It’s Always Summer on the Inside

La combinaison du surfeur, une seconde peau

DOI : 10.54390/modespratiques.416

p. 292-303

Outline

Text

Sans titre

Sans titre

1966. Le surf entre de plain-pied dans l’âge moderne. Les balbutiements des années 1920, infusés dans une tradition hawaïenne séculaire et oubliée, ont laissé place à l’apogée de l’ère californienne. Les années 1960 définissent les codes du surf contemporain, dans les vagues comme hors de l’eau, imprimés sur pellicule et dans les mémoires.

Après deux années de tournée auprès des surfeurs sur les côtes ouest et est des États-Unis, le cinéaste Bruce Brown parvient à signer une distribution nationale pour son petit film au budget de 50 000 dollars. Remonté légèrement, magnifié par un passage du 16 au 35 mm, distribué par Columbia Pictures, Endless Summer devient le premier – et l’un des seuls à ce jour – succès populaire du cinéma surf, fort de plus de 30 millions de dollars de recettes. Brown tend la main au grand public et ce dernier s’empare du paradigme énoncé dans le film : l’ambition candide de suivre l’été à travers le monde au gré des hémisphères. L’été sans fin, c’est l’utopie d’une vie en surf trunk, ce short en toile de coton épaisse que le monde entier s’apprête à adopter. Sauf que le climat doux de la Californie, alors le centre d’une planète surf encore plate, est contrebalancé par un courant froid venu des tréfonds du Pacifique. Supportable au printemps/été, la température de l’océan proscrit toute sortie longue dans les vagues du Golden State une fois l’hiver venu. Pour lutter contre l’hypothermie qui les guette, de nombreux surfeurs continuent à revêtir de gros pulls en laine imbibés d’huile, aux propriétés calorifiques des plus limitées. La solution tiendra dans la rencontre d’un géant de l’industrie pétrochimique avec ce sport de niche. Seulement voilà, le coup de foudre ne sera pas instantané…

Frigor mortis

Un ticket pour une première projection de The Endless Summer à Dana Point, Californie.

Un ticket pour une première projection de The Endless Summer à Dana Point, Californie.

© Collection particulière

Après la production d’explosifs, la société américaine DuPont se frotte aux polymères dans les années 1920 et découvre, en 1928, le néoprène, puis en 1935, le nylon. Le succès de ce dernier va éclipser dans un premier temps le néoprène, tout premier caoutchouc synthétique. Son imperméabilité à l’eau comme aux huiles et carburants, sa résistance à la chaleur, font pourtant du néoprène une matière de choix pour le câblage téléphonique, les joints et autres isolants. Si à la fin des années 1930, le néoprène pénètre modestement le marché des biens de consommation, présent dans des semelles de chaussures ou encore des gants, l’entrée en guerre des États-Unis en 1941 sonne son retrait du marché. Sa production ne faiblit pas, au contraire, mais elle est désormais intégralement destinée aux forces armées. Il faut attendre la fin du conflit mondial pour que DuPont remette la main sur sa création et développe la production de néoprène, à des fins industrielles essentiellement (tuyaux, gaines, courroies…). Si la vulcanisation du néoprène bat son plein, ses vertus calorifiques demeurent encore inconnues des rares surfeurs de l’époque, quelques centaines peut-être sur le continent américain. Ceux-ci en sont encore à l’âge de pierre et la basse température de l’eau continue à être un frein au développement de la pratique en dehors du foyer historique hawaïen et de son émule sud californien.

De l’homme-grenouille au surfrider

En 1951, Hugh Bradner, physicien à Berkeley et membre du projet Manhattan durant la Seconde Guerre mondiale, travaille sur son temps libre à la création de combinaisons de plongée destinées à l’U.S. Navy, en s’appuyant sur les propriétés du néoprène. Parmi elles, la plus intéressante est la faculté d’une combinaison réalisée dans cette matière à laisser circuler un filet d’eau entre le corps et le néoprène. Au cours du processus de vulcanisation du caoutchouc, de minuscules poches d’air se forment au cœur du latex ; cette présence d’air au sein de la combinaison permet alors à la pellicule d’eau d’atteindre rapidement la température corporelle. Cette trouvaille de Bradner a pour conséquence d’écarter le choix d’une étanchéité totale et permet de diminuer de façon considérable l’épaisseur de l’isolant synthétique.

