Nudité politique, nudité artistique

Les mutations de l’épouse photographiée par Fukase Masahisa et Araki Nobuyoshi (1964-1978)

Artistic Nudes, Political Nudes. The Mutations of the Wife as Photographed by Fukase Masahisa and Araki Nobuyoshi (1964-1978)

DOI : 10.54390/photographica.1142

p. 80-101

Résumés

Dans les années 1970, deux photographes aujourd’hui majeurs de la scène artistique japonaise, Fukase Masahisa et Araki Nobuyoshi, consacrent des séries à leurs épouses, Wanibe Yōko et Aoki Yōko, qui les montrent souvent nues, dans leur environnement quotidien. Exposées dans les musées occidentaux à partir de 1974, leurs images s’imposent rapidement sur la scène internationale comme les porte-drapeaux d’une photographie de l’intime à la japonaise. Or, Fukase et Araki avaient d’abord conçu et diffusé leurs séries dans le sillage des mouvements contestataires florissant au Japon dans les années 1960. En retraçant le contexte de création et les circulations de ces photographies entre 1964 et 1978, cet article propose de retrouver les significations politiques et le geste subversif qu’a constitué – pour les photographes comme pour leur modèle – la mise à nu photographique du corps de l’épouse, afin de mieux comprendre les rouages de leur institutionnalisation et in fine leurs mutations.

In the 1970s, two photographers who are now central on the Japanese art scene, Fukase Masahisa and Araki Nobuyoshi, produced series on their wives, respectively Wanibe Yōko and Aoki Yōko, both often showing them naked in their everyday environment. Exhibited in Western museums from 1974 onwards, these images quickly became representative of a Japanese strand of intimate photography on the international scene. Yet Fukase and Araki first conceived and circulated these series in the wake of the protest movements flourishing in Japan in the 1960s. By reconstituting the initial context of creation, and subsequent circulations of these photographs between 1964 and 1978, this article aims to re-emphasise the political significance and the subversive gesture that the photographic exposure of their wife’s bodies constituted – to the photographers as well as to their models –, to better understand the mechanisms of these corpuses’ institutionalization, and ultimately their mutations.

Index

Mots-clés

art contestataire, censure, institutionnalisation, intimité, Japon, shishashin

Keywords

censorship, institutionalization, intimacy, Japan, protest art, shishashin

Plan

Texte

L’autrice remercie pour leur aide précieuse dans la rédaction de cet article Laureline Meizel et Cécile Laly (Kyoto Seika University), et pour leurs conseils Michael Lucken (Institut national des langues et civilisations orientales), Kasumi Kugo (State University of New York at Binghamton) et Kaeun Park (University of Michigan).

En 1978, deux photographes aujourd’hui majeurs de la scène japonaise publient chacun un livre consacré à son épouse. Fukase Masahisa1 est l’auteur de Yōko2 [Fig. 1], et Araki Nobuyoshi de Yōko, mon amour3 [Fig. 2]. Au-delà du prénom de leur sujet, les deux ouvrages présentent beaucoup de similarités. Publiés chez le même éditeur dans la même collection et au même format, leur titre et leurs textes sont traduits en anglais, quand leurs photographies sont imprimées en noir et blanc. De plus, ces livres sont dédiés à la figure de l’épouse, prise sur le vif ou posant ostensiblement – souvent nue – au cours de moments d’intimité conjugale. Pour les critiques de l’époque, leurs images font écho à celles de photographes américains tels qu’Emmet Gowin ou Harry Callahan4. Ainsi, les caractéristiques conceptuelles et matérielles de ces ouvrages les inscrivent dans un style international. Ils marquent alors l’aboutissement d’une trajectoire, qui, des publications de la contre-culture japonaise aux cimaises des musées occidentaux, a vu le sens des photographies qui les composent – et par la même occasion le geste des photographes et de leur modèle – être vidés de leur portée contestataire.

Fig. 1 Fukase Masahisa, Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

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© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 2 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

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© Nobuyoshi Araki.

En effet, plusieurs des photographies compilées dans ces livres ont d’abord été destinées à des publications produites dans le sillage des mouvements protestataires florissant au Japon dans la seconde moitié des années 1960. Par conséquent, certaines d’entre elles ont été prises plus de dix ans avant, et pour certaines en couleurs. À l’origine, elles ont cristallisé un geste subversif de la part des couples qui les ont créées : exposer, dans l’espace public japonais, la représentation photographique de la nudité, et parfois même de la sexualité, du corps de l’épouse, symbole de la sphère privée.

En 1978, Fukase Masahisa et Wanibe Yōko5 sont divorcés depuis deux ans. À l’inverse, Araki Nobuyoshi et Aoki Yōko resteront mariés jusqu’au décès de cette dernière en 1990. Pourtant les deux livres sont fortement marqués par le travail effectué en tandem autour de la représentation photographique de l’épouse entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970. À cette période, la carrière des deux artistes présente d’autres points communs. Quoique Fukase, né en 1934, soit de six ans l’aîné d’Araki, ils sont actifs dans les mêmes années à Tokyo et ils évoluent dans des milieux très proches. Ayant suivi une formation pour devenir photographes professionnels – Fukase est diplômé en 1956, Araki en 1963 –, ils ont tous deux commencé leur carrière dans la publicité, avant de devenir indépendants autour de 1970. Entre 1974 et 1976, ils sont aussi professeurs à l’école de photographie Workshop, fondée par le photographe Tōmatsu Shōmei pour offrir une structure où s’affranchir des industries dominantes de la presse et de la publicité. Fukase et Araki participent ainsi à des initiatives pour développer un marché de la photographie d’art au Japon. Parallèlement, ils commencent à exposer leurs travaux dans des musées à l’extérieur des frontières nippones. Or, dans ce contexte, ils présentent tous deux leurs séries centrées sur le quotidien de leur épouse alors même qu’ils conduisent d’autres recherches en parallèle, en particulier Araki qui collabore avec plusieurs modèles.

Effectué au cours d’années charnières pour leur carrière, ce choix commun mérite d’être analysé. En effet, très peu de recherches académiques ont interrogé ces deux corpus d’images. De plus, aucune étude n’a cherché à les comparer. Pourtant, la critique japonaise des années 1970 les avait déjà rapprochés, jusqu’à en faire les fers de lance d’un mouvement plus large désigné par le terme « shishashin » (photographie du je). Aussi, cet article s’attache-t-il d’abord à retracer le contexte de production des photographies remployées par Fukase et Araki pour composer le livre que chacun consacre à son épouse en 1978. Permettant de comprendre leur rapprochement par la critique, mais aussi de nuancer leurs similitudes, cette recontextualisation conduit à étudier les circulations médiatiques et culturelles de leurs images au cours des années 1970, pendant lesquelles l’épouse devient le sujet central de leurs séries. En dégageant les mécanismes qui ont porté leurs œuvres des milieux underground nippons aux cimaises des musées internationaux d’art moderne, cet article propose finalement de faire l’archéologie de l’apparente coïncidence que constitue la parution des deux ouvrages dans la même collection la même année, pour éclairer les incidences des phénomènes de circulation qui les sous-tendent sur les significations initiales des photographies qu’ils rassemblent, mais aussi sur l’agencéité de leur sujet.

