Coordonné par l’historien de la photographie Olivier Lugon et le directeur du Musée suisse de l’appareil photographique de Vevey Luc Debraine, le volume Photographie et horlogerie présente les résultats d’un séminaire universitaire et d’une exposition consacrés au croisement de la tradition horlogère suisse avec le domaine photographique1. Les moyens de ce double dispositif permettent la publication d’un ouvrage collectif richement illustré, qui présente à la fois l’intérêt d’une exploration très documentée, mais aussi les limites d’une approche strictement nationale.
Malgré les promesses d’une intersection riche en problématiques, l’histoire helvétique de la rencontre entre la technique horlogère et l’appareillage photographique ne couvre en effet qu’un groupe restreint d’expériences, essentiellement représentées par une poignée d’appareils de l’âge d’or de l’enregistrement argentique, entre les années 1930 et 1960. Le point commun de ces projets est de tenter de mettre le savoir-faire de haute précision de la tradition horlogère au service de la mécanique photographique, avec des propositions d’appareils de luxe comme le Compass (1937) ou l’Alpa (1945), qui s’avèrent souvent des échecs commerciaux. On pourra regretter que le questionnement du volume, centré sur les machines de vision, ne s’attarde pas sur les raisons de la prospérité de l’horlogerie suisse, propulsée par l’essor du marché des montres portatives haut de gamme. L’insuccès des projets photographiques élaborés sur ce modèle manifeste pourtant les contradictions qui opposent l’imaginaire du luxe horloger et les ressorts plus populaires de la démocratisation de l’outil photographique.
La discussion de l’histoire du design ou des choix du marketing, qui fétichisent la réputation horlogère suisse, apporte en revanche des éclairages bienvenus pour compléter l’approche d’histoire des techniques caractéristique du musée de Vevey. On appréciera également la description des circulations entre les milieux industriels, qui font apparaître des personnages clés, comme l’ingénieur Jacques Boolsky, dit Bolski, à l’origine de plusieurs instruments (Alpa, camera Bolex). Le volume comprend aussi des contributions consacrées à des essais d’équipements photographiques pour pigeons voyageurs, ancêtres du drone, ou à l’appareil espion Tessina (1957) de Rudolf Steineck.
Un volet se détache de cet ensemble : c’est le chapitre consacré à l’élaboration des dispositifs de photofinish, de 1946 à nos jours, cas passionnant d’interaction entre mesure du temps et image photographique, qui reste un domaine d’excellence de la technologie suisse. Face aux défauts que présentent les outils d’enregistrement chronophotographiques, qui occultent obligatoirement une partie du processus, une technologie spécifique est développée pour isoler le moment du franchissement de la ligne d’arrivée. Caractérisée par l’abandon de l’obturateur et la synchronisation du mouvement du support sensible avec le geste sportif, elle transforme l’appareil de prise de vue en capteur d’un intervalle décisif. Les images étranges et déformées des athlètes en plein effort se sont ainsi imposées comme une preuve impartiale pour départager les concurrents.