Quelques habits saisonniers de Bécassine

Sauts de lit, mantes de bain et calots divers

DOI : 10.54390/modespratiques.384

p. 55-79

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« Que va faire notre héroïne maintenant ? Théa, ses sens en éveil, ses lunettes sur le nez, essaie de deviner la suite. Mais Bécassine défait tous les pronostics. »
Chantal Thomas, La vie réelle des petites filles,Paris, Gallimard, 1995 [2010]1.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Connue pour sa grande sottise et sa bonté sans failles, Bécassine est le personnage fétiche d’un magazine pour enfants de « bonne famille », né le 2 février 1905 et disparu le 25 août 1960 : La Semaine de Suzette2. Présente dès la création du journal, la domestique bretonne de la marquise de Grand Air en anime le numéro hebdomadaire sous forme d’une planche de bande dessinée, planche qui, d’abord autonome puis faisant série, permet, à partir de 1913, l’édition parallèle d’une trentaine d’albums thématisés3. Aujourd’hui, des rééditions à succès de ces mêmes albums, la publication d’habiles pastiches4, la fabrication de poupées et d’objets dérivés de toutes sortes (travestissements compris), voire de films plus ou moins réussis, assurent la pérennité d’une porteuse de coiffe au visage lunaire et généralement privé de bouche et d’oreilles5. L’étrange costume dont paraît toujours revêtue cette « Bretonne », est d’un vert soutenu que ponctuent du rouge, du noir et du blanc. Bécassine affirme ne jamais vouloir le quitter bien que cette monotonie la lasse parfois : « Ma robe et ma coiffe no 1 qui d’ailleurs ressemblent comme deux gouttes d’eau à ma robe et ma coiffe no 2, et même à celle no 36 ». Est-ce pour cela qu’elle en modifie occasionnellement l’agencement grâce à divers accessoires et à de loufoques vêtements « de saison », ce qui la transforme, paradoxalement, en témoin privilégié de tous les phénomènes de modes survenus en France au cours du premier xxe siècle ?

Auprès de Bécassine, plusieurs générations de petites filles (et quelques garçonnets) ont appris le rire, les bonnes manières, le goût des paysages et les plaisirs d’un habillement adapté aux circonstances de la vie et des saisons. Gamine, j’ai moi-même fait de Bécassine mon héroïne de papier favorite. Elle avait tant d’idées, fracassait tant d’objets, visitait tant de lieux, rencontrait tant de gens attachants et bizarres ! Ses mésaventures burlesques me fascinaient malgré l’interdit qui pesait sur elle dans une partie de ma famille, celle qui était à la fois bretonne, laïcarde et radicale-socialiste ! Devenue historienne du vêtir et du voyage, je chéris autrement cette Finistérienne de pacotille, sa bien-pensance de façade, ses cocasseries et son accoutrement faussement immuable au sein d’un monde tenté par la permanence mais secoué par les guerres et les bouleversements socio-économiques du premier xxe siècle. Désormais sensible aux différents niveaux de lecture possibles de gags doux-amers, je m’amuse à trouver dans Bécassine l’image, édulcorée mais double, de la bonne-à-tout-faire et de l’aventurière qui peut-tout-oser. Cette migrante de l’intérieur, promue nourrice sèche dans les beaux quartiers, côtoie toutes les couches de la société française et de quelques Ailleurs, car elle parcourt, entre autres, l’Angleterre, la Turquie, l’Amérique du Nord, la Suisse, le Pays Basque, les océans et Madagascar, et ses concepteurs se sont plu à la transformer à l’occasion en aviatrice, automobiliste, alpiniste, institutrice, muséologue, exploratrice, etc. Ils lui font dire qu’elle a fait, le temps d’un voyage en « roulotte » (caravane), « à la fois le chauffeur, la cuisinière, la femme de chambre et la blanchisseuse7 ». Je prétends du même coup que cette fiction de globe-trotter polyvalente peut encore servir mes désirs de savoirs nouveaux comme mes envies d’en sourire, y compris en matière de vêtures saisonnières et d’excentricités en tous genres.

Ô saisons ! Ô châteaux ! Ô dingos ! Sans oser convoquer Manchette, Rimbaud et Varda8, j’observerai ici seulement trois des singularités extérieures accordées à Bécassine par ses créateurs (Caumery l’écrivain, Pinchon l’illustrateur et Jacqueline Rivière l’initiatrice9) : la permanence d’un « costume » vert dit breton ; les irruptions d’un déshabillé nocturne cocasse, le peignoir ; l’émergence de tenues balnéaires et touristiques plus ou moins adaptées au physique massif de l’héroïne : tenues de bains, mais aussi voiles musulmans, lainages montagnards et casques coloniaux.

Dans l’espace-temps de la villégiature et du repos nocturne, Bécassine seraitelle la promotrice insoupçonnée du sportswear et le témoin – critique – de changements majeurs au sein de la culture vestimentaire française ?

L’héroïne comique d’un journal d’enfants et de 26 albums. Quelques remarques d’ordre graphique et sociologique

Restée extérieurement à peu près la même depuis son apparition dans une page du premier numéro de La Semaine de Suzette, Bécassine offre une silhouette et une garde-robe immuables, à peu d’exceptions près. Néanmoins, tout au long de son existence de papier, elle ne cesse de bouger et c’est un personnage infiniment dynamique et gyrovague que permet de visualiser la lecture de ses mésaventures.

Voir-et-lire une bande dessinée à l’ancienne

Présente dans chacune des six à douze vignettes d’une même planche, elle s’y agite au point de traverser parfois la page en diagonale et ce mouvement perpétuel d’ordre avant tout graphique se double de la narration d’incessants voyages. En effet elle n’arrête pas d’arpenter les provinces françaises, les quartiers de Paris, le vaste monde et les lieux de conflits d’un premier xxe siècle marqué, entre autres, par l’exaspération des nationalismes, l’exode rural, la reconfiguration des régionalismes, les aspirations féministes, l’exploitation coloniale, le goût de la vitesse, le bouleversement des « arts ménagers », les débuts des congés payés, etc. De tous ces évènements, elle est l’observatrice et parfois la victime10 Elle semble aussi en être l’actrice. L’appartenance au sexe féminin d’une créature de fiction est inédite et fait de Bécassine une pionnière dans le monde de la presse enfantine, alors en pleine émergence. Elle est tout à la fois l’effet et une des causes du développement du neuvième art pendant la même période.

Il est plaisant de lire, et d’abord voir, les vingt-six albums, parus entre 1913 et 1939, qui scénarisent les aventures de Bécassine. Les analyser comme des documents visuels et textuels, mais aussi tenter de les refaire « jouer », permet de conjuguer différents plaisirs. Ceux-ci dérivent tout d’abord de la jouissance esthétique que procurent la « ligne claire » d’un graphisme innovant et le dynamisme d’une mise en page elle aussi pionnière en France. En effet, privées de cadres et de phylactères, des vignettes abondantes et colorées se déploient en tous sens sur la planche et elles sont à peine lestées de quelques lignes de texte où alternent des dialogues, des récits, des « confessions », des descriptions11. Ces images retiennent d’autant mieux l’attention qu’au gré d’épisodes bizarres et variés, elles mettent en scène des anecdotes qui, évidemment sans conséquences graves, ont toujours une fin heureuse et relancent l’intérêt. Bécassine fait rire et répare toutes les formes du Mal. Benoîtement ou malicieusement, celui-ci ne surgit vraiment que sous forme de cauchemars qui s’achèvent par des croquis enfantins ou par de burlesques chutes de lit12.

Violences cachées

Les plaisirs que me procure, ainsi qu’à d’autres peut-être, la « lecture » de Bécassine proviennent enfin, aujourd’hui du moins, de la révolte née de cet émerveillement même, quand devient évidente la violence latente de rapports sociaux hautement inégalitaires, ceux qui régissent toute vie de migrante et de domestique et que la fiction ne cesse d’embellir. Le fait frappe d’autant plus qu’ici, cette vie ancillaire offre une apparence toujours apaisée et sans conflits, et néanmoins, la petite servante bretonne ne cesse de la fuir, profitant de toutes les possibilités d’échappées belles. Il n’est pas rare en effet qu’elle affirme son désir de prendre seule le large et de ne plus être servante, rédigeant pour cela des petites annonces à l’orthographe erratique et lourdement risible :

Jeune fille ayant fé un peut tou les maitié y compris aviation, naufrage et course de chamo demande situation mouvementée de preférance13.

Serait-elle féministe ? Sans doute parfois14. Cependant le monde drolatique et enchanteur des albums dont Bécassine est l’héroïne n’est jamais subversif car il est encadré et dominé par de « bons maîtres » qui, à l’instar de la marquise de Grand Air, sont propriétaires de châteaux en province (Bretagne, Normandie, Touraine) et d’hôtels particuliers parisiens, et qui, lorsqu’ils partent en villégiature, y sont accompagnés par une domesticité nombreuse, dévouée et toujours reconnaissante15. Ce monde de riches, parce qu’il subit lui aussi les aléas de la guerre ou de l’économie mondiale, est contraint à l’occasion de réduire son train de vie et d’entériner l’apparition de certaines formes de mixité sociale, mais il n’apprécie guère les « rastaquouères » et leurs épouses vulgaires, les « sidis », les femmes autoritaires, les syndicalistes, les « congés payés », les « Bohémiens », etc. Du moins, le semble-t-il, car – ambiguïté et saveur d’une œuvre peut-être à double entente –, la distribution traditionnelle des rôles sociaux est sporadiquement contredite (souvent entre les lignes des dessins et des textes) par d’autres discours et par des personnages peu conventionnels, certes risibles, mais aimables, voire admirables. Parmi les acolytes de Bécassine, il y a en effet des princes africains qui sont peintres et fins lettrés, des jeunes femmes douées et responsables, des paysans attentifs au cours mondial des denrées et aux transformations du marché (y compris de l’art), des valets de pied connaissant les auteurs classiques, des savants sans prétention, etc16.. Bécassine est un révélateur, au sens photographique, d’une idéologie à la fois conformiste, libérale et peu cléricalisée (à peine une demi-douzaine de silhouettes de religieux-euses). Du coup, par-delà les rires qu’elle suscite, elle a pu (peut encore ?) devenir l’inspiratrice de messages de tolérance.

Mémoires

Il faut ajouter que la forme même du récit de ses aventures et mésaventures suscite d’autres types de titillations bienfaisantes. Le séquençage habile de ses tribulations dans le journal, puis dans les albums qui en sont tirés annuellement, créée un suspense. Cette attente pousse à tourner la page et à vouloir lire la suite sans tarder, alors que chaque planche se doit aussi de conter une historiette autonome et de s’auto-suffire sans rompre la continuité d’un récit, par ailleurs mené à plusieurs voix et plusieurs mains.