Un surfeur et plongeur californien, Bev Morgan, hérite d’une copie du rapport de Bradner tout juste terminé et s’appuie sur ces découvertes pour confectionner lui aussi des combinaisons dès 1952, destinées aux plongeurs de l’Institut d’océanographie Scripps à La Jolla. Un an plus tard, Morgan ouvre la boutique de plongée Dive N’ Surf à Redondo Beach et, peu après, s’associe à deux autres plongeurs/surfeurs, Bill et Bob Meistrell, qui s’essayent également de leur côté à la réalisation de combinaisons à partir de 1953 (cofondateurs de la marque de combinaisons Body Glove, en 1965). Pourtant, le succès populaire n’est pas immédiat. De nombreux surfeurs tournent le dos à la combinaison, considérée notamment comme un vêtement efféminé. Bien décidé à briser cette image, Bev Morgan convoque les meilleurs surfeurs du sud de la Californie par une journée de 1959 à Redondo Beach et offre à chacun une combinaison. Deux semaines plus tard, sa boutique Dive N’ Surf aurait reçu 2 500 commandes de combinaisons. Pourtant, ni Bradner, ni Morgan, ni les Meistrell ne laisseront leur empreinte dans le sable, comme effacés par une vague venue de San Francisco.

« Right place, right time »

L’atelier de combinaisons O’Neill à Santa Cruz, Californie, année 1970.

L’atelier de combinaisons O’Neill à Santa Cruz, Californie, année 1970.

© O’Neill archives.

Tout dans l’histoire – la légende – de Jack O’Neill [1923-2017] emprunte au schéma typique de la success story du sportswear, forgé à partir des années 1970 : la rencontre d’un modèle technologique disruptif et d’un storytelling bien ficelé, centré autour d’un héros charismatique si possible. Tout y est : l’anecdote d’où surgit l’eurêka, les débuts dans un garage, le slogan emblématique, le gourou énigmatique… Ni inventeur ni pionnier de la combinaison de néoprène, O’Neill est l’incarnation commerciale de la combinaison de surf, instigateur d’un modèle économique dont le futur surf business va s’emparer.

Né en 1923 dans le Colorado, Jack O’Neill grandit dans le sud de la Californie, puis en Oregon, avant de regagner la côte pacifique à la fin des années 1940 pour y décrocher une licence en lettres et sciences sociales et humaines à San Francisco. Après quelques petits boulots, il ouvre une première boutique de surf en 1952, baptisée on ne peut plus explicitement « Surf Shop », installée dans un garage sur le front de mer d’Ocean Beach, le spot de surf le plus fréquenté de Frisco. Ce simple modèle de magasin regroupant planches, accessoires et vêtements techniques, est en lui-même une première, alors qu’au sud de la Californie, épicentre du surf mondial à cette époque, seuls quelques artisans-fabricants de planches ont pignon sur rue. À l’ombre du Golden Gate plus qu’ailleurs, le besoin de lutter contre le froid se fait sentir chez les surfeurs et, la petite histoire veut que la curiosité d’O’Neill ait été piquée en observant, lors d’un vol à bord d’un DC-3, le revêtement en néoprène de l’allée centrale de l’appareil. Toujours en 1952, O’Neill a donc l’idée de confectionner une veste isolante à l’aide de cette matière, qu’il teste sur sa propre personne. À l’instar de Bev Morgan dans le sud de l’État, le succès de cette pièce de néoprène auprès des surfeurs du Nord n’est pas immédiat et fait écho à une formule désormais culte au sein de la communauté surf : « Right place, right time. » Pour O’Neill non plus, ce n’est ni le bon endroit, ni le bon moment. Encore trop tôt, car le nombre de surfeurs n’est pas suffisamment étoffé dans les années 1950 pour qu’un effet de levier se produise et propulse le vêtement néoprène comme pièce intégrante de la panoplie du surfrider.

