Refuser la cruauté

La chapellerie de plumes et la protection des oiseaux autour de 1900

DOI : 10.54390/modespratiques.344

p. 36-57

Texte

Dans sa collection de fragments de textes réunis dans Le Livre des passages, Walter Benjamin avance que l’incessante course à la nouveauté fonctionne dans les sociétés modernes comme une tentative de conjurer la mort. Néanmoins, dans la chapellerie au tournant du xixe siècle, la mort est rendue ostensiblement visible : les chapeaux exposent à la vue de tous les plumes d’oiseaux exotiques, des morceaux entiers de plumages, et même des têtes, des ailes ou des corps empaillés, à l’aspect saisissant. Le succès de ces chapeaux menace alors certaines espèces à l’échelle mondiale, inspirant des plaidoyers passionnés pour la protection des oiseaux et la réglementation du commerce, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne et en France1 – question rarement mise alors en regard des violences coloniales –, influant parfois sur les phénomènes de mode2. Pour autant, la prise de conscience du massacre en cours conduisant au rejet de cette mode n’a été ni rapide, ni simple. C’est une histoire qui, écrite sous l’angle de la culture visuelle, révèle une complexe politique de l’hybridation dans laquelle les dynamiques du refus et de l’acceptation ne cessent de se rejouer. La demande de décorations à base d’oiseaux a un coût important, aussi bien pour les animaux que les humains, en termes de mortalité comme de morale. Dès 1883, les lectrices et lecteurs du Frank Leslie’s Illustrated Newspaper découvrent un éditorial dénonçant « La cruauté de la mode » (“The Cruelties of Fashion”). L’auteur interroge lectrices et lecteurs : « Qui tue […] tous les oiseaux aux superbes plumes chantant dans les bosquets sous tous les climats ? », les invitant ainsi à réfléchir aux raisons qui conduisent à la « destruction de millions de splendides oiseaux3 ».

Fig. 1 : John N. Hyde. “The Cruelties of Fashion – Fine Feathers Make Fine Birds.” Frank Leslie’s Illustrated Newspaper, 10 novembre 1883, p. 183-184.

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© Courtesy Library of Congress Prints and Photographs Division

La figure ci-dessus [fig. 1] montre les différents protagonistes sans cœur de cette « cruauté » : un chasseur tirant une alouette, un taxidermiste éviscérant un oiseau dans son atelier, un petit chien donnant la chasse à sa proie… Mais la figure la plus importante ressemble en même temps le moins à un tueur : gracieuse, une jeune femme semble aguicher le lecteur sous les bords de son chapeau couvert d’oiseaux. Et le journaliste la distingue pour mieux la condamner. C’est, dit-il, le genre de femme pour qui l’on fait des carnages, « pour que ses chapeaux, ses manteaux et ses parements soient décorés avec des plumes merveilleusement colorées ».

Mais l’illustration délivre des messages contradictoires aux lectrices et lecteurs. Assimilant la jeune femme à son accoutrement fait d’oiseaux, la légende de l’image précise : « Les plumes de qualité font des grues [birds, « prostituées » en anglais] de qualité », suggérant ainsi que, si les femmes à la mode sont les premières responsables de ce massacre gratuit, elles n’en sont pas les seules. Un fringant gentleman à gauche observe en effet avec admiration des femmes à chapeaux faisant leur shopping, rappelant ainsi une des premières fonctions de la mode : attirer l’attention. Et le journaliste note aussi, non sans paradoxe, l’habileté de la chapellerie à obtenir des résultats extraordinaires avec des têtes d’oiseaux, louant « l’exquis spécimen d’ornithologie qui, grâce aux savoir-faire du chasseur et du taxidermiste, semble encore vivant et comme jouant encore dans son bosquet d’où il a été tiré ». Si tuer au service de la mode semble cruel, cela n’apparaît pas pour autant sans but et contre-nature puisqu’exhibition et prédation sont des comportements partagés par toutes les espèces.

Malgré les protestations publiques, la mode des plumes apparaît immunisée contre toute censure, et l’appétit pour les chapeaux à têtes d’oiseaux reste insatiable durant plusieurs décennies. Grâce à une opposition grandissante d’activistes, le commerce des plumes et celui des oiseaux sont cependant ralentis par l’arrivée de lois aux États-Unis comme en Europe qui le restreignent, telles que la Lacey Act de 19004. Pourtant, alors que les formes et les styles des chapeaux ne cessent d’évoluer, le goût des ornements élaborés à l’aide de plumes demeure populaire au début du xxe siècle, ne connaissant un fléchissement qu’avec la Première Guerre mondiale.

Le refus de cette mode souligne les relations complexes et tendues entre animaux et humains, relations que les chapeaux à plumes mettent en lumière. Ils obligent en effet à des négociations sociales autour de nouveaux comportements, de nouvelles tendances en matière de mode et de nouvelles attentes quant aux comportements des animaux sociaux que sont les hommes et les femmes. L’ambivalence soulignée par la juxtaposition d’images et de textes du Frank Leslie’s atteste de l’enchevêtrement des liens, des rôles, et des lois qui ensemble nourrissent et limitent, en même temps, le rejet montant des ornements à base d’oiseaux dans la mode, aux États-Unis comme en Europe.

Si les plumes sont de longue date un des éléments du vêtement élégant, l’échelle mondiale et l’ampleur de ce commerce au xixe siècle – encouragé par les périodiques illustrés qui font circuler les modes rapidement entre les deux rives de l’Atlantique – font que la consommation dépasse rapidement les capacités de renouvellement de la nature.

Aux États-Unis, les journaux de mode suivent avec attention les tendances de la chapellerie française, ces modèles se retrouvant ensuite dans les magasins spécialisés et les grands magasins américains. Un observateur note ainsi en 1909 : « les modistes5 de la 5e Avenue sont depuis longtemps arrivés à la conclusion que les chapeaux parisiens ne peuvent être faits qu’à Paris », les acheteuses les plus élégantes demandant la « dernière mode de Paris6 ». Les magazines de mode qui suivent attentivement les tendances en matière de couleurs, de tissus, de silhouettes et d’ornements détaillent volontiers la place des plumes. La tendance de l’automne 1902 est ainsi une « parure sophistiquée faite […] de trois, ou plus, genres de plumages », mêlant « du héron, du nashwah, du faisan aux jolies teintes cuivrées, et […] des plumes de queue de l’oiseau de paradis7 ». Les modistes américains adaptent parfois les styles européens en fonction de la demande locale et régionale mais suivent le plus souvent les tendances internationales, c’est-à-dire européennes. Le sensationnel succès de la pièce de théâtre d’Edmond Rostand à Broadway en 1911 crée par exemple un immense engouement pour les chapeaux « Chantecler » [fig. 2], extravagantes cascades de plumes frémissantes.

Fig. 2 : Mannequin portant le chapeau « Chantecler », 1912. George Grantham Bain Collection.

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© Library of Congress Prints and Photographs Division.

Quelles que soient les saisons, les ornements les plus recherchés sont alors les aigrettes – faisceaux de fines plumes blanches avec de délicates pennes tirées du dos d’aigrettes femelles, appelés en français par analogie « aigrettes » – qui nécessitent la mort de quatre à six oiseaux pour un petit panache ornant un chapeau. Le centre mondial de ce commerce florissant est alors Londres. Les plumes d’aigrettes sont « récoltées » notamment en Floride, puis vendues aux enchères à Londres avant d’être envoyées à Paris et à New York pour être transformées en ornements de chapellerie. Avec une once (28 grammes) à près de 20 $ en 1911, la tentation du braconnage est très forte : les chasseurs affluent dans les marais de Floride au printemps, à la recherche de profits alléchants et rapides8.