En effet, le conteur de toutes ces anecdotes est multiple : Bécassine, bien sûr, est une fiction racontée, croquée, rêvée par le couple formé par un scénariste et un dessinateur ; mais, au gré des pages ou des albums, ceux-ci ne se contentent pas de la faire agir et dialoguer, elle « pense » (très fort et souvent mal), mais surtout elle se sait et voit penser car elle ose se raconter, écrire des mémoires souvent interrompus, voire se dessiner, allant même jusqu’à apostropher ses créateurs et à tirer ses propres conclusions de ses bévues personnelles17.

Quend on c’est pas très bien se dirigé soi même, faux pas guidé les autres. C’est trot ambissieux ça peu pas réussire18.

L’alternance, variable d’un album à l’autre, de discours rapportés et de style direct, crée, de plus et de façon régulière, des ruptures de ton surprenantes au sein des dessins comme de leur sous-texte. Mémorialiste à l’orthographe incertaine et faiseuse d’illustrations grotesques, Bécassine sert de (contre) modèle pédagogique efficace à des fillettes qui doivent apprendre, en se distrayant, à bien écrire, à bien penser et à bien s’habiller. Elle les fait plus encore voyager car, fille de l’exode rural où se perdirent nombre de ses compatriotes, elle continue à se déplacer longtemps après s’être « placée19 ». Ce faisant, elle rend intelligible le Monde, avec ou sans majuscule, ses beautés et ses aléas, durables ou saisonniers.

Promeneuse d’enfants et non-récureuse de cuisine (un fait notable qui la distingue des bonnes ordinaires mais ne la classe pas tout à fait parmi les nurses et préceptrices d’enfants20), elle bouge et écrit qu’elle bouge. Cette éternelle transfuge, géographique sinon sociale, nous aide donc, grâce à – ou malgré – ses pitreries involontaires, à observer les élégances du « grand monde » et les bricolages de modes subalternes qui, les unes comme les autres, ne cessent de changer. Sauf pour Bécassine, l’éternelle déguisée.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Le club des aiguilles

Le club des aiguilles

© Agence Kharbine-Tapabor.

Tenues de jour, tenues de nuit. Bécassine et la mode fluide

Bécassine est née Anaïk Labornez à Clocher-les-Bécasses non loin de Quimper. C’est donc une bécasse-bornée -sans-nez. Qu’elle séjourne loin du « pays breton » ou qu’elle y fasse retour, qu’elle soit occupée à donner le biberon ou qu’elle conduise une voiture de course, elle est affublée d’un même et étrange costume qu’aucun ethnographe ne saurait classer21. Supposé coutumier, il ne ressemble en rien à celui – noir – de sa mère et à celui – fort bigarré – de leur proche parentèle paysanne, d’ailleurs tôt touchée par la vogue du chapeau et autres modernités vestimentaires22. Dans la vie quotidienne diurne (la villégiature accessoirise ses habits et la nuit les modifie radicalement, on y reviendra), la tenue de Bécassine se veut voyante, archaïque et peu seyante. Improbable, indémodable et proprement re-marquable (sa principale qualité), ce hors-mode est, pour toutes ces raisons, intemporel, ludique et peut-être moral. Et Bécassine de susciter le rire quand, contre toute vérité historique, elle proclame dans une planche tardive intitulée « Question de costume », où Loulotte, la fille adoptive de la marquise, est elle-même « en tenue de sport », portant béret, gros pull, pantalons de ski et chaussures de neige :

Elle répondit qu’elle avait fait vœu de ne jamais quitter le costume que sa mère et ses grands-mères avaient porté depuis toujours23.

Un déguisement uniforme et éclatant

D’abord, il faut noter que, loin d’être un instrument explicite de dévalorisation de la bretonnité, le vestiaire régionalisant de Bécassine a pour fonction principale d’être graphique et facile à reconnaître. Toujours le même, il permet le repérage visuel immédiat du personnage dans la page, et il est lien et distinction, la reliant immédiatement à plusieurs mondes ici clairement stéréotypés : celui des patrons de vieille noblesse, celui de la domesticité, celui des estivants, celui des « indigènes » de l’Ailleurs, etc. Il décrit et rend comiques des environnements socio-professionnels et géographiques spécifiques ; il en caricature les modes et il s’en sert peut-être pour critiquer la frivolité de celles et ceux qui les suivent. Il est enfin une proclamation d’appartenance identitaire forte mais double, rattachant Bécassine – au grand dam des indépendantistes bretons –, à la fois, à l’Armorique et à l’ensemble français. Lors d’un passage de la frontière suisse, Bécassine s’étonne qu’on l’interroge sur sa nationalité (et sur son âge) :

« Votre pays ? » Comme si, rien qu’à mon costume, ça ne se voit pas que je suis française. Tout le monde sait que la Bretagne n’est pas en Patagonie. – » Votre âge ? » Question indiscrète. […]24

Le respect, dans tous les albums, du marquage immédiat qu’autorise un vêtement unique et emblématique est alors inédit et sera appliqué, plus tard, par les meilleurs illustrateurs de BD enfantine, les créateurs de Tintin, Spirou, Lucky Luck, Astérix, tous personnages dotés d’une garde-robe spécifique et permanente. La tenue, devenue familière de Bécassine, rattache l’héroïne à un statut ancillaire et provincial précis propre à « la Belle Époque ». Pourtant c’est un gage de succès encore aujourd’hui lors même que cette panoplie vestimentaire est définitivement devenue à nulle autre pareille. Elle est immédiatement reconnaissable et, pour cela, indélébile dans nos mémoires. Du hors-temps et du hors-saison, semble-t-il. Du faux coutumier et du vrai (ré)confort aussi. Cette permanence dans l’imaginaire du dessin est en effet rassurante et contraste avec la versatilité durable des modes portées par l’ensemble des comparses de Bécassine : son envieuse cousine Marie Quillouch bien sûr, mais aussi de nombreuses parvenues trop parées et des jeunes messieurs trop soignés25.

Bretonnité et calvitie

L’unique vêture quotidienne de Bécassine est singulière. Informe, elle s’enfile aisément comme un costume de théâtre, qu’elle soit faite d’une ou deux pièces faisant robe26. Verte, celle-ci est courte et dégage des chevilles qu’épaississent des bas toujours tirebouchonnés (à moins qu’ils ne soient rayés) et des souliers indéfinissables et toujours sales27. À peine marqué à la taille, ce vêtement crée une silhouette pataude, sans âge et parfaitement asexuée. Effaçant le buste et la cambrure du dos, elle est souple malgré une pièce d’estomac de couleur rouge cousue étrangement à même la robe. Enfin elle n’a pour seuls ornements que de larges bandes de velours noir qui font sa « bretonnité » et s’accompagne d’un tablier blanc (lui-même de petite taille et sans bavette). Cet ensemble d’apparence pesante est cependant toujours prêt à virevolter, en tout ou partie28, et il s’allège d’être accompagné d’une guimpe blanche fermée autour du cou par une bande noire qui surhausse la bouille ronde29 et drôlement coiffée de Bécassine. Ainsi surmontée, la silhouette de celle-ci semble surhaussée et comme affinée d’être ornée, le jour, d’une coiffe rudimentaire en toile, une petite cornette, plate et solidement enfoncée, qui invisibilise le moindre cheveu mais s’anime de minuscules ailettes latérales qui schématisent les pans (des « barbes »), relevés vers le haut, d’une coiffette sans grâce, sans volume et sans réalisme graphique. Cependant cet ornement de tête, honorable et vite rajusté30, a la double fonction de féminiser – faiblement – et de régionaliser – fortement – le personnage de Bécassine, tout en suggérant son alopécie, une quasi-calvitie, désexualisante et comique. Cette coiffe – plate et peu volumineuse – offre de plus une possibilité d’effets visuels infinis quand, écartés, redressés ou baissés, ses deux pans s’agitent au gré du vent et des humeurs de l’héroïne et ces quasi-ailerons redoublent en tous sens les lignes circonflexes de son esquisse de visage : deux traits arrondis, deux points et un cercle suffisent à dire les sourcils, les yeux et le minuscule nez d’une face ronde et schématique, elle aussi immuable et repérable entre mille autres.

Cette coiffure est syncrétique, plus proche du béguin d’enfant et du bonnet de travail, que des coiffes ordinaires, réellement portées en Basse-Bretagne dans les années 1900-1920, qu’elles soient de Cap Sizun, Châteaulin ou Douarnenez. Mais cette coiffure, apte à dynamiser les mouvements de tête de sa porteuse et à s’accompagner d’accessoires comiques (plumes, calots et autres ornements), est avant tout facile à dessiner et reproduire. Loufoque par son schématisme, elle résume et parodie toutes celles des provinciales françaises de l’Ouest quand, attelées aux tâches du quotidien, elles n’étaient pas habillées en tenues de parade et coiffes de fêtes pour des évènements d’exception : messes dominicales, processions, noces, passages chez le photographe, exhibitions folkloriques ou promenades au jardin des Tuileries si elles étaient gardiennes d’enfants à Paris. Dans la fiction, cette parure de tête permet aussi de « jouer » à la paysanne bretonne dans des films mais reste proprement inimitable comme le montrent les difficultés rencontrées par fabricants de poupées et cinéastes pour en habiller la poupée Bleuette ou des femmes réelles lors de tournages ou de campagnes publicitaires31. Singulière et paradoxale, la coiffe de Bécassine est aussi plaquée sur son crâne que le seraient des cheveux coupés très court façon années 20. De ce type de coupe, il lui arrive de rêver, comme le suggèrent explicitement textes et vignettes. Dans la première planche de Bécassine, son oncle et ses amis (1926), l’héroïne, face à son miroir, est juxtaposée à une figure de « garçonne » qui, isolée dans un rond cerclé de noir, ne montre que sa nuque. Mais ailleurs Bécassine, malgré son alopécie relative, tente en vain d’imiter les ondulations des élégantes aux coiffures courtes qu’aurait crantées une permanente :

Bécassine n’a pas suivi la mode des cheveux coupés, autant par goût que parce qu’elle n’aurait pas eu grand-chose à couper, son crâne s’ornant si on peut dire, tout juste de trois mèches32.

[…]

Je n’ai pas voulu être seule à rester à plat. Chaque jour, en ayant bien soin de ne pas être vue par Loulotte, je m’escrime avec mon fer à friser sur mes petits bouts de mèches. Je dis chaque jour parce que les mèches en question sont rétives, ce qui fait que ma permanente l’est à peine pendant vingt-quatre heures33.

Osera-t-on dire que l’équipement paradoxal de Bécassine semble s’afficher comme une version, criarde, grotesque et donc critique, des innovations capillaires et vestimentaires dont Gabrielle Chanel, Colette et leurs amies huppées sont, dès 1913, les porteuses et les facilitatrices34. Avec sa petite tête et ses vêtements fluides, une bonne d’enfants venue de la plus exotique région de l’hexagone doit amuser un lectorat juvénile et bourgeois. Cet effet, elle l’obtient, sans que nous en soyons toujours conscient.e.s, en partie grâce à un vêtement théâtral. Bécassine est « costumée », de pied en cap. « À la bretonne » autant qu’« à la française », sans doute.