Pas découragé pour autant, Jack O’Neill jette son dévolu sur la ville de Santa Cruz, à une centaine de kilomètres au sud de San Francisco. Malgré un relatif isolement, la ville connaît un véritable essor de sa population de surfeurs, bientôt gonflée par l’ouverture d’un des plus grands campus du réseau University of California. Jack O’Neill mise sur ce bourgeon et y ouvre une seconde boutique en 1959. Cette fois, c’est le bon moment. Et le bon endroit.

Le pirate du caoutchouc

Jack O’Neill à Santa Cruz, Californie, en 1982.

Jack O’Neill à Santa Cruz, Californie, en 1982.

© Dan Coyro/ The Santa Cruz Sentinel, via Associated Press.

Jack O’Neill avec ses fils Pat and Mike.

Jack O’Neill avec ses fils Pat and Mike.

En 1970, il inventa la supersuit, une nouvelle combinaison en néoprène dans laquelle on pouvait souffler de l’air et être plus à l’aise et reconnaissable au cas où on se retrouvait perdu au milieu de l’océan, en attendant les secours.

© O’Neill archives.

S’il s’appuie essentiellement sur la vente de planches, O’Neill est convaincu de tenir dans sa veste néoprène un futur bestseller. Il écume alors les salons nautiques du pays et fait la démonstration de son produit, n’hésitant pas à plonger ses trois enfants dans une cuve remplie de glace pour ajouter à l’effet. À ce stade, la désignation combinaison est usurpée, puisque le modèle dit intégral (veste plus pantalon, en une seule pièce) n’est pas encore adopté, et les surfeurs s’inspirent du schéma couche sur couche prisé par les plongeurs, à savoir un long john (une silhouette façon salopette) surmonté d’une veste dotée d’une Fermeture éclair frontale. Cette dernière pièce deviendra iconique de la panoplie du surfeur des années 1960, de par son beaver tail (« queue de castor »), un appendice créé par le rabat à l’entre-jambes que les surfeurs laissent ballant pour évoluer plus librement.

Mais le contact direct du caoutchouc sur l’épiderme s’avère peu agréable et entrave l’enfilage de la combinaison, obligeant les surfeurs comme les plongeurs à l’emploi de talc, si bien que Jack O’Neill a l’idée de doubler le néoprène d’une couche intérieure de jersey de nylon. Voilà les deux inventions du DuPont enfin réunies ! Non seulement le confort devient incomparable, mais ce jersey laminé a pour vertu d’accroître considérablement la longévité des « combinaisons », évitant au caoutchouc de se fendre.

Tandis qu’Endless Summer est à l’affiche de toutes les salles de cinéma du pays en 1965, O’Neill lui répond par un slogan publicitaire qui traversera plusieurs décennies : « It’s always summer on the inside. » L’effet Endless Summer est phénoménal et la croissance du nombre de pratiquants exponentielle. Et O’Neill de bénéficier de cet « edge », cette courte avance sur une concurrence qui ne va pas tarder à se manifester, premier à proposer une combinaison intégrale en 1970. Un accident de surf l’année suivante lui vaudra de perdre un œil et paradoxalement de gagner un statut quasi mythique, portant un cache-œil et une barbe qui ne sont pas sans évoquer un pirate légendaire : Long John Silver. Un visage devenu le meilleur ambassadeur publicitaire de la marque O’Neill et qui lui survivra, alors que le pionnier de la combinaison s’éteint au printemps 2017 à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

