« La mode ne varie jamais en Icarie »

Ou comment s’habiller en communiste au xixe siècle

DOI : 10.54390/modespratiques.338

p. 108-123

Plan

Texte

Espérant le départ en masse de ses disciples icariens vers l’Amérique au début du mois de février 1848, pour les habiller d’un uniforme communiste, Étienne Cabet envisage d’acheter 3 000 mètres de velours noir sur coton pour tuniques, 3 000 mètres de flanelle rouge uni pour gilets, 1 500 chapeaux en feutre gris, 1 500 paires de souliers napolitains, 1 500 paires de bottes, 1 500 paires de sabots1 Surviennent la Révolution et la proclamation de la République. Le projet d’émigration doit être reconsidéré, il devient plus modeste, mais il n’est pas abandonné. Cabet est l’un des réformateurs sociaux les plus entreprenants et imaginatifs des années 18402, son Icarie est l’une des propositions qui marque le socialisme utopique français au milieu du xixe siècle, contemporaine du Fouriérisme de Victor Considerant, des idées de Louis Blanc ou de Pierre Leroux, des aspirations ouvrières exprimées dans le journal l’Atelier, des premières réflexions du jeune Proudhon et de bien d’autres encore3. Son utopie, Icarie, a une particularité toutefois, elle a fait l’objet d’une longue expérimentation dans le réel, pendant cinquante ans, aux États-Unis4. Dans le projet de la communauté icarienne comme dans sa réalisation, la question du vêtement est posée. La documentation disponible pour l’étudier est presque exclusivement textuelle : outre les innombrables brochures de Cabet5, ses journaux, notamment le Populaire qu’il a publié entre 1841 et 18516, les ouvrages et les journaux de ses adversaires, les centaines de lettres de migrants icariens adressées à leurs proches restés en Europe qui sont conservées au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France7.

Depuis l’écriture de son Voyage en Icarie dans les années 1830, Cabet s’interroge. Comment penser un terme à l’histoire du costume, son ultime perfection, une mode qui pourrait ne plus jamais avoir à changer ? Comment s’habillera-t-on quand le bonheur de l’humanité sera complet, après la victoire des partisans de l’égalité ? Faut-il d’ores et déjà adopter une tenue particulière pour signifier l’engagement en faveur des idées communautaires, pour montrer, dans l’espace public, le spectacle rassurant ou inquiétant, c’est selon le projet, progressif ou brutal, des travailleurs communistes qui s’emploient à conquérir leurs droits, leur dignité d’hommes et de citoyens ? Comment doit s’habiller un communiste, en intellectuel bourgeois ou en ouvrier révolté ? L’habit noir pourrait-il convenir ou la blouse bleue s’impose-t-elle ? Et qu’en est-il pour les femmes ? Le bon vêtement communiste est-il compatible avec un souci d’individuation, le souci de sa personne qu’un homme comme Robespierre, modèle de la plupart des communistes, a porté jusqu’à la manie ? Ou l’imaginaire des communistes porte-t-il, dès le premier xixe siècle, à l’adoption d’un uniforme, celui du prolétaire en guerre perpétuelle, arboré un siècle après par Fidel Castro, Che Guevara ou Mao Zedong ?

La fin de la mode dans un monde parfait

Pour les communistes des années 1840, il y a des précédents marquants dans l’histoire du costume militant : les sans-culottes de 1793 ou, plus près et très différents, les saint-simoniens du début des années 1830 qui ont adopté des vêtements particuliers voire un costume complet pour manifester leur foi enthousiaste, pour signifier l’idée qu’ils se faisaient du progrès politique, social et moral. Étienne Cabet, surtout, Théodore Dezamy, Richard Lahautière, JeanJacques Pillot, les auteurs ouvriers du journal Le Travail à Lyon ou les rédacteurs de L’Humanitaire à Paris sont parmi les tout premiers théoriciens du communisme en France. Ils se sont interrogés sur la meilleure manière de se vêtir, sur l’apparence la plus communiste, inégalement, parce qu’ils se sont très diversement projetés dans ce que serait la vie après l’avènement de la communauté.

Le Voyage en Icarie de Cabet, rédigé alors qu’il se trouve en exil à Londres, entre 1834 et 1839, est publié à Paris le 1er janvier 18408. Il s’agit d’un roman où il décrit un monde merveilleux, pas si lointain, pas tout à fait improbable, mais parfait, sans le moindre désagrément pour personne, sans la moindre disgrâce nulle part. Il raconte le bien-être absolu, l’infinie beauté de la vie, l’état de bonheur perpétuel qui enveloppent tout dans ce pays à peine imaginaire, grand comme la France, dont les habitants ont adopté le système de la communauté cinquante ans plus tôt, après une courte révolution de quelques jours.

Dans cette société sans classes, où l’inégalité est combattue sous toutes ses formes, où personne n’aspire à la moindre distinction, c’est la loi qui prescrit l’habillement dans ses moindres détails. Ici, pas de braconnage individuel, de coquetterie mal placée, de puérile vanité, pas d’invention singulière du quotidien vestimentaire. La loi est adoptée par la Représentation nationale qui suit, dans ce domaine comme dans tous les autres, les indications d’un comité de savants. Les spécialistes, hygiénistes, médecins, dessinateurs, artistes peintres, tailleurs, cordonniers, modistes, ont examiné les vêtements, les coiffures, les chaussures de tous les pays et consulté tout le monde : ils ont proposé les formes, les couleurs, la liste des vêtements que les Icariens peuvent porter ou non. Ils les ont classés en distinguant le nécessaire, l’utile et l’agréable. Ils ont privilégié ce qui leur a semblé « gracieux », « pur », « simple », « élégant », « commode », et rejeté les couleurs ou les dessins « bizarres » ou « sans goût ». Chaque famille possède le livre « magnifique » de ces prescriptions vestimentaires9.

L’uniformité est la règle, à peine nuancée. Tout le monde a les mêmes vêtements mais des particularités existent qui sont celles de l’âge, du sexe, de la profession, de toutes les circonstances de la vie et des diverses positions des personnes, marié, veuf, remarié, célibataire, « tout est indiqué par le vêtement10 », comme souvent dans la société réelle des années 1830-184011. En Icarie, pas de jalousie possible, pas d’envie : toutes les personnes d’une même condition portent le même uniforme, mais puisque des milliers de conditions sont possibles, il existe des milliers d’uniformes. Pour réfuter l’idée que l’ennui pourrait néanmoins en résulter, Cabet soutient que la ville n’est pas moins belle quand toutes les maisons d’une même rue sont identiques si toutes les rues sont différentes, c’est le choix de l’urbanisme élégant qui prévaut, selon lui, dans les beaux quartiers de Regent’s Park à Londres ou de la rue de Rivoli à Paris. Pour convenir à tout le monde, quelle que soit la taille, la morphologie, les vêtements, les chapeaux, les chaussures sont fabriqués en matériaux élastiques, ils sont disponibles gratuitement dans les magasins nationaux12. Leur entretien est assuré dans les blanchisseries nationales où le travail est fortement mécanisé.