Verdeur/vigueur ?

La palette utilisée par Pinchon pour colorier les habits de Bécassine est évidemment le trait le plus frappant de cette vêture. Ses couleurs vives et tranchantes la rattachent d’emblée à des modes « vulgaires », tout à la fois populaires, circassiennes et enfantines. Quasi clownesque, sa bigarrure chromatique n’a rien à voir donc avec les sobres tonalités privilégiées par la haute couture d’alors (Chanel en tête) et ses clientes élégantes, ces femmes « à la mode » – la marquise de Grand Air incluse – dont la présence et les innombrables atours hantent la toile de fond de toutes les aventures de Bécassine35. Rien à voir, non plus d’ailleurs, avec les couleurs de la plupart des costumes de fête bretons, galonnés et brodés, taillés depuis un demi-siècle dans le noir profond des draps et des velours quand ils ne le sont pas dans le bleu, le blanc écru ou le roussâtre des tissus traditionnels.

La tache vert cru de la robe de Bécassine est plus accentuée dans les rééditions recolorisées des albums, mais jusque sur les planches originales, elle attire le regard. Elle le fait d’autant plus facilement que cette couleur, mal aimée en France, est, aux dires des premiers ethnographes, le propre de provinces qui n’ont rien de celtique comme les Vosges lorraines ou la Picardie (Pinchon est né à Amiens). En Bretagne, seul le pays de Plougastel aurait eu le goût du vert billard, puis du vert mousse dit aussi vert plougastel36. Mais si le verdissement de Bécassine peut bien être une réminiscence des villégiatures bretonnes de la famille Gautier-Languereau et de Pinchon37, il me semble d’abord et surtout le fruit d’une volonté provocante : rendre unique un personnage à la fois grotesque et attendrissant, lui donner un relief particulier tout en le reliant à des images printanières et juvéniles, voire au souvenir des compagnies médiévales de Fous et au monde de clowns plus contemporains38. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le seul personnage en vert vif à faire concurrence à Bécassine est une sympathique fausse bossue, Pascaline, qui tient un salon de thé-crèmerie ouvert aux touristes dans sa ferme normande en bord de mer39. La couleur de sa robe, un peu plus bleutée que celle de Bécassine, a une tonalité bien différente des à-plats vert pâle qui nuancent les maillots de bain, les pyjamas de plage et les robes des fillettes en villégiature qu’elle accueille. Sa tenue rappelle les verdeurs du bocage normand ou breton, l’arrivée de la « belle saison » et, peut-être, la rouerie de celles et ceux qui savent profiter de touristes toujours en mal de « couleur locale ».

Le costume si frappant de Bécassine est un moyen d’identification imparable et son immobilisme dans le temps est rassurant et réconfortant. Mais il est plus que cela. Pesant, il n’a rien d’empesé et peut s’agiter dans tous les sens. Surtout – mi-adulte, mi-enfantin –, il neutralise le corps de la jeune « Bretonne » et permet à celle-ci de prendre ses aises sans être limitée par une appartenance de sexe, d’âge ou de classe. Dire donc les pays de nulle part des rêves d’enfants (nantis), mais aussi la brutalité du monde réel où leurs bonnes sont, elles, plongées, de jour comme de nuit.

Les peignoirs de la nuit et du lever

Quand le jour est tombé, l’allure vestimentaire de Bécassine se transforme et sa sempiternelle tenue « bretonnante », uniforme et familière, n’a plus cours. Sa garde-robe se révèle alors riche en « dessous » incongrus et en « dessus » somptueux. Des tenues de nuit, originales et variées qui ne semblent avoir intrigué personne, lors même que Pinchon leur donne un relief particulier : rares et drôles, elles semblent aussi fort réalistes et contrastent avec un habillement diurne figé dans le temps. La nuit, l’habillement de Bécassine s’émancipe, semble battre des ailes et suivre cet aphorisme de Chanel rapporté ou inventé par son ami, le poète Pierre Reverdy : « Soyez chenille le jour et papillon le soir40 ». Bécassine certes ne porte jamais de robes de soirée, mais elle s’affuble de robes… de chambre très étonnantes. Et par leur exubérance et par leur proximité avec celles de sa riche maîtresse.

Dignes des plus grands couturiers, seraient-elles une marque supplémentaire de la stupidité de la servante et/ou l’indice d’un désir de coquetterie, voire de revanche sociale quand règne la nuit41 ? En l’habillant ainsi, Pinchon et Caumery cherchent-ils à pimenter visuellement leurs histoires ou veulent-ils suggérer, pour Bécassine la possibilité d’autres vies, nocturnes et/ou rêvées ?

Une marquise en son déshabillé

La marquise de Grand-Air, contrairement à ses domestiques, possède des toilettes qui varient constamment et cela selon les heures du jour et selon les occasions, petites ou grandes, d’une vie mondaine de rentière fortunée. C’est une veuve néanmoins et ses créateurs se plaisent à la montrer affairée dès le matin quand, assise près de son secrétaire, elle s’occupe à gérer ses biens et le quotidien de sa « maison » : choix des menus, répartition des tâches de chaque domestique, vérification des dépenses, planification des déplacements, activités épistolaires, etc42. C’est là une manière d’inculquer aux jeunes lectrices de La Semaine de Suzette les devoirs de maîtresse de maison qui les attendent, une manière plus encore de conférer à la marquise une épaisseur sociale et psychologique que ses propos bénins et ses actes de bonté ne sauraient lui conférer. Le soin accordé à ses tenues matinales est du même coup d’une réelle importance. Ses peignoirs font la preuve de son niveau de vie élevé et de son souci de rester élégante malgré son âge et son embonpoint. Nombreux et de tonalités suaves, ils disent son oisiveté, réelle ou feinte, et lui donnent visuellement de la majesté. Ils ont littéralement « grand air », tout en suggérant des activités d’ordre intellectuel, le propre d’un vêtement dont l’histoire reste encore largement à écrire tant ses caractéristiques techniques et de genre sont mal connues43. Plus encore, il la distingue de ses domestiques, tous et toutes habillé.e.s de pied en cap (en livrée ou tenue de travail) et cela depuis les petites heures du matin44.

Présents dès l’apparition du couple formé par Bécassine et sa patronne, les déshabillés de cette dernière se déclinent de mille manières dans l’ensemble des albums et notamment dans ceux dits de guerre (1916-1919). Ces peignoirs, robes de chambre, négligés, sont notamment endossés par la marquise dans six planches de Bécassine mobilisée (1918) et cela sous trois formes différentes : une tenue rayée rose sur blanc, une autre rose unie et ornée d’un collet plissé blanc, une troisième d’un rose plus foncé que soutachent des revers de col noirs et une ceinture de la même couleur (une tenue hivernale plus confortable, sans doute45).

Fait notable, Bécassine, dans les cinq premiers albums publiés isolément, n’est revêtue d’une robe de chambre que sur une unique planche d’un seul album à l’occasion d’une attaque de zeppelins sur la ville d’Amiens où elle a accompagné ses maîtres : le vêtement est rouge vif et particulièrement incongru dans ce contexte guerrier. Mais si son usage est encore rare au sein du groupe des subalternes de la marquise, les concepteurs de La Semaine de Suzette lui accordent bientôt une place croissante. Dans le trousseau de la poupée Bleuette, elle-même (le produit-phare du magazine), comme dans les planches où veillent ou s’éveillent Bécassine et sa jeune protégée, Loulotte, aux lendemains de la guerre46.

Bécassine à la neige

Bécassine à la neige

© Agence Kharbine-Tapabor.

Les débraillés ancillaires de la nuit

Les vêtements nocturnes de Bécassine, longtemps réduits à des dessous de jour (camisole, jupon rouge et béguin), mériteraient de longs développements car ils se spécialisent et se multiplient peu à peu à partir des années 20 selon des oscillations qui restent à définir : diffusion de la robe de chambre, souci de crédibilité (une servante respectable ne peut se présenter, en chemise, quand on l’appelle la nuit), etc47.

Un seul vêtement, du fait de sa rareté et de sa réapparition sporadique dans d’autres albums, marque cependant ma mémoire. C’est le peignoir rouge vif, uni et trop grand, dont Zier (il remplace Pinchon mobilisé) habille Bécassine – on l’a vu – dès 1917, à l’occasion d’une attaque de zeppelins, un peignoir dont l’ampleur semble accroître l’hébétude d’une personne dodue et mal réveillée. Curieusement ce vêtement trivial et donc facile à rendre comique ne revient dans la page que de façon épisodique bien plus tard mais il le fait de façon récurrente.

En effet, une fois démobilisé, Pinchon prive à nouveau Bécassine de cet élément de garde-robe banal et c’est en jupon rouge ou vert (avec ou sans bandes noires) et en camisole à volants qu’elle s’assoupit aux côtés de sa maîtresse quand des « espadrilles de godasses » (en fait les redoutables escadrilles de bombardiers biplans allemands dits gothas) menacent Paris48. Un peignoir fait cependant retour en 1923 et l’ampleur des « sauts de lit » de Bécassine n’a dès lors d’égale que leur incroyable chatoiement : ainsi dans un hôtel suisse où elle séjourne avec la marquise et Loulotte, elle dort vêtue d’une grande chemise de nuit blanche mais quand elle sort de son lit, elle se drape dans une grosse robe de chambre ceinturée à la taille et particulièrement voyante : elle est de couleur bleu vif à gros motifs (des ronds blancs ponctués de virgules noires), tandis que les larges revers des manches et du col tailleur sont noirs. Or ce sont des motifs qui envahissent les larges pantalons turcs de Féridjé, son amie d’Istanbul, et cette connotation exotique rappelle, volontairement ou non, l’origine orientale, voire extrême-orientale, des robes de chambre occidentales49.

D’autres peignoirs, toujours très amples et ceinturés d’un cordon, ponctuent les (més)aventures de Bécassine, mais si leurs formes et leurs matériaux de laine épaisse semblent immuables, leurs coloris varient sans cesse et jouent des contrastes : en 1926 comme en 1936, le peignoir est blanc et rayé horizontalement et verticalement de deux traits bleu ciel qui forment carreaux ; en 1937, le jaune vif du fond est par contre quadrillé de vert et cet accoutrement est ici d’autant plus comique qu’il est enfilé face à une Loulotte elle-même drapée « genre antique dans des serviettes éponges », pour mimer Apollon ou Iphigénie sur l’Acropole ; en 1939, il s’assagit en retrouvant bancheur et quadrillage rose, etc50. Le port d’un peignoir, qu’il soit de lit ou de plage, par des « gens de livrée », – Bécassine en tête –, tout comme l’adoption sporadique d’accessoires de loisirs, ont un effet littéralement d-étonnant. La page se creuse d’une note visuelle, colorée et inattendue, qui casse la trame du récit et l’alimente sans paroles. Et notre hilarité s’accroît d’apercevoir soudainement une mise faussement élégante et donc rigolote sur le corps informe d’une servante en villégiature. Réaliste et risible, un vêtement d’exception semble momentanément mettre à distance une condition servile avérée. Peut-on y lire la marque d’une sorte de reconnaissance sociale du statut particulier de Bécassine au sein de la domesticité, très hiérarchisée, de la marquise ? Promue « gouvernante » d’une fillette assurée de son destin (elle n’est plus la nourrice – précaire – d’un bébé51), elle bénéficierait dès lors de libertés accrues, des libertés, physiques sinon morales, qui la mènent en divers lieux de vacances (châteaux campagnards, bords de mer, montagnes, croisières) et l’obligent à de burlesques efforts vestimentaires.

