Schwartz, Vanessa R. 2020. Jet Age Aesthetic: The Glamour of Media in Motion

p. 247-248

Référence(s) :

Schwartz, Vanessa R. 2020. Jet Age Aesthetic: The Glamour of Media in Motion, New Haven (Conn.) : Yale University Press.

Texte

Contrairement à ce que peut laisser supposer sa jaquette, Jet Age Aesthetic ne propose pas une histoire de la culture visuelle de l’aéronautique, ni une étude de l’idéal de l’aérodynamisme bien connu des spécialistes du design. C’est plutôt du côté du sous-titre du livre, The Glamour of Media in Motion, qu’est annoncé son programme. Analyse historienne d’une nouvelle esthétique qui embrasse à partir des années 1950 un large spectre de supports, de l’architecture à la photographie de presse, étayée par une réflexion théorique sur la distinction entre transports et médias, le dernier ouvrage de Vanessa Schwartz impressionne par la diversité de ses sources et l’ampleur de la littérature qu’il mobilise.

Le terme « jet age » (« ère de l’avion à réaction ») apparaît aux États-Unis dans la décennie 1950 pour désigner la période en cours, avant d’être abandonné à la fin des années 1960. L’autrice se propose de questionner ce qu’a pu signifier la caractérisation d’une époque par un moyen de transport, avant même que celui-ci ne produise les transformations sociales que l’on en attendait. D’après elle, le jet n’a pas été uniquement un symbole de l’innovation technologique et un emblème de la mobilité internationale propre à l’après-guerre, marqué par l’essor du tourisme de masse et la décolonisation. Il a introduit l’expérience nouvelle d’un mouvement à grande vitesse, mais fluide et comme « désensorialisé » (« sensationless travel », p. 6). L’esthétique de la fluidité élaborée par le jet fut symptomatique et participa d’une culture médiatique qui « glamourisait » (« glamourized », p. 10) le mouvement.

La proposition théorique la plus stimulante du livre consiste ainsi à considérer les moyens de transport comme des formes de médias, les uns comme les autres permettant de véhiculer et d’altérer l’expérience subjective des individus. Les technologies de transport et de communication, historiquement liées, constitueraient un même réseau de circulation matérielle et immatérielle. En tant que période de réaffirmation de ce lien, l’ère du jet aurait produit les conditions culturelles de l’ère du numérique : l’expérience du mouvement fluide serait parfaitement exemplifiée par l’usage d’internet.

Vanessa Schwartz invite à un parcours en quatre études de cas illustrant l’omniprésence de l’esthétique de la fluidité au travers d’un « continuum culturel » (p. 189), concept repris au critique d’art Lawrence Alloway dans une conclusion qui réévalue l’influence de ce dernier sur l’origine des visual studies.

Le premier chapitre s’intéresse à l’architecture des aéroports du jet age, présentée comme une extension terrestre de l’expérience du vol en avion à réaction. La caractéristique primordiale des terminaux d’Orly ou du Los Angeles International Airport est qu’ils sont conçus dès l’origine pour l’obsolescence. Leur innovation réside moins dans leur structure que dans la gestion des déplacements des usagers, ce qui fait écho à l’orientation générale du design vers l’ergonomie. L’aéroport du jet age est donc avant tout un flux, écoulement de passagers et espace en expansion constante. Évoquant les trajectoires d’architectes comme Eero Saarinen ou William Pereira, l’étude se conclut sur l’idée qu’ils ont étendu ce principe à d’autres types de constructions et ont transformé la relation entre les individus et leurs environnements bâtis.

Ce réseau de producteurs conduit au deuxième chapitre consacré à Disneyland, projet qui a mobilisé nombre d’architectes ayant œuvré pour des aéroports. Vanessa Schwartz propose d’envisager le parc comme un autre exemple de l’esthétisation du « people-moving » (p. 58), augmenté d’une forte dimension narrative. Le récit orchestré par l’enchaînement des attractions ne peut en effet être activé que par la circulation des visiteurs. D’où l’importance des moyens de transport inventés pour le parc. L’autrice s’appuie également sur les archives d’entreprise du groupe Disney pour mettre en lumière son rôle pionnier dans l’histoire du design industriel.

La troisième étude s’intéresse à l’invention de la « jet set », une nouvelle élite définie par sa mobilité. À la fois catégorie sociale et imagerie à mi-chemin entre le portrait et la carte postale de luxe, elle est littéralement imaginée par la presse magazine. Le statut social ascendant des photographes de presse au cours des années 1960 est lui-même déterminé par leur appartenance à cette communauté qu’ils contribuent à fabriquer. L’image de la jet set, qui rend visible la vitesse croissante de l’acheminement des photographies de presse, accorde du prestige aux compagnies aériennes autant qu’aux magazines, illustrant l’histoire culturelle et technique commune des médias et des transports.

Le dernier chapitre traite du rôle de la couleur dans la photographie des magazines, en se focalisant sur la production d’Ernst Haas, dont Vanessa Schwartz fait un précédent visuel du New Journalism. Bien avant la valorisation de la couleur par la photographie d’art, le photojournalisme s’en saisit pour traduire l’expérience du mouvement fluide et exhiber la mobilité et l’éphéméralité de la prise de vue. Cette esthétique populaire de la couleur infuse l’imaginaire hollywoodien, par le biais des collaborations de Haas ou Richard Avedon avec l’industrie cinématographique.

Chacune des parties du livre est richement documentée et illustrée, mais leur traitement est inégal : les deux premières études sont solidement articulées, tandis que les deux suivantes sont plus indépendantes. La démarche de l’ouvrage, qui consiste en un montage d’études de cas a priori disparates permettant de saisir par esquisses un phénomène culturel englobant, apparaît cependant fructueuse et rappelle les travaux antérieurs de Vanessa Schwartz1.

La conclusion du livre note que le jet age se clôt sur l’ère des détournements d’avions et le contrôle accru de l’espace des aéroports. Quelques lignes supplémentaires auraient pu être accordées aux mutations de l’esthétique du jet dans la culture populaire de la fin du xxe siècle, alors que les promesses de la mondialisation s’étiolent et que le spectre de la crise climatique se profile. La définition du glamour associé d’emblée au jet n’est de fait guère explicitée ; peut-être est-ce ce qui manque pour penser la perte de séduction du voyage aérien.

1 Vanessa R. Schwartz, Spectacular Realities : Early Mass Culture in Fin-de-Siècle Paris. Oakland (Calif.) : University of California Press, 1998 ; It

Notes

1 Vanessa R. Schwartz, Spectacular Realities : Early Mass Culture in Fin-de-Siècle Paris. Oakland (Calif.) : University of California Press, 1998 ; It’s so French ! Hollywood, Paris, and the making of cosmopolitan film culture. Chicago (Ill.) : University of Chicago Press, 2007.

Citer cet article

Référence papier

Laura Truxa, « Schwartz, Vanessa R. 2020. Jet Age Aesthetic: The Glamour of Media in Motion », Photographica, 6 | 2023, 247-248.

Référence électronique

Laura Truxa, « Schwartz, Vanessa R. 2020. Jet Age Aesthetic: The Glamour of Media in Motion », Photographica [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 21 mars 2023, consulté le 08 juin 2023. URL : https://devisu.inha.fr/photographica/1237

Auteur

Laura Truxa

EHESS