Après avoir lu un essai sur le massacre des aigrettes de Floride et la détresse de leurs progénitures esseulées mourant de faim, la philanthrope de Boston Harriet Hemenway décide de se dédier à leur protection. Elle cofonde une branche active de la Massachusetts Audubon Society9, après s’être assurée du soutien de l’ornithologue William Brewster. Ce club du Massachusetts parvient ainsi à transformer les tentatives infructueuses de la Audubon Society initiée en 1886 par le naturaliste George Bird Grinnell, par ailleurs grand défenseur des bisons d’Amérique10. En 1889, un groupe similaire d’activistes anglaises forme le groupe « Fourrure, peaux et plumes » pour combattre les massacres des animaux liés à la mode11. Les clubs dédiés à la préservation des oiseaux se multiplient dans les années 1890 et leurs efforts débouchent sur le Lacey Act en 1900, une des premières lois qui réglemente et limite le commerce des oiseaux sauvages braconnés en interdisant leur transport à travers la frontière des États [fig. 3].

Fig. 3 : The Aigrette Loses Caste, pamphlet de la Massachusetts Audubon Society, août 1906. L’aigrette est désignée comme « l’insigne blanc de la cruauté ».

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© Series IV. Folder D. Massachusetts Historical Society.

La loi a cependant peu d’effet à l’échelle mondiale : en 1905, le Harper’s Weekly rapporte qu’une seule maison londonienne de ventes aux enchères a vendu des plumes d’aigrettes nécessitant la mort de 192 960 oiseaux12. En 1908, le Illustrated Milliner rapporte pour sa part qu’« il n’est pas rare d’utiliser d’immenses pompons d’aigrettes faits de 250 plumes différentes, et comme elles valent de 5 à 10 cents chacune […], il n’y a pas de baisse de la demande pour ces marchandises hors de prix13 ». Et en 1913, le défenseur de la nature William Hornaday trouve qu’il est encore nécessaire de convaincre ses lecteurs et d’attirer leur sympathie en publiant dans son livre, Our Vanishing Wildlife, l’image de corps brisés et déplumés d’aigrettes femelles dans leur nid [fig. 4]14.

Fig. 4 : Aigrettes mortes dans leurs nids. William Hornaday, Our Vanishing Wildlife: Its Extermination and Preservation, 1913.

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© Harvard University Libraries.

Pour les femmes qui portent des chapeaux ornés de plumes, le lien métonymique entre les parties de l’oiseau et l’esthétique animale demeure un attractif. Cherchant à mettre en avant le gazouillis mélodieux des oiseaux, la grâce de leur vol ou la délicate agilité des échassiers, les chapeaux exhibent parfois d’étranges choses. Certaines créations sont des défis, tant pour le savoir-faire de la chapellerie que pour sa dimension artistique. Le chapeau « Mercure », rappelant le casque ailé du dieu romain aux pieds légers, arbore ainsi des ailes entières arrachées à des sternes ou à des pélicans, de nombreux bords de chapeaux sont ornés de têtes de colibris faisant miroiter les centaines de plumes irisées, alors que d’autres chapeaux sont réalisés avec les corps entiers de grèbes huppées ou de perruches, mises en scène comme si elles étaient en train de nicher [fig. 5].

Fig. 5 : “Advanced Fall Models, Paris,” The Illustrated Milliner, vol. 3, juillet 1902, p. 11.

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© Collection particulière.

Dans le sillage des efforts législatifs pour limiter la rapacité de ce commerce, quelques journaux promeuvent les chapeaux sans plumes appelés les « chapeaux Audubon » (“Audubon hats”). Mais les rubans à barbes ou les fausses fleurs ne peuvent remplacer le goût pour les éléments animaux. Ostentatoire et fascinante preuve de la domination humaine sur les êtres vivants, les plumes restent populaires même lorsqu’une part grandissante du public proteste contre le massacre des oiseaux. Dans un livre dédié à l’histoire et à l’industrie de la chapellerie, l’experte en chapeaux Charlotte Rankin Aikin peut encore noter en 1918 que « les plumes conviennent à toutes les saisons et sont toujours attrayantes15 », d’autant que contrairement aux fourrures et aux fleurs, elles sont réputées pour pouvoir être portées avec n’importe quelle tenue.

La résistance aux mesures de protection vient aussi des industriels qui se plaignent des mesures de protection des oiseaux, « cause de consternations et de commentaires défavorables dans le commerce ». En réponse, le Millinery Trade Review demande aux magasins de chapeaux de continuer à « populariser les ailes, poitrines et autres [éléments] de décorations des chapeaux » afin de maintenir le marché prospère des « oiseaux sauvages » et des « créatures à fourrure16 ». Refuser les plumes remet aussi en cause l’affiliation forte et tenace entre les femmes et leurs avatars animaliers. Dans la vie sauvage, l’exhibition de plumes a un rôle vital, celui d’attirer, par la parade, des partenaires et d’assurer ainsi la survie de l’espèce. De la même manière, les femmes des périodes modernes et contemporaines portent des plumes, mais dans une inversion de genre par rapport au règne animal où ce sont les mâles qui séduisent : ce sont elles qui doivent jouer des apparences, en particulier dans l’élite où les femmes se devaient d’être au courant des toutes dernières tendances.

On peut dire en effet que la première fonction de ces chapeaux extravagants est de retenir l’attention de possibles partenaires. L’écrivaine Mary Eliza Haweis, dans The Art of Beauty, observe ainsi que dans les tendances de la chapellerie, « les femmes cherchent généralement ce qui leur donne de la hauteur, du piquant, et surtout ce qui les rend remarquables. Il n’y a rien de condamnable à cela », approuve-t-elle, « le rôle d’une femme étant d’attirer, et quand elle a attiré un partenaire, de l’enchaîner17 », le rôle des atours de la femme étant ainsi de solliciter et maintenir un lien durable.

Plus l’animal est exotique, plus ses plumes sont attractives et plus l’analogie avec les traits humains est soulignée : une gravure du magazine humoristique Puck publiée en 1914 compare une jeune fille à chapeau de plumes avec les oiseaux de paradis, oiseaux rares et subtropicaux alors en voie d’extinction du fait de la chasse. Son visage encadré par des plumes qui remplacent ses cheveux, elle lisse ses plumes comme le fait l’oiseau de paradis pour faire briller sa parure naturelle18 [fig. 6].

Fig. 6 : William H. Barribal, “Bird-Lady though you be,” Puck, 2 mai 1914.

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© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

En 1881, l’ornithologue Frank Chapman passe deux après-midis à arpenter les quartiers chics de New York et repère pas moins de quarante espèces d’oiseaux ornant les chapeaux des clientes de Manhattan. La liste des espèces qu’il publie dans Forest and Stream: a Weekly Journal of the Rod and Gun est instructive car, note Chapman, elle donne « une idée des espèces détruites » par les taxidermistes et les « collecteurs » qui travaillent dans la chapellerie19.

Même après la création de l’Audubon Society, citoyens américains amoureux des oiseaux, experts en ornithologie et défenseurs de la nature continuent de se regrouper en organisations dédiées au bien-être animal et à la protection de leur habitat, telles que l’American Ornithologists Union fondée en 1883. Chapman est un des leaders de ce mouvement naissant aux États-Unis de protection des animaux ; il est aussi, à partir de 1888, assistant à l’American Museum of Natural History, nommé à la tête du département d’ornithologie, puis à partir de 1901, conservateur de la section des Mammifères et des Oiseaux.