En décrivant Icarie, Cabet multiplie les scènes de la vie heureuse, destinées à émerveiller son lecteur, où se mêlent l’uniformité vestimentaire, l’impression de propreté générale, la propension à la politesse et le consentement à l’ordre : « Neuf heures vont sonner ; attendons un moment pour voir arriver les enfants. Les voici ! regardez ! tenez, voici toute une rue ! Ne dirait-on pas une petite armée composée de douze compagnies, de tailles, d’âges et d’uniformes différents ? Tous les enfants de chaque famille se sont rendus, sous la direction de l’aîné, dans un bâtiment de leur rue ; et tous les enfants de cette rue, réunis dans ce bâtiment, se sont rangés par âge et par école sous la direction du plus âgé de chaque école, et sont partis tous ensemble pour venir ici sous la direction d’un des aînés. Ce soir, en quittant l’école, ils se rangeront ici par familles dans l’ordre des maisons de leurs rues, et, la petite troupe parcourant sa rue, chaque famille quittera la bande pour entrer dans sa maison, après avoir dit amicalement adieu à ses camarades. Vous voyez combien ils sont propres, avec leurs uniformes pour chaque âge, et combien ils paraissent heureux, au milieu de leur discipline, en arrivant à l’école13 ! »

La mode ne varie jamais en Icarie14, mais il y a des ateliers de modistes. C’est dans un atelier de fabrication de chapeaux, toques, turbans, bonnets qu’est décrite la joie des femmes au travail : « Quelle vue ! Deux mille cinq cents jeunes femmes travaillant dans un seul atelier, les unes assises, les autres debout, presque toutes charmantes, avec de beaux cheveux relevés sur leurs têtes ou tombant en boucles sur leurs épaules, toutes portant d’élégants tabliers sur leurs robes élégantes ! Entre leurs mains la soie et le velours aux couleurs éclatantes, des dentelles et des rubans, les fleurs et les plumes, les superbes chapeaux et les gracieux bonnets ! » Le travail se fait en silence au début de la journée, puis les ouvrières chantent en travaillant dans la « plus charmante gaieté ». Les conditions de travail sont excellentes, la décoration de l’atelier, les odeurs parfumées15, la lumière, l’absence de bruit : « Les plus élégantes parures de tête naissent par milliers chaque matin entre les mains de leurs jolies créatrices, comme les fleurs aux rayons du soleil, et au souffle du zéphyr ». Les ouvrières délibèrent entre elles le règlement spécial qu’elles s’imposent, élisent elles-mêmes leurs chefs, procèdent à la division du travail, à la distribution des tâches, tout se fait dans l’ordre le plus parfait, le plus efficace, le plus productif : « on aurait dit l’armée la mieux disciplinée16 ! »

Pour décrire la construction d’une rue, un chantier réunissant cinq ou six cents ouvriers « de toute espèce », les mots sont presque les mêmes. Comme tous les travailleurs en Icarie, le maçon est un homme heureux parce que tout ce qui se passe autour de lui est efficacement ordonné : « Ne dirait-on pas que tout cet ensemble ne forme qu’une seule et vaste machine, dont chaque rouage remplit régulièrement sa fonction17 ? » Des précautions sont prises, surtout, pour que le métier ne soit ni dangereux, ni salissant : « Voyez aussi que de précautions prises pour éviter la poussière et la boue ! Voyez même comme tous ces vêtements de travail ont un air de propreté. Ce matin, tous ces ouvriers, c’est-à-dire tous ces citoyens, sont arrivés à six heures, amenés presque tous par les voitures publiques. Ils ont déposé leurs habits bourgeois pour prendre leurs habits de travail qui les attendaient dans le vestiaire ; et à une heure, quand ils cesseront le travail de la journée, tous reprendront leurs habits bourgeois et les voitures communes ; et si vous les rencontriez, vous qui ne connaissez que les maçons des autres pays, vous ne les prendriez certainement pas pour des maçons rentrant de leur travail. » Contrairement à ce qui arrive trop souvent alors dans la société, ici, la honte de celui qui a les mains sales dans l’espace public, de celui qui doit se déplacer en ville dans un vêtement de travail dégoûtant, est épargnée à l’ouvrier du bâtiment18.

La belle allure républicaine

L’uniforme du citoyen est distribué aux jeunes gens à l’âge de vingt-et-un ans. Les Icariens le portent quand ils siègent, chaque mois, dans les assemblées populaires. Lors des réunions de la Représentation nationale, le public est admis. Il y a six mille personnes dans les tribunes suspendues au-dessus des deux mille députés : les costumes des hommes sont « éclatants », les toilettes des femmes « élégantes » et « brillantes19 ». En plus des vêtements dédiés aux réunions publiques, aux déplacements, au travail ou au domicile, à la chambre, chaque Icarien dispose d’un « élégant » habit de salon, d’un « magnifique » habit de fête ou de cérémonie. La république n’est pas avare quand il s’agit de vêtir mieux que dignement son peuple, de donner une émouvante et belle solennité au moindre de ses rassemblements.

Le monde auquel aspire Cabet et dont il veut faire partager le rêve, notamment aux femmes, écrit-il, parce qu’elles seront les plus efficaces prosélytes du communisme, n’est pas un univers spartiate, gris, austère, triste. Dans le roman, Eugène, un jeune peintre français, exilé, qui séjourne en Icarie, écrit, enthousiaste, à son frère : « Je viens te parler des femmes : ô mon bon Camille, que tu aimerais ces Icariens, toi si galant et si passionné, comme moi, pour ce chef-d’œuvre du Créateur, si tu voyais comme ils les entourent de leurs soins, de leurs respects et de leurs hommages […] et comme ils les embellissent, elles déjà naturellement si belles, pour avoir plus de plaisir à les adorer ! Heureuses femmes ! Heureux hommes ! Heureuse Icarie ! Malheureuse France ! C’est donc dans le vêtement des femmes surtout que tu trouverais à admirer : non seulement ton œil avide serait charmé d’y voir tout ce que tu connais de plus fin, de plus délicat, de plus ravissant en étoffes, en couleurs et en formes, mais il serait, dans certaines occasions, aussi étonné de la pompe des plumages qu’ébloui de l’éclat des bijoux et des pierreries20. » Il est précisé immédiatement que les plumes sont artificielles comme les fleurs qui ornent les chapeaux et que les pierreries sont fabriquées, que l’or n’est que plaqué sur un autre métal et que tous ces ornements ne sont accessibles qu’à partir d’un certain âge. Les Icariens détestent les femmes coquettes et les séductrices sont traitées comme des criminelles, des incendiaires, des empoisonneuses. La jeune fille admirable est d’une pudeur extrême. Quand elle n’est pas chez elle ou à l’atelier, elle cache son visage, son « teint de lis et de rose », ses cheveux tombant en boucles sur les épaules, sous un large chapeau et un voile épais, elle ne donne à voir que l’élégance de sa tournure générale et la grâce de ses mouvements21. Cabet n’est pas un niais d’une insondable candeur qui applaudirait, sans cesse, lui-même, à l’aveu de ses fantasmes les plus mièvres : docteur en droit, il est un ancien procureur général, un ancien dirigeant d’associations patriotiques, un ancien député de l’extrême gauche, un ancien notable du parti républicain qui a subi l’exil politique22. Il veut être lu et compris par les classes populaires, c’est son projet d’écriture. Le Voyage en Icarie est destiné à plaire aux ouvriers, et à convertir leurs femmes à la république et au communisme. Cette profession de foi est une des plus subversives des années 1840. Donner à rêver un monde sans la moindre forme de laideur matérielle ou morale, le moindre désordre politique et social, procède d’une intention de séduction, d’émotion, sans doute, mais aussi, de la critique la plus radicale possible du monde réel dans lequel vivent ces ouvriers23. Dans une brochure publiée en 1841, dont le titre dit déjà presque tout, La femme, ses qualités, titres, droits. Son malheureux sort dans la présente société. Cause du mal. Remède. Son heureux sort dans la Communauté24, Cabet écrit : « Parlons d’abord de la femme du Peuple ou des Prolétaires. Combien naissent dans la misère, sur la paille, ne recevant de leur père qu’un sang vicié et de leur mère qu’un lait insuffisant, se traînant dès leurs premiers pas dans la fange, et s’habituant ainsi à la saleté et aux haillons ! Oh ! Que la femme, enfant, jeune ou vieille, fait peine à voir en cet état si contraire à ses grâces et à sa beauté ! Je n’oublierai jamais la douloureuse impression que me causa, à Londres, la vue d’une jeune Irlandaise, à peine couverte de quelques lambeaux, les pieds nus dans la boue, pendant l’hiver, tandis que d’inhumaines marquises ou duchesses l’éclaboussaient avec les roues de leurs carrosses ! […] Si tant d’innocentes enfants sont élevées dans la saleté, couvertes de haillons, ressemblant presque à de petits animaux qui barbotent dans la fange, tandis que la petite fille du riche est si propre, si bien peignée, si bien vêtue, si fraîche et si gracieuse, est-ce leur faute ou le crime de l’organisation sociale25 ? »

