Summer of Love, 1967

DOI : 10.54390/modespratiques.334

p. 300-307

Traduit de :
Summer of Love, 1967

Texte

Dennis L. Maness est aujourd’hui à soixante-quatorze ans à la retraite. Pendant quarante-et-un ans, il a été bibliothécaire à la San Francisco Public Library. En 1967, il débarque de Los Angeles et photographie le Summer of Love, en spectateur vite impliqué. Il vit depuis cinquante-trois ans avec sa femme Gloria, enseignante auprès d’enfants sourds. Dennis collectionne les photographies, les appareils photographiques, l’artisanat et la littérature des Konkow Maidu, une tribu indigène du nord de la Californie, les chemises hawaïennes (Aloha shirts), les vinyles de musique hawaïenne et de musique celtique, les instruments de musique et quantité de livres. Sa femme, quant à elle, est passée du macramé – elle a conservé quelques pièces de la fin des années 1960  au tricot et au point de croix.

« Durant l’été 1967, la protestation contre la guerre au Vietnam s’amplifiait, et la guerre des Six Jours se terminait à peine. Les émeutes raciales se multipliaient à Tampa, Buffalo, Newark, Detroit, et Washington DC. Qui pouvait refuser d’entendre ce qui se passait ? Qui pouvait ne pas s’enflammer ? Qui pouvait ne pas être tenté de se mettre en marge de la société ? Certains disent que le Summer of Love a commencé avant, en janvier 1967 quand les “Gathering of the Tribes for a Human Be-In”, comme ils étaient appelés par le premier numéro du San Francisco Oracle, ont commencé dans le Golden Gate Park, avec des orateurs comme Allen Ginsberg, Michael McClure, Gary Snyder, Lawrence Ferlinghetti et Timothy Leary. The Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service et le Jefferson Airplane jouaient devant une foule de 20 000 à 30 000, préfigurant les réunions de l’été suivant dans ce parc. Le mouvement a pris de l’ampleur en juin, au Monterey International Pop Festival où plus de 50 000 personnes ont écouté Big Brother and the Holding Company, The Grateful Dead, Country Joe and the Fish, les Mamas and the Papas, les Who, les Byrds, Otis Redding, Jimi Hendrix, Grace Slick et Janis Joplin.

Le Summer of Love a aussi une date de mort. Du fait de la montée du “crime”, des changements de drogues, de la paranoïa à l’égard du FBI, de la peur de la récupération commerciale et de l’agacement devant la multiplication des hippies occasionnels aux allures de touristes, le 6 octobre, une parade et une cérémonie ont célébré la mort du mouvement hippie. Un cercueil gris où était écrit “Summer of Love” a été, selon les différents récits, soit, a) brûlé lors de fausses obsèques, soit b) enterré dans le Panhandle Park.

Au cours de ces quelques mois, l’endroit où il fallait être était Haight Ashbury (ou the Hashbury comme de nombreuses personnes l’appelaient, et pour cause). On y trouvait partout des posters psychédéliques annonçant les groupes qui venaient jouer au Fillmore, au Winterland ou dans la salle de bal Avalon. La parade permanente de freaks et de visages était étonnante. Les odeurs d’encens et de patchouli planaient partout, et les odeurs de bouffe avaient de quoi vous rendre raides dingues. Si vous passiez dans les 13 m2 du Digger’s store appelé “Free Frame of Reference”, vous pouviez vous servir en fringues gratuites ou en papier, et vous pouviez trouver des soins gratuits à la Free Clinic. Tous les jours à 4 heures de l’après-midi, les Diggers distribuaient de la bouffe gratuite. On entendait aussi tout le temps le “ding-ding-ding” quasi hypnotique des petites cymbales accompagnant les dévots d’Hare Krishna.

La Gray Line Bus Company s’est mise à proposer une excursion de deux heures à travers la “Sodome de Haight” (Sodom of Haight), annoncée comme le “seul tour à l’étranger dans les limites continentales des États-Unis”. En réponse, les hippies ont brandi des miroirs devant les vitres des bus… les touristes ne pouvaient ainsi voir que leur propre reflet… Les magasins vendaient tout l’attirail nécessaire pour se droguer et de l’artisanat fait maison – des “perles d’amour”, et des colliers, et des badges, et des plumes, et des signes peace & love, et des choses en cuir, et plein de trucs véritablement indescriptibles. Le long de Haight, j’ai vu une publicité pour des “Love-burgers”, à 25 cents. Pas mal d’entre nous n’avaient pas eu le temps de se laisser pousser la barbe et les cheveux, mais on portait des châles à motif cachemire et des tissus tie-dye – le tie-dye était partout… La nudité en public n’était pas rare mais on préfère tous laisser dans la brume du passé nos histoires d’amour libre…

Mais pour moi les endroits les plus importants étaient Love-Iris et Be-Iris dans le Polo Field, ou la Sharon Meadow dans le Golden Gate Park, ou encore la colline des hippies (Hippie Hill), où l’on planait sur le son envahissant des percussions. L’important n’était pas tant d’écouter de la bonne musique – et elle l’était – mais d’être là avec des esprits libres, tripant sur la musique et les vibrations, usant de substances “réglementées”. Si vous ne preniez ni herbe, ni LSD, ni de petits champignons rigolos, vous étiez dans un état second juste par le fait d’être là. (Précision : rien à voir avec ce que chantait Donovan à propos de “mellow-yellow”, la peau de banane séchée n’a jamais marché). Et même les flics pouvaient devenir amicaux : quand ma fille de deux ans s’est paumée dans la foule, elle a retrouvé le sourire dans les bras d’un immense flic. Aujourd’hui encore elle se souvient d’avoir été assise sur les genoux de gens qui fumaient des clopes à l’odeur étrange.

Je n’ai pas fait de photos à Hashbury parce que je pouvais pas me payer des films couleur et que le noir et blanc ne rendait pas justice à son atmosphère. Et je n’ai pas fait non plus de photos des groupes de musique. Je voulais attraper les gens de la foule, ceux qui étaient là pour participer à ce “happening”. Faire le portrait de ceux qui allaient ensuite se faire tuer au Vietnam, ceux qui allaient mourir d’overdose, ou ceux qui allaient devenir des Américains moyens – médecins, avocats, employés de magasin, et même bibliothécaires…

Un jour, en cherchant à m’approcher d’un concert, je suis tombé sur un trio de Hell’s Angels. Ils m’ont arrêté et m’ont demandé ce que je ferais s’ils me prenaient mon appareil photo. J’ai dit que je leur filerais… et c’était la bonne réponse puisqu’ils se sont marrés et m’ont laissé partir. Les choses se sont passées autrement deux ans plus tard lors du concert gratuit des Rolling Stones à Altamont : ils ont poignardé cinq fois Meredith Hunter, une jeune afro-américaine de dix-huit ans, et l’ont laissé mort au pied de la scène. Les temps avaient changé.

C’était l’été avant l’offensive du Têt et le massacre de My Lai par des soldats américains ; c’était l’été avant que la police se heurte violemment aux pacifistes qui manifestaient à Chicago devant la Convention nationale du parti démocrate ; c’était avant qu’ils ne tuent Martin et Bobby. C’était le Summer of Love. Peace. Dennis L. Maness. »

Document annexe

Citer cet article

Référence papier

Dennis L. Maness, « Summer of Love, 1967 », Modes pratiques, 2 | 2017, 300-307.

Référence électronique

Dennis L. Maness, « Summer of Love, 1967 », Modes pratiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 21 février 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/334

Auteur

Dennis L. Maness