Du fait de son statut institutionnel, Chapman fait connaître au public la situation critique de certaines espèces d’oiseaux par des expositions sur la vie des oiseaux, en particulier par des dioramas mettant en scène de façon didactique des oiseaux empaillés. Son diorama dépeignant « L’Aigrette d’Amérique dans une forêt de cyprès de la Caroline du Sud » est un exemple d’un dispositif pédagogique montrant un groupe d’aigrettes, avec un plumage correspondant à la saison des reproductions, et veillant sur leurs enfants [fig. 7]. Dans le texte qui accompagne l’exposition, Chapman explique que les aigrettes sont « au bord de l’extinction » à cause des chasseurs travaillant pour le commerce de la chapellerie. « Ils avaient si bien fait leur travail, écrivait Chapman, que nous avons craint de ne pouvoir inclure les espèces en voie de disparition » dans les dioramas du muséum. Le musée trouve par bonheur un groupe d’aigrettes qui avaient été protégées de la chasse… et le chasse ainsi pour le muséum.

Fig. 7 : L’aigrette américaine dans une forêt de cyprès de Caroline du Sud. North American Bird Hall, American Museum of Natural History, vers 1909.

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© Modes pratiques.

C’est toute l’ironie de la situation des naturalistes de la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle : dans le but de convaincre de la fragilité de la nature face aux déprédations humaines, ils deviennent eux-mêmes les prédateurs de ces fragiles environnements.

Ce paradoxe est tôt perçu par le public. Un essai de 1910 intitulé Who Killed Cock Robin? débute par une scène dans laquelle le chasseur de plumes, espérant faire une rafle dans un nid d’aigrettes, est stoppé par des « collectionneurs-scientifiques d’oiseaux »… qui tuent ensuite les oiseaux pour les exposer dans un musée. Bien que les scientifiques se félicitent eux-mêmes d’avoir sauvé des colonies, l’auteur note que les « oiseaux sacrifiés pour les besoins des collections étaient tout aussi morts que ceux tués pour leurs plumes20 ». Dans la même logique, un observateur décrit dans Forest and Stream le moment où, dans un muséum d’histoire naturelle, une femme coiffée d’un chapeau avec des morceaux d’oiseaux empaillés s’arrêtant devant une vitrine d’oiseaux empaillés s’exclame : « C’est une honte de tuer ces pauvres petits chéris21 ! ». En outre, le public associe souvent les naturalistes défenseurs de la nature avec les taxidermistes travaillant pour la chapellerie. Comme Joel Asaph Allen – premier conservateur pour les oiseaux de l’American Museum of Natural History que Chapman avait assisté au début de sa carrière – le note dès 1877, « le taxidermiste fait trop souvent des alliances douteuses avec les modistes » et porte de ce fait « une large responsabilité dans les critiques, sans fondement, du public à l’égard des collections scientifiques22 ». Mais cette affirmation qui rend responsables les fabricants de chapeaux à la place du personnel des musées peut tout autant être vue comme une manière d’assimiler ces activités que de les différencier.

Jouant de la force de la satire visuelle, les caricaturistes qui s’attaquent aux chapeaux à plumes raillent avant tout les femmes à la mode – bien plus que les modistes, les braconniers ou les ornithologues avides –, critiquant avant tout par ce moyen leur manque de modestie, de réserve et de moralité. L’illustrateur britannique Linley Sambourne présente ainsi une femme comme un monstrueux « oiseau de proie », les bras écartés et les pieds transformés en griffes de rapace, perturbant la vie paisible d’un marais [fig. 8]. Si sa victime, un petit oiseau, lui échappe, elle arbore une aigrette au sommet de son bonnet et un long boa de plumes au cou, indices de ses prises passées.

Fig. 8. Linley Sambourne, “Bird of Prey,”

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Punch, or the London Charivari, Vol. 102, 14 mai 1892.

Sujettes à moqueries, ces hybridités radicales entre humains et oiseaux sont aussi parfois présentées comme « naturelles », dans la mesure où les chapeaux emplumés peuvent être une traduction d’une sorte de vie primordiale garantissant le dynamisme de la mode et favorisant de florissants réseaux commerciaux. Mais dans le même temps, poussées à l’extrême, ces hybridités apparaissent comme une perversion de l’ordre naturel et par là de l’ordre social.

Selon les discours victoriens, la vraie moralité réside dans l’acceptation des rôles « naturels » de genre et, bien qu’hommes et femmes soient également impliqués dans la protection des oiseaux, la réaction doit être plus forte chez les femmes. Mais paradoxalement, alors que la critique de la cruauté de la mode repose sur l’idée d’une femme faible, vaniteuse et sans morale, les femmes mobilisent dans la réalité les valeurs tout aussi genrées, pour rallier le public à la cause aviaire, que sont l’empathie et la réforme sociale. « Les femmes sont supposées être d’une nature plus douce et plus raffinée que les hommes », écrit un défenseur des oiseaux, mais l’affichage vulgaire « des têtes et des ailes d’oiseaux entiers sur leurs chapeaux […] fait douter de la supériorité de leurs sentiments23 ». Mettant en doute la bonne foi des femmes, les diatribes des défenseurs des oiseaux contre la responsabilité des femmes dans ces massacres se font de plus en plus aiguës.

Là où la mode est impliquée, la nature humaine pourrait sembler elle-même mise en cause. Pour certains, exposer des morceaux d’animaux est un trait congénital des humains, et par là un comportement acceptable voire même louable pour des femmes cherchant à exposer leurs attributs physiques et leur richesse. À revers, pour d’autres, le refus de la mode lui-même est naturalisé par la référence aux instincts maternels. L’illustrateur Gordon Ross parodie la vanité des femmes à la mode dans une caricature de 1910 pour le magazine Puck en condamnant à la fois l’ostentation des femmes de l’élite et leur refus de la maternité [fig. 9]. Un groupe de mondaines portant des chapeaux emplumés jusqu’au ridicule entoure une mère qui allaite, tête nue, et la contemple avec perplexité et mépris. Portant des chiens et des poupées en lieu et place de nourrissons – et accompagnées d’un chimpanzé en smoking, figure récurrente pour critiquer les phénomènes d’imitation dans la mode –, elles sont censées incarner l’absurdité du refus du rôle « naturel » de la femme.

Fig. 9. Gordon Ross, “A Mother? How Odd!” Puck, 21 décembre 1910.

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© Library of Congress Prints and Photographs Division.

Pourtant, pour nombre de femmes de l’élite, ce prestige appelle une responsabilité sociale. Et Harriet Hemenway et ses pairs de l’Audubon Society parviennent à mobiliser les femmes de la bonne société dans la protection des animaux et de leur habitat en en appelant justement à leur instinct maternel de protection.

Mais invoquer les traits communs entre les comportements maternels dans le règne humain et le règne aviaire n’est pas sans problème, tant les animaux sauvages ne se caractérisent pas uniquement par la défense et les soins portés aux jeunes… Les femmes font preuve de leur instinct animal en tant que nourricières mais ne le font-elles pas aussi en papillonnant, en paradant, en menant des attaques prédatrices, voire en suivant simplement le troupeau ?