Les vêtements de l’égalité

Dans une brochure, parue un an plus tôt, Ni châteaux ni chaumières, ou état de la question sociale en 1840, le communiste néobabouviste Jean-Jacques Pillot développe une critique plus explicite encore, le ton est sensiblement plus virulent : « Quoi ! Parce qu’il se trouvera quelques hommes qui auront des fantaisies bizarres, des désirs extravagants, des goûts dépravés, l’humanité tout entière devra se condamner sciemment à la misère, pour que ces fantaisies, ces désirs et ces goûts soient satisfaits ; il faudra qu’elle consente à se réfugier dans quelques misérables chaumières qui ne la garantiront même pas des intempéries des saisons, afin que quelques-uns de ses membres puissent habiter des châteaux immenses dont ils n’occuperont pas la centième partie. Il faudra qu’elle se couvre de haillons, afin qu’ils puissent se couvrir d’étoffes précieuses, d’or et de pierreries. Il faudra qu’elle travaille la nuit et le jour pour leur procurer la possibilité de ne travailler jamais26. » Il ajoute : « La société a pour but de donner à chacun de ses membres, la plus forte somme de bien-être possible, en lui assurant satisfaction de ses besoins véritables ; et chacun doit à la société, en échange de ce bien-être qu’il en reçoit, d’employer toutes ses facultés au bien-être de tous. De là, cet axiome qui renferme toute la loi égalitaire : Qui fait ce qu’il peut, fait ce qu’il doit. Chacun a droit à la satisfaction de ses véritables besoins lorsque tous possèdent le nécessaire. L’utile et l’agréable sont distribués dans les mêmes proportions que le nécessaire ; le superflu est banni de toute société basée sur les principes de l’égalité27. » Dans une autre brochure, publiée la même année, Histoire des Égaux ou moyen d’établir l’égalité absolue parmi les hommes, il écrit, plus menaçant : « L’avenir est à l’équité ; malheur aux monstres dont les besoins ne seront point satisfaits par la condition commune à l’espèce28 ! ! ! » Il réfute l’affirmation des publicistes qui, appelant les communistes à l’ajournement de leurs projets, soutiennent que l’inégalité serait nécessaire à l’efficacité économique et sociale : « S’il n’y avait pas des gens, nous disent-ils encore sur un ton doctoral, s’il n’y avait pas des gens qui possédassent des habitations plus brillantes que celles du peuple, et des vêtements plus précieux que les siens, qui se nourrissent de mets plus délicats que ceux qu’il peut se procurer, il ne respecterait personne, refuserait de s’acquitter de ses devoirs les plus justes, et ne voudrait vivre que dans un désordre affreux. Donc le peuple n’est pas digne de l’Égalité29. »

Dans le deuxième et dernier numéro de leur journal, paru en août 1841, les rédacteurs de L’Humanitaire développent une polémique avec La Fraternité, le journal de Richard Lahautière30. L’objet du conflit est le spiritualisme que professeraient les ouvriers lyonnais, dont Lahautière a pris le parti, qui rédigent eux aussi un journal communiste, Le Travail. S’ils revendiquent le matérialisme, les hommes de L’Humanitaire, Charavay et ses amis, demandent à leurs adversaires de ne pas les confondre avec les « utilitaires » : « Les utilitaires sont des hommes dénaturés qui regardent leurs semblables comme les instruments de leurs plaisirs. Ils veulent jouir aux dépens de tout ce qui les entoure ; et ils n’estiment les jouissances qu’autant qu’ils les possèdent exclusivement et que les autres ne peuvent se les procurer : plus les autres souffrent plus ils jouissent. Leur bonheur est un bonheur de comparaison. L’illusion, chez eux, prend la place de la réalité. Par exemple, le luxe, les modes, toutes les futilités inaccessibles au plus grand nombre sont dans leur imagination des joies infinies ; dès que l’usage d’une forme d’habit, de meuble, etc., s’étend, ils en changent, et, en ceci, ils ne consultent jamais la commodité, la salubrité, mais l’amour des exclusions et des distinctions. » Pour eux, le type de l’utilitaire est le marquis de Sade : « Ainsi comme on le voit, le système utilitaire repose sur cette horrible maxime, que quelques hommes privilégiés sont faits pour exploiter leurs semblables, jouir de leurs personnes comme de leurs productions, en se livrant à tous les écarts d’une organisation dépravée31. »

Théodore Dezamy se rapproche des positions de Jean-Jacques Pillot, des rédacteurs de L’Humanitaire, des néobabouvistes en général, quand il rédige et publie en 1842, son Code de la Communauté. Ancien secrétaire de Cabet, à ses côtés encore à la fin de l’année 1841 quand il combattait les communistes matérialistes et révolutionnaires, il propose un contre-projet à l’utopie icarienne. Sur la question du vêtement, il innove, même si c’est, apparemment, bien peu :

Personne ne pensera sans doute quels communistes soient obligés de proscrire rien qui sert véritablement à la parure, ni les bijoux, ni les fleurs, ni les parfums ; car, on le sait, un des principes généraux de la Communauté, c’est de rechercher partout le nécessaire, l’utile et l’agréable ! Mais j’insiste sur ce point que la règle première de la Communauté doit être de tout accorder à l’hygiène et au développement des organes, rien à la mode et à la frivolité. Par là on évitera, entre autres choses, ces énormes gaspillages qui résultent nécessairement des variations multipliées dans le costume. Qu’en règle générale, tous les vêtements soient semblables ; mais qu’on sache combiner l’uniformité avec la variété des formes et des couleurs32.

Comme Cabet dans le Voyage en Icarie, il propose que les Égaux, les habitants de sa communauté, adoptent des uniformes par sexe, par classe d’âge, des costumes de chambre, d’atelier, d’assemblée, de fête… Dans un autre ouvrage, Calomnies et politiques de M. Cabet. Réfutation par des faits et par sa biographie, il précise les nuances qui le séparent pourtant de l’auteur du Voyage en Icarie : « Ce n’est pas au Peuple à se faire Bourgeois, mais à la Bourgeoisie à se faire Peuple33. »

S’habiller pour essayer le communisme

Cabet cherche à s’imposer comme dirigeant unique de l’ensemble des communistes, il prétend au contrôle exclusif de toutes les activités en faveur de la communauté. Il combat sans ménagement les théoriciens des communismes différents du sien. Il s’oppose à eux sur les modalités violentes ou non de la prise du pouvoir, sur le statut de la science sociale ou de l’utopie, sur le mariage et la famille, sur ce que sera l’homme communiste à la fin de l’histoire, un bourgeois ou un prolétaire. Les mots, le discours haineux ou fraternel, violent ou policé, les attitudes, rassurantes ou menaçantes, le comportement en général, la retenue, la maîtrise ou l’emportement, la colère, sont des marques de distinction entre le prolétaire, révolutionnaire même après la victoire, et l’ouvrier pacifique qui a intégré l’essentiel des normes de la bourgeoisie après les avoir admises comme état ultime de la dignité humaine. Le costume compte, les projets diffèrent pour habiller l’homme et la femme communistes dans le monde fictif ou futur des Égaux, ils attestent, d’une manière souvent allusive, mais forte, la diversité des imaginaires communistes, la réalité des clivages qui séparent les différentes écoles de ce parti au début des années 1840.