Mettre à nu l’épouse du danchi : Wanibe et Fukase dans les mouvements contestataires

En 1978, Fukase publie plusieurs photographies de son ex-épouse dénudée dans le livre qu’il lui consacre6. Combinées avec d’autres portraits et des images de corbeaux, leur signification est opaque. En effet, elles ont non seulement été extraites de séries plus anciennes, mais elles ont de plus été dépouillées de toute information qui permettrait de dépasser l’affrontement du regard à la seule nudité du modèle. À l’origine, elles sont pourtant porteuses d’une charge politique qui nécessite une recontextualisation socio-historique.

Selon le récit qu’en fait Wanibe en 1973, elle rencontre Fukase dix ans plus tôt, à l’occasion d’une séance de prises de vue pendant laquelle elle est son modèle7. Elle apparaît donc très tôt dans les travaux du photographe, d’abord dans des mises en scène à l’extérieur ou en studio puis dans des représentations de la vie quotidienne, lorsqu’elle épouse Fukase en 1964 et que ce dernier commence à photographier le danchi, complexe d’habitation de banlieue où ils emménagent après leur mariage8. Au milieu des années 1960, Wanibe figure par exemple – mais sans être nommée – dans deux séries consacrées à la vie dans ces grands ensembles bétonnés, construits en périphérie de Tokyo pour accueillir les populations venues y travailler en masse, dans le sillage de la reconstruction économique du pays après la Seconde Guerre mondiale. Intitulées « La vie dans le danchi9 » et « Mode de vie standard10 », elles sont réalisées dans un style documentaire et sont publiées dans une revue pour photographes amateurs : Kamera Mainichi.

En 1968, la carrière de Fukase prend cependant un nouveau tournant. La maison d’édition où il vient d’être embauché ayant fait faillite, il se met à son compte et décide de quitter son épouse pour vivre pendant neuf mois dans une communauté de fūten, jeunes hippies vivant en marge des codes sociaux établis, dans le quartier de Shinjuku à Tokyo11. Mais 1968 est aussi une année charnière pour le Japon, car elle marque le début d’une période de soulèvements politiques importants contre la reconduite du traité de coopération nippo-américain (ANPO) et la guerre du Vietnam, organisés notamment par des ligues étudiantes12. Dans ce climat contestataire et au cours de cette expérience communautaire, Fukase se lie avec les acteurs d’une scène underground en plein épanouissement, qui voit collaborer les milieux du cinéma, du théâtre et de la performance13. À partir de 1969, le photographe entreprend donc des travaux avec des actrices et des danseuses de l’ankoku butō (littéralement « danse des ténèbres »), qu’il prend pour modèles concurremment avec sa femme, auprès de laquelle il revient vivre à cette date.

Si Fukase continue de photographier l’univers du danchi, il change alors de registre, puisqu’il y met en scène la nudité féminine de façon systématique, dans un but subversif. Sur cette scène contre-culturelle, l’usage du corps nu comme élément perturbateur de l’ordre établi devient en effet un ressort récurrent pour dénoncer les idéaux standardisés de la société capitaliste. À cet égard, il faut rappeler que la représentation de la nudité n’était pas courante dans l’archipel avant l’ère Meiji (1868-1912), pendant laquelle elle commence à faire l’objet de nouvelles lois. À cette période, le gouvernement impérial reprend les échanges avec les puissances occidentales et, pour hisser le pays au rang économique, politique et culturel de celles-ci, il entreprend une réforme en profondeur de la société japonaise, qui est indexée sur une définition occidentale de la modernité et qui touche donc aussi les mœurs.

Dans le code pénal japonais rédigé en 1907 – toujours en vigueur aujourd’hui –, l’article 175 interdit ainsi l’exposition de toutes images ou objets obscènes (waisetsu) dans l’espace public. Quasiment inusité jusque-là, ce terme a été choisi par les juristes nippons pour correspondre à la notion d’« outrage public à la pudeur » employée dans le code civil français dont ils s’inspirent14. Cependant, le code pénal japonais ne précise pas quelles caractéristiques font basculer une image dans l’obscénité. Par exemple, la représentation des organes génitaux et des poils pubiens, en particulier par la photographie et le cinéma, n’est pas explicitement mentionnée dans la loi, mais elle peut faire l’objet d’une intervention policière15. Pour éviter la censure, les photographes et les réalisateurs font donc poser leurs modèles de façon à masquer leur entrejambe par leur posture ou un objet [Fig. 3], ou bien ils y apposent un carré noir qui manifeste l’exercice de la loi [Fig. 4].

Fig. 3 Fukase Masahisa, [La danseuse de butō Kobayashi Saga posant dans un appartement du danchi], photographie reproduite dans « Vent printanier dans le danchi », Kamera Mainichi, vol. 18, n4, avril 1971, p. 22. 26 × 18 cm.

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© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 4 Aoki Yasuo, Carton d’invitation pour l’exposition « Donne femme », Tokyo, Galerie PUT, 29 août-11 septembre 1976.

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Tokyo, Collection Hama Noboru. Tous droits réservés.

Comme le montrent ces deux exemples, les artistes de la scène contre-culturelle des années 1960 et 1970 jouent donc avec les limites de la représentation de la nudité pour critiquer le pouvoir de l’État sur les corps. Par exemple, dans les séries que Fukase réalise à partir de 1969, le corps féminin nu, de son épouse comme des actrices et des danseuses de butō avec lesquelles il collabore, est représenté dans l’espace public ou privé pour provoquer le spectateur et le pousser à s’interroger sur les dérives de la modernité telle qu’elle a été façonnée au cours de l’ère Meiji et après la Seconde Guerre mondiale, à travers la reconstruction du pays à marche forcée sous influence américaine16. Dans la série « Les enfants de Himiko17 », Fukase mélange ainsi des photographies de danseuses posant nues dans des lieux publics hautement symboliques tels que le Parlement japonais avec celles de sa femme, dansant par exemple dénudée sur l’évier de la cuisine de leur appartement. Dans ce dernier cas, la subversion est alors redoublée par le choix du lieu, le danchi symbolisant la standardisation de la vie privée des classes moyennes dans la rhétorique contestataire18.

Au début des années 1970, Fukase exploite ce lieu à plusieurs reprises, notamment dans la série « Vent printanier dans le danchi19 ». L’une des photographies de cet ensemble représente par exemple la danseuse de butō Kobayashi Saga posant entièrement nue dans un salon, entre un poste de télévision et un couple habillé affairé à des tâches quotidiennes, qui ne semble pas la remarquer [voir Fig. 3] : sa présence incongrue vient alors troubler cette carte postale du bonheur domestique moderne.