Mais à peine O’Neill décolle sur le plan commercial début seventies qu’un vent nouveau souffle sur ce sport pourtant si jeune. Tandis que la Californie, et par extension les États-Unis, s’affiche en héraut du cool, incarné par des surfeurs esthètes sur de très longues planches, une révolution s’amorce dans l’hémisphère sud dès la toute fin des années 1960. Oui une révolution, car c’est ainsi qu’elle sera baptisée, celle du « shortboard ». L’Australie rattrape en effet son retard avec vigueur et va opérer une rupture majeure dans l’histoire moderne du surf, véhiculant sans aucun doute à travers ce sport une mentalité collective bien distincte de sa cousine américaine. Non seulement les surfeurs australiens vont raccourcir en un temps record la longueur de leurs planches, bouleversant au passage tous les canons du design et de la technique, mais ils vont également raccourcir l’apprentissage d’une économie construite autour des vagues, en s’appuyant sur ces deux attributs du surfeur que sont le boardshort et la combinaison.

L’ère de la professionnalisation

« It’s Always Summer on the Inside » annonce presse pour la marque O’Neill.

« It’s Always Summer on the Inside » annonce presse pour la marque O’Neill.

Surfer Magazine volume 7, 1971.

Le même slogan, annonce-presse, dessin original de l’artiste Rick Sharp. Surfer Magazine volume 16, 1975

Le même slogan, annonce-presse, dessin original de l’artiste Rick Sharp. Surfer Magazine volume 16, 1975

© Collection particulière.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

Le dessin fut commandé à Jim Phillips, le célèbre illustrateur californien

© Collection particulière.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

Le dessin fut commandé à Jim Phillips, le célèbre illustrateur californien

© Collection particulière.

À l’image du binôme à succès que forment Jack O’Neill et Santa Cruz aux États-Unis, la ville de Torquay dans le Victoria australien va devenir le berceau de la plus puissante industrie liée au surf dans le monde. Tout comme Santa Cruz baigne dans des eaux froides, la région de Torquay, à 100 kilomètres au sud-ouest de Melbourne, voit les excellentes conditions de surf de ce grand sud australien inhibées par une température de l’eau peu engageante, qui ne dépasse que rarement les dix-huit degrés. C’est là, au printemps 1969, que Doug Warbrick et Brian Singer décident de financer leurs sessions de surf en se lançant dans la fabrication de planches sous le label Rip Curl, installés dans une ancienne boulangerie de Torquay. Six mois plus tard, ils sont rejoints par un autre surfeur du cru, Alan Green. « Greeny » bénéficie d’une petite expérience dans l’univers de la plongée et propose de se lancer dans la fabrication de combinaisons sur sa machine à coudre Pfaff 138 Zig Zag. Les trois associés connaissent un succès quasi immédiat et Green de proposer la création d’une seconde marque, dédiée davantage au textile : Quiksilver. Warbrick et Singer revendent leurs parts à Green trois ans plus tard et chaque compagnie de voler de ses propres ailes, alors que rapidement, Quiksilver investit également le marché de la combinaison.

Si ces deux marques connaissent une ascension fulgurante, c’est que la mainmise des surfeurs australiens est totale sur une scène sportive balbutiante. Tandis que les surfeurs américains sont embrumés dans les vapeurs d’un flower power bientôt flétri, leurs pairs « ozzies » se font les chantres d’un style résolument agressif et athlétique. Et ainsi les deux jeunes marques Rip Curl et Quiksilver d’accompagner cette ascension inéluctable de ceux qu’on surnommera bientôt les « Bronzed Aussies », une poignée de surfeurs australiens qui, non contents de truster les podiums internationaux, s’affichent en promoteurs d’une nouvelle image du sport : propre, combative, glam et vendeuse. En un mot, professionnelle.