Cabet soutient que la propagande légale et pacifique rend possible la transition progressive vers l’idéal du communisme, le terme de la modernité politique et sociale. Il crée un journal, Le Populaire de 1841, et il parvient à développer un réseau de lecteurs, de disciples, particulièrement dévoués. Les « communistes icariens » adoptent ce nom en 1842 pour qu’on les distingue des communistes révolutionnaires, de ceux qui revendiquent l’héritage de Babeuf et de Buonarroti. Isolé politiquement, craignant qu’ils se mêlent aux convulsions révolutionnaires dont il perçoit les prémisses, en mai 1847, il appelle ses disciples à fuir la France où, dit-il, ils sont persécutés. Il les appelle à quitter leur patrie pour aller fonder Icarie en Amérique. Cabet demande à ses disciples de se préparer au départ, de se moraliser, de s’instruire toujours plus. Il leur annonce qu’il faudra verser un apport de six cents francs par migrant, il exclut d’emblée les vrais prolétaires de la fondation d’Icarie. Aux pionniers de l’expérimentation politique et sociale, aux « soldats de la Fraternité », il faut évidemment un costume spécial. Dès la première livraison d’une brochure publiée à partir d’août 1847, Réalisation d’Icarie, il évoque la question du costume : « Le costume est partout vicieux et déraisonnable. Nous choisirons, même avant le départ, aussitôt que la chose sera raisonnable, pour les hommes, pour les femmes et pour les enfants, pour le travail et pour le repos, le vêtement le plus parfait sous tous les rapports de la commodité, de la simplicité et de l’élégance. Et pour trouver cette perfection, nous solliciterons toutes les idées et tous les plans34. »

Costume de l’avant-garde, trousseau des émigrants

Une première avant-garde de soixante-neuf hommes est constituée pour aller fonder Icarie dans le nord du Texas. Quand ils quittent Paris par le train, le 29 janvier 1848, quand ils défilent dans les rues du Havre le 2 février, en silence, en rang par deux, se tenant par le bras, la veille de leur départ pour La Nouvelle-Orléans, ils portent un uniforme : une tunique de velours noir, un gilet de flanelle rouge, des souliers napolitains et un chapeau de feutre gris. Sur la dunette du navire au moment de prendre la mer, en passant devant l’extrémité de la jetée où sont assemblés quatre ou cinq cents spectateurs qui les acclament, dans cette tenue, ils entonnent le Chant du départ icarien. Cabet en est bouleversé : « Enfin, le jeudi 3 février à neuf heures du matin, s’est accompli l’un des plus grands actes, nous le croyons, dans l’histoire du genre humain. L’avantgarde, partant sur le Rome, a quitté Le Havre pour voguer sur l’Océan et vers Icarie35. » Il prévoit immédiatement le départ d’une deuxième avant-garde de mille ou mille cinq cents membres qui pourrait partir dès le mois de mars. C’est à cette occasion qu’il imagine acheter au plus vite et en gros, pour bénéficier du meilleur prix, 3 000 mètres de velours noir sur coton pour tuniques, 3 000 mètres de flanelle rouge uni pour gilets, 1 500 chapeaux en feutre gris, 1 500 paires de souliers napolitains, 1 500 paires de bottes, 1 500 paires de sabots36… La Révolution de février est une surprise pour lui, elle contrarie ses projets, elle rend impossible l’organisation de départs massifs. La deuxième avant-garde ne part finalement que le 3 juin et elle ne comporte que vingt-et-un membres, une troisième avant-garde de vingt-trois hommes quitte Le Havre le 28 septembre. À cette date, annoncés depuis le mois de juillet, les premiers départs de familles entières, du Havre et de Bordeaux, sont imminents. La montée en puissance de l’anticommunisme partout en France, les sanglants événements de juin à Paris, l’impatience des Icariens et le sentiment des responsabilités engagées envers ceux qui sont déjà là-bas ont conduit finalement à relancer le projet d’émigration. Après les trois avant-gardes, un grand départ de Bordeaux et quatre grands départs du Havre sont organisés entre les mois d’octobre et décembre. En tout, quatre cent quatre-vingt-cinq icariens, hommes, femmes et enfants, quittent la France avant la fin de l’année 1848 pour aller fonder Icarie en Amérique. Tous voyagent dans l’uniforme qui leur est fourni. Pour les femmes, après deux réunions et un vote unanime, il a été défini avec un soin extrême : « Un peignoir ou pardessus en mousseline, laine couleur grenat, belle qualité, à coulisses tout autour, à revers avec petit col rabattant, foncé sur les épaules, larges manches à revers, ouvert devant pour être boutonné à volonté, les revers, le col et le devant garnis d’un lacet de laine gros bleu, plus court que la jupe de 15 centimètres, avec un col uni et rabattant37. » Cabet croit devoir ajouter un commentaire, laissant percevoir une légère inquiétude : « Les costumes ayant pour but de rappeler notre principe de fraternité et d’égalité, nous espérons qu’aucune icarienne ne voudra se distinguer de ses sœurs par plus de richesse dans le costume adopté. »

Outre l’apport en argent, le prix du voyage, le transport des malles à payer jusqu’au Havre ou Bordeaux, tous doivent emporter le même trousseau. Pour que tous les Icariens se sentent à égalité parfaite en Icarie, ils préparent tous le même bagage avant de partir. La première liste du linge, des vêtements, des objets divers à emporter obligatoirement est publiée dès le mois de septembre 1848 et par la suite dans tous les prospectus destinés aux candidats à l’émigration en Icarie. Elle varie peu dans le temps. En 1851, dans un document adopté à l’unanimité par l’assemblée générale de la colonie, où sont énumérées toutes les conditions pour être admis en Icarie, après trois ans d’expérience, elle est établie ainsi :

Pour les hommes : 12 chemises, blanches ou de couleur, très bonnes, 3 gilets de flanelle ou coton pour ceux qui en portent, 1 tricot de laine, 2 tricots de coton pour ceux qui n’en portent pas en laine, 3 caleçons, 4 paires de bas ou chaussettes dont 2 en laine, 1 pantalon de drap, 1 pantalon d’été, 2 pantalons chauds pour travailler, 4 pantalons de grosse toile pour travailler, 2 paires de bretelles, 1 ceinture en cuir, 4 gilets, 1 redingote ou habit, 1 manteau ou caban ou paletot avec capuchon pour le vent et le froid, 1 tunique en velours-coton noir (fournie en 1848), une veste en drap ou en velours après cette date, 6 cravates dont 2 en laine, 4 blouses ou bourgerons, 1 chapeau icarien (fourni en 1848), 1 chapeau de paille commune avec mentonnière, 2 casquettes, 6 bonnets de coton, 2 paires de souliers neufs, à la napolitaine autant que possible, 2 paires de bottes, 1 paire de chaussons pour chambre, 1 paire de chaussons pour mettre dans les sabots. Il faut prévoir en outre des peignes, glaces, rasoirs, boîtes de cirage, brosses pour nettoyer, couteaux, ciseaux, etc38.

Pour les femmes : 12 chemises très bonnes, 6 camisoles, pantalons ou caleçons pour le voyage, 3 paires de bas de laine, 12 paires de bas de coton, 4 jupons blancs, 2 jupons de couleur, 8 robes d’hiver ou d’été, 2 châles ou manteaux, 3 gilets de flanelle pour celles qui en portent, 6 tabliers, 6 bonnets de nuit, 6 bonnets de jour, 12 fichus, 2 pélerines, une d’été, une d’hiver, pointes de fantaisie, 2 corsets pour celles qui en portent, 2 fanchons ou bonnets noirs, 4 paires de souliers à haute anglaise autant que possible, 2 paires de chaussons. Il faut aussi fournir : 2 peignes démêloirs pour les cheveux, 2 peignes fins, 2 peignes à chignon, 2 brosses à dents et ongles (sic), une seringue, des ciseaux, des aiguilles évidemment…

Pour les petits garçons au-dessous de dix ans : 12 chemises, 6 blouses de couleur, Pantalons, caleçons, paires de bas, cravates, 2 casquettes, 1 chapeau de grosse paille, 3 paires de brodequins, 2 paires de chaussons pour sabots.