Dans les appartements de banlieue, la nudité des modèles, quels qu’ils soient, a donc une dimension fortement contestataire. Cependant, celle de Wanibe est porteuse d’un potentiel subversif plus grand encore. En effet, comme l’a montré Anne McKnight dans une étude portant sur l’image de la femme du danchi telle qu’elle fleurit dans les « films de sexe » japonais au cours des années 1960 et 197020, l’épouse, en tant que consommatrice et gardienne du foyer, incarne à cette période le lien entre l’État capitaliste et l’espace privé au sein de la société japonaise. Dans le cinéma contestataire, les violences faites à son corps, investi de cette charge symbolique, servent donc à dénoncer cette collusion. Anne McKnight prend notamment l’exemple du film Les secrets derrière le mur21, réalisé en 1965 par Wakamatsu Kōji. Relevant du genre « pink », qui combine à l’origine la représentation de la sexualité à un style d’avant-garde et à des revendications politiques, ce film provoque à sa sortie un scandale pour ses scènes de viol et de meurtre de femmes au foyer dans les appartements d’un danchi.

Autour de 1970, le corps nu de Wanibe n’est pas transgressé à ce point dans les séries de Fukase, mais, debout sur l’évier de la cuisine une assiette entre les jambes22 ou à quatre pattes sur le sol23, il est loin d’être idéalisé. Il en est de même pour les danseuses et les actrices underground avec qui son mari la fait poser à cette époque. Cependant, en tant qu’épouse du danchi, la représentation de sa nudité est destinée à porter une charge bien plus subversive. La signification politique dont les photographies de Wanibe sont porteuses peut donc expliquer la diversification médiatique qu’opère Fukase au début des années 1970. Bien qu’il diffuse toujours ses images dans des revues pour photographes amateurs, il les fait désormais paraître aussi dans des publications issues des mouvements contestataires de la nouvelle gauche, en particulier dans l’hebdomadaire Asahi Jānaru24.

Contre le nu commercial : le Voyage sentimental du couple Araki

S’il paraît similaire, tout autre est pourtant le sens des photographies qu’Araki produit de sa femme au même moment. Dans le livre qu’il publie en 1978 sous le titre Yōko, mon amour25, plusieurs images montrent ainsi son épouse non seulement dénudée, mais faisant aussi l’amour avec son mari. Comme celles de Wanibe, elles ont été prises plusieurs années auparavant, lors du voyage de noces du couple en 1971, mais contrairement à celles-là, elles ont d’emblée été publiées dans un livre la même année. Intitulé Voyage sentimental26, il est l’un des premiers à avoir été édités par Araki en tant qu’auteur.

À la fin des années 1960, Araki décide en effet de se faire connaître hors du milieu de la publicité par le biais de l’auto-édition. Le Voyage sentimental est donc publié à compte d’auteur. Présentant une facture artisanale, le livre joue avec les codes du genre de l’album souvenir, en l’occurrence sur le voyage de noces. Les photographies qu’il rassemble présentent une esthétique proche de celle des instantanés amateurs, alors même qu’Araki maîtrise parfaitement les techniques de prises de vue en studio. Elles représentent en outre les paysages traversés et les lieux visités, où pose parfois la mariée. Plusieurs tranchent toutefois sur ces stéréotypes. Certaines images montrent ainsi Aoki posant nue et faisant la moue dans une chambre d’hôtel [Fig. 5] et, surtout, au cours de scènes de sexe prises du point de vue de son mari [Fig. 6]. Cette description crue et frontale de la sexualité féminine au sein du couple marié est une prise de position que n’avait jamais adoptée Fukase. Elle introduit une nouveauté dans le registre de la photographie de l’intime au Japon, et cela bien qu’elle paraisse dans un livre à compte d’auteur, au spectre de diffusion beaucoup plus restreint que celui des revues où publie Fukase.

Fig. 5 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p. Tirage gélatino-argentique.

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© Nobuyoshi Araki. Avec l’aimable autorisation de la Taka Ishii Gallery.

Fig. 6 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p.

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Tirage gélatino-argentique.

© Nobuyoshi Araki. Avec l’aimable autorisation de la Taka Ishii Gallery.

Corrélés, les choix de l’auto-édition et de la représentation de l’intimité conjugale doivent être lus au prisme de l’argumentaire qu’Araki déploie en ouverture de l’ouvrage, dans une courte préface imprimée, comme le titre, avec une police cursive :

Je n’en peux plus […] On est inondé de photographies de mode, de visages comme ci, de nus comme ça, de vies privées, de paysages, qui ne sont que des mensonges, et je n’en peux plus. Ce livre n’est pas comme toutes ces fausses photographies27.

En quelques lignes, Araki se positionne contre l’industrie photographique pour laquelle il travaille encore à la date de publication du livre, et qui repose sur la production et la consommation d’images par les photographes, commerciaux d’une part, et amateurs de l’autre. Ces derniers, en particulier, sont les piliers d’une industrie qui n’a cessé de croître depuis la fin de la guerre. Formant une population grandissante, ils consomment à la fois du matériel photographique et des revues spécialisées (les kamera zasshi, telles Kamera Mainichi ou Asahi Kamera), presque entièrement financées par les fabricants de ces matériels28. Or, cette population est en majorité masculine et elle aime à pratiquer la photographie de nus féminins29, comme en témoignent les nombreux manuels publiés à cette période sur le sujet [Fig. 7a, 7b et 7c].

Fig. 7a Nakamura Masaya, L’angle des femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n9. Couverture, 17 × 11,5 cm.

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Collection de l’autrice.

Fig. 7b Nakamura Rikkō, Photographier le nu, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n7. Couverture, 17 × 11,5 cm.

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Collection de l’autrice.

Fig. 7c Inoue Kiyoshi, Perfectionner sa photographie de femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n21. Couverture, 17 × 11,5 cm.

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Collection de l’autrice.

Ces amateurs sont aussi consommateurs d’images de femmes dénudées, produites par des photographes commerciaux très populaires comme Nakamura Masaya, Tatsuki Yoshihiro ou Shinoyama Kishin, l’un des photographes les plus connus de cette époque. À la fin des années 1960, au moment où Fukase commence à publier ses séries sur la nudité dans le quotidien du danchi, et peu avant qu’Araki édite le Voyage sentimental, Shinoyama connaît un grand succès pour ses publicités et ses albums de nus, tels 28 Girls by Kishin Shinoyama30 [Fig. 8] ou Nude31. Présentant une esthétique très léchée, ses photographies révèlent une volonté de démontrer sa maîtrise technique, un trait qu’il partage avec les amateurs à qui il s’adresse. Parallèlement, d’autres publications proposent des nus à l’esthétique similaire, mais dans des mises en scène de l’intimité qui font écho aux travaux de Fukase et d’Araki. Pour leur part, elles sont cependant très complaisantes envers le regard masculin de leur lectorat, étant souvent le prétexte à des photographies semi-érotiques d’actrices ou de mannequins célèbres. En 1971, la même année que le Voyage sentimental, le photographe commercial Tatsuki Yoshihiro publie par exemple le livre Vie privée32, dont les photographies représentent l’actrice Kaga Mariko chez elle en sous-vêtements.