En 1886, l’écrivaine et défenseur de la nature (“Nature writer”) Celia Thaxter convoque largement les métaphores animales dans son attaque sans appel de la « La Femme sans cœur » (“Woman’s Heartlessness”), court texte publié par l’Audubon Society. Elle rapporte les propos d’une de ses connaissances portant « un charnier de becs, de griffes, d’os, de plumes et des yeux de verre sur sa stupide tête », et déclarant à Thaxter être indifférente à la destruction des oiseaux, puisqu’ils « ne tarderont pas à ne plus être à la mode24 ». Dénonçant cette irresponsable cruauté, Thaxter célèbre les femmes qui portent des « chapeaux sans oiseaux », au mépris des modes. Comme elle le prétend, les femmes qui suivent instinctivement les tendances « comme un troupeau de moutons » risquent « de perdre la raison, d’oublier leur cœur », de tout oublier sauf l’orgueil vain d’être « à la mode ». Thaxter sous-entend ainsi que la femme ne dépasse vraiment son animalité qu’en résistant à la pression permanente de la mode.

La cause de la protection animale s’amplifiant, les femmes font la démonstration de leurs capacités sociales, elles aussi vite naturalisées. Si les femmes sont susceptibles de suivre « comme des moutons » les modes, elles peuvent aussi se précipiter en troupeau vers des causes plus nobles, pour peu qu’elles soient guidées. Nombre de défenseurs de la nature soulignent ainsi qu’elles s’engagent avec férocité dans une cause dès lors qu’elles sont instruites sur le sujet, et sont poussées à agir par la moralité et la vertu, et non par l’offre commerciale ou le désir de sensualité.

De fait, les femmes sont alors « guidées » et « soutenues » par des scientifiques comme Chapman, l’un des membres les plus médiatiques de l’Audubon Society. Même si Chapman a tué des oiseaux pour constituer ses collections et réaliser ses expositions d’histoire naturelle, sa capacité à mettre en scène la vie des oiseaux dans ses dioramas compense ses déprédations. Prenant la tête du mouvement public de plus en plus large contre la mode des plumes, Chapman prête son autorité aux femmes de l’Audubon Society, se joignant à leur protestation contre la chapellerie, protestation centrale dans leur croisade pour la défense des animaux.

Dans une caricature datée de 1901 et dessinée par Squib pour la revue The Condor, publication du Cooper Ornithological Club de Californie, Chapman apparaît conduisant un défilé de femmes activistes. Leur nombre indique la montée rapide des clubs locaux de l’Audubon Society devenue nationale en 190525 [fig. 10]. Équipées de jumelles pour observer les oiseaux, les femmes de cette horde marchent avec des banderoles et des panneaux, dont l’un porte la mention : « À bas les modistes ! Vive Lacey ! » En arrière-plan, deux manifestantes jettent leurs chapeaux en l’air, alors que la plupart d’entre elles portent de sévères bonnets à larges visières mais sans décoration, évoquant un engagement quasiment religieux dans leur cause. Bien que leurs pulsions aient été réorientées vers des objectifs plus dignes que la mode – l’éducation contre l’ornementation –, les femmes apparaissent comme devant être guidées par une force nécessairement masculine et qui les dépasse.

Fig. 10 : Squib, Snap Shots of Prominent Ornithologists, The Condor, mars-avril 1901, p. 55.

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© SORA, University of New Mexico Libraries.

Ce leadership masculin peut être lu comme une domination masculine ordinaire mais aussi comme une manière pour les femmes de se jouer des règles sociales, dans la mesure où une campagne publique politique et active menée par elles seules aurait été mal reçue, voire censurée, car menaçant le partage sexué des rôles, notamment politiques.

Dans le même temps, alors que les braconniers traquent les nichées d’oiseaux, d’autres femmes, acheteuses, traquent dans les rues de la ville et les magazines les objets en plumes qui peuvent le mieux afficher leur position sociale dominante par la maîtrise des dernières tendances.

Dans sa caricature de 1911 intitulée « La femme derrière le fusil », Gordon Ross dépeint ainsi une femme svelte, vêtue de façon remarquablement élégante, menaçant de son fusil une colonie d’aigrettes dans un marais du sud des États-Unis [fig. 11]. Arborant une gigantesque aigrette sur son chapeau, elle vise ces oiseaux sauvages, tandis que les corps d’autres espèces reposent à ses pieds. Ses chiens de chasse, des modistes français, tiennent des corps dans leurs gueules, indiquant ainsi que ce sont les femmes bien plus que les modistes, obéissants, qui créent le marché des panaches de plumes.

Fig. 11 : Gordon Ross, “The Woman Behind the Gun”, Puck, 1911.

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©Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

De fait, les syndicats professionnels des modistes exercent des pressions sur les débats publics autour de la Loi Lacey et des lois qui suivent en Europe pour défendre leur commerce et leurs réseaux internationaux d’approvisionnement. En 1913, le sénateur du Missouri James Reed plaide ainsi en faveur du maintien de la « collecte » des plumes, se demandant à haute voix : « Pourquoi devrions-nous avoir de la sympathie ou des sentiments pour un oiseau à longues pattes, à long bec et au long cou et qui vit dans les marais et mange des têtards ? », alors même que l’interdiction de leur commerce menace de mettre des milliers de travailleurs au chômage – pas moins de 83 000 selon certaines estimations26. Et Reed se présente alors comme un partisan de la cause des femmes puisque, comme le montre l’enquête du photographe Lewis Hine sur les conditions dans une usine de plumes à New York, la plupart des postes dans le secteur sont occupés par des femmes [fig. 12].

Fig. 12 : Lewis Hine, Fabricant de plumes, illustration reproduite dans Mary Van Kleeck, Artificial Flower Makers, New York, Survey Associate, 1913.

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© The New York Public Library Digital Collections.

Malgré les efforts législatifs américains, la crise devient vite internationale du fait même de l’échelle de ce commerce. « Au moins cent espèces des plus beaux et curieux oiseaux du monde sont maintenant exterminées pour répondre aux exigences […] de femmes insouciantes » écrit la New York Zoological Society en 1913, en allant des « condors et vautours, aigrettes, faucons, hiboux, oiseaux de paradis et émeus, jusqu’aux faisans, canards, callistes [oiseaux vivant en Amérique du Sud] et colibris. Aucun bel oiseau n’est épargné à moins d’être pleinement protégé par la loi […]. Toute nation civilisée a des devoirs en la matière qui ne peuvent être ignorés27 ».

En lançant les forces de la « civilisation » contre la sauvagerie du carnage en cours, les défenseurs des oiseaux revendiquent la supériorité de leurs valeurs morales. Mais invoquer la « civilisation » n’est pas nécessairement efficace pour appeler au refus de la mode, d’autant plus dans un moment où des branches nouvelles des sciences, de la préhistoire aux sciences naturelles, montrent l’absence de distinction évidente entre les hommes et le règne animal.

On ne sait pas qui elle est, mais c’est une femme pressée : son panache se balance dans la rue, au milieu des passants et des voitures, alors qu’elle se précipite vers la 82e rue, passant juste devant l’appareil du jeune anthropologue Franz Boas photographiant sa nouvelle maison new-yorkaise.

Nous sommes en 1896. Boas vient alors de s’installer à New York pour occuper un poste de conservateur adjoint d’ethnologie et de somatologie28 à l’American Museum of Natural History et de conférencier en anthropologie à Columbia University. Cette photographie est une tentative pour lui de donner à voir à sa famille restée à Minden, en Allemagne, sa vie en Amérique, précisant au dos de la photographie l’emplacement du salon – fenêtre à droite de la porte –, de la salle à manger – à gauche – et des chambres d’enfants – au deuxième étage [fig. 13]. De façon inattendue, cette vue permet de voir la rue de New York et de ses « indigènes » – les bâtiments, les rues boueuses, mais aussi la femme avec un panache d’aigrette sur son chapeau…

Fig. 13. Untitled Photograph, 1896, Boas Family Papers.