Pour les petites filles au-dessous de dix ans : 12 chemises, 6 pantalons, 8 robes, 6 jupons, 4 tabliers de couleur à manches, 10 paires de bas dont 4 en laine, 6 fichus blancs, 1 camail mérinos noir, ouaté, 1 chapeau de grosse paille rond, 6 bonnets de nuit, 2 bonnets de jour, 3 paires de brodequins, 2 paires de chaussons pour sabots.

Vue de la colonie icarienne, intallée au bord du Mississippi, à Nauvoo, Illinois.

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Revue Icarienne, organe de la communauté établie à Nauvoo. No 4. Nauvoo, Illinois. Avril 1855.

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« Ce que je ferais si j’avais 500 000 dollars ! […] Je dispenserais de tout achat et de toute dépense pour le trousseau. Chaque partant apporterait seulement le linge, les vêtements, etc., qu’il possèderait, en sorte que le bagage serait moins embarrassant ; on lui fournirait même, au moment de l’embarquement au Hâvre, un vêtement extérieur uniforme pour le voyage ; puis, à l’arrivée, le vieux trousseau serait remis à la Communauté et remplacé par un nouveau trousseau uniforme, qui serait fourni par elle […]. Je ne voudrais aucun luxe dans le vêtement, aucune superfluité, aucune coquetterie ; je voudrais un uniforme pour les petites garçons  ; je voudrais ces uniformes le plus simples et le plus économiques que possible ; mais je les voudrais commodes et même gracieux, pour les femmes surtout. Je voudrais aussi, pour chacun, l’habit de travail pris et laissé dans l’atelier, et l’habit de repos pour dehors. Ce doute habit, ces uniformes, seraient sans doute une grande dépense; mais la propreté et l’égalité dans le vêtement ont une telle influence sur toute la conduite des individus que je me sentirais heureux de pouvoir faire cette dépense. »

Depuis mars 1849, la colonie icarienne est installée à Nauvoo dans l’Illinois. Ce trousseau, qui peut impressionner par sa précision, mais pas seulement, a été discuté et adopté par une commission du vêtement composée de vingt membres, hommes et femmes avant d’être adopté par l’Assemblée générale de la colonie, deux ans après l’installation dans la ville abandonnée par les mormons. Il ne s’agit pas de vêtements imaginaires, de projections dans le futur, mais de vêtements réels, cette fois. Quand les candidats à l’admission se présentent en Icarie, leur malle est fouillée, inventoriée, rien ne doit manquer. La plupart des vêtements sont en partie démarqués, partagés, redistribués ou vendus. Parfois, c’est difficile à supporter. Cabet raconte lui-même comment le chagrin a saisi une jeune femme lors de son arrivée en Icarie, il parle de la femme de B : « Sa femme résistait d’abord pour une robe de soie, ne comprenant pas pourquoi on pût l’obliger à la déposer et trouvant que c’était une atteinte inutile à la liberté ; mais elle a bientôt compris que la Communauté étant fondée sur la fraternité et l’égalité, il était nécessaire que toutes les femmes portassent des robes de soie ou qu’aucune n’en portât ; que, puisque la colonie n’est pas assez riche pour donner des robes de soie à toutes ses citoyennes, il faut absolument qu’aucune d’elles n’ait la liberté d’en porter, afin d’éviter, d’un côté, une coquetterie frivole et dispendieuse, et, de l’autre, une jalousie, une envie, des murmures et des critiques, qui troubleraient l’union, l’harmonie, la fraternité, nécessaires pour la prospérité de la Communauté39. »

Usures

Les derniers icariens, 1887.

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© Center for Icarian Studies, Western Illinois University.

Le projet, depuis le début, est que la Communauté habille ses membres, comme elle les loge et les nourrit40. Depuis la fin de l’année 1850, la colonie de Nauvoo est dirigée par une gérance de six membres, l’un des gérants est responsable de la direction générale du logement et du vêtement. Il veille au fonctionnement, assez théorique en fait, des ateliers de fileurs, tisseurs et teinturiers, à celui, plus avéré, des tailleurs produisant des casquettes en drap, en peaux, en fourrures, à celui des cordonniers qui produisent des bottes, que tout le monde porte, des sabotiers. Le directeur du logement et du vêtement surveille encore le travail des lingères, de la buanderie, du lavoir clos et couvert installé sur les bords du Mississippi, du séchoir, l’activité des couturières, des raccommodeuses, des repasseuses… La colonie est bien équipée : les Icariens disposent d’une machine à laver le linge reliée à un moulin. En 1855, ils projettent l’achat d’une machine à coudre. Malgré ce souci de mécaniser les tâches, leur travail est marqué, dans l’ensemble, par une faible efficacité. Entre 1849 et l’été 1855, les métiers à tisser de la communauté n’ont produit que quelques mètres d’un drap assez grossier destiné aux vêtements de travail, quelques paires de bas, rien de plus. Quand les deux ouvriers isérois, l’ouvrier imprimeur Jean-François Crétinon et le compagnon chapelier François-Marie Lacour, arrivent à Nauvoo, en avril 1855, un signe les inquiète, l’un des premiers, l’indigence des vêtements portés par les colons. « Aux écoles, écrivent-ils, où l’on applique le système communiste trop loin, il n’y a presque pas de vêtements particuliers, de sorte que parfois les plus petits ont des vêtements de plus grands ; de là, des mécontentements, des discussions à n’en plus finir41 ». Quelques semaines après leur arrivée, ils annoncent au président de la colonie qu’ils n’entendent pas demander leur admission définitive. Cabet lui-même, devant l’assemblée générale des Icariens, reconnaît que la situation est difficile : « Nos anciens trousseaux se trouvant presque tous usés et détruits, nous en avons un grand nombre à remplacer ; et la dépense en coton, laine, etc., est considérable, car il faut parler de milliers de dollars42. » Cet argent, il ne l’a pas.

Un an plus tard, il est chassé de la colonie qu’il a fondée. Il est accusé d’aspirer à la dictature, une majorité de ses disciples vote son exclusion de la pauvre communauté d’Icarie. Accompagné par un dernier groupe d’irréductibles fidèles, il se replie à Saint-Louis. Il en meurt de chagrin, de contrariété. Une crise d’apoplexie le foudroie le 7 novembre 1856. Mais les Icariens persévèrent, longtemps encore, sans lui, dans l’Illinois et le Missouri d’abord, puis dans l’Iowa pour la plupart, jusqu’en Californie pour quelques-uns, dans leur tentative pour montrer la supériorité des principes communistes sur ceux de l’individualisme.