Fig. 8 Shinoyama Kishin, 28 Girls by Kishin Shinoyama, Tokyo : Mainichi Shinbunsha, 1968. Couverture, 37 × 26 cm.

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Paris, Bibliothèque de la Maison européenne de la photographie, BM 68 SHI.

En comparant ces images avec celles d’Aoki dans le Voyage sentimental, l’on comprend que, à l’instar de l’esthétique brute des photographies d’Araki par rapport à celle léchée des images de Shinoyama ou de Tatsuki, le corps, le visage et les attitudes d’Aoki ne correspondent pas aux standards de la beauté, de la grâce et de la féminité véhiculés par ces mannequins et, à travers eux, par une industrie photographique construite pour séduire un public masculin. Dans les images qui la représentent, Aoki n’invite pas le spectateur à jouir de sa nudité mais, au contraire, le confronte à la brutalité voyeuriste de la photographie par les attitudes qu’elle adopte.

À cet égard, il faut souligner le rôle essentiel qu’Aoki a joué dans l’existence du Voyage sentimental. En effet, si elle consent à la publication des images de sa nudité, elle autorise aussi celle des représentations de sa sexualité dans la sphère conjugale, ce que ne fera jamais l’épouse de Fukase. Plus encore, elle cosigne les exemplaires de la première édition du volume, sur la quatrième de couverture. Ce trait lui confère donc un statut de co-autrice de l’ouvrage comme des photographies qui le composent.

Le contexte de parution du Voyage sentimental peut expliquer la position d’Aoki par rapport au projet éditorial. Au début des années 1970, les mouvements féministes japonais (ūman ribu) revendiquent la réappropriation de leur sexualité et de leur corps par les femmes, ainsi qu’un travail de réflexion sur la maternité et le rôle de l’épouse au sein du foyer, à travers des revues telles qu’Onna Erosu33 [Femme, Eros] (1973-1982). Bien qu’Aoki ne se soit jamais réclamée de ces mouvements, et que l’effacement de sa signature dans les rééditions du Voyage sentimental ait eu pour conséquence qu’elle en a rarement été considérée comme la co-autrice34, son implication dans l’existence de cette publication constitue un geste hautement subversif pour une épouse autour de 1970. Elle indique une agencéité plus assumée que celle de Wanibe à la même période dans l’élaboration et la diffusion de ses images. Ce trait est particulièrement sensible dans une photographie prise l’année même de la publication du Voyage sentimental [Fig. 9]. Elle représente le couple mangeant des nouilles dans la salle bondée du restaurant Kitchen Rāmen, connu pour être décoré d’images érotiques et où Araki a souvent exposé ses photographies au début des années 1970. Précisément, les tirages de plusieurs images de l’ouvrage sont accrochés au mur, notamment ceux représentant Aoki nue. Pourtant, celle-ci ne semble nullement gênée par cette exhibition publique de son intimité. Concentrée sur son bol de nouilles, elle paraît même parfaitement l’assumer.

Fig. 9 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

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© Nobuyoshi Araki.

À travers le Voyage sentimental, non seulement Araki, mais aussi Aoki, se placent donc en opposition avec les images du corps et de la sexualité des femmes produites par l’industrie photographique nippone autour de 1970, qui promeut l’érotisation du nu féminin par le biais de ressorts voyeuristes. Par rapport aux séries publiées à la même période par Fukase avec la contribution de Wanibe, leur livre est le fruit d’une collaboration qui est resserrée sur le couple et la sphère privée, et qui porte en outre une charge contestataire avant tout dirigée contre le champ photographique japonais.

Au cœur de la shishashin, un symbole de la dépolitisation des photographes

Si l’analyse des enjeux gouvernant la mobilisation de la figure de l’épouse, en particulier de sa nudité, révèle donc des nuances entre les travaux de Fukase et d’Araki autour de 1970, ils sont très tôt rapprochés par les critiques japonais, qui en font les fers de lance d’un courant bientôt connu sous l’expression de « shishashin ».

Ce néologisme est créé par le journaliste Yanagimoto Naomi en 197135, à la faveur d’une critique publiée dans Kamera Mainichi36, qui comparait une série de Fukase mettant en scène son épouse dans son village natal parue dans le numéro précédent37 avec le Voyage sentimental d’Araki. Yanagimoto se réfère alors à un terme employé par ce dernier dans la préface de son livre : shishōsetsu (roman du Je). Composé du préfixe shi signifiant à la fois « je », « privé » ou « personnel » et shōsetsu « roman », le mot désigne un courant de la littérature japonaise de la fin de l’ère Meiji et du début de l’ère Taishō (1912-1926), au sein duquel certains auteurs – Tayama Katai avec son roman Futon (1907) serait le premier du genre – font de leurs propres expériences, qu’ils décrivent de façon crue et naturaliste, le sujet de leurs romans38. En substituant le suffixe « photographie » (shashin) à celui de « roman », Yanagimoto forge donc un terme pour cerner la tendance de Fukase et d’Araki à traiter de sujets intimes, à partir de la comparaison de leurs travaux les plus personnels.

Cette tendance à la shishashin se renforce d’ailleurs à partir de 1972, année marquée par plusieurs événements politiques au Japon – comme la prise d’otages du chalet Asama par l’Armée rouge unifiée – qui éteignent les espoirs de révolution et amorcent un tournant sociétal. Les publications de Fukase et d’Araki, qui devient indépendant cette même année, tendent alors à se concentrer sur le quotidien de leur épouse, dont le prénom donne désormais leur titre aux séries. Cependant, d’autres photographes vont rapidement être associés à la shishashin, car le contexte est propice à son développement. À partir de 1974, elle donne même lieu à de nombreuses déclinaisons dans la presse spécialisée, formées à partir du préfixe shi : shikei (paysa-je)39, shigenjitsu (réalité personnelle)40, ou encore shisei (le privé)41. Progressivement, dans la prédilection accordée aux thématiques individuelles par des photographes de plus en plus nombreux, les critiques identifient un rejet global du traitement frontal des questions politiques et sociales dans la création photographique contemporaine. Au milieu des années 1970, la shishashin est donc perçue comme le signe d’une « apathie politique42 », en particulier par les auteurs qui s’étaient engagés dans les mouvements contestataires des années 1960. En 1975, Taki Kōji, ancien membre de la revue Provoke (1968-1969), écrit ainsi :

Photographie du « je »

Cela fait quelques années que les critiques parlent d’une tendance de photographie personnelle. Passons son appellation pompeuse, il s’agit d’une photographie ne s’intéressant qu’aux scènes du quotidien ou aux relations personnelles. Le Voyage sentimental d’Araki Nobuyoshi ou Yōko de Fukase Masahisa en sont des exemples typiques.