Modes saisonnières. Les vêtements d’exception de bécassine en villégiature

En voyages incessants d’une demeure à l’autre, d’une station d’altitude à une ville balnéaire, d’un palace à une pension de famille, d’une location à une maison-amie, les maîtres-ses de Bécassine et leurs parentèles entraînent à leur suite tout ou partie de leur abondante domesticité. Des migrations saisonnières qui entraînent des tracas de tous ordres : entre autres, la confection des malles, sacs, valises, étuis, cartons52, mais aussi le renouvellement de garde-robes ancillaires inadaptées aux usages vestimentaires de la villégiature. Comment être, au Pays basque, une baigneuse décente et une domestique « bretonne » ?

Cette saisonnalité ne figure pas dans les histoires de(s) modes. Les uniformes du personnel doivent rester les mêmes sous les Tropiques comme à Paris ou Dinard. Les mêmes tâches requérant les mêmes affichages, les panoplies du chauffeur, du valet de pied ou de la femme de chambre restent identiques. Néanmoins, pour la domesticité affectée à la garde des enfants, quand elle accompagne ces derniers sur une plage basque, un glacier suisse ou les quais de Port-Saïd, le problème vestimentaire est particulier et il devient épineux pour des faiseurs de BD, toujours en quête de comique mais tout autant d’une certaine véracité. Bécassine doit rester à peu près la même dans son apparence extérieure et ses mimiques. Elle doit montrer aussi qu’elle est Ailleurs. Ce sont donc des détails qu’il faut inventer, soit des travestissements partiels ou des accessoires qui diront qu’elle continue à servir et à rester à sa place, tout en montrant son adaptabilité aux us et coutumes locales, habits de villégiature compris. Le voyage enrichit donc le vestiaire de Bécassine d’éléments incongrus et emblématiques : de nouveaux peignoirs, cette fois-ci de bains, (et les maillots de plage qui vont avec), mais aussi d’exceptionnels manteaux, une paire de tricots (marin, puis montagnard), un chapeau tyrolien, des souliers ferrés, un casque colonial et même des voiles musulmans, en un quasi-tour du monde costumier (il a en fait – sauf exception – les contours de la francophonie).

La baignade

Les bains de mer ont leurs modes et leurs paysages, que Pinchon se complaît à dépeindre. Il y introduit une Bécassine, toujours survêtue, qui crée, là encore au cœur des planches, une note dissonante. Se parant à l’occasion d’épais peignoirs et maillots, au milieu des corps dénudés ou du moins allégés de leurs vêtements ordinaires, ses habits de gouvernante-estivante accentuent la drôlerie de ses mésaventures et révèlent les pratiques vestimentaires en vigueur dans les stations balnéaires.

Les sorties de bains, unisexes et rayées, sont l’accessoire favori dont semblent munies les élites que côtoie Bécassine au bord de la mer, mais là aussi, c’est à la marge, dans les interstices d’une vie de domestique, que l’héroïne s’émancipe et mime en partie les gestes de pudeur et de discrétion qui siéent aux femmes qui osent alors se baigner. Comme si, en villégiature, la mode cessait d’être « un privilège de caste », selon l’expression heureuse d’Edmonde Charles-Roux, Bécassine adopte des « tenues de saison », espadrilles comprises53. À petites doses et avec embarras.

Contrairement au riche Archibald Davis, aux jeunes amies de Loulotte et à leurs parents dont les peignoirs sont multicolores (clairs à pois bleu clair, tachetés de rouge, noir et blanc), sur les côtes bretonnes ou basques54, Bécassine se love, dans les plis épais d’un vêtement candide, à peine rayé de bleu ciel comme au Pays basque en 1925. Serait-elle à jamais honteuse de son costume de bain et du corps qu’il enferme ? C’est probable.

Les maillots de bains de Bécassine sont au nombre de trois. Le premier en 1916 est orangé, une couleur associée alors avec les surtouts de toile dits marinières des marins-pêcheurs. Sa coupe, déjà archaïque et donc comique avant-guerre, reste la même longtemps après la fin de celle-ci : fait de trois pièces en tissu vraisemblablement de laine, il comporte d’une part une casaque à manches mi-longues et col marin galonnés de blanc et, d’autre part, de larges culottes assorties coupées sous le genou. Plus drôle encore, il s’accompagne d’une charlotte emboîtante dont le matériau reste indéfinissable mais qui s’envole quand un paquet d’algues, pris pour un sous-marin, « attaque » le pied gauche de la baigneuse affolée55.

Telle quelle, mais de couleur noire soutachée de bleu clair et ornée d’une petite ancre marine, une autre de ces tenues sert encore à Bécassine pour surveiller Loulotte et « faire les lézards au bon soleil » de Biarritz en 1925. La seule nouveauté serait ici le jaune vif d’une charlotte qui laisse passer quelques mèches et fait contraste avec la tête nue de Loulotte, par ailleurs porteuse d’un maillot une-pièce rouge vif. La forme pérenne des ensembles de bains portés par Bécassine est telle qu’ils font, eux aussi, « costumes », à l’instar de son ensemble vert-rouge-blanc des jours ordinaires. Son allure est d’autant plus comique que ce vêtement devient proprement historique, quand Bécassine doit s’en affubler dans les années 1930 sur la plage normande de Sablefin au milieu de baigneurs et de baigneuses aux allures déjà modernes56.

Le récit qui en est fait dans Bécassine aux bains de mer est un morceau de bravoure pour leurs auteurs. Pourtant, enfant, j’ai moins ri que compati à voir la gêne de l’héroïne plongée dans une situation humiliante, imposée par la pauvreté de ses parents. Adulte, je me suis étonnée de la manière dont les traditions vestimentaires de Basse-Bretagne sont ici littéralement mises en pièces et, avec elles, peut-être leur vaine patrimonialisation. Il est difficile en effet de ne pas repérer, dans l’anecdote des rapiéçages, la possibilité d’interprétations multiples car rire de Bécassine, c’est aussi, rire des amateurs de traditions populaires et des régionalistes les plus conservateurs. C’est ce que me semblent montrer les illustrations des planches intitulées « Un souvenir de famille » et « À l’eau ! À l’eau ! », et leur accompagnement textuel, les propos prêtés par Caumery à Bécassine en bas des huit vignettes dessinées par Pinchon :

Moi, je serrais de toutes mes forces mon peignoir, afin de cacher le costume de bain que je portais, vu que je n’en étais pas trop fière. Il vient de ma grand-mère Labornez, qui l’a repassé…

… à maman, de qui je le tiens. Il n’était pas trop joli à sa naissance, et il n’a pas embelli en vieillissant. Comme, au long des années, il a été mangé pas mal par les mites…

… il est couvert de reprises. À des endroits où les mites ont eu trop d’appétit, maman a bouché les trous avec des morceaux de vêtements hors d’usage. Elle a tâché, la chère maman, d’assortir les couleurs, mais n’a pas toujours bien réussi…

… il y a surtout à la jupe, un rapiéçage qui tire l’œil comme le soleil en plein midi. Bien souvent, j’ai voulu l’arranger, mais chaque fois, maman me disait :

« N’y touche pas : c’est un souvenir, c’est un morceau du gilet brodé que ton grand-père portait le jour de son mariage. »

J’obéissais, naturellement, mais à contrecœur. Tout en aimant bien les souvenirs de famille, il me semble qu’un costume de bain n’est pas le meilleur endroit où les placer.

… Mon bonnet de toile cirée non plus n’est pas beau et, contrairement au costume, je ne pouvais pas le cacher.

[…] tel qu’il est, j’y tiens parce qu’il protège bien mes frisons… Eh bien ! oui, voilà l’aveu lâché :… j’ai des frisons. […]57.

Finalement, Bécassine ainsi vêtue, se lance à l’eau, faisant fi du qu’en-dira-ton et montrant l’arrière de la jupe de son costume bleu canard frappé de deux pièces de broderies jaune d’or. Effet comique garanti ! Et colère, durable, des défenseurs du patrimoine et des admirateurs de broderies bas-bretonnes !

Grands froids et autres intempéries

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Un souvenir de famille

Un souvenir de famille

© Agence Kharbine-Tapabor.

La rareté (et le détournement) de certaines pièces vestimentaires fait de leur soudaine apparition sur le dos d’un personnage hors-mode des moments d’étonnement et d’hilarité. Ils font sensation et les concepteurs des albums savent les utiliser avec parcimonie affublant, à l’occasion, Bécassine de quelques pulls et marinières de tricot, et de plus rares encore, imperméables, châles et « manteaux ».

La marinière en tricot à col ouvert, empruntée aux pêcheurs normands dès 1913 sur les planches de Deauville, faite « dans un matériau encore jamais utilisé et considéré comme indigne, trop pauvre, trop mou, tout juste bon pour des sous-vêtements » est une véritable révolution vestimentaire systématisée par Chanel dès 1917 avec un tricot fabriqué sur machine, le jersey. N’y a-t-elle pas taillé des ensembles de ville qui font la une des Élégances parisiennes en mars 1917 et que promeut un article intitulé « Les dernières créations de la Mode » (p. 169-17058) ? N’a-t-elle pas acquis des émules dans tous les milieux et jusque dans les planches de Caumery et Pinchon où la souplesse des jerseys couvre, en nombre de plus en plus marqué, le corps des enfants, mais aussi celui d’élégantes salonnières et des sportifs et sportives fortuné-e-s ? Fait notable, le « Club des Aiguilles » et une boutique de « Tricots pour sports. Tout faits et sur-mesure » sont l’objet de plusieurs planches dans Bécassine dans la neige (1933). Sophie, une insouciante marchande-tricoteuse, y dépareille involontairement grands bas de laine jaune et chaussettes d’enfants et envoie un pull rouge d’adulte à une petite fille de quatre ans « vouée au bleu59 ».