En 1898, cinquante ans après le départ de la première avant-garde, pour prendre acte du fait que tout est fini, pour partager ce qui reste, parce que tous les membres en sont d’accord, un juge américain signe le décret qui dissout la dernière communauté icarienne aux États-Unis, celle de la Nouvelle Icarie, à Corning dans l’Iowa43. Un rédacteur de l’Adams County Union Republican, le journal local44, daté du 27 octobre 1898, avance cette explication de l’échec final : « La nouvelle génération des Icariens fut élevée ayant constamment en vue le contraste frappant entre leur façon de vivre simple, monotone, frugale et le luxe relatif et l’indépendance des meilleures classes de gens autour d’eux, naturellement, ils firent toujours la comparaison avec les plus heureux de leurs voisins, leurs conclusions étaient toujours au désavantage de leur propre façon de vivre45. »

Une photographie a été prise de ce dernier groupe icarien, le 5 septembre 1887. Ils sont vingt-six, endimanchés, habillés ni en ouvriers ni tout à fait en bourgeois, mais en austères paysans du Middle West, en colons puritains, assez semblables sans doute à beaucoup de leurs voisins américains, quoi qu’en dise le journaliste du Comté d’Adams, chaque génération marquant plus ou moins son appartenance à une époque différente du repeuplement des Grandes Plaines après l’éviction des Indiens. Le premier vieillard à partir de la gauche, tête nue, le chapeau à la main, portant une grande barbe blanche, est Alexis-Armel Marchand, il était membre de la première avant-garde partie du Havre le 3 février 1848.

Le rédacteur du journal américain inverse en quelque sorte ce qu’écrivaient les journalistes de L’Humanitaire en 1841, sans convaincre vraiment : le problème ne serait pas tant l’arrogance, la morgue des hommes et des femmes les mieux habillés que la possibilité ou non de leur ressembler, de pouvoir faire comme eux. C’était, après tout, la promesse que faisait Cabet à tous les futurs habitants de l’Icarie, de la communauté dont il avait décrit les merveilles dans un roman depuis les années 1830 : le raffinement et l’élégance des vêtements, pour tous.

La plupart des communistes des années 1840, icariens ou non, étaient des ouvriers, même s’ils appartenaient presque tous aux métiers les plus qualifiés et les mieux rémunérés de leur classe. Ce n’était pas le cas pour les saint-simoniens ou les fouriéristes, dont les manières comme les discours échappaient complètement à l’entendement des classes laborieuses. Imaginer ou porter un costume communiste participait d’une aspiration propre au mouvement ouvrier : adopter ou inventer des normes comportementales qui rendaient ces travailleurs fiers de leur condition, qui attestaient la haute opinion qu’ils se faisaient de leur dignité d’hommes, de producteurs et de citoyens. Alain Faure a montré que les normes vestimentaires adoptées par les ouvriers au xixe siècle dépendaient d’abord de leurs propres aspirations, des valeurs que leur milieu avait lui-même développées46. Les théoriciens du communisme qui voulaient les convaincre leur ont proposé de troquer la blouse contre l’habit, leur allure de travailleurs manuels pauvres contre celle de l’uniformité dans l’égalité.

Alexis-Armel Marchand, son épouse Marie Virginie Descombes et leurs deux fils Armel et Alexis, vers 1857.

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Armel est né à Nauvoo en 1854, il a été président et secrétaire-trésorier de la communauté au début des années 1880. Il quitte la communauté en 1884, et s’installe, plus tard, dans le territoire à coloniser du Washington.

Sans titre

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Nous sommes en 1897, dix ans après la dissolution de la communauté. La photographie est prise chez Marie Marchand épouse Ross, née en 1864 à Corning. Les deux personnes âgées sont Alexis-Armel Marchand né en 1813 en Bretagne mort à Colombus, Géorgie, en 1899 et son épouse, depuis 1853, Marie-Virginie Descombes. En 1851, Alexis Marchand est le président de l’assemblée générale des membres de la colonie de Nauvoo. À ce titre, il est l’auteur, avec Lyannna et Cabet, de la circulaire définissant la composition du trousseau icarien. Il est l’un des principaux opposants à Cabet en 1856. Pendant toutes les années 1860, il est le président de la colonie de Corning dans l’Iowa, puis, à divers autres moments pendant les années 1870 et 1880. Marie-Virginie Marchand fut directrice du vêtement en 1879, 1880 et 1883 puis encore de 1885 à 1888. Marie Marchand, leur fille, est la première enfant née dans la communauté après le départ des Icariens de Nauvoo en 1857. Dès l’âge de douze ans, elle travaille avec son père à l’impression de la Revue Icarienne. En 1885, elle est élue secrétaire-trésorière de la communauté. Elle épouse en 1888 Will Ross, instituteur, figurant lui aussi sur la photographie. Elle devient elle-même institutrice et a cinq enfants. En 1896, les époux Ross s’installent à Colombus en Georgie ou Will vient être nommé principal du Southern Business College. Ils accueillent les parents de Marie au moment où la communauté de Corning est dissoute. En 1938, Marie Ross vit à New-York où elle publie ses souvenirs, Child of Icaria.

1 Le Populaire, 13 février 1848, « Fournitures pour l’émigration icarienne ».

2 Louis Reybaud lui fait une place « au pays des chimères », dans Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, Paris, 2e édition, tome II, p.

3 François Fourn, Étienne Cabet ou le temps de l’utopie, Paris, Vendémiaire, 2014.

4 L’ouvrage de référence sur l’expérience de Cabet aux États-Unis reste celui de Jules Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet

5 Nous avons recensé 157 titres différents dans François Fourn, Étienne Cabet (1788-1856). Une propagande républicaine, Villeneuve-d’Ascq, Presses

6 François Fourn, « L’utopie ou la barbarie. Contre la violence révolutionnaire. Le Populaire de Cabet », in Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward

7 BnF, Papiers Cabet, Nouvelles acquisitions françaises, vol. 18146-18166. L’ensemble représente quelque dix mille pièces, incluant les papiers de J.

8 Sous un pseudonyme et le choix d’un titre destiné à tromper la censure : Voyage et aventures de Lord William Carisdall en Icarie, traduits de l’

9 Voyage en Icarie, op. cit., p56-60, tout un petit chapitre est consacré au vêtement.

10 Voyage en Icarie, op. cit., p58.

11 Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation. xviie-xixe siècle, Paris, Fayard, 1997, p. 210.

12 Cabet répond ici par avance à Elias Regnault qui, dans le Dictionnaire politique, publié par Pagnerre en 1841, à l’article « Communauté »

13 Voyage en Icarie, op. cit., p. 89.

14 C’est explicitement écrit, p. 137 du Voyage en Icarie, op. cit.

15 Les Icariennes comme les Icariens se parfument, non seulement parce que c’est un agrément pour soi, mais encore un devoir envers les autres.

16 Voyage en Icarie, op. cit., p. 136-137.

17 Voyage en Icarie, op. cit., p. 105.

18 Voyage en Icarie, op. cit., p. 104 et 105. Sur le rêve des ouvriers français de pouvoir se laver, se changer à la sortie du travail, voir Alain

19 Voyage en Icarie, op. cit., p. 178.

20 Voyage en Icarie, op. cit., p. 57.

21 Voyage en Icarie, op. cit., p. 27, description de Célinie, « belle comme une anglaise », 18 ans, sœur de Corilla, un « charmante couturière », aux

22 Il a dénoncé, en 1834, dans son premier Populaire, le régime de la Monarchie de Juillet qui a rejeté à la mer des patriotes polonais qui

23 Michèle Riot-Sarcey, Le Réel de l’Utopie. Essai sur le politique au xixe siècle, Albin Michel, Paris, 1998. Cabet revendique explicitement le

24 La brochure, de 49 pages est publiée le 25 juillet 1841, c’est la septième lettre d’une série intitulée Douze lettres d’un communiste à

25 Cabet, La femme, ses qualités, titres, droits. Son malheureux sort dans la présente société. Cause du mal. Remède. Son heureux sort dans la

26 Jean-Jacques Pillot, Ni châteaux ni chaumières, ou état de la question sociale en 1840, Paris, aux bureaux de la TribuneduPeuple, 1840, p. 53-54.

27 Ibid., p. 56.

28 Jean-Jacques Pillot, Histoire des Égaux ou moyen d’établir l’égalité absolue parmi les hommes, Paris, aux bureaux de la TribuneduPeuple, p. 9.