[…] la photographie du « je », au-delà d’être désengagée et désintéressée de la société, est l’expression active, et plus que les photographes eux-mêmes n’en ont conscience, d’une société qui n’a pas de forme d’ensemble43.

Dans cette virulente critique, Taki confirme ainsi la corrélation faite au milieu des années 1970 par les commentateurs entre d’une part les travaux d’Araki et de Fukase, et d’autre part la shishashin et la dépolitisation de la société japonaise dont elle est le symbole, et qui est particulièrement spectaculaire dans les travaux de Fukase. En effet, à partir de 1973, celui-ci délaisse les actrices et les danseuses de butō pour se focaliser sur son épouse, qu’il photographie quotidiennement44. Abandonnant dans le même temps le recours systématique à la nudité subversive, il publie les premiers résultats de cette nouvelle orientation en 1974 dans Kamera Mainichi, sous le titre « Yōko45 ». Un an plus tard, il fait paraître une seconde série dans la même revue, de nouveau intitulée d’après le prénom de sa femme46. Dans ces travaux, Wanibe embrasse son rôle de muse et joue constamment avec l’appareil. Faisant montre d’une gestuelle et d’une expressivité exubérantes, elle donne chaque jour à son époux un spectacle à enregistrer. Ce jeu s’apparente alors à un rituel pour le couple. Ainsi, dans la première publication, plusieurs photographies montrent Wanibe se retournant vers la fenêtre de l’appartement où son mari attend sa pose chaque matin, lorsqu’elle quitte le domicile conjugal pour se rendre au travail [Fig. 10].

Fig. 10 Fukase Masahisa, photographies extraites de la série « Depuis la fenêtre » [1973, initialement publiée dans « Yōko », Kamera Mainichi, vol. 21, n2, février 1974], reproduites dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

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© Masahisa Fukase Archives.

Si Fukase tend à se concentrer sur le quotidien de son épouse à partir de 1973, ainsi que le remarque Taki, Wanibe contribue donc de plus en plus activement au travail photographique de son mari à partir de cette date. À l’instar d’Aoki, qui continue de participer aux publications d’Araki à travers ses propres écrits, Wanibe publie notamment des textes pour accompagner les éditions47 et les expositions48 de ses photographies par son époux. Elle y exprime sa volonté de performer devant l’objectif, mais aussi son amertume devant l’utilisation de certaines de ses images par Fukase, comme sa relation complexe et parfois délétère avec lui49.

Une photographie est particulièrement emblématique des tensions qui traversent le couple à cette période, autour de la diffusion de ces créations photographiques partagées [Fig. 11]. Prise par Fukase lors du vernissage de l’exposition « New Japanese Photography50 » au Museum of Modern Art (MoMA) de New York en mars 1974, elle représente Wanibe vêtue d’un kimono, posant accroupie sous plusieurs photographies prises par son mari, qui la montrent à demi-nue mais hors de tout contexte sériel et médiatique. L’une d’elles en particulier, représentant Wanibe et sa mère torse nu, semble issue de la même séance qu’une image parue dans « Les enfants de Himiko »51. Accentué par le jeu des regards et le sourire forcé de Wanibe, le contraste produit par sa posture et son vêtement dans l’espace du musée et dans celui des photographies exposées, auquel se superpose l’oxymore visuel généré par leur confrontation avec l’attitude et l’apparence du public, est particulièrement saisissant. Cette image encapsule en effet la dévitalisation du potentiel subversif des photographies ici mises en abyme, tout comme la réification de leur modèle opérée par leur passage des publications d’avant-garde japonaises aux musées d’art moderne occidentaux.

Fig. 11 Fukase Masahisa, [Wanibe Yōko posant sous ses photographies pendant le vernissage de l’exposition « New Japanese Photography », New York, Museum of Modern Art, 27 mars-19 mai 1974], photographie reproduite dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

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© Masahisa Fukase Archives.

Publiée par Fukase dans le livre qu’il consacre à son ex-épouse en 1978, cette image traduit le regard ironique ou désabusé que le photographe porte sur les mutations du sens de ces images d’un médium à un autre, d’une aire culturelle à une autre, et, rétrospectivement, sur celles de sa relation à leur sujet. Cependant, on doit aussi l’analyser à l’aune des textes publiés par Wanibe, notamment sur l’exposition de ses photographies en 1974 :

Sur les murs gris clair du MoMA, entre des photographies d’une statue de Bouddha d’un beau bois nervuré, d’un paisible jardin sec, d’une bouteille déformée par la chaleur de la bombe atomique, des portraits de soldats kamikaze […] on se demande ce que fait là […] cette photo de moi et ma mère, avec l’air contrarié, à moitié nues52.

Ce commentaire fait état d’un écart entre les sens attribués à son image par Wanibe, qui n’assume plus la crudité de cette nudité politique en contexte muséal, et par son mari, révélant les failles d’une collaboration artistique qui prend fin avec leur divorce en 1976. Contrairement aux critiques de l’époque, il y a donc tout à gagner à prendre en considération le discours des épouses photographiées afin de qualifier leur contribution à l’émergence de la shishashin et les négociations dont elle a pu faire l’objet. Cette prise en compte permet aussi de mieux cerner les débats entourant l’institutionnalisation de la photographie artistique au Japon et de la photographie japonaise à l’extérieur de l’archipel.

Une œuvre d’art pour les musées et le marché

Comme le montre la photographie de Wanibe au MoMA, le sujet de l’épouse dans son intimité constitue en effet une clé de passage vers les cimaises des musées de beaux-arts, étrangers et japonais, pour les photographes rattachés à la shishashin au milieu des années 1970. Par sa portée universelle, il est plébiscité par l’ensemble des acteurs engagés dans la légitimation du statut artistique de la photographie au Japon. Pour l’exposition du MoMA, destinée à présenter au public new-yorkais la nouvelle scène photographique nippone, la sélection est ainsi opérée par John Szarkowski, le directeur du département de photographie du musée, et, surtout, par Yamagishi Shōji, le rédacteur en chef de la revue Kamera Mainichi, qui œuvre depuis plusieurs années à la reconnaissance des photographes japonais sur la scène internationale53. Pour cette raison, il est difficile de déterminer la part exacte de Fukase dans le choix final des images qui l’ont représenté lors de cette exposition – sa première à l’étranger. Cependant, on peut noter qu’il s’en inspire pour d’autres expositions collectives, d’abord au Japon54 puis à Graz en Autriche55, au cours desquelles il présente exclusivement des photographies de Wanibe tirées de séries publiées depuis les années 1960 dans différentes revues, dont Kamera Mainichi et Asahi Jānaru. En outre, cette stratégie fait des émules. Participant également à l’événement de Graz, Araki choisit de présenter des photographies de son épouse, à l’occasion de sa première exposition hors des frontières du Japon.