Boutonné ou non par devant et diversement marqué à la taille, ce paletot, colorisé en orange atténué revêt la marquise de Grand-Air au moment où, se relevant à peine de difficultés financières nées de la guerre, elle songe à reprendre Bécassine à son service, mais celle-ci refuse l’offre et part bientôt en Amérique du Nord. Or ce vêtement réapparaît deux ans plus tard, mais cette fois sur le dos de la Bretonne qui en fait l’acquisition, un 14 août, à « Herringport, une des plages les plus appréciées des New-Yorkais » et station balnéaire pour « clientèle distinguée ». Cette « tenue d’une rare élégance », bien que trop chaude pour la saison, comble d’aise Bécassine qui affiche ainsi son appartenance à la leisure class60. Cette marinière semble vécue comme une revanche sociale et la revendication d’une oisiveté toute temporaire. Faite de laine, elle est cependant inadaptée à la moiteur estivale des États-Unis et souligne, encore une fois, la stupidité apparente de celle qui sait ce qui fait mode mais qui, porteuse d’un lainage au mauvais moment, est en décalage avec les conventions dominantes. Même déséquilibre entre choix raisonné et inadaptation aux contraintes physiques ou sociales, lorsqu’apparaît le second pull de Bécassine. Il éclabousse de son ridicule la couverture et douze pages – proprement épiques –, de Bécassine alpiniste en Suisse. Dans ces pages publiées en 1923, le harnachement et les comportements outranciers des touristes font contraste avec les vêtements et le courage modestes des gens du cru61. Quant au tricot de Bécassine, avec ses gros carreaux noirs et blancs, il est clownesque et son mauvais goût est d’autant plus frappant qu’il est multiplié dans chacune des planches où l’héroïne en est affublée, suspendue au-dessus d’un terrifiant ravin.

La Bretonne, toujours identique à elle-même, toujours déphasée dans l’outrance de ses accoutrements saisonniers, semble une parodie des porteuses de sweaters chics. Elle n’en est pas moins le témoin de modes nouvelles, d’abord vestimentaires, mais peut-être aussi pédagogiques. Son pull – inusité et grotesque – reflète et promeut une activité parascolaire recommandée aux petites filles tant elle est utile et disciplinante : le tricotage à la maison. Pour soi, comme pour les pauvres déshérités que menace le froid hivernal, ceux-là mêmes qui ont longtemps fait de la confection de bas de laine un gagne-pain complémentaire62. Loin des montagnes, des bords de mer et aussi des champs d’aviation militaire (elle y porte une « peau de bique » à l’instigation du major Tacy-Turn63), Bécassine semble, néanmoins, indifférente aux intempéries et ne rien modifier dans son apparence celtique canonique quand s’abat le mauvais temps.

Doublement « enveloppée » par un corps replet et ses informes vêtements ordinaires, elle ne semble jamais troublée par le rythme naturel des saisons. C’est lors d’une unique promenade en voiture que notre aventurière se drape dans un habit un peu hivernal : une mante dont la couleur sombre déplaît à Loulotte mais qui est curieusement ornée d’une pochette extérieure où nicher (et oublier) un très voyant mouchoir pense-bête, celui de la grand-tante Fantic Labornez64. Se couvrir pour « ne pas risquer de prendre froid » est un comportement exceptionnel et n’est justifié que parce que la marquise y incite sa domestique et cela dans trois cas seulement : quand elle doit monter aux côtés du chauffeur et non s’asseoir sur la banquette intérieure de l’automobile aux côtés de sa maîtresse, quand elle va assister à la messe de minuit dans un hameau savoyard ou quand, pour une fois enrhumée, elle s’emmitoufle dans un cache-col jaune et une pèlerine courte de laine noire frisée65.

Bécassine n’aurait jamais froid. Elle ne craindrait pas davantage la pluie : un seul imperméable figure dans sa saga, ce qui lui permet de « parler anglais même quand on ne le sait pas, [car] ça s’appelle maintenant un trench-coat66 ».

C’est là une parcelle de confort, enclose dans une vignette – isolée – datée de 1929 : Pinchon place, sur le dos de Bécassine, un vêtement qui, porté dans les tranchées par les soldats britanniques, est peu à peu devenu un manteau de sport ou de voyage pour hommes. Imperméable, il revêt un ancien combattant et ami, le major écossais Tacy-Turn, en 1920, et il est adopté par le compagnon du périple américain de la Bretonne, Pierre Kiroul, l’année suivante. La masculinité de ce vêtement rompt avec le vestiaire traditionnel de l’héroïne et créée un moment de drôlerie où s’inverseraient, un bref instant, les apparences de la féminité et de la virilité.

Il est vrai que Bécassine possède un parapluie depuis qu’elle est fillette, mais elle n’aime guère l’ouvrir quand il pleut car elle a longtemps craint de l’abîmer et il a de plus la fâcheuse habitude de se retourner quand s’abat une averse67. Il est rare en effet que ce parapluie se transforme en protection contre les intempéries et même s’il est parfois une arme défensive involontaire (contre les obus allemands dits berthas, par exemple, ou contre les flèches d’un sorcier amérindien), c’est avant tout une enseigne graphique et morale. Preuve supplémentaire de l’inadéquation – comique et relative – de Bécassine au monde extérieur, le parapluie est donc un emblème de sa légendaire simplicité, mais aussi de sa générosité et de sa rassurante invulnérabilité : il fait tomber la pluie à la demande du chef, « peau-rouge », de la tribu des Fils de Nuages ; il sauve d’un obus allemand Bécassine et son ami Ben Kaddour à Paris ; il lui donne donc un pouvoir déclaré par tous « magique68 ».

L’immuable bonté des « vraies » bonnes-Bretonnes les protège de tout et, avec elles, leurs amis comme leurs petites protégées. Selon la logique – douçâtre – d’histoires à vocation éducative, les vêtements et leurs accessoires ont moins une fonction utilitaire qu’un rôle de marquage de respectabilité. En inversant – par le rire – ces signes de dignité sociale et morale, Caumery et Pinchon en renforcent la valeur normative.

Sexe et exotisme des accessoires de tête

De par leur étrangeté et leur loufoquerie, plusieurs couvre-chefs retiennent l’attention : un calot et des casquettes à caractère virilisant, un chapeau dit tyrolien, un voile de femme turque, un casque colonial, tous objets auxquels il faudrait ajouter les bonnets de bain déjà évoqués. Leur utilisation tient de la farce mais si leur identification est aisée, leur interprétation, là encore, est délicate. Les dessins de Pinchon ne sont pas toujours commentés par Caumery, prêtant ou non sa voix à Bécassine, et leurs significations, multiples, restent ouvertes.

Rares et, pour cela, emblématiques de situations d’exceptionnelles, les coiffures anomiques de Bécassine ont un effet comique immédiat : d’une part, elles recouvrent, sans la faire oublier, la coiffe symbolique de la Bretonne ; d’autre part, elles apparaissent lors de ses errances les plus imprévues : conflit mondial, périple nord-américain, séjours hors-frontières. Ces moments d’exotisme, temporel, géographique ou social, sont les seuls à rendre possible l’usurpation d’insignes habituellement interdits à Bécassine, qu’il s’agisse du voile, symbole de l’extrême féminité qui lui est refusée, ou de la chapellerie militarisée, habituellement interdite aux femmes. Ces moments sont d’ordre carnavalesque et ils peuvent être vus soit comme des signes, délibérés mais éphémères, de transgression, soit comme des preuves d’une acceptation sincère des altérités multiples nichées en chacun-e des protagonistes.

Étrangetés

Deux types de coiffures signalent, à même le corps de Bécassine, l’existence de manières de se vêtir hors-normes : le voile noir d’un tcharcharf turc et les ornements de plumes empruntés aux Amérindiens ou aux Belgo-alpins en goguette. Le tcharcharf est particulièrement amusant quand notre porteuse de coiffe celtique s’en drape, en 1919, pour vendre des produits maraîchers au bazar d’Istanbul. Ce qu’elle accomplit, munie évidemment de son emblématique parapluie rouge, et flanquée de l’inénarrable professeur Proey-Minans lui aussi voilé (de blanc) mais enrhumé. Cet éternuement révèle d’ailleurs aux autorités (proboches) son identité réelle et entraîne l’arrestation de toute son équipe, vêtue comme lui d’habits d’opérette69. Complétée d’une voilette blanche, la tenue de Bécassine se conforme aux règles vestimentaires qui, longtemps en vigueur dans la bourgeoisie stambouliote, ont été popularisées par les romans de Loti et autres fictions orientalisantes70. Détail cocasse mais ignoré, à cette époque, ce type de voile est en train de disparaître en Turquie, mais il permet, dans la BD, de multiplier des gags anti-turcs, donc anti-allemands (l’attaque de sous-marins animalisés), et il ajoute du piquant aux paysages du Bosphore et aux scènes de rues que Pinchon parsèment de silhouettes en costumes coutumiers : les aigrettes des riches touristes du Pera-Palace, les casques Adrian des troupes françaises, les fez des derviches, etc. Quant à Bécassine, le port d’un tcharcharf accroît ses rondeurs et lui donne, le temps de quelques planches, une silhouette – particulièrement clownesque – de culbuto, ventripotent mais toujours apte à se redresser. Plus drôles encore mais d’effet plus attendu, des plumes sur la tête de Bécassine la « dépaysent » et lui donnent un relief particulier dans deux albums différents publiés en 1920 et 1921 : redoublant son exotisme hexagonal, elles prétendent la masculiniser et la ridiculiser.

Ainsi sa rencontre aux États-Unis avec des « Indiens des Plaines » (les Fils de Nuages) et son adoption par ceux-ci lui valent de participer à une grande « danse des Bonnes chasses » où elle assiste le visage peint et deux plumes plantées (on ne sait comment) à l’arrière de sa coiffette71. « Barbouillée » et « pavoisée » par l’Indien Ripol-hin, elle fait ainsi, selon ses propres dires, très « couleur locale », même si elle se trouve « horrible à voir ». Il n’y a rien de sérieux ni de respectueux dans ces peintures sans valeur ethnographique des Premières nations d’Amérique. Leur présence rappelle néanmoins le succès de personnages comme Sitting-Bull dans l’imaginaire enfantin européen. Surtout cette aventure amérindienne de Bécassine permet à ses concepteurs d’évoquer la diaspora bretonne en Amérique via Charles Fennik alias Clair Antilope. Elle les autorise plus encore à faire rire autrement de leur héroïne : même si son nouveau déguisement est minimaliste (l’ajout de deux plumes décoratives et d’un maquillage facial), il parodie deux types de modes : les chapeaux et turbans – ornés de volatiles – des élégantes Françaises et les coiffures – viriles et tout aussi emplumées – de nombre de guerriers d’Amérique et d’ailleurs72. Iroquois, bersagliari et cyrards.