29 Ibid., p. 27.

30 Sur l’Humanitaire, voir Jean-Michel Paris, L’Humanitaire (1841).Naissance d’une presse anarchiste ?, Paris, L’Harmattan, 2014 et Alain Maillard, «

31 Il n’existe que quelques exemplaires de ce journal, notamment dans les cartons de la série CC des Archives nationales. Les éditions EDHIS en ont

32 Théodore Dezamy, Code de la Communauté, Paris, chez Dezamy éditeur, 1842-1843, p. 54.

33 Page 4 de cette brochure parue chez Prévot en 1842, cité par Cabet dans Toute la vérité au Peuple ou réfutation d’un pamphlet calomniateur, une

34 Cabet, Réalisation de la Communauté d’Icarie, août 1847, p. 51.

35 Populaire de 1841, 6 février 1848, Cabet donne un récit très circonstancié de ce départ.

36 Le Populaire, 13 février 1848, « Fournitures pour l’émigration icarienne ».

37 Le Populaire, 1er octobre 1848.

38 BnF, Nouvelles acquisitions françaises 18148, Papiers Cabet, folio 186, une feuille imprimée comportant notamment une demande d’admission pour

39 Lettre sur la Réforme icarienne du 21 novembre 1853. Réponse du citoyen Cabet à quelques objections sur cette réforme, p. 14-15.

40 La constitution d’Icarie, adoptée en septembre 1850, contient les dispositions suivantes : « art 80– La Communauté vêt tous ses membres ; elle

41 Jean-François Crétinon et François-Marie Lacour, « Allons en Icarie ». Deux ouvriers viennois aux États-Unis en 1855, Textes établis et présentés

42 Colonie Icarienne aux États-Unis d’Amérique. Sa constitution, ses lois, sa situation matérielle et morale après le 1er semestre 1855, p. 147-148.

43 L’installation à Nauvoo était considérée comme provisoire. C’est Cabet lui-même qui avait choisi cet endroit, « dans le désert », pour y installer

44 Corning est située dans le Comté d’Adams.

45 Une traduction manuscrite de cet article est conservée dans les Papiers Cabet de la BnF, Nouvelles acquisitions françaises, dossier 18149, folio 

46 Alain Faure, « La blouse ouvrière au xixe siècle. Les normes de la dignité », in Modes Pratiques, op. cit.,p. 149-173.

Notes

1 Le Populaire, 13 février 1848, « Fournitures pour l’émigration icarienne ».

2 Louis Reybaud lui fait une place « au pays des chimères », dans Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, Paris, 2e édition, tome II, p. 118-124.

3 François Fourn, Étienne Cabet ou le temps de l’utopie, Paris, Vendémiaire, 2014.

4 L’ouvrage de référence sur l’expérience de Cabet aux États-Unis reste celui de Jules Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet, Contribution à l’étude du socialisme expérimental, Paris, Cornély et Cie, 1907.

5 Nous avons recensé 157 titres différents dans François Fourn, Étienne Cabet (1788-1856). Une propagande républicaine, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 827-843.

6 François Fourn, « L’utopie ou la barbarie. Contre la violence révolutionnaire. Le Populaire de Cabet », in Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (dir.), Quand les socialistes inventaient l’avenir. 1825-1860. Presse, théories et expériences, Paris, La Découverte, 2015, p. 203-216.

7 BnF, Papiers Cabet, Nouvelles acquisitions françaises, vol. 18146-18166. L’ensemble représente quelque dix mille pièces, incluant les papiers de J.-P. Béluze, le gendre de Cabet, directeur du bureau icarien à Paris après 1851. Le volume 18148 est disponible sur le site Gallica de la BNF.

8 Sous un pseudonyme et le choix d’un titre destiné à tromper la censure : Voyage et aventures de Lord William Carisdall en Icarie, traduits de l’anglais de Francis Adams, par Th. Dufruit maître de langues, Paris, H. Souverain, 1840. Pour les références qui suivent, nous utilisons l’édition de 1842, la première à paraître sous le titre de Voyage en Icarie et avec le nom de Cabet. Slatkine Reprints en a fait une réimpression anastatique en 1979, à Genève, avec une présentation d’Henri Desrosches.

9 Voyage en Icarie, op. cit., p56-60, tout un petit chapitre est consacré au vêtement.

10 Voyage en Icarie, op. cit., p58.

11 Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation. xviie-xixe siècle, Paris, Fayard, 1997, p. 210.

12 Cabet répond ici par avance à Elias Regnault qui, dans le Dictionnaire politique, publié par Pagnerre en 1841, à l’article « Communauté », soutenait ironiquement que puisque nous n’étions pas tous faits pareils, nous ne pouvions pas tous être propriétaires des mêmes vêtements.

13 Voyage en Icarie, op. cit., p. 89.

14 C’est explicitement écrit, p. 137 du Voyage en Icarie, op. cit.

15 Les Icariennes comme les Icariens se parfument, non seulement parce que c’est un agrément pour soi, mais encore un devoir envers les autres. Icarie est un monde d’odeurs « suaves et délicieuses ».

16 Voyage en Icarie, op. cit., p. 136-137.

17 Voyage en Icarie, op. cit., p. 105.

18 Voyage en Icarie, op. cit., p. 104 et 105. Sur le rêve des ouvriers français de pouvoir se laver, se changer à la sortie du travail, voir Alain Faure, « La blouse ouvrière au xixe siècle, les normes de la dignité », Modes Pratiques, revue d’histoire du vêtement et de la mode, no 1, 2015, p. 158 notamment.

19 Voyage en Icarie, op. cit., p. 178.

20 Voyage en Icarie, op. cit., p. 57.

21 Voyage en Icarie, op. cit., p. 27, description de Célinie, « belle comme une anglaise », 18 ans, sœur de Corilla, un « charmante couturière », aux yeux noirs et brillants, « avec toute la grâce et toute la vivacité d’une Française », et de Valmor, deux personnages importants du roman. Cabet a appelé sa propre fille Céline.

22 Il a dénoncé, en 1834, dans son premier Populaire, le régime de la Monarchie de Juillet qui a rejeté à la mer des patriotes polonais qui demandaient refuge à la France.

23 Michèle Riot-Sarcey, Le Réel de l’Utopie. Essai sur le politique au xixe siècle, Albin Michel, Paris, 1998. Cabet revendique explicitement le caractère utopique de son Icarie, le fait de revendiquer en outre son appartenance au communisme ajoute à l’effroi de ceux que ces propositions terrorisent, ils sont nombreux, voir F. Fourn, « 1849-1851 : l’anticommunisme en France. Le Spectre rouge de 1852 », in Sylvie Aprile, Nathalie Bayon, Laurent Clavier, Louis Hincker et Jean-Luc Mayaud (dir.), Comment meurt une République. Autour du 2 décembre 1851, Paris, Éditions Créaphis, 2004, p. 135 à 152.

24 La brochure, de 49 pages est publiée le 25 juillet 1841, c’est la septième lettre d’une série intitulée Douze lettres d’un communiste à un réformiste sur la Communauté.

25 Cabet, La femme, ses qualités, titres, droits. Son malheureux sort dans la présente société. Cause du mal. Remède. Son heureux sort dans la Communauté, p. 50 et 53.

26 Jean-Jacques Pillot, Ni châteaux ni chaumières, ou état de la question sociale en 1840, Paris, aux bureaux de la Tribune du Peuple, 1840, p. 53-54.

27 Ibid., p. 56.

28 Jean-Jacques Pillot, Histoire des Égaux ou moyen d’établir l’égalité absolue parmi les hommes, Paris, aux bureaux de la Tribune du Peuple, p. 9.