Au milieu des années 1970, plusieurs des principaux acteurs de la photographie contemporaine japonaise se lancent donc à la conquête des cimaises muséales. Ils prennent parallèlement plusieurs initiatives pour développer un marché de la photographie d’art au Japon, afin de conférer une valeur économique à leurs œuvres à une époque où les photographes nippons vivent essentiellement de commandes. Tous deux indépendants, Fukase et Araki contribuent activement à ces initiatives, qui vont encore déchoir les images de leur « épouse modèle56 » de leurs significations premières. En 1976, ils participent ainsi à l’une des premières expositions plébiscitant l’achat de tirages originaux d’œuvres contemporaines, intitulée « Vendons photographies57 ». Organisée à Tokyo par l’équipe de Workshop, école où tous deux sont alors enseignants, la manifestation vise à légitimer l’existence d’un réseau de création photographique indépendant de ceux de la presse et de la publicité. Or, si Araki y présente des portraits d’une jeune modèle avec laquelle il travaille à l’époque, Sekimura Kisaki, Fukase choisit d’y vendre des photographies de son épouse, reprenant une partie de la sélection exposée au MoMA à laquelle il ajoute des œuvres plus récentes.

Progressivement, les travaux associés à la shishashin, et ceux de Fukase et d’Araki au premier chef, vont donc être interprétés non seulement comme le signe d’une dépolitisation des photographes, mais plus encore comme le symbole de la marchandisation des idéaux politiques qui les avaient irrigués. C’est ce que défend par exemple Kan Takayuki, dramaturge et essayiste actif dans les mouvements de gauche des années 1960, à travers une âpre critique de « Vendons photographies » et plus largement de la shishashin, parue dans Asahi Kamera quelques mois après l’exposition :

Ces photographes du « paysa-je » sont-ils vraiment si « innocents » que ça ? Il est intéressant de noter qu’Araki, Fukase et Hosoe sont tous les trois membres de Workshop et de « Nous vendons des tirages originaux » [sic]. Autrement dit, ces « je » du retour au giron, ces fuyards contemporains si sensibles, sont les promoteurs d’une marchandisation sans vergogne de l’expression photographique. […] Ces innocents-là sont bien comiques. Est-ce qu’ils ne seraient pas plutôt des déserteurs avec un très fort esprit commercial58 ?

D’autres critiques vont plus loin encore, en pointant directement la fusion que ces photographes opèrent entre leur légitimité artistique et le motif du corps de leur épouse dans la sphère privée, au profit d’un système marchand. En 1976, quelques mois après « Vendons photographies », un étudiant de Workshop, Aoki Yasuo, expose ainsi une série d’images de sa compagne épinglées aux murs de la galerie indépendante PUT à Tokyo, que les visiteurs peuvent librement détacher pour emporter chez eux. Son titre, « Donne femme59 », pastiche alors celui d’une autre exposition, « Donne photographies60 », elle-même organisée au tout début de 1976 par Shinoyama. Le titre de cette dernière s’explique par le fait que le photographe commercial y distribuait gratuitement des tirages mettant en scène le mannequin Marie Helvin, souvent à demi-nue, tirés pour l’occasion « Les vacances d’été de Marie » et parues originellement dans Asahi Kamera61. Tenue quelques semaines à peine avant « Vendons photographies », cette exposition pourrait ainsi avoir formé un contre-modèle à celle organisée par Fukase, Araki et Hosoe Eikō, tous photographes indépendants attachés à défendre la valeur marchande de la photographie artistique. Quoi qu’il en soit, « données » ou « vendues », les photographies exposées lors de ces deux événements avaient pour sujet central le corps féminin, qu’il ait été mis en scène par un photographe commercial ou capté par des photographes récemment adoubés par les instances de légitimation de la scène artistique, nippone et internationale.

Précisément, c’est ce que caricature Aoki Yasuo dans « Donne femme ». Par l’outrance de son titre et de son concept, son exposition critique la commune réification du sujet et du médium à travers la shishashin, en invitant les visiteurs à penser l’adéquation du corps féminin dénudé et de l’objet photographique sous le signe du marché. Le carton d’invitation au vernissage présente ainsi une photographie de sa compagne nue dans une salle de bains, adressant une grimace au spectateur, le sexe masqué d’un carré noir [voir Fig. 4]. Cette image forme ainsi le pied de nez du photographe aux nus commerciaux et artistiques, mais elle peut aussi être lue comme le pied de nez du modèle, moquant son photographe et les visiteurs de l’exposition, moquant un système tout entier qui repose sur l’exploitation économique de son corps.

Malgré ces critiques, les livres que Fukase et Araki consacrent à Wanibe et Aoki deux ans plus tard renchérissent sur le sujet qui a fait leur succès hors des frontières nippones. Conçus pour le public international qui est désormais le leur, ils exploitent les mêmes stratégies de décontextualisation que lors de leurs expositions. Ainsi, dans l’ouvrage de Fukase, la photographie de Wanibe dansant nue sur l’évier de la cuisine de leur appartement – initialement publiée en couleurs dans l’hebdomadaire de gauche Asahi Jānaru, au sein d’une série représentant d’autres femmes nues dans le même environnement standardisé – paraît ici en noir et blanc. Elle est de plus imprimée face à un autre portrait de Wanibe allongée sur son lit et entourée de ses chats, afin de mettre en valeur les multiples facettes de la personnalité de son modèle, et non plus de déciller les classes moyennes sur leur aliénation par le capitalisme. Après son exposition sur les cimaises des musées, sa reprise dans l’ouvrage, à l’instar d’autres photographies réalisées par Fukase autour de 1970, achève donc de la vider de sa signification politique et sociale, par la fixation du sens à laquelle contribue tout livre publié. Placée à proximité d’images de corbeaux à la tonalité funeste, elle est désormais mise au service d’un récit élégiaque, celui de la perte de l’être aimé, signifié dès la couverture par la photographie d’un portrait de Wanibe dont la vitre du cadre est brisée [voir Fig. 1], et dont l’une des clés pourrait être le cliché réalisé lors de l’exposition du MoMA [voir Fig. 11]. De même, la reprise par Araki de plusieurs photographies d’Aoki extraites du Voyage sentimental pour composer Yōko, mon amour leur ôte leur substance contestataire originelle. Intégrés dans un nouveau récit – celui de l’amour inconditionnel qu’un mari peut porter à sa femme – composé d’une multitude d’images focalisées sur Aoki, les nus et les scènes de sexe du Voyage sentimental, qui avaient pour but d’opposer une alternative émancipatrice aux représentations commerciales du corps féminin, se voient ainsi réduits à être le reflet de l’intimité d’un couple hétérosexuel à valeur universelle.

*

Replacés dans le temps long de la création et de la circulation des images qui les composent, les livres Yōko de Fukase et Yōko, mon amour d’Araki, publiés en 1978, peuvent donc être lus comme l’achèvement des mutations de la figure de l’épouse, et du processus d’effritement de sa portée contestataire dans la photographie japonaise, depuis le mitan des années 1960.

