissent des tonalités très opposées : les nus méditerranéens sont en effet associés, dans l’exposition, à des charognes échouées sur les rives du Rhône et à d’abstraites vues des tombes de Montmajour réduites à de simples rectangles noirs qui correspondent à son « macabre royaume ». Mais le passage au nu et en particulier aux nus dits de la mer serait, selon Cingria, « fortement influencé par le peintre André Masson » et elle ajoute que Clergue « est venu de la mort à la vie et conquis par la douceur, la tendresse du corps féminin s’est acharné à en saisir la troublante séduction52 ».
On peut s’étonner de voir combien les discours iconographiques, critiques et expographiques travaillent à taire le rôle du modèle dans l’efficacité des images photographiques. Si Cingria se centre sur la question des références esthétiques de Clergue, en 1958, son propos est loin d’évacuer la question du modèle féminin. Mais lorsqu’elle mentionne qu’il fut « conquis par la douceur, la tendresse du corps féminin », ou encore que l’on peut voir dans la communion du corps et de la nature « l’incarnation même de la femme », c’est pour affirmer « [qu’en] dépassant le réel [il] a su rejoindre l’inexprimable53 ». Cette réception nous paraît obéir à ce qu’Abigail Solomon-Godeau identifie comme une « logique essentialisante et universalisante, qui voit dans la catégorie “femme” un équivalent à la pluralité et à la différence propres à la catégorie “femmes”54 ». Tout comme Steichen par la suite, il s’agit pour Cingria de faire émerger la dimension expressive de l’image, entièrement créditée à l’auteur qu’elle entend rattacher à « un nouveau réalisme poétique en photographie ». Ce parti pris en faveur de l’auteur-photographe, qui restera encore pour longtemps une cause à défendre55, participe des tentatives d’institutionnalisation de la photographie à la fin des années 1950 en France. Lutter contre l’anonymat des photographes s’opère au détriment du modèle.
Politiques du regard sur le nu féminin
La relation entre le photographe et ses modèles entre 1953 et les années 1960 est centrale, car c’est en partie grâce à la performativité du corps féminin, tronqué et érotisé, c’est-à-dire par une co-construction asymétrique des images – elle est subie par le modèle –, que Clergue parvient à obtenir une forme de reconnaissance artistique. Aux corps cadrés entièrement mais aux visages dissimulés des albums amateurs succèdent des nus aux têtes coupées dès lors que la pratique de Clergue cherche à s’institutionnaliser en sollicitant divers parrainages artistiques. Les multiples rencontres du photographe avec Picasso, largement commentées et documentées, attestent du rôle déterminant de ce dernier dans l’émergence d’une prise de conscience, chez le photographe, des valeurs artistiques susceptibles de créditer son travail. Aiguillonné par l’éminent artiste, Clergue parvient à réactiver, photographiquement, tout ce qui pouvait séduire son mentor. On peut donc en partie expliquer la formation du motif des femmes sans tête par les influences du photographe : de La femme 100 têtes de Max Ernst de 1929 à Léonor Fini qu’Henri Cartier-Bresson cadrait à mi-corps dans l’eau en 1933, en passant par les multiples nus tronqués ou de dos que Raoul Hausmann photographia sur la plage en Allemagne au début des années 1930, ou encore des nus de Weston.
Au-delà de la relation photographe-modèle commentée par Wally Bourdet, ces femmes sans tête matérialisent un certain regard masculin. Le cadre et le gros plan travaillent à la fois à invisibiliser le modèle et à transformer la pose en un spectacle ambigu qui donne à la poitrine, omniprésente, un pouvoir hypnotisant, signe manifeste que « la pulsion érotique est concentrée sur le seul regard56 ». « Couper la tête » est donc bien ce qui permet au gros plan et au nu photographique de devenir à la fois une image spectaculaire – celle d’un corps érotisé – et une croyance – relative à un plaisir simulé mais non réel –, c’est-à-dire une fétichisation au sens où Laura Mulvey l’entend avec le cas des fictions cinématographiques57.
Au-delà d’une invisibilisation du modèle féminin, le cadrage efface toute trace indiciaire du travail et des efforts accomplis par le modèle lors de la prise de vue, exactement ce dont la déformation des traits du visage aurait attesté à l’image si la tête n’était pas « coupée ». Autrement dit, le gros plan sur le corps féminin fait disparaître, de facto, le processus de co-production de la photographie et renforce la prééminence de l’agentivité de l’auteur. Un simple nu de Picasso photographié de profil dans l’eau par Clergue en 1965 [Fig. 12] montre tout l’inverse de ce type de construction genrée réservée au nu féminin, exposé et publié : le modèle masculin, reconnaissable entre mille, est une célébrité révérée par un cadre et un point de vue adéquats au genre du portrait.
Fig. 12 Lucien Clergue, Picasso à la plage, Cannes, 1965.
Tirage argentique moderne, 39,4 × 49,2 cm.
© Atelier Lucien Clergue, SAIF, 2023. © Succession Picasso 2023.
Par cette image qui fait figure d’exception dans son œuvre, Clergue manifeste une connivence avec le célèbre portrait de Dieuzaide, Dalí dans l’eau (1951) – dont seul le visage est visible hors de l’eau, d’ailleurs [Fig. 13]. Dieuzaide fut le premier photographe reconnu à accueillir Clergue à Toulouse dans les années 1950 pour lui prodiguer de précieux conseils techniques. Son portrait de Dalí avait été particulièrement mis en valeur dans l’exposition que Dieuzaide avait organisée en 1955 pour célébrer sa propre obtention du premier prix Niépce nouvellement créé par Albert Plécy et l’association Gens d’images. Si les différences entre les genres du portrait de célébrité et du nu photographique expliquent en partie l’écart notable entre un cadre large et un cadre serré, au moins peut-on avancer qu’il s’agit là d’une construction genrée, commune aux deux photographes. Le caractère totalement exceptionnel du portrait masculin chez un Clergue qui multiplie les nus féminins constitue un signe supplémentaire du caractère déterminant du genre.
Fig. 13 Jean Dieuzaide, [Contact extrait de la planche de « l’Expo Yan pour le prix Niépce », Hôtel des Chevaliers de Saint-Jean, Toulouse], 1955.
Tirage contact no 277, 5,6 × 5,9 cm, détail de la p. 47 du classeur « Jean Dieuzaide ».
Fonds Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/JD/p47/det.
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Si la pratique du genre du nu constitue effectivement l’un des facteurs de la reconnaissance du médium comme forme d’art, on voit aussi se dessiner le rôle du nu dans la cristallisation d’un regard masculin sur un corps féminin essentialisé, dans un contexte d’institutionnalisation régi par des cercles composés uniquement d’hommes. C’est donc bien par l’expression de son pouvoir sur le corps de la femme entièrement soumis à des préoccupations esthétiques et personnelles que le photographe parvient à se faire valoir auprès de ses mentors, et c’est grâce à l’aura de ces derniers qu’il lui est permis d’atteindre ses fins artistiques. Ni les modèles nus, ni le pleinairisme ne sauraient célébrer « la libération sexuelle58 » des femmes quand celles-ci sont privées d’individualité. Dans tous les cas, le silence sur l’érotisation du nu féminin dans la bibliographie clerguienne relève d’une construction genrée qui va de pair avec l’invisibilisation du modèle, dont la participation constitue la part aveugle de la délectation des artistes et des acteurs qui travaillent à visibiliser la photographie comme forme d’art dans les années 1950-1970.