Le succès commercial d’O’Neill, Rip Curl et Quiksilver va ainsi permettre une large diffusion des combinaisons à l’international et élargir le champ des possibles à de nouvelles contrées, à commencer par le Vieux Continent, où l’usage du néoprène est une nécessité dix mois sur douze. Le Royaume-Uni, la France, puis l’Espagne et le Portugal rejoignent le bal des nations de surf, au point de rapidement former un pilier économique qui rivalise avec Amérique du Nord et Australie. Ces marques pionnières de l’industrie du surf seront bientôt rejointes par de nombreuses autres, et la plupart vont ainsi poursuivre une croissance folle sans quasiment la moindre interruption, et ce jusqu’aux années 2000, avant d’amorcer un grand déclin entériné par la crise financière mondiale de 2008. Si le textile – pour ne pas le réduire au t-shirt logotypé – constitue la corne d’abondance de ce secteur durant toute cette période, le matériel technique n’est pas pour autant négligé par ces marques, bien conscientes que la pérennité de leur (forte) identité est intimement liée à la connexion entretenue avec la base de pratiquants. La combinaison devient ainsi un étendard de leur authenticité, plus que la planche de surf en elle-même, dont la fabrication et la commercialisation sont négligées par les marques leaders, autant par calcul économique (des marges réduites) que pour des motifs culturels (le caractère artisanal de la planche et la proximité producteur-client restent privilégiés à ce jour).

Soixante ans d’évolution

Porter un regard sur plus d’un demi-siècle de développement de la combinaison de surf, c’est en premier lieu le constat d’une innovation relativement modeste. Certes les combinaisons de 2017 font preuve de qualités thermiques, de confort et d’une souplesse incomparablement supérieurs aux premières « intégrales » des années 1970, mais à aucun moment, un « saut quantique » n’est venu remettre en question le canon établi en 1951 par Hugh Bradner. La recherche sur ce vêtement technique qu’est la combinaison s’est ainsi attelée à répondre aux besoins essentiels que sont : chaleur, confort, liberté de mouvement et enfin légèreté. Bien sûr, il suffirait d’augmenter l’épaisseur du néoprène pour assurer une meilleure barrière thermique… au risque de transformer le surfeur en scaphandrier. Historiquement, une épaisseur de cinq millimètres s’est installée comme valeur maximale pour la pratique du surf, et suffit à résister à une température de l’eau comprise entre douze et huit degrés, à savoir l’hiver dans le nord de la Californie ou en Europe. Ce n’est pas tant une lutte contre l’élément extérieur qui s’est engagée de la part des ingénieurs du secteur, mais davantage une réflexion sur la déperdition calorifique à l’intérieur même de la combinaison. Premier facteur aggravant, un ajustement pas suffisamment optimisé, qui autorise les infiltrations « massives » d’eau aux extrémités, au cou principalement, et permet la formation de poches d’eau fraîche à l’intérieur de la combinaison. D’un patronage en cylindre à quatre panneaux, la combinaison en a compté quinze à vingt, puis plus récemment ce nombre a été réduit, notamment en raison de systèmes de fermeture toujours plus minimalistes.

Dans le souci d’épouser les formes du surfeur, la majorité des marques ont adopté un système de tailles proposant des gabarits intermédiaires : Medium Tall (une longueur L pour un corps en M) ou encore Medium Small (une longueur S pour un corps en M). Quelques rares enseignes de niche se sont lancées dans la confection sur-mesure mais à ce jour seule la marque néo-zélandaise Seventhwave perdure dans ce créneau élitiste, avec une portée régionale uniquement.

Voies d’eau

Second axe de recherche, les coutures qui viennent assembler les différents panneaux de la combinaison. Véritables ponts thermiques, elles participent à la déperdition de chaleur de par la perméabilité formée par les points de couture. Le surjet, ou couture bord à bord, a rapidement été abandonné et pas uniquement pour son effet passoire, mais principalement en raison du bourrelet formé par la couture, source d’irritations douloureuses. L’adoption de la couture à plat dite flatstitch ou flatlock, en superposant légèrement les deux panneaux de néoprène, a permis un gain de confort considérable mais c’est véritablement la technique du collé-cousu qui s’est imposée comme étalon actuel de la confection. Il s’agit ici d’une technique de collage doublée de points invisibles, ou points cachés, réalisés à l’intérieur de la combinaison, qui ne traversent pas la matière de part en part, et sont dissimulés par un galon généralement. Face extérieure, un joint vient protéger le scellement chimique des panneaux.