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Mss.B.B61f, Box 6, American Philosophical Society.

Boas connaissait-il cette femme ? Cela est peu probable puisqu’il ne la mentionne jamais dans sa correspondance. Mais il savait des choses à propos de son chapeau. Car, comme le disait Boas à ses élèves quelques mois plus tard, dans une conférence intitulée « Art primitif », le panache a joué un rôle important dans l’histoire (naturelle) de l’homme ; les êtres humains ornent toujours leur corps. Ils dépensent de l’énergie pour travailler leur apparence et la présentation de soi, comme des éléments centraux pour l’accouplement et la reproduction. C’est en effet ce processus que Charles Darwin appelait dès 1871 « sélection sexuelle » dans son ouvrage Descent of Man. Ce qu’on juge beau est ce qui est attrayant pour un possible partenaire ; l’esthétique est essentielle à la reproduction.

Mais alors que l’on pense que les sociétés humaines modernes ne sont pas soumises à ces règles primitives, Boas souligne que « les plumes ondulent sur les chapeaux des guerriers primitifs tout comme sur ceux des généraux de nos armées. Les dépouilles d’oiseaux sont placées dans les cheveux des femmes primitives tout comme sur les chapeaux de sa sœur civilisée. Il y a cependant une différence importante : parmi les peuples primitifs, c’est principalement l’homme qui s’orne, tandis que dans la société civilisée, c’est avant tout la femme29 ». Et il ajoute que ce sont précisément les conditions matérielles de la société moderne qui contraignent les femmes à attirer un compagnon plutôt que l’inverse. La mise en scène pour la couverture du magazine français Le Rire, publié en 1897, met en image ce raisonnement [fig. 14].

Fig. 14. Lucien Metivet. “Civilization” Le Rire, no 116, 23 Janvier 1897.

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© Kharbine-Tapabor.

Pour Franz Boas, le rejet des plumes dans une société organisée, rationnelle et moderne, est une manière de faire revivre ce comportement sous la forme de chapeaux d’oiseaux empaillés et de nouvelles relations de genre. C’est un point à la fois crucial et subtil du raisonnement de Boas. En s’intéressant aux conditions matérielles de la reproduction humaine – le chapeau à plumes comme un vecteur de la vitalité de l’espèce humaine –, Boas tente de construire un raisonnement où la « culture » peut être étudiée comme une « nature ». Dans cette logique, le refus des plumes devient un panache sur le chapeau d’une discipline alors en plein développement.

Si la culture peut être considérée en tant que nature, la nature peut aussi répondre à des exigences culturelles et, exploitée par l’agriculture ou la chasse, elle peut servir le marché florissant de la chapellerie. Bien que les plumes piquées sur les chapeaux à la mode résultent le plus souvent de l’abattage par millions d’oiseaux rares, d’autres types de plumes, comme celles d’autruches élevées notamment en Afrique du Sud, peuvent être collectées sans tuer [fig. 15]. Forts des législations et des arguments pour la protection des oiseaux, les chapeaux à plumes d’autruche connaissent un grand succès, soutenus par un réseau mondial qui conjugue élevage et commerce30. L’énorme chapeau « Merry Widow », appelé ainsi en référence à une opérette à succès à Vienne en 1905 et à Londres en 1907, supporte des masses de plumes d’autruche. [fig. 16] Elles restent une parure populaire jusqu’à ce que la Grande Guerre perturbe les réseaux de ce commerce international.

Fig. 15. “Véritable extrait de viande Liebig”, chromolithographie publicitaire, 1902.

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© Kharbine-Tapabor.

Fig. 16 : A. Dupont, La chanteuse d’opéra Emmy Destinn, vers 1909.

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© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Par ailleurs, l’élevage de volailles et de gibiers, comme celui des faisans, suscitant beaucoup moins de réactions, fournit aussi des plumes qui, bien travaillées, peuvent imiter celles des oiseaux exotiques. Quelques défenseurs des oiseaux insistent sur le fait que cet art ingénieux peut facilement remplacer la consommation de plumes rares. Si les oiseaux empaillés peuvent imiter la vie, les fausses plumes exotiques peuvent être façonnées de manière à estomper toute distinction entre réalité et artifice. Bien que « le panache d’aigrette […] soit encore inaccessible comme ornement, » note un auteur du Popular Science Monthly, « un naturaliste dans une boutique de modiste se trouve confronté à des centaines de plumages jamais vus dans la nature, mais excellents sur le plan artistique, et qui sont des mystères pour lui, alors que le plumassier et le taxidermiste savent les nommer31 ». Pour certains commentateurs, le refus de la mode des plumes d’oiseaux sauvages n’est possible que par une réorientation de l’inextinguible désir pour les plumes vers d’habiles imitations.

Mais tromper un naturaliste n’est pas suffisant pour éteindre le désir d’authentiques plumes exotiques. Les plus anciennes maisons de modistes continuant à rivaliser par la profusion de raretés, les fausses plumes ne réduisent pas la demande de plumes authentiques mais tout au plus démocratisent ce goût. Et au contraire, la nouvelle extravagance des chapeaux à plumes d’autruche stimule le marché des plumes rares, autant qu’il offre une alternative aux plumes d’aigrettes ou d’oiseaux de paradis. En dépit du tollé, les mondaines continuent à porter plumes et aigrettes et la fille du président Theodore Roosevelt elle-même n’hésite pas à arborer des plumes exotiques32.

Pourtant, certaines actrices et mondaines, au cœur de l’union entre mode et célébrité promue par l’industrie des magazines, utilisent la fascination qu’elles suscitent pour tenter de faire changer les modes. Posant en 1902 pour une publicité, la célèbre chanteuse d’opéra Christy MacDonald affiche ainsi fièrement son amour des oiseaux sous la forme d’une foule d’oiseaux fantaisistes, tous artificiels [fig. 17]. Mais ces faux oiseaux comme les plumes des volailles d’élevage se retrouvent vite grâce à l’industrie sur les chapeaux de femmes des milieux populaires, renforçant ainsi le prestige des plumes authentiques, réservées à une élite. Comme le note un défenseur des animaux, mêlant conservatisme social et conception bourgeoise de la société, des millions d’oiseaux locaux subissent le même sort que les oiseaux exotiques, simplement « parce que les domestiques et les ouvrières d’usine veulent suivre la mode fixée par leurs dirigeantes », et qu’elles se sont mises à décorer leurs chapeaux avec des panaches bon marché, teints et fabriqués pour imiter les plumes tropicales33.

Fig. 17 : Christie MacDonald avec des oiseaux artificiels, vers 1902. Burr-McIntosh Studios.

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© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Par ailleurs, le recours aux oiseaux d’élevage ou aux gibiers ne garantit pas le fait que leur mort soit moins cruelle ; mais pour beaucoup, ces animaux étant non seulement élevés mais servant à d’autres choses que la mode, leur mort apparaît moins gênante. Quelques croisées refusent cependant complètement de porter des plumes : « Même en portant des plumes véritablement artificielles, nous donnons un mauvais exemple et la diabolique mode reste en vogue », écrit l’une d’elles34. Mais même après que le commerce des plumes a été perturbé et limité par la Première Guerre mondiale, les plumes – dans des formes certes moins extravagantes – restent un trait caractéristique des chapeaux de femmes tout au long du xxe siècle, témoignant de la difficulté à rejeter cette mode.