À mi-chemin entre le masculin et le féminin, entre le réel et la fiction, le « chapeau pour excursion » de Bécassine est une autre trouvaille graphique : ce « feutre » de teinte bleue est orné d’une haute plume blanche verticale et déclenche immédiatement le rire. Trop petit et mal enfoncé, il paraît disproportionné sur la grosse tête ronde, déjà coiffée, de l’alpiniste néophyte. Complément d’une « canne ferrée », de « gros souliers » et d’un enroulement de cordes d’escalade, il renvoie à des images de Tyroliens d’opérette ou de chasseurs à la Tartarin. Il peut donc s’interpréter à loisir, tant il paraît inapproprié et comique. Son apparition éphémère, en 1923, égaie, le temps d’une « saison » en Suisse, une douzaine de planches de l’album Bécassine alpiniste. Complément du tricot montagnard à carreaux noirs et blancs déjà évoqué, il a été acheté dans les grands-magasins et, aux dires de la vendeuse, aurait été copié sur celui porté par la reine des Belges lors de ses « déplacements ». Coûteux, il nécessite un carton spécial pour son transport et il ressemble à s’y méprendre à celui de plusieurs autres touristes de la station suisse de Culmina où parade aussi le professeur Proey-Minans (la plume de son feutre est néanmoins plus courte et plus recourbée). Ainsi coiffée, Bécassine fait sensation, mais ce chapeau est inutile et s’envole dès qu’elle glisse dans le vide d’un précipice au-dessus duquel elle reste suspendue par sa jupe sans éprouver – à tort – la moindre peur73. Vite perdu par l’alpiniste débutante, ce chapeau unisexe est une leçon de morale : emprunté à la garde-robe des sportifs de sexe masculin, il symbolise paradoxalement le courage d’une femme et d’une servante, il en dit aussi la légendaire modestie. N’écrit-elle pas :

Et c’est ainsi que se font les fausses réputations, car, entre nous, comme alpiniste, je n’ai pas été brillante.

Du reste, ai-je jamais été brillante74 ?

Masculinités

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor

Le calot est, comme d’autres emprunts aux uniformes masculins (heaume médiéval, couvre-chef de cheminots français et américains, bonnet et lunettes d’aviation, casquette de guide), la marque de la hardiesse naïve de Bécassine et la preuve visible de sa participation effective à l’effort de guerre français entre 1914 et 1919.

Tous ces couvre-chefs mettent d’abord en valeur sa bonne volonté quand elle imagine le fils de la marquise habillé en armure de preux chevalier pour partir au Front ou quand elle se rêve, présente à ses côtés, habillée en cantinière75. Ces ornements de tête déclinent aussi les emplois réels et émancipateurs qu’elle a un temps occupés pour sa/notre plus grande joie : un canotier en toile cirée noire de garde-barrière, une casquette d’aviatrice, enfin un calot de contrôleuse de tramway versaillais. Un calot, porté crânement sur le côté et dont elle garde regret quand elle doit l’abandonner à la demande de l’administration des transports publics76 :

Un calot, c’est rien du tout, un bout d’étoffe, une coiffure pas ben belle ; pourtant, avant de me séparer du mien, je n’ai pas pu me retenir de l’embrasser : il me représentait mon tram, mes amis de travail, mes voyageurs, des choses et des gens que j’aimais bien.

[Et le directeur de la compagnie, M. Ledoux, d’ajouter] : « c’était une employée très utile. Tout Versailles la connaissait : on prenait son tramway par curiosité ; elle devenait une attraction, un but de promenade, et nos recettes s’en ressentaient… J’aurais bien de la peine à trouver une autre receveuse-phénomène. »

Comme toutes ses contemporaines pendant le conflit, Bécassine a dû assumer des tâches jusqu’alors réservées aux hommes et elle a pu – un temps – en porter les insignes extérieurs77. Mais n’oublions pas qu’après avoir timidement été la porte-parole d’une certaine égalité professionnelle femmes-hommes, Bécassine revient au bercail, la maison Grand Air, et s’y fait à jamais nourrice, puis gouvernante, d’une petite fille privilégiée, Loulotte. Les fonctions maternantes supposées propres aux femmes ne sont-elles pas finalement exemplarisées par l’éternelle coiffe portée par Bécassine, une coiffe-voile qui rappelle le « joug » que le christianisme réserve, depuis toujours, aux filles d’Éve, un attribut vestimentaire que des casquettes masculines ne sauraient encore remplacer ? D’ailleurs, elle abandonne, en 1926, l’idée de porter une casquette de « guide à l’Exposition », lors même que cet emploi lui aurait permis de « gagner la dot de sa petite » et d’assumer pleinement un rôle de mère au moment où la marquise, désargentée, craint de ne plus pouvoir nourrir sa fille adoptive78.

Le casque colonial est l’ultime couvre-chef – exogène – de Bécassine. Blanc, il n’est présent que dans l’album de l’année 1936, intitulé Bécassine en croisière. L’héroïne, flanquée de Loulotte, y accompagne Monsieur Proey-Minans jusque dans l’île de Nosy Bé, au large de Madagascar, où le savant est parti en quête d’une orchidée rare qui doit lui assurer un poste d’académicien79.

Le casque, plus ou moins plat80, est arboré par tous les croisiéristes à partir de l’escale de Djibouti, et il s’affiche – en force – dans les vignettes qui décrivent les rues de « Helleville » (Hell-ville) et dans la brousse malgache où s’enfoncent les membres de l’expédition. Fait remarquable, « le Noir » de cette histoire, le maître d’hôtel Hamadou, à l’occasion redresseur de torts et négociateur, est alors lui-même coiffé de ce casque – devenu pour lui orangé – quand, dans les dernières planches et seulement dans celles-ci, ses qualités de générosité et d’intelligence culminent dans la découverte – certes involontaire – de la plante convoitée81. Ce casque porté par un Africain apparaît comme l’apothéose d’une négritude mise en avant, donc « séparée », mais toujours jugée de façon positive malgré un contexte lui-même durablement condescendant que révèlent, et le parler « petit-nègre » de la plupart des protagonistes noirs, et leur utilisation publicitaire82. Ce casque est aussi le comble des excentricités vestimentaires de Bécassine qui superpose, comme à l’accoutumée, ce couvre-chef à sa coiffe, selon un syncrétisme habituel qui ici conjugue régionalisme timide et colonisation conquérante.

Première emplette réalisée avant le départ, l’objet cloche et fait cloche – au propre et au figuré – sur la tête de Bécassine. Mal enfoncé ou porté de guingois, il accroît le ridicule de ses faits et gestes et, s’il ombrage parfois son front, il écrase les pans de sa coiffe, sauf quand il s’envole83. Parodie de pouvoir comme bien d’autres chapeaux le font dans tous les albums, le port du casque illustre un des rares moments d’inversion des rôles sociaux entre dominant-e-s et dominée-s. Quand, en bateau sur la Mer Rouge, Bécassine charme un python-chasseur de souris et suscite ainsi l’amusement de son confrère en servitude Hamadou, celui-ci lui suggère de monter sur le pont avec le serpent autour du cou et de rajouter une touche, drolatique et coloniale, à sa panoplie de servante bretonne :

Il se recule. Il contemple avec satisfaction, avec admiration, Bécassine transformée en charmeuse de serpent : « Ca zoli, zoli, dit-il. Toi monter ça sur le pont ! Tous bien étonnés, bien rire !

Bécassine hésite à se donner en spectacle, puis elle consent. Elle se dirige vers la porte. Au moment où elle va la franchir, Hamadou s’écrie : « Plus zoli avec casque ! » dit-il. Et il l’en coiffe.

La croisière s’amuse, et tout autant les petites lectrices d’antan. S’esclaffaientelles, comme nous, d’atours féminins régionaux portés conjointement avec un symbole – impérial – de domination ? Ne se moquaient-elles pas plutôt de la bêtise native des domestiques, qu’ils/elles soient de Bretagne ou d’Alabama ? À moins qu’elles n’aient été sensibles, comme moi, à l’humour de situations – rares et saisonnières – où les maîtres semblent momentanément dépossédés ?

Conclusion

Qui a ri de quoi, à la lecture de toutes ces anecdotes vestimentaires ? Que peut-on comprendre, au xxie siècle, de ces plaisanteries, habilement naïves qui, fomentées pendant l’Entre-deux Guerres, décrivent les « saisons » d’une société aristocratique et d’un impérialisme colonial en péril ?

Les ambiguïtés des récits illustrés où les concepteurs de Bécassine jouent d’accessoires visuellement forts mais politiquement ambivalents, sont grandes. Cependant, on ne peut s’empêcher d’admirer la bienveillance – relative – de ces artistes à l’égard de quelques opprimée-e-s qu’ils mettent en scène en toutes saisons. Les joliesses des vignettes et de leurs sous-textes autorisent, hier comme aujourd’hui, des interprétations incertaines qui naviguent entre mauvaise conscience et préjugés de classe et de race, jacobinisme « civilisateur » et tolérance égalitariste à la française. L’idéologie conservatrice que Bécassine « représente, admirablement parfois, n’est plus guère à la mode », mais l’héroïne, point si démodée, continue à séduire par sa capacité à illustrer – mine de rien et avec brio – les travers d’une époque dure et mal documentée dans son quotidien le plus ordinaire84. Personnage féminin attachant mais désuet, créé pour amuser et instruire des fillettes, Bécassine reste la contemporaine et le témoin des plus grands bouleversements sociétaux du xxe siècle qu’elle illustre avec précision. Elle en offre un reflet, certes édulcoré et détourné, mais il est toujours cocasse et, pour cela, me semble-t-il, moderne. Cette modernité ne doit pas être ignorée et, comme toujours en Occident, c’est la peinture de la succession des modes qui en fait le mieux la preuve.

Comme Gabrielle Chanel dite Coco, Bécassine « ne ressemble à personne » : « si vous êtes née sans ailes [sinon de coiffe], ne faites rien pour les empêcher de pousser85 ». L’une et l’autre, la créature de papier comme la bien réelle Mademoiselle, continuent à le démontrer.