Les coutures sont à la fois le talon d’Achille des combinaisons, soumises à rude épreuve par les enfilages/désenfilages répétés et une exposition prolongée à l’eau de mer, mais aussi un marqueur de qualité que les marques valorisent parfois par une garantie à vie. Leur expertise en la matière est ici incontestable. Enfin, l’ennemi, ce n’est pas seulement la température de l’eau, mais aussi le vent. Ainsi, pour éviter le phénomène de refroidissement par évaporation sous l’effet du vent, une feuille de caoutchouc à la fonction déperlante (sharkskin) est collée sur la surface du tronc s’agissant de combinaisons destinées à un usage hivernal. Quant au rêve d’une combinaison chauffante, les marques Quiksilver et Rip Curl y ont répondu par des technologies faisant appel à des résistances alimentées par batterie au cours des années 2000 : une véritable innovation à laquelle la communauté surf n’a pas adhéré. Entre le coût élevé de ces modèles et un cycle de vie limité du néoprène, le grand public n’a pas jugé viable un tel investissement.

Un vêtement de sport

Si le caractère isolant demeure la fonction la plus prisée dans une combinaison, cette qualité n’arrive que de peu devant la souplesse auprès des pratiquants. Alors que l’évolution sur la vague ne représente pourtant que 10 % environ du temps d’une session – les déplacements et l’attente constituent l’essentiel du temps passé dans l’eau –, ces courts instants de glisse ne sauraient être entravés par le carcan de la combinaison. Ainsi, la recherche d’une liberté de mouvement optimale a poussé les marques à faire évoluer les propriétés dynamiques du néoprène. En exploitant le carbonate de calcium présent dans le calcaire, l’entreprise japonaise Yamamoto parvient dès 1961 à produire du chloroprène, l’élément de base nécessaire à la production de néoprène. Le résultat, c’est un caoutchouc synthétique plus extensible, à la capacité d’étirement multidirectionnel, et par conséquent plus moulant que le néoprène issu de l’industrie pétrochimique. Rapidement adopté, ce néoprène associé à une doublure en jersey de nylon ou de polypropylène, va offrir une extensibilité folle aux combinaisons des années 1990. Les marques de surf rivaliseront alors d’inventivité pour communiquer sur les qualités d’extensibilité de leurs combinaisons, à grand renfort de superlatifs : superstretch, megastretch, ultrastretch, hyperstretch… Cette même Yamamoto Corporation réalisera par ailleurs une autre avancée conséquente dans le secteur en appliquant sur le néoprène un fin revêtement en alliage métallique à forte teneur en titane, capable de refléter la chaleur corporelle et ainsi d’éviter sa dissipation.

De pair avec ces innovations dans le registre flexibilité/extensibilité, le système de fermeture des combinaisons a fait l’objet de nombreuses évolutions. D’une Fermeture éclair frontale peu commode en position allongée dans les années 1960, le zip dorsal a dominé des années 1970 à début 1990. S’il facilite l’enfilage, son étanchéité laisse à désirer et surtout, il crée une zone de tension dans le dos qui vient nuire aux qualités dynamiques de la combinaison. Remplacé par une fermeture frontale horizontale, intégrée à un rabat sur la poitrine, il a imposé aux fabricants de revisiter les techniques d’enfilage, pour un résultat convaincant, largement adopté par les surfeurs. En optimisant ce rabat poitrine-épaule, quelques marques sont parvenues également à concrétiser le rêve d’une combinaison « zip less », verrouillée uniquement par un fermoir à cordon, mais dont l’enfilage relève encore parfois du contorsionnisme !