En 1962, Georges Canguilhem écrit que « l’existence des monstres met en question la vie quant au pouvoir qu’elle a de nous enseigner l’ordre35 ». Pour Canguilhem, la vie, c’est-à-dire le sujet de la science biologique lui-même, est une promesse d’ordre, de répétition, de reproduction et d’endogamie, les espèces élémentaires engendrant des espèces élémentaires. Le monstrueux bouleverse la minutieuse délimitation de l’ordre naturel. Il note ainsi que si les humains sont définis par « une certaine limitation des forces et des fonctions », alors les humains qui les dépassent ne sont plus humains, et deviennent des monstres.

Mais alors, que penser de ces bizarres chapeaux d’oiseaux ? À en croire les observateurs contemporains, ils comptent parmi les cas les plus étranges de la monstruosité moderne issue d’une tentative de s’emparer des plumages, et même des corps des oiseaux, à des fins de reproduction. Pour les observateurs contemporains comme Franz Boas et Charles Darwin, ainsi que pour Hyde, Hornaday, Samborne, Ross et d’autres qui élaborent une critique visuelle du phénomène, ces chapeaux semblaient un affront à l’ordre naturel provoqué par les exigences mêmes du dimorphisme sexuel. Pour attirer des conjoints, les femmes devaient s’approprier les plumages d’autres espèces, étendant leur pouvoir de séduction jusqu’au ciel…

Est-ce donc trop dire que ces chapeaux emplumés sont aux yeux des contemporains une forme d’hybridité décadente ? Ces chapeaux d’oiseaux sont un rappel de la proximité entre les stratégies des consommateurs et la sélection naturelle : il ne s’agit pas seulement, dans une perspective fonctionnelle, de s’approprier de la fourrure pour la chaleur, du lait pour sa protéine, ou du muscle pour se nourrir, mais aussi, dans une perspective esthétique, de s’approprier des plumages pour se décorer. Ces parures sont vues d’autant plus comme décadentes que ces ornements féminins sont réalisés pour l’essentiel avec des plumes d’oiseaux mâles. Et si ni Charles Darwin, ni Franz Boas ne le disent, toutes les caricatures soulignent cette inversion des genres.

Il ne s’agit pas d’une théorisation a posteriori. À l’époque déjà, il est possible de considérer que cette appropriation souligne qu’une même vitalité baigne oiseaux et humains, société comme nature. C’est ce qu’affirme la « sœur du Dr. C. Hart Merriam », un éminent ornithologue, condamnant ses compagnons défenseurs des animaux qui négligent l’affinité vitale entre oiseaux et humains :

Le plus important dans le cercle des vies parmi lesquelles nous vivons est celui du monde des oiseaux. […] Ce beau monde des oiseaux est toujours autour de nous, ou plutôt nous sommes toujours au milieu de lui, et, absorbés par nos propres pensées et sentiments, nous passons notre chemin sans y prêter attention. Mais nous faisons plus que cela. Nous faisons activement du tort au monde des oiseaux, et même si c’est sans y réfléchir, ce n’est pas moins un tort.

Chaque fois que nous achetons une aile, une tête, ou n’importe quelle partie de la vie d’un heureux oiseau dans le but de nous rendre plus désirable, nous ne commettons pas seulement un crime contre le monde des oiseaux, ni un viol contre notre propre nature, mais nous retardons le progrès de la civilisation par un acte de barbarie36.

Nous sommes toujours au milieu d’un monde d’oiseaux ; leur attractivité est notre attractivité ; leur bonheur est notre bonheur. La même logique débouche à la fois sur la captation des séduisantes plumes d’oiseaux et sur la dénonciation de l’acte barbare, qui consiste à se dépouiller de la société et à revêtir des matières plus proches de la nature.

Mais le barbare n’est pas le monstrueux. En acceptant que les oiseaux et les humains soient englobés dans le même continuum de vie, les défenseurs de la nature du xixe siècle – comme la sœur du Dr Merriam – suggèrent une nouvelle hybridité plus étroite, qui vient de la capacité humaine à s’approprier les ornements des oiseaux comme des éléments de leurs « cercles de vie ». Si les oiseaux en chapeaux sont monstrueux, si c’est un acte d’hybridité embarrassant la civilisation elle-même, l’acceptation de l’intimité oiseau-homme doit être tout aussi monstrueuse tant elle bouleverse les ordres soigneusement tenus depuis des siècles. « Le passage de l’hybridité à la monstruosité est aisé », écrit Canguilhem – et le changement des valeurs qu’implique la censure des ornements en oiseaux, et la désignation de l’oiseau comme entité à préserver, sont une étape dans ce passage. Rejeter la plume, devient donc aussi une forme de refus de l’hybridité et une forme d’acceptation de la monstruosité.

Fig. 18 : La Mode, 1909. Illustration de Roberty pour une carte postale.

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© Jean Vigne/Kharbine-Tapabor.

« Pour orner les chapeaux des belles dames. Comment on chasse les oiseaux de paradis à la Nouvelle-Guinée. » Le Petit Journal illustré du 8 novembre 1908.

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© Collection particulière.

1 La Ligue de protection des oiseaux est créée en France en 1912 et, en Allemagne, d’importantes campagnes sont lancées par la Bund für Vogelschutz ;

2 De nombreuses études ont observé les origines de la sensibilité à l’égard des animaux à travers « l’outrage » des modistes utilisant des plumes, et

3 “The Cruelties of Fashion” in Frank Leslie’s Illustrated Magazine, 57, 10 novembre 1883, p. 183.

4 En 1908, le Britannique Lord Avebury tente de faire passer une loi restreignant l’importation de plumes au Parlement mais sans succès. La première

5 Le terme de « modiste » désigne spécifiquement, au xixe siècle, les artisans qui créent, confectionnent ou vendent des coiffures féminines.

6 Le journal de mode et de commerce publie chaque mois des enquêtes sur Paris. Voir par exemple Elizabeth Dryden, “The Secret of the Paris Hat,”

7 “A Few of the Novelties Shown in New York,” Illustrated Milliner, 3:9, septembre 1902, p. 36.

8 “Supplement to the Brief of William T. Hornaday on the Absolute Prohibition of the Importation of the Plumage of Wild Birds,”

9 La National Audubon Society est une organisation américaine de défense de l’environnement, sans but lucratif. Elle est baptisée ainsi en l’honneur

10 John H. Mitchell, “The Mothers of Conservation,” Sanctuary: The Journal of the Massachusetts Audubon Society, janvier-février 1996, p. 1-20

11 Le groupe compte 5 000 membres dans l’année, et devient la Royal Society for the Protection of Birds en 1891. Voir Cynthia Burek, “The Role of the

12 Jean Clemens, “Correspondence: The Passing of the Egret,” Harper’s Weekly, 49:2524, 6 mai 1905, p. 658.

13 “Seasonal Report,” Illustrated Milliner,9:1, janvier 1908, p. 51.

14 William T. Hornaday, Our Vanishing Wildlife: Its Extermination and Preservation, New York, New York Zoological Society, 1913, p. 132.