1  Fin du sous-chapitre « Bécassine dort mal » (p. 27), lequel est suivi par « Les frisées » (Bécassine met des papillotes aux laitues) et « Bécassine

2  Sur l’histoire du journal, voir, entre autres, Didier Delaborde (dir.), Suzette et les autres : un demi-siècle de journaux pour la jeunesse, Metz

3  Les seuls pris ici en considération s’échelonnent entre 1913 et 1939 et ont tous été édités par les éditions Gautier-Languereau (Henri Gautier

4  Le dernier en date : Eric Corbeyran, Les vacances de B., Paris, Gautier-Languereau, 2016.

5  Son absence de bouche a été abondamment commentée, ce qui n’est pas le cas de ses oreilles, cachées – il est vrai – par la coiffe, mais invisibles

6  B. mobilisée (1918, p. 18) : « Jamais je ne quitterai le costume de mon pays », mais cette tenue unique lui pèse parfois, dessin à l’appui, comme

7  B. en roulotte 1939, p. 45. Un autre album s’intitulait déjà en 1920 : Les cent métiers de B.

8  Songeons au poème d’Arthur Rimbaud, « Ô saisons, ô châteaux », Illuminations (1875) ; au court-métrage d’Agnès Varda, Ô saisons, ô châteaux ! (1958

9  Tous les albums mettant en scène Bécassine entre 1913 et 1939 ont été publiés, puis recolorisés et réédités, chez Gautier-Languereau. Ils sont l’

10  Un point développé avec brio par B. Lehembre, op. cit..

11  Innovations formelles notées par Marc Soriano (Guide de littérature pour la jeunesse. Courants, problèmes, choix d’auteurs, Paris, Flammarion

12  Comme dans la bande dessinée américaine de Windsor McCay, Little Nemo in Slumberland (1905), réed. par Alexander Braun, Paris, Taschen, 2014, 2 

13  Cette annonce (et l’exercice orthographique qu’elle induit auprès d’un jeune lectorat) est reproduit en dernière planche de B. chez les Turcs (

14  Démonstration convaincante de B. Lehembre, op.cit., p. 52-65. Guy Bechtel, au contraire, en fait le comble de « la prude et vierge jeune fille »

15  L’automobile de B. 1927, p. 4-5, 9-10, 50 la marquise doit louer son hôtel germanopratin, licencier – après l’avoir rétribué – bonne part de son

16  Voir notamment les premiers albums.

17  B. mobilisée 1918, p. 48 ; B. aux bains de mer 1932, p. 27 : Caumery, représenté en pied, lui passe le stylo ou lui demande « une nouvelle

18  B., son oncle et leurs amis, 1926, p. 63 : B. les a guidés (mal, bien sûr) dans Paris et à l’Exposition des Arts décoratifs.

19  Contrairement à l’immobilité/immobilisme des personnages (plus réalistes) des romans ancillaires en vogue, rivés à une « maison » et à ses maîtres

20  B. nourrice(1922) met particulièrement bien en scène les hiérarchies au sein de la domesticité et les places respectives que chacun.e doit

21  Adalbert Proey-Minans, prototype du savant distrait polygraphe (il est, entre autres, phrénologue, géographe, ethnologue, herboriste), a la

22  Voir, par exemple, les scènes de foire et de mariage dans les planches 40-49 de B. et la Guerre (1916) où se côtoient presque toutes les « guises 

23  B. dans la neige, 1933, p. 27. Impossible aussi de changer de modèle de parapluie, « sans manquer de respect à des usages de famille » (B. au

24  B. alpiniste, 1923, p. 15. D’autres exemples de troubles identitaires seraient à creuser. Ainsi sa bretonnité est contestée par une déléguée de

25  Sur Marie Quillouch, ses chapeaux rouges et ses changements d’habits, soit « bretons », soit « parisiens », voir L’enfance de B. (1913) jusqu’à B.

26  Mais jupe et corsage sont distincts in B. chez les Turcs, 1919, p. 13, et dans la plupart des albums, autant qu’on en puisse juger. À noter que

27  Peut-être sont-ils lacés dans B. en croisière, 1936, p. 13-15), quand l’un d’eux est ciré par « l’Arbi » de Marseille, le sympathique Ali Mohammed

28  L’expressivité du tablier – blanc – de Bécassine mériterait analyse : quand il ne tombe pas droit sur la jupe, il contredit souvent le mouvement

29  Pour Hélène Davreux (B. ou l’image d’une femme, Bruxelles, Labor, 2006, p. 45), tout est rond sur son visage, comme le proclament, à la fois, un

30  À noter le malaise de Bécassine quand elle doit « poser sa coiffe » pour « poser en cheveux » chez le photographe avant le voyage en Suisse et les

31  B. Lehembre, op.cit., p. 32 (photo d’une vendeuse de magasin). B. cherche un emploi (1937, p. 38 sq.) montre le succès dans un studio de cinéma de

32  Bécassine, son oncle et ses amis, 1926, p. 3-4. Ces trois mèches et la maigre tresse, simple ou double, que B. monte en chignon et cache sous sa

33  B. aux bains de mer, 1932, p. 32. Mais « la coiffure de femme » d’un Apollon de plâtre ne plaît guère (B. au pensionnat, 1929, p. 53).

34  Je remercie la plasticienne Martine Lafon de m’avoir involontairement entraînée, via les dédales de l’abbaye d’Obazine, à comparer les modèles de

35  Appartenant à la seule marquise, plus de douze tenues différentes ont été dénombrées dans l’album de B. nourrice, 1922 (M.-A. Couderc, La Semaine

36  R.-Y. Creston, op.cit., p. 144-145 (les manches vertes des femmes de Plougastel). Bécassine s’étonne de la couleur des continents sur les cartes

37  M.-A. Couderc, op. cit., p. ; B. Lehembre, op. cit., p. 18 ; S. Odin, op. cit., p. 40.

38  N. Pellegrin, « Porter du vert en mai. Parures textiles et végétales, XVe-xviiie siècles », in J. Grévy, C. Manigand et D. Turrel (dir.)

39  B. aux bains de mer (1932, p. 55-56). Autre aimable farfelu, Proey-Minans se drape dans une cape du même ton qui est peut-être un achat de son

40  Edmonde Charles-Roux, Le temps Chanel, Paris, Éditions de La Martinière/Grasset-Fasquelle, 2004, p. 377.

41  Voir les kimonos somptueux de la marquise dans les premières historiettes de la série et ses plus célèbres équivalents : les manteaux de soirée

42  L’automobile de B. 1927, p. 6 : « Les soucis de Madame de grand Air ».

43  Travaux en cours, entamés par les spécialistes des textiles et vêtements d’Orient importés en Europe, Ariane Fennetaux en tête.

44  C’est encore le cas dans B. au pensionnat 1929 (p. 8-9), dans B. dans la neige 1933 (p. 78, 19, 40) et dans B. en roulotte, 1939 (p. 32-33), mais

45  Deux types distincts sont endossés par la marquise dans B. et la guerre, (1916) où est employé le mot de « négligé du matin » et quatre autres

46  Samy Odin, Bécassine dévoile les trésors de Loulotte, Paris, Musée de la Poupée, 2015, p. 6-9, 15-23, 32-37, 46-49,52-55 ; Colette Merlen

47  Présence du jupon rouge de à B. en croisière, 1936, p. 15. À noter le geste familier et, pour moi, depuis toujours si drôle, si « impudique » et

48  B. chez les Turcs, 1919, p. 1, 13.

49  B. alpiniste, 1923, p. 50. Ces gros motifs sont présents à la fois sur les pantalons bouffants de Féridjé la Turque et sur le « majestueux »

50  B., son oncle et ses amis,1926, p. 3, 19 ; B. en croisière 1936, p. 20-22 (mais le col-châle est blanc et le quadrillage simple) ; B. cherche un

51  Le statut incertain de Loulotte et de sa nourrice alimente, de façon poignante, les épisodes de B. nourrice, 1922, passim. : B. pense à des

52  Les amoncellements de malles de la marquise s’opposent à l’équipement habituellement succinct de Bécassine : son parapluie rouge, un

53  E. Charles-Roux, ouv. cit, p. 49.

54  La rayure, verticale ou horizontale, est signe de loisirs balnéaires, tant en France qu’aux Amériques (B. voyage, 1921, p. 59 ; B. au Pays basque

55  B. et la guerre, 1916, p. 52. Des marins-pêcheurs in B. aux bains de mer, 1932.

56  Voir aussi B. prend des pensionnaires, 1934, p. 40.

57  B. aux bains de mer, 1932, p. 32.

58  E. Charles-Roux, op. cit., p. 109, 112, 135 et 138 ; Lisel Anten, « La maille dans l’œuvre de Chanel, un symbole de confort et de liberté », in

59  B. dans la neige, 1933, p. 52-55. Dès leurs premiers pas, Loulotte et ses jeunes amies sont habillées de vêtements en jersey coloré et de tricots

60  B. chez les Turcs, 1919, p. 61 ; B. voyage, 1921, p. 58-59.

61  B. alpiniste, 1923, p. 38-50.

62  Bécassine tricote, mais aussi sa maîtresse (Les mésaventures de B., 1939, p. 22 : dans le train) et, plus encore, ici ou là, de vieilles paysannes

63  B. chez les Alliés, 1917, p. 18-20 ; Les cent métiers de B., 1920, p. 31.

64  B. fait du scoutisme, 1931, p. 32 et 37-38.

65  Ibid., p. 37 ; B. dans la neige, 1933, p. 59 ; B. au pensionnat, 1929, p. 8.

66  B. au pensionnat, 1929, p. 5. Le mot est bien orthographié, alors que Caumery pourchasse les anglicismes en décrivant la fin de semaine de Louis 

67  L’enfance de B., 1913, p. 40-41.

68  Les parapluies retournés ou envolés sont innombrables ; ils obligent même B. à mettre sa jupe sur sa tête dans B. au pensionnat, 1929, p. 7 (d’

69  B. chez les Turcs, 1919, p. 53-57. Cet album, le dernier des quatre consacrés à la guerre 14-18, est un de ceux où Pinchon montre le mieux ses

70  Marcelle Tinayre, Notes d’une voyageuse en Turquie. Jours de bataille et de révolution […], Paris, Calmann-Levy, 1909 ; Christine Peltre

71  B. Voyage, 1921, p. 39. Un sac à main en peau de daim, peinte et frangée, qu’elle a acheté à San Francisco, complète sa tenue et voltige en tous

72  Quand, aux Tuileries, deux pigeons se posent sur sa coiffe (la « froissant »), Bécassine inspire à une modiste un nouveau type de chapeau à plumes

73  B. alpiniste, 1921, p. 4, 16-18, 29, 31-33, 37-44.

74  Ibid., p. 63.

75  B. pendant la Guerre, 1916, p. 3. Dans le même album, elle rajoute un grand nœud alsacien à sa coiffe afin de gagner le sud des lignes françaises

76  B. pendant la Guerre, 1916, p. 45 ; B. chez les Alliés, 1917, p. 18-20 (casque et fourrure d’aviation) ; B. mobilisée, 1918 : couverture, 15

77  Françoise Thébaud, Les femmes au temps de la guerre 14-18, Paris, Payot, 2013 (1986) ; B. Lehembre (op.cit.,p. 52-65) intitule un chapitre de son

78  B., son oncle et ses amis, 1926, p. 20.

79  B. en croisière, 1936.

80  Le casque du très couard chasseur de fauves, Crainrien, a une forme haute et désuète et c’est le premier des croisiéristes à se coiffer de la

81  Tirailleurs sénégalais, forbans turcs, rois africains, touristes à l’Expo, ouvriers de chocolaterie, aubergiste sudiste, nourrices antillaises

82  Allusion goguenarde au célèbre clown Chocolat et aux publicités Banania dans l’affiche « Colas remplace Chocolat. Coûte moins !! Nourrit plus !! »

83  Ibid., p. 9, 40-43, 56 sq. Réminiscence de fameux portraits de femmes peints par Rubens ou Vigée-Lebrun ?

84  J.-J. Gabut, op. cit., p. 21. Un avis tout différent : H. Davreux, op.cit., p. 44.

85  E. Charles-Roux, op.cit., p. 118 et 377.

Bibliography

1905-1908, B. Les Historiettes. Tome I, Réed. par Bernard Lehembre, Paris, Gautier-Languereau et Hachette Livre, 2015.