Entre prise de conscience environnementale et écoblanchiment, le secteur du surf a développé ces dix dernières années des combinaisons qui, à défaut d’être propres à 100 %, font preuve de gros efforts en termes de sourcing et de transparence. Fer de lance de cette combinaison durable, la marque d’outdoor Patagonia a rapidement évoqué les limites du néoprène de calcaire qu’elle utilisait pourtant, une matière biologique souvent décrite à tort comme écologique. Celle-ci nécessite un processus de transformation tout aussi énergivore que le pétrole et fait appel à une ressource fossile également limitée. La marque s’est alors tournée dans un premier temps vers la sève de cactus pour développer un néoprène produit à 60 % à base de caoutchouc naturel. Mais depuis 2016, Patagonia va encore plus loin en optant pour une autre matière première, la sève d’hévéa, issue de ses propres plantations durables certifiées FSC (Forest Stewardship Council), pour proposer des combinaisons produites à 85 % à partir de matière organique. Des émissions de CO2 réduites de 70 %, une étape de vulcanisation disparue, du polyester recyclé pour les doublures, une colle sans solvant à base d’eau… La combinaison de 2017 ne conserve plus que la couleur du pétrole.

Stylisme, la fin du normcore

L’univers stylistique du surfwear est marqué depuis toujours par le règne de la couleur, des motifs et imprimés, comme autant de rappels explicites des racines géographiques du sport : les îles du Pacifique, les palmiers, les fleurs, les couchers de soleil californiens… À côté de cette débauche de clichés chamarrés, la combinaison de surf fait figure de monolithe noir kubrickien. Uniforme égalitaire ou degré zéro du style ? La récurrence du noir est avant tout pragmatique : il absorbe davantage les rayons du soleil et retient la chaleur, tout comme il permet de masquer les impuretés glanées dans la matière au fil du temps… Coloriser une combinaison – ou plus exactement le jersey qui la recouvre – est pourtant un geste artistique dont s’emparent régulièrement les designers, sans réel succès, sur le principe du colorblocking, à savoir la juxtaposition de couleurs criardes. Là encore, les desiderata des stylistes sont régulièrement freinés par les contraintes techniques de ce « vêtement de mer », dont les coloris perdent de leur superbe une fois imbibés d’eau – d’où l’emploi de couleurs vives, voire « néon » – et, progressivement, au contact répété de la cire antidérapante qui recouvre les planches de surf…

Ce champ d’action limité n’a pas empêché la naissance au cours de cette seconde moitié des années 2010 d’un grand nombre d’acteurs indépendants dans le secteur du néoprène. Ces marques de niche répondent à la multipolarisation des pratiques qui caractérise ces vingt dernières années. À chaque famille sa combinaison : shortboarders, longboarders, néo-rétro… La popularité grandissante du surf – on estime à 23 millions le nombre de pratiquants à travers le monde – a permis de provoquer un effet de seuil et ces micro-marques de trouver un modèle économique, non pas nourri par l’innovation technologique mais par une identité visuelle, un storytelling adapté à leurs publics distincts. Ne serait-ce qu’en France, ils sont une poignée à tenter le pari du néoprène, que ce soit en misant sur des classiques français (la marinière chez Saint-Jacques Wetsuit), des coupes néo-dandy (Cetus) ou encore une esthétique « ludo-punk » (Wetty Wetsuit). Les ponts entre le monde de la mode des catwalks et la combinaison de surf sont d’ailleurs nombreux : on se souvient des créations en néoprène de Yohji Yamamoto dans les années 1980 et 1990, ou encore de Nicolas Ghesquière pour Balenciaga début 2000, calquées sur les silhouettes et finitions des combinaisons de plongée. De Marc Jacobs (Louis Vuitton, 2002) à Alexander McQueen (2007), MiuMiu (2008), Lagerfeld (Fendi, 2009) ou encore Gaultier (2011), nombreux se sont frottés au néoprène, prisé pour sa tenue, capable de supporter des structures aux volumes impressionnants. De ses caricatures de l’homme-grenouille, il reste aujourd’hui des matières techniques comme le scuba knit, un tricot double en polyester et élasthanne, qui mime le rendu du néoprène et figure aussi bien sur les étiquettes de Tommy Hilfiger que de O’Neill. Une perméabilité entre des univers qui traduit l’appropriation – après le boardshort – de la combinaison de surf par le monde du prêt-à-porter, et le glissement progressif du surf dans le secteur du sportswear et de l’outdoor (les sports de plein air).