15 Charlotte Rankin Aikin, Millinery, New York, The Ronald Press Co., 1918, p. 72.

16 Untitled editorial, Millinery Trade Review, 36:10, octobre 1911, p. 39.

17 Mary Eliza Haweis, The Art of Beauty, London, Chatto and Windus, 1883, p. 129.

18 See Gephart and Rossi, “Dove-tailed Displays: Show Windows, Habitat Dioramas, and Bird Hats” in Anca Lasc, Patricia-Lara Betancourt, and Margaret

19 Frank Chapman, “Birds and Bonnets,” Forest and Stream, 26:5, 25 février 1886, p. 84.

20 Franklin Clarkin, “Who Killed Cock Robin?” Everybody’s Magazine,22:1, janvier 1910, p. 83.

21 Merlin, “Protect the Small Birds”, Forest and Stream, 22:5, 8 février 1884, p. 83.

22 Allen, “Destruction of Birds in the United States”, Popular Science Monthly, 10, mars 1877, p. 636.

23 O. W. R., “Murder Most Foul”, Forest and Stream, 27:5, 25 février 1886, p. 83.

24 Celia Thaxter, “Women’s Heartlessness,” The Audubon Magazine, 1:1, février 1887, p. 13-14.

25 Frank Graham Jr., The Audubon Ark: A History of the National Audubon Society, New York, Knopf, 1990.

26 “A Bad Showing for Missouri,” The Guide to Nature, 6:7, novembre 1913, p. 173.

27 “Our New Campaign: to Stop the Importation of Wild Birds for Millinery,” New York Zoological Society Bulletin, 16: 57, mai 1913, p. 995.

28 Terme vieilli pour désigner l’« ensemble des connaissances sur le corps humain, comprenant notamment l’anatomie et la physiologie ».

29 Franz Boas, “Primitive Art,” 1896, Franz Boas Papers, American Philosophical Society.

30 Sarah Abrevaya Stein, Plumes: Ostrich Feathers, Jews, and a Lost World of Global Commerce, New Haven, Yale University Press, 2008.

31 “Artificial Birds for Women’s Hats,” Popular Science,45: 53, 1894, p. 860.

32 “Town Talk: It Was A Clothes Show,” San Francisco Daily Times, 10 novembre 1910, p. 14.

33 Mrs. Charles Mallet, “Dress in Relation to Animal Life”, Women in Social Life, London, Unwin, 1900, p. 244.

34 Mrs. F. E. Lemon, “Protection of Animal Life”, Women in Social Life, London, Unwin, 1900, p. 236.

35 Georges Canguilhem, « La monstruosité et le monstrueux », Diogenes, décembre 1962, p. 29.

36 Anonymous, “Birds and Bonnets”, Forest and Stream, 25: 20, 10 décembre 1885, p. 385.

Notes

1 La Ligue de protection des oiseaux est créée en France en 1912 et, en Allemagne, d’importantes campagnes sont lancées par la Bund für Vogelschutz ; voir par exemple : Carl Georg Schillings, Die Tragödie des Paradiesvogels und des Edelreihers, 1912.

2 De nombreuses études ont observé les origines de la sensibilité à l’égard des animaux à travers « l’outrage » des modistes utilisant des plumes, et notamment Robin Doughty, Feather Fashions and Bird Preservation: A Study in Nature Preservation, Berkeley, University of California Press, 1975 ; R. J. Moore-Colyer, “Feathered Women and Persecuted Birds: The Struggle Against the Plumage Trade, c. 1860-1922,” Rural History, 11:1, 2000, p. 57-73 ; Jennifer Price, Flight Maps: Adventures with Nature in Modern America, New York, Basic Books, 1999 ; Scott Weidensaul, Of a Feather: A Brief History of American Birding, New York, Harcourt, 2008 ; Thor Hansen, Feathers: The Evolution of a Natural Miracle, New York, Basic Books, 2012 and Merle Patchett, “Fashioning Feathers: Dead Birds, Millinery Crafts, and the Plumage Trade”, 2011 Exhibition at the University of Alberta, coordinated with the author’s website and blog accessed, February 2015. http://fashioningfeathers.com/

3 “The Cruelties of Fashion” in Frank Leslie’s Illustrated Magazine, 57, 10 novembre 1883, p. 183.

4 En 1908, le Britannique Lord Avebury tente de faire passer une loi restreignant l’importation de plumes au Parlement mais sans succès. La première loi contre le commerce des plumes sauvages est votée en 1921 (voir See Doughty, Feather Fashions…, op. cit., p. 118).

5 Le terme de « modiste » désigne spécifiquement, au xixe siècle, les artisans qui créent, confectionnent ou vendent des coiffures féminines.

6 Le journal de mode et de commerce publie chaque mois des enquêtes sur Paris. Voir par exemple Elizabeth Dryden, “The Secret of the Paris Hat,” Harper’s Bazaar, 43:7, juillet 1909, p. 701.

7 “A Few of the Novelties Shown in New York,” Illustrated Milliner, 3:9, septembre 1902, p. 36.

8 “Supplement to the Brief of William T. Hornaday on the Absolute Prohibition of the Importation of the Plumage of Wild Birds,” United States Congressional Serial Set, Washington, DC, 1913, p. 5316-5317.

9 La National Audubon Society est une organisation américaine de défense de l’environnement, sans but lucratif. Elle est baptisée ainsi en l’honneur de l’ornithologue et naturaliste américain John James Audubon, mort en 1851, spécialiste des oiseaux d’Amérique du Nord. Elle se consacre encore aujourd’hui pour l’essentiel à la protection des oiseaux.

10 John H. Mitchell, “The Mothers of Conservation,” Sanctuary: The Journal of the Massachusetts Audubon Society, janvier-février 1996, p. 1-20

11 Le groupe compte 5 000 membres dans l’année, et devient la Royal Society for the Protection of Birds en 1891. Voir Cynthia Burek, “The Role of the Voluntary Sector in the Evolving Geo-conservation Movement,” in Burek et Prosser (dir.), The History of Geoconservation, Londres, Geological Society, 2008, p. 61-62.

12 Jean Clemens, “Correspondence: The Passing of the Egret,” Harper’s Weekly, 49:2524, 6 mai 1905, p. 658.

13 “Seasonal Report,” Illustrated Milliner, 9:1, janvier 1908, p. 51.

14 William T. Hornaday, Our Vanishing Wildlife: Its Extermination and Preservation, New York, New York Zoological Society, 1913, p. 132.

15 Charlotte Rankin Aikin, Millinery, New York, The Ronald Press Co., 1918, p. 72.

16 Untitled editorial, Millinery Trade Review, 36:10, octobre 1911, p. 39.

17 Mary Eliza Haweis, The Art of Beauty, London, Chatto and Windus, 1883, p. 129.

18 See Gephart and Rossi, “Dove-tailed Displays: Show Windows, Habitat Dioramas, and Bird Hats” in Anca Lasc, Patricia-Lara Betancourt, and Margaret Petty (dir.), Architectures of Display: Department Stores and Modern Retail, London, Routledge, à venir.

19 Frank Chapman, “Birds and Bonnets,” Forest and Stream, 26:5, 25 février 1886, p. 84.

20 Franklin Clarkin, “Who Killed Cock Robin?” Everybody’s Magazine, 22:1, janvier 1910, p. 83.

21 Merlin, “Protect the Small Birds”, Forest and Stream, 22:5, 8 février 1884, p. 83.

22 Allen, “Destruction of Birds in the United States”, Popular Science Monthly, 10, mars 1877, p. 636.

23 O. W. R., “Murder Most Foul”, Forest and Stream, 27:5, 25 février 1886, p. 83.

24 Celia Thaxter, “Women’s Heartlessness,” The Audubon Magazine, 1:1, février 1887, p. 13-14.

25 Frank Graham Jr., The Audubon Ark: A History of the National Audubon Society, New York, Knopf, 1990.

26 “A Bad Showing for Missouri,” The Guide to Nature, 6:7, novembre 1913, p. 173.