1913, L’enfance de Bécassine.

1916, Bécassine pendant la guerre (plus tard, pendant la Grande Guerre).

1917, Bécassine chez les Alliés.

1918, Bécassine mobilisée.

1919, Bécassine en apprentissage.

1919, Bécassine chez les Turcs.

1920, Les cent métiers de Bécassine.

1921, Bécassine voyage.

1921, L’alphabet de Bécassine.

1922, Bécassine nourrice.

1923, Bécassine alpiniste.

1924, Les bonnes idées de Bécassine.

1925, Bécassine au Pays basque.

1926, Bécassine, son oncle et leurs amis.

1927, L’automobile de Bécassine.

1927, Les chansons de Bécassine.

1928, Bécassine au pensionnat.

1929, Bécassine maîtresse d’école.

1930, Bécassine en aéroplane.

1931, Bécassine fait du scoutisme.

1932, Bécassine aux bains de mer.

1933, Bécassine dans la neige.

1934, Bécassine prend des pensionnaires.

1935, Bécassine à Clocher-les-Bécasses.

1936, Bécassine en croisière.

1937, Bécassine cherche un emploi.

1938, Les mésaventures de Bécassine.

1939, Bécassine en roulotte.

1948 Les petits ennuis de Bécassine.

1950, Bécassine au studio.

Bibliographie complémentaire

Bruno Delarue, Humour à la plage. Caricatures de presse et d’albums, Yport, Terre en vue, 2013, ill.

Jean Leymarie, Chanel, Paris, Skira, 1987, ill.

Auguste Roubille, « Villégiatures », L’Assiette au beurre, no 17 (1901), ill.

Françoise Thébaud, Les femmes au temps de la guerre 14-18, Paris, Payot, 2013 (1986).

Anne-Marie Thiesse, Ils apprenaient la France : l’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, MSH, 1997.

Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales en Europe, Paris, Seuil, 2001.

A.-G. Tregoat, L’Immigration bretonne à Paris, son importance, ses causes, ses conséquences intéressantes au point de vue médical, de quelques moyens propres à la diminuer, Paris, Maloine, 1900.

Notes

1  Fin du sous-chapitre « Bécassine dort mal » (p. 27), lequel est suivi par « Les frisées » (Bécassine met des papillotes aux laitues) et « Bécassine et Corto Maltese » (p. 25-31).

2  Sur l’histoire du journal, voir, entre autres, Didier Delaborde (dir.), Suzette et les autres : un demi-siècle de journaux pour la jeunesse, Metz, Médiathèque du Pontiffroy, 2001, ill. ; Marie-Anne Couderc, La Semaine de Suzette. Histoires de filles, Paris, CNRS, 2005, ill. et, de la même, Bécassine inconnue, Paris, Éditions du CNRS, 2000, ill.Essentiel, Bernard Lehembre, Bécassine. Une légende du siècle, Paris, Gautier-Languereau, 2015, ill.

3  Les seuls pris ici en considération s’échelonnent entre 1913 et 1939 et ont tous été édités par les éditions Gautier-Languereau (Henri Gautier jusqu’en 1918). Voir, plus haut, leur liste. J’exclus de cette étude ceux parus après 1939 et leurs pastiches ou séquelles récents, ainsi que L’alphabet de Bécassine (1921) et Les chansons de Bécassine (1927). Dans les notes, le nom de Bécassine s’abrège désormais en B.

4  Le dernier en date : Eric Corbeyran, Les vacances de B., Paris, Gautier-Languereau, 2016.

5  Son absence de bouche a été abondamment commentée, ce qui n’est pas le cas de ses oreilles, cachées – il est vrai – par la coiffe, mais invisibles même nue tête. Un fait remarqué par Graham Robb (Une histoire buissonnière de la France. Trad. d’Isabelle Taudière, Paris, Flammarion, 2011, p. 410) qui relate, après quelques autres, l’opération-commando menée au Musée Grévin le 18 juin 1939, par trois jeunes Bretons de Paris, contre l’effigie de Bécassine « considérée comme la personnification de l’imbécillité » et qui figure dès 1919 dans ce musée de cires ; il s’agissait, pour eux, de rendre justice à toutes les bonnes bretonnes qui avaient été un jour raillées et exploitées par des patrons parisiens.

6  B. mobilisée (1918, p. 18) : « Jamais je ne quitterai le costume de mon pays », mais cette tenue unique lui pèse parfois, dessin à l’appui, comme dans B. prend des pensionnaires (1934, p. 1). Une contradiction relevée par A.-M. Couderc, op. cit., 2000, p. 60.

7  B. en roulotte 1939, p. 45. Un autre album s’intitulait déjà en 1920 : Les cent métiers de B.

8  Songeons au poème d’Arthur Rimbaud, « Ô saisons, ô châteaux », Illuminations (1875) ; au court-métrage d’Agnès Varda, Ô saisons, ô châteaux ! (1958) ; au roman policier de Jean-Patrick Manchette, Ô dingos, ô châteaux ! (1972).

9  Tous les albums mettant en scène Bécassine entre 1913 et 1939 ont été publiés, puis recolorisés et réédités, chez Gautier-Languereau. Ils sont l’œuvre, pour le texte de Caumery/Maurice Gautier (1867-1941) et, pour les illustrations, de Joseph-Porphyre Pinchon (1871-1953) ; celui-ci, mobilisé, a toutefois été remplacé par Zier pour deux albums : B. chez les Alliés (1917) et B. mobilisée (1918). Quant à la romancière Jacqueline Rivière (1851-1920), la première rédactrice de La Semaine de Suzette, elle fut l’initiatrice de la saynète fondatrice où apparaît B. aux côtés de sa patronne en papillottes et déshabillé rayé : « la petite bonne bretonne » y confond des militaires sanglés de rouge avec les homards du dîner (B. Les Historiettes I, Paris, Gautier-Languereau et Hachette Livre, 2015, p. 5).

10  Un point développé avec brio par B. Lehembre, op. cit..

11  Innovations formelles notées par Marc Soriano (Guide de littérature pour la jeunesse. Courants, problèmes, choix d’auteurs, Paris, Flammarion, 1975, p. 70-71), mais atténuées – dit-il – par le recours à « un persillage de stéréotypes » et par les limites d’un lectorat de « classe fermée ». Pinchon a toujours refusé de recourir à des bulles ou phylactères (Jean-Jacques Gabut, L’âge d’or de la BD. Les journaux illustrés, 1934-1944, Paris, Catleya Éditions, 2001, p. 21).

12  Comme dans la bande dessinée américaine de Windsor McCay, Little Nemo in Slumberland (1905), réed. par Alexander Braun, Paris, Taschen, 2014, 2 vol.

13  Cette annonce (et l’exercice orthographique qu’elle induit auprès d’un jeune lectorat) est reproduit en dernière planche de B. chez les Turcs (1919) et dans Les cent métiers de B. 1931, p. 3. Nombreux autres exemples de ces cacographies, comme dans B. pendant la (Grande) Guerre 1916, p. 8 ; B., son oncle et leurs amis 1926, p. 63, ou B. cherche un emploi 1937, p. 5.

14  Démonstration convaincante de B. Lehembre, op. cit., p. 52-65. Guy Bechtel, au contraire, en fait le comble de « la prude et vierge jeune fille » asservie « aux prudences bourgeoises (Les quatre femmes de Dieu. La putain, la sorcière, la sainte et Bécassine, Paris, Plon, 2000, p. 215).

15  L’automobile de B. 1927, p. 4-5, 9-10, 50 la marquise doit louer son hôtel germanopratin, licencier – après l’avoir rétribué – bonne part de son personnel et vendre sa limousine, mais B. gagne une petite torpedo jaune qu’elle met à la disposition de sa maîtresse et la domesticité redevient nombreuse dans les albums suivants (voir par exemple : Les mésaventures de B. 1938, p. 10).

16  Voir notamment les premiers albums.

17  B. mobilisée 1918, p. 48 ; B. aux bains de mer 1932, p. 27 : Caumery, représenté en pied, lui passe le stylo ou lui demande « une nouvelle histoire » (B. cherche un emploi 1937, p. 4 ; même passage de relais – une plume et un carnet – dans L’automobile de Bécassine 1927, p. 52). Craignant de faire naufrage, elle délègue à son dessinateur la tâche de dépeindre son état : « M. Pinchon vous montrera la tête d’épouvante que je faisais » (B. chez les Turcs, 1919, p. 14). Même autoréférence de la part du dessinateur dans B. fait du scoutisme, 1931, p. 28.

18  B., son oncle et leurs amis, 1926, p. 63 : B. les a guidés (mal, bien sûr) dans Paris et à l’Exposition des Arts décoratifs.

19  Contrairement à l’immobilité/immobilisme des personnages (plus réalistes) des romans ancillaires en vogue, rivés à une « maison » et à ses maîtres (Sylvie Thorel, Simples vies de femmes. Un petit genre narratif du xixe siècle, Paris : Honoré Champion, 2014, p. 83). Sur les migrations (de) Bretonnes, voir Leslie Page Moch, « Provinciaux et provinciales à Paris sous la troisième République. Vers une analyse du genre », in Manuela Martini et Philippe Rygiel (dir.), Genre et travail migrant, Actes de l’histoire de l’immigration, 2009, et Aurélie Epron et Ronan Le Coadic (dir.), Bretagne, migrations et identité, Rennes, PUR, 2017 ; sur les bonnes, Anne MARTIN-FUGIER, La place des bonnes. La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Grasset, 1979 (rééd. Paris, Perrin, 2004).

20  B. nourrice (1922) met particulièrement bien en scène les hiérarchies au sein de la domesticité et les places respectives que chacun.e doit respecter.

21  Adalbert Proey-Minans, prototype du savant distrait polygraphe (il est, entre autres, phrénologue, géographe, ethnologue, herboriste), a la passion des costumes locaux qu’il arbore lui-même ou collectionne dans son cabinet de travail. La mise en scène (et en cause ?) des régionalismes est omniprésente dans tous les albums de Bécassine et mériterait un examen attentif.

22  Voir, par exemple, les scènes de foire et de mariage dans les planches 40-49 de B. et la Guerre (1916) où se côtoient presque toutes les « guises » de Bretagne, anciennes et nouvelles (R.-Y. Creston, Le costume breton, Paris, Tchou, 1978 (1re éd. en fascicules, 1953-1959), p. 55, 117, 125-6, etc. ; J.-P. Gonidec, Costume et société. Le monde de Douarnenez, Ploaré vu à travers ses modes vestimentaires, Spézet, Coop Breizh/An Here, 2