29 Ibid., p. 27.

30 Sur l’Humanitaire, voir Jean-Michel Paris, L’Humanitaire (1841). Naissance d’une presse anarchiste ?, Paris, L’Harmattan, 2014 et Alain Maillard, « Égalité et communauté, la presse communiste. L’Intelligence, Le Moniteur républicain, L’Homme libre, L’Égalitaire, La Fraternité de 1841, Le Travail, L’Humanitaire et La Fraternité de 1845 », in Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (dir.), op. cit.

31 Il n’existe que quelques exemplaires de ce journal, notamment dans les cartons de la série CC des Archives nationales. Les éditions EDHIS en ont publié un fac-similé dans un riche volume de textes rares de cette époque, Les Révolutions du xixe siècle. 12. Feuilles populaires et documents divers. 1835-1847, l’ouvrage est disponible sur le site de la Bibliothèque nationale de France (BnF) Gallica.

32 Théodore Dezamy, Code de la Communauté, Paris, chez Dezamy éditeur, 1842-1843, p. 54.

33 Page 4 de cette brochure parue chez Prévot en 1842, cité par Cabet dans Toute la vérité au Peuple ou réfutation d’un pamphlet calomniateur, une brochure publiée en juillet 1842, p. 20.

34 Cabet, Réalisation de la Communauté d’Icarie, août 1847, p. 51.

35 Populaire de 1841, 6 février 1848, Cabet donne un récit très circonstancié de ce départ.

36 Le Populaire, 13 février 1848, « Fournitures pour l’émigration icarienne ».

37 Le Populaire, 1er octobre 1848.

38 BnF, Nouvelles acquisitions françaises 18148, Papiers Cabet, folio 186, une feuille imprimée comportant notamment une demande d’admission pour Icarie. Ou Le Populaire, 10 septembre 1848. Pour la liste définitive présentée ici : Prospectus. Émigration icarienne. Conditions d’admission, octobre 1852. Cette liste a été adoptée en assemblée générale de la colonie de Nauvoo, le 1er mars 1851.

39 Lettre sur la Réforme icarienne du 21 novembre 1853. Réponse du citoyen Cabet à quelques objections sur cette réforme, p. 14-15.

40 La constitution d’Icarie, adoptée en septembre 1850, contient les dispositions suivantes : « art 80– La Communauté vêt tous ses membres ; elle règle tout ce qui concerne le vêtement. art. 81- Elle concilie la variété avec l’unité et l’égalité. »

41 Jean-François Crétinon et François-Marie Lacour, « Allons en Icarie ». Deux ouvriers viennois aux États-Unis en 1855, Textes établis et présentés par Fernand Rude, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1980, p. 163. Pour une base de données biographiques sur les émigrants en Icarie, voir M. Cordillot, La Sociale en Amérique, Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis (1848-1922), Paris, Éditions de l’Atelier, 2002.

42 Colonie Icarienne aux États-Unis d’Amérique. Sa constitution, ses lois, sa situation matérielle et morale après le 1er semestre 1855, p. 147-148.

43 L’installation à Nauvoo était considérée comme provisoire. C’est Cabet lui-même qui avait choisi cet endroit, « dans le désert », pour y installer progressivement les Icariens, dès 1854. La totalité des colons de Nauvoo s’y est déplacée au début de 1857. En 2016, une partie des bâtiments de la colonie existent toujours là-bas, notamment le réfectoire, visible en arrière-plan sur la photographie de 1887. Un lac, près du site, porte aujourd’hui le nom d’Icaria.

44 Corning est située dans le Comté d’Adams.

45 Une traduction manuscrite de cet article est conservée dans les Papiers Cabet de la BnF, Nouvelles acquisitions françaises, dossier 18149, folio 459.

46 Alain Faure, « La blouse ouvrière au xixe siècle. Les normes de la dignité », in Modes Pratiques, op. cit., p. 149-173.

Illustrations

Vue de la colonie icarienne, intallée au bord du Mississippi, à Nauvoo, Illinois.

Vue de la colonie icarienne, intallée au bord du Mississippi, à Nauvoo, Illinois.

Revue Icarienne, organe de la communauté établie à Nauvoo. No 4. Nauvoo, Illinois. Avril 1855.

Revue Icarienne, organe de la communauté établie à Nauvoo. No 4. Nauvoo, Illinois. Avril 1855.

« Ce que je ferais si j’avais 500 000 dollars ! […] Je dispenserais de tout achat et de toute dépense pour le trousseau. Chaque partant apporterait seulement le linge, les vêtements, etc., qu’il possèderait, en sorte que le bagage serait moins embarrassant ; on lui fournirait même, au moment de l’embarquement au Hâvre, un vêtement extérieur uniforme pour le voyage ; puis, à l’arrivée, le vieux trousseau serait remis à la Communauté et remplacé par un nouveau trousseau uniforme, qui serait fourni par elle […]. Je ne voudrais aucun luxe dans le vêtement, aucune superfluité, aucune coquetterie ; je voudrais un uniforme pour les petites garçons  ; je voudrais ces uniformes le plus simples et le plus économiques que possible ; mais je les voudrais commodes et même gracieux, pour les femmes surtout. Je voudrais aussi, pour chacun, l’habit de travail pris et laissé dans l’atelier, et l’habit de repos pour dehors. Ce doute habit, ces uniformes, seraient sans doute une grande dépense; mais la propreté et l’égalité dans le vêtement ont une telle influence sur toute la conduite des individus que je me sentirais heureux de pouvoir faire cette dépense. »

Les derniers icariens, 1887.

Les derniers icariens, 1887.

© Center for Icarian Studies, Western Illinois University.

Alexis-Armel Marchand, son épouse Marie Virginie Descombes et leurs deux fils Armel et Alexis, vers 1857.

Alexis-Armel Marchand, son épouse Marie Virginie Descombes et leurs deux fils Armel et Alexis, vers 1857.

Armel est né à Nauvoo en 1854, il a été président et secrétaire-trésorier de la communauté au début des années 1880. Il quitte la communauté en 1884, et s’installe, plus tard, dans le territoire à coloniser du Washington.

Sans titre

Sans titre

Nous sommes en 1897, dix ans après la dissolution de la communauté. La photographie est prise chez Marie Marchand épouse Ross, née en 1864 à Corning. Les deux personnes âgées sont Alexis-Armel Marchand né en 1813 en Bretagne mort à Colombus, Géorgie, en 1899 et son épouse, depuis 1853, Marie-Virginie Descombes. En 1851, Alexis Marchand est le président de l’assemblée générale des membres de la colonie de Nauvoo. À ce titre, il est l’auteur, avec Lyannna et Cabet, de la circulaire définissant la composition du trousseau icarien. Il est l’un des principaux opposants à Cabet en 1856. Pendant toutes les années 1860, il est le président de la colonie de Corning dans l’Iowa, puis, à divers autres moments pendant les années 1870 et 1880. Marie-Virginie Marchand fut directrice du vêtement en 1879, 1880 et 1883 puis encore de 1885 à 1888. Marie Marchand, leur fille, est la première enfant née dans la communauté après le départ des Icariens de Nauvoo en 1857. Dès l’âge de douze ans, elle travaille avec son père à l’impression de la Revue Icarienne. En 1885, elle est élue secrétaire-trésorière de la communauté. Elle épouse en 1888 Will Ross, instituteur, figurant lui aussi sur la photographie. Elle devient elle-même institutrice et a cinq enfants. En 1896, les époux Ross s’installent à Colombus en Georgie ou Will vient être nommé principal du Southern Business College. Ils accueillent les parents de Marie au moment où la communauté de Corning est dissoute. En 1938, Marie Ross vit à New-York où elle publie ses souvenirs, Child of Icaria.

Citer cet article

Référence papier

François Fourn, « « La mode ne varie jamais en Icarie » », Modes pratiques, 2 | 2017, 108-123.

Référence électronique

François Fourn, « « La mode ne varie jamais en Icarie » », Modes pratiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 05 avril 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/338

Auteur

François Fourn