27 “Our New Campaign: to Stop the Importation of Wild Birds for Millinery,” New York Zoological Society Bulletin, 16: 57, mai 1913, p. 995.

28 Terme vieilli pour désigner l’« ensemble des connaissances sur le corps humain, comprenant notamment l’anatomie et la physiologie ».

29 Franz Boas, “Primitive Art,” 1896, Franz Boas Papers, American Philosophical Society.

30 Sarah Abrevaya Stein, Plumes: Ostrich Feathers, Jews, and a Lost World of Global Commerce, New Haven, Yale University Press, 2008.

31 “Artificial Birds for Women’s Hats,” Popular Science, 45: 53, 1894, p. 860.

32 “Town Talk: It Was A Clothes Show,” San Francisco Daily Times, 10 novembre 1910, p. 14.

33 Mrs. Charles Mallet, “Dress in Relation to Animal Life”, Women in Social Life, London, Unwin, 1900, p. 244.

34 Mrs. F. E. Lemon, “Protection of Animal Life”, Women in Social Life, London, Unwin, 1900, p. 236.

35 Georges Canguilhem, « La monstruosité et le monstrueux », Diogenes, décembre 1962, p. 29.

36 Anonymous, “Birds and Bonnets”, Forest and Stream, 25: 20, 10 décembre 1885, p. 385.

Illustrations

Fig. 1 : John N. Hyde. “The Cruelties of Fashion – Fine Feathers Make Fine Birds.” Frank Leslie’s Illustrated Newspaper, 10 novembre 1883, p. 183-184.

Fig. 1 : John N. Hyde. “The Cruelties of Fashion – Fine Feathers Make Fine Birds.” Frank Leslie’s Illustrated Newspaper, 10 novembre 1883, p. 183-184.

© Courtesy Library of Congress Prints and Photographs Division

Fig. 2 : Mannequin portant le chapeau « Chantecler », 1912. George Grantham Bain Collection.

Fig. 2 : Mannequin portant le chapeau « Chantecler », 1912. George Grantham Bain Collection.

© Library of Congress Prints and Photographs Division.

Fig. 3 : The Aigrette Loses Caste, pamphlet de la Massachusetts Audubon Society, août 1906. L’aigrette est désignée comme « l’insigne blanc de la cruauté ».

Fig. 3 : The Aigrette Loses Caste, pamphlet de la Massachusetts Audubon Society, août 1906. L’aigrette est désignée comme « l’insigne blanc de la cruauté ».

© Series IV. Folder D. Massachusetts Historical Society.

Fig. 4 : Aigrettes mortes dans leurs nids. William Hornaday, Our Vanishing Wildlife: Its Extermination and Preservation, 1913.

Fig. 4 : Aigrettes mortes dans leurs nids. William Hornaday, Our Vanishing Wildlife: Its Extermination and Preservation, 1913.

© Harvard University Libraries.

Fig. 5 : “Advanced Fall Models, Paris,” The Illustrated Milliner, vol. 3, juillet 1902, p. 11.

Fig. 5 : “Advanced Fall Models, Paris,” The Illustrated Milliner, vol. 3, juillet 1902, p. 11.

© Collection particulière.

Fig. 6 : William H. Barribal, “Bird-Lady though you be,” Puck, 2 mai 1914.

Fig. 6 : William H. Barribal, “Bird-Lady though you be,” Puck, 2 mai 1914.

© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Fig. 7 : L’aigrette américaine dans une forêt de cyprès de Caroline du Sud. North American Bird Hall, American Museum of Natural History, vers 1909.

Fig. 7 : L’aigrette américaine dans une forêt de cyprès de Caroline du Sud. North American Bird Hall, American Museum of Natural History, vers 1909.

© Modes pratiques.

Fig. 8. Linley Sambourne, “Bird of Prey,”

Fig. 8. Linley Sambourne, “Bird of Prey,”

Punch, or the London Charivari, Vol. 102, 14 mai 1892.

Fig. 9. Gordon Ross, “A Mother? How Odd!” Puck, 21 décembre 1910.

Fig. 9. Gordon Ross, “A Mother? How Odd!” Puck, 21 décembre 1910.

© Library of Congress Prints and Photographs Division.

Fig. 10 : Squib, Snap Shots of Prominent Ornithologists, The Condor, mars-avril 1901, p. 55.

Fig. 10 : Squib, Snap Shots of Prominent Ornithologists, The Condor, mars-avril 1901, p. 55.

© SORA, University of New Mexico Libraries.

Fig. 11 : Gordon Ross, “The Woman Behind the Gun”, Puck, 1911.

Fig. 11 : Gordon Ross, “The Woman Behind the Gun”, Puck, 1911.

©Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Fig. 12 : Lewis Hine, Fabricant de plumes, illustration reproduite dans Mary Van Kleeck, Artificial Flower Makers, New York, Survey Associate, 1913.

Fig. 12 : Lewis Hine, Fabricant de plumes, illustration reproduite dans Mary Van Kleeck, Artificial Flower Makers, New York, Survey Associate, 1913.

© The New York Public Library Digital Collections.

Fig. 13. Untitled Photograph, 1896, Boas Family Papers.

Fig. 13. Untitled Photograph, 1896, Boas Family Papers.

Mss.B.B61f, Box 6, American Philosophical Society.

Fig. 14. Lucien Metivet. “Civilization” Le Rire, no 116, 23 Janvier 1897.

Fig. 14. Lucien Metivet. “Civilization” Le Rire, no 116, 23 Janvier 1897.

© Kharbine-Tapabor.

Fig. 15. “Véritable extrait de viande Liebig”, chromolithographie publicitaire, 1902.

Fig. 15. “Véritable extrait de viande Liebig”, chromolithographie publicitaire, 1902.

© Kharbine-Tapabor.

Fig. 16 : A. Dupont, La chanteuse d’opéra Emmy Destinn, vers 1909.

Fig. 16 : A. Dupont, La chanteuse d’opéra Emmy Destinn, vers 1909.

© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Fig. 17 : Christie MacDonald avec des oiseaux artificiels, vers 1902. Burr-McIntosh Studios.

Fig. 17 : Christie MacDonald avec des oiseaux artificiels, vers 1902. Burr-McIntosh Studios.

© Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

Fig. 18 : La Mode, 1909. Illustration de Roberty pour une carte postale.

Fig. 18 : La Mode, 1909. Illustration de Roberty pour une carte postale.

© Jean Vigne/Kharbine-Tapabor.

« Pour orner les chapeaux des belles dames. Comment on chasse les oiseaux de paradis à la Nouvelle-Guinée. » Le Petit Journal illustré du 8 novembre 1908.

« Pour orner les chapeaux des belles dames. Comment on chasse les oiseaux de paradis à la Nouvelle-Guinée. » Le Petit Journal illustré du 8 novembre 1908.

© Collection particulière.

Citer cet article

Référence papier

Emily Gephart et Michael Rossi, « Refuser la cruauté », Modes pratiques, 2 | 2017, 36-57.

Référence électronique

Emily Gephart et Michael Rossi, « Refuser la cruauté », Modes pratiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 28 mars 2023, consulté le 23 avril 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/344

Auteurs

Emily Gephart

Michael Rossi

Traducteur

Manuel Charpy