« Animal. The Skin That Conquers Winter! », publicité pour la marque de combinaisons O’Neill, vers 1975

« Animal. The Skin That Conquers Winter! », publicité pour la marque de combinaisons O’Neill, vers 1975

© Collection Modes pratiques.

« The best cold water wetsuit in the world », publicité pour la marque australienne Rip Curl, années 1980.

« The best cold water wetsuit in the world », publicité pour la marque australienne Rip Curl, années 1980.

© Collection particulière.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

© Collection particulière.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

© Collection particulière.

Illustrations

Sans titre
Un ticket pour une première projection de The Endless Summer à Dana Point, Californie.

Un ticket pour une première projection de The Endless Summer à Dana Point, Californie.

© Collection particulière

L’atelier de combinaisons O’Neill à Santa Cruz, Californie, année 1970.

L’atelier de combinaisons O’Neill à Santa Cruz, Californie, année 1970.

© O’Neill archives.

Jack O’Neill à Santa Cruz, Californie, en 1982.

Jack O’Neill à Santa Cruz, Californie, en 1982.

© Dan Coyro/ The Santa Cruz Sentinel, via Associated Press.

Jack O’Neill avec ses fils Pat and Mike.

Jack O’Neill avec ses fils Pat and Mike.

En 1970, il inventa la supersuit, une nouvelle combinaison en néoprène dans laquelle on pouvait souffler de l’air et être plus à l’aise et reconnaissable au cas où on se retrouvait perdu au milieu de l’océan, en attendant les secours.

© O’Neill archives.

« It’s Always Summer on the Inside » annonce presse pour la marque O’Neill.

« It’s Always Summer on the Inside » annonce presse pour la marque O’Neill.

Surfer Magazine volume 7, 1971.

Le même slogan, annonce-presse, dessin original de l’artiste Rick Sharp. Surfer Magazine volume 16, 1975

Le même slogan, annonce-presse, dessin original de l’artiste Rick Sharp. Surfer Magazine volume 16, 1975

© Collection particulière.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

Le dessin fut commandé à Jim Phillips, le célèbre illustrateur californien

© Collection particulière.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

The O’Neill Factory, Santa Cruz, annonce presse publiée dans Surfer Magazine, 1973.

Le dessin fut commandé à Jim Phillips, le célèbre illustrateur californien

© Collection particulière.

« Animal. The Skin That Conquers Winter! », publicité pour la marque de combinaisons O’Neill, vers 1975

« Animal. The Skin That Conquers Winter! », publicité pour la marque de combinaisons O’Neill, vers 1975

© Collection Modes pratiques.

« The best cold water wetsuit in the world », publicité pour la marque australienne Rip Curl, années 1980.

« The best cold water wetsuit in the world », publicité pour la marque australienne Rip Curl, années 1980.

© Collection particulière.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

© Collection particulière.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

« Our Winter Gang », « 3 Degrees of Warmth », publicité pour la marque de combinaisons Body Glove, vers 1975.

© Collection particulière.

References

Bibliographical reference

David Bianic, « It’s Always Summer on the Inside », Modes pratiques, 3 | 2018, 292-303.

Electronic reference

David Bianic, « It’s Always Summer on the Inside », Modes pratiques [Online], 3 | 2018, Online since 18 September 2023, connection on 22 January 2025. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/416

Author

David Bianic