Cependant, une différence majeure les oppose. En effet, Aoki a écrit les textes de Yōko, mon amour. Bien qu’elle n’ait pas cosigné ce livre, contrairement au Voyage sentimental, et qu’elle laisse donc à son mari la paternité des œuvres qu’il lui consacre, elle continue d’embrasser son rôle de muse à travers cet ouvrage, ce qui n’est pas le cas de Wanibe. Des photographies d’Aoki, prises par Araki peu avant l’ouverture de l’exposition « Yōko mon amour »62 [Fig. 12a et 12b], accentuent ce contraste entre les deux épouses modèles. À rebours de l’image de Wanibe au MoMA en 1974 [voir Fig. 11], elles montrent Aoki dans l’espace de la galerie, debout, habillée à l’occidentale, seule dans un face-à-face avec son image devenue œuvre d’art.

Fig. 12a Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

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© Nobuyoshi Araki.

Fig. 12b Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

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© Nobuyoshi Araki.

Le destin de ces femmes et de leurs images montre ainsi l’importance de considérer le rôle de l’épouse modèle dans le processus de création et de diffusion des œuvres qui leur sont consacrées. Ainsi que nous l’avons montré, Wanibe et Aoki ont en effet contribué à l’émergence de la shishashin et ont ainsi participé – mais de manière différente – à l’institutionnalisation de la photographie artistique japonaise dans et hors de l’archipel. Une focalisation sur leur agencéité et celle des modèles féminins en général gagnerait toutefois à être croisée avec l’analyse du travail des femmes photographes abordant la question de l’intime au Japon à la même période, récemment mis à l’honneur dans un contexte post #MeToo, telle la série « Mon mari » d’Ushioda Tokuko, prise au début des années 1980 et publiée en 202263. Alors que les nus féminins d’Araki, complaisants envers un regard exoticisant sur les corps de modèles asiatiques64, ont longtemps monopolisé la représentation du Japon dans les musées, ces perspectives proposent une ouverture possible pour mieux comprendre les enjeux de la photographie du nu et de l’intime au Japon, et la place des femmes devant et derrière l’appareil dans cette économie.

1 Les noms propres sont indiqués selon l’usage japonais : Nom Prénom.

2 Fukase 1978. Par souci de simplicité, nous ferons référence aux publications par leur traduction française uniquement. Voir la bibliographie pour

3 Araki 1978. Le système Hepburn modifié employé aujourd’hui pour la translittération du japonais en alphabet latin demande d’écrire Yōko pour le

4 Yamagishi 1978, p. 4.

5 Dans la suite, nous nous référons aux deux femmes par leur nom avant leur mariage.

6 Fukase 1978.

7 Fukase Yōko 1973, p. 72.

8 Hasegawa 1984.

9 Fukase 1964.

10 Fukase 1965.

11 Fukase 1970c.

12 Oguma 2015.

13 Osawa 2020.

14 Kinoshita 2020, p. 30-31.

15 Watanabe 2018.

16 Sawaragi 1998, p. 187.

17 Fukase 1970b et 1970a.

18 Imai 2021 pour le cinéma.

19 Fukase 1971b.

20 McKnight 2012.

21 Wakamatsu 1965.

22 Fukase 1970a.

23 Fukase 1971c.

24 Fukase 1970b et 1970a.

25 Araki, 1978.

26 Araki 1971.

27 Araki 1971, p. 1. Toutes les traductions sont de l’autrice du présent article.

28 Kishi 1977, p. 404.

29 McCormick 2022.

30 Shinoyama 1968.

31 Shinoyama 1970.

32 Tatsuki 1971.

33 Shigematsu 2012.

34 Araki 2016.

35 Iizawa 2000, p. 29.

36 Yanagimoto 1971.

37 Fukase 1971a.

38 Suzuki 1997.

39 Kan 1976.

40 Yanagimoto 1976, p. 216.

41 Shigemori 1974 ; Ōtsuji 1978.

42 Shigemori 1974, p. 56.

43 Taki dans Taki, Nakahira et Suzuki 1975, p. 77.

44 Fukase 1975, p. 44.

45 Fukase 1974.

46 Fukase 1975.

47 Fukase Yōko 1974c.

48 Fukase Yōko 1974b.

49 Fukase Yōko 1973 et 1975.

50 « New Japanese Photography », New York, Museum of Modern Art (MoMA), 27 mars-19 mai 1974.

51 Fukase 1970b.

52 Fukase Yōko, 1974a.

53 Kai 2013.

54 « 15 photographes aujourd’hui » [15 nin no shashinka], Tokyo, National Museum of Modern Art, 26 juillet-1er novembre 1974.

55 « Nouvelle photographie japonaise » [Neue Fotografie aus Japan], Graz, Kunsthaus, 14 octobre-21 novembre 1976.

56 Ollman 1999.

57 [Shashin urimasu], Tokyo, galerie Shiseido The Ginza, 12-24 février 1976.

58 Kan 1976, p. 221.

59 [Onna agemasu], Tokyo, galerie Put, 29 août-11 septembre 1976.

60 [Shashin agemasu], Tokyo, galerie Minolta Space, 5 janvier-7 février 1976.

61 Shinoyama 1972.

62 [Wa ga ai, Yōko], Tokyo, galerie Nikon Salon, 20-25 avril 1976.

63 Ushioda 2022.

64 Hagiwara 2010.

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Notes

1 Les noms propres sont indiqués selon l’usage japonais : Nom Prénom.

2 Fukase 1978. Par souci de simplicité, nous ferons référence aux publications par leur traduction française uniquement. Voir la bibliographie pour les translittérations du japonais et les éventuelles traductions anglaises proposées par les éditeurs.

3 Araki 1978. Le système Hepburn modifié employé aujourd’hui pour la translittération du japonais en alphabet latin demande d’écrire Yōko pour le prénom d’Aoki et Wanibe. Toutefois, dans les années 1970, on trouve encore d’autres variations de translittération dans les titres : Yohko chez Fukase, Yoko chez Araki.

4 Yamagishi 1978, p. 4.

5 Dans la suite, nous nous référons aux deux femmes par leur nom avant leur mariage.

6 Fukase 1978.

7 Fukase Yōko 1973, p. 72.

8 Hasegawa 1984.

9 Fukase 1964.

10 Fukase 1965.

11 Fukase 1970c.

12 Oguma 2015.

13 Osawa 2020.

14 Kinoshita 2020, p. 30-31.

15 Watanabe 2018.

16 Sawaragi 1998, p. 187.

17 Fukase 1970b et 1970a.

18 Imai 2021 pour le cinéma.

19 Fukase 1971b.

20 McKnight 2012.

21 Wakamatsu 1965.

22 Fukase 1970a.

23 Fukase 1971c.

24 Fukase 1970b et 1970a.

25 Araki, 1978.

26 Araki 1971.

27 Araki 1971, p. 1. Toutes les traductions sont de l’autrice du présent article.

28 Kishi 1977, p. 404.

29 McCormick 2022.

30 Shinoyama 1968.

31 Shinoyama 1970.

32 Tatsuki 1971.

33 Shigematsu 2012.

34 Araki 2016.

35 Iizawa 2000, p. 29.

36 Yanagimoto 1971.

37 Fukase 1971a.

38 Suzuki 1997.

39 Kan 1976.

40 Yanagimoto 1976, p. 216.

41 Shigemori 1974 ; Ōtsuji 1978.

42 Shigemori 1974, p. 56.

43 Taki dans Taki, Nakahira et Suzuki 1975, p. 77.

44 Fukase 1975, p. 44.

45 Fukase 1974.

46 Fukase 1975.

47 Fukase Yōko 1974c.

48 Fukase Yōko 1974b.

49 Fukase Yōko 1973 et 1975.

50 « New Japanese Photography », New York, Museum of Modern Art (MoMA), 27 mars-19 mai 1974.

51 Fukase 1970b.

52 Fukase Yōko, 1974a.

53 Kai 2013.

54 « 15 photographes aujourd’hui » [15 nin no shashinka], Tokyo, National Museum of Modern Art, 26 juillet-1er novembre 1974.

55 « Nouvelle photographie japonaise » [Neue Fotografie aus Japan], Graz, Kunsthaus, 14 octobre-21 novembre 1976.

56 Ollman 1999.

57 [Shashin urimasu], Tokyo, galerie Shiseido The Ginza, 12-24 février 1976.

58 Kan 1976, p. 221.

59 [Onna agemasu], Tokyo, galerie Put, 29 août-11 septembre 1976.

60 [Shashin agemasu], Tokyo, galerie Minolta Space, 5 janvier-7 février 1976.

61 Shinoyama 1972.

62 [Wa ga ai, Yōko], Tokyo, galerie Nikon Salon, 20-25 avril 1976.

63 Ushioda 2022.

64 Hagiwara 2010.

Illustrations

Fig. 1 Fukase Masahisa, Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

Fig. 1 Fukase Masahisa, Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 2 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

Fig. 2 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978. Couverture, 21 × 22 cm.

© Nobuyoshi Araki.

Fig. 3 Fukase Masahisa, [La danseuse de butō Kobayashi Saga posant dans un appartement du danchi], photographie reproduite dans « Vent printanier dans le danchi », Kamera Mainichi, vol. 18, no 4, avril 1971, p. 22. 26 × 18 cm.

Fig. 3 Fukase Masahisa, [La danseuse de butō Kobayashi Saga posant dans un appartement du danchi], photographie reproduite dans « Vent printanier dans le danchi », Kamera Mainichi, vol. 18, n4, avril 1971, p. 22. 26 × 18 cm.

© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 4 Aoki Yasuo, Carton d’invitation pour l’exposition « Donne femme », Tokyo, Galerie PUT, 29 août-11 septembre 1976.

Fig. 4 Aoki Yasuo, Carton d’invitation pour l’exposition « Donne femme », Tokyo, Galerie PUT, 29 août-11 septembre 1976.

Tokyo, Collection Hama Noboru. Tous droits réservés.

Fig. 5 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p. Tirage gélatino-argentique.

Fig. 5 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p. Tirage gélatino-argentique.

© Nobuyoshi Araki. Avec l’aimable autorisation de la Taka Ishii Gallery.

Fig. 6 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p.

Fig. 6 Araki Nobuyoshi, Voyage sentimental, Tokyo : Araki Nobuyoshi, 1971, n. p.

Tirage gélatino-argentique.

© Nobuyoshi Araki. Avec l’aimable autorisation de la Taka Ishii Gallery.

Fig. 7a Nakamura Masaya, L’angle des femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » no 9. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Fig. 7a Nakamura Masaya, L’angle des femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n9. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Collection de l’autrice.

Fig. 7b Nakamura Rikkō, Photographier le nu, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » no 7. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Fig. 7b Nakamura Rikkō, Photographier le nu, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n7. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Collection de l’autrice.

Fig. 7c Inoue Kiyoshi, Perfectionner sa photographie de femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » no 21. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Fig. 7c Inoue Kiyoshi, Perfectionner sa photographie de femmes, Tokyo : Asahi Sonorama, 1976, coll. « Gendai kamera shinsho » n21. Couverture, 17 × 11,5 cm.

Collection de l’autrice.

Fig. 8 Shinoyama Kishin, 28 Girls by Kishin Shinoyama, Tokyo : Mainichi Shinbunsha, 1968. Couverture, 37 × 26 cm.

Fig. 8 Shinoyama Kishin, 28 Girls by Kishin Shinoyama, Tokyo : Mainichi Shinbunsha, 1968. Couverture, 37 × 26 cm.

Paris, Bibliothèque de la Maison européenne de la photographie, BM 68 SHI.

Fig. 9 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

Fig. 9 Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

© Nobuyoshi Araki.

Fig. 10 Fukase Masahisa, photographies extraites de la série « Depuis la fenêtre » [1973, initialement publiée dans « Yōko », Kamera Mainichi, vol. 21, no 2, février 1974], reproduites dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

Fig. 10 Fukase Masahisa, photographies extraites de la série « Depuis la fenêtre » [1973, initialement publiée dans « Yōko », Kamera Mainichi, vol. 21, n2, février 1974], reproduites dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 11 Fukase Masahisa, [Wanibe Yōko posant sous ses photographies pendant le vernissage de l’exposition « New Japanese Photography », New York, Museum of Modern Art, 27 mars-19 mai 1974], photographie reproduite dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

Fig. 11 Fukase Masahisa, [Wanibe Yōko posant sous ses photographies pendant le vernissage de l’exposition « New Japanese Photography », New York, Museum of Modern Art, 27 mars-19 mai 1974], photographie reproduite dans Yōko, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

© Masahisa Fukase Archives.

Fig. 12a Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

Fig. 12a Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

© Nobuyoshi Araki.

Fig. 12b Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

Fig. 12b Araki Nobuyoshi, Yōko, mon amour, Tokyo : Asahi Sonorama, 1978, n. p. 21 × 22 cm.

© Nobuyoshi Araki.

Citer cet article

Référence papier

Élise Voyau, « Nudité politique, nudité artistique », Photographica, 6 | 2023, 80-101.

Référence électronique

Élise Voyau, « Nudité politique, nudité artistique », Photographica [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 03 avril 2023, consulté le 08 juin 2023. URL : https://devisu.inha.fr/photographica/1142

Auteur

Élise Voyau

Élise Voyau est attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) et doctorante au département d’études japonaises de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris, rattachée à l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (IFRAE). Diplômée en histoire de l’art (École du Louvre) et en langue et civilisation japonaises (université Paris Cité), elle est lauréate en 2017 de la bourse Louis Roederer pour la photographie de la Bibliothèque nationale de France. Elle a poursuivi ses recherches de doctorat au Japon en tant que chercheuse à l’université de Tokyo et à l’université de Waseda. Ses travaux portent sur la photographie dans le Japon post-1968.