Hippolyte Bayard, [Enseigne du marchand de chevaux Kamingant], Batignolles, Paris, 1840-1849
Négatif sur papier, 21,9 x 16,3 cm [24-N-VII.011, « 24 Bayard VII/11 »].
Coll. Société française de photographie (SFP).
Depuis la publication de l’ouvrage Hippolyte Bayard. Naissance de l’image photographique en 1986, ce négatif papier de Bayard était connu sous le titre « Marchand de chevaux, Mingant, avenue de Wagram1 ». Au paysage urbain se mêle un autoportrait, mais seulement à demi fixé, le visage de Bayard restant invisible et son corps figurant en transparence. Voyez-le, les mains posées en haut des cuisses, appuyé sur la borne dans l’embrasure de cette porte ouvrant sur une cour déserte. Au-dessus de lui, la façade de l’immeuble présente ses fenêtres aux persiennes closes. Est-ce l’été ?
Il y a quelques mois, en cherchant les premiers photographes qui s’étaient intéressés aux enseignes de boutique, j’ai croisé cette image réalisée par Bayard. Elle m’apparaissait, contrairement à beaucoup d’autres photographies où les enseignes sont là parce qu’elles font partie du décor urbain, toute concentrée sur ce tableau peint à même le revêtement du mur, au-dessus du porche. S’y niche une image dans l’image grâce à cette enseigne d’assez belle facture représentant trois chevaux et leurs cavaliers.
En déchiffrant les lettres dessinées sur l’arrondi de la porte, on peut lire « Kamingant - Md de chevaux » – et non Mingant. Ce patronyme rare nous mène sur la trace d’un certain Belbedat de Kamingant, loueur de cabriolets au 9 rue des Moulins (Batignolles), dont le nom apparaît dans une déclaration de faillite d’août 18432. Il s’agit en fait probablement de Fidèle Étienne Betbedat – et non Belbedat – de Kamingant, fils d’un serrurier, né à Melun le 16 mars 1810 et décédé aux Batignolles le 21 octobre 18493. Sa trajectoire s’écrit en pointillé : loueur de cabriolets au 10 rue du Faubourg-Poissonnière en 18344, il gère une entreprise de déménagement en 1835 au 3 bis de la même rue5 ; puis il réapparaît aux Batignolles en 1843 – son fils y est né en 1840 –, mais il est introuvable sur les bottins commerciaux des années 1839-18426.
Revenons à Bayard. Celui-ci aurait donc pris cette photographie au 17 rue des Moulins après 1843, puisque la cour semble désaffectée et qu’il n’y a plus ni chevaux ni cabriolets. De l’autre côté de la barrière de Clichy, au-delà du Paris de 1840, la rue des Moulins, parfois appelé rue ou impasse du Moulin (aujourd’hui rue Pierre Ginier, dans le 18e arrondissement), est une voie perpendiculaire à la Grande rue (avenue de Clichy) avant la fourche, située non loin du domicile du photographe, 91 rue de la Paix (rue La Condamine). Ouverte en 1837, elle mène aux trois moulins des Batignolles, et en particulier au moulin de la Poule – où se trouvait un cabaret –, situé sur le versant occidental de la butte Montmartre, « sur un mamelon formé par des dépôts successifs de déblais de carrière7 ». Dans cette topographie aujourd’hui un peu oubliée, Bayard déambule souvent : il photographie sa rue, le café Barre à la barrière de Monceau, une vieille bâtisse dite « maison du menuisier », le percement de la rue Tholozé, ou encore les moulins de la butte. On imagine bien ses pérégrinations, son passage amusé devant ce porche voisin, prenant plaisir à se placer à cet endroit précis, sous cette enseigne peinte, dans ce quartier en pleine transformation où cohabitent l’abandonné – cette cour, dont la vue est entravée par une cloison – et le nouveau – l’arbrisseau, les pavés bien rangés du trottoir –, où les rues remplacent peu à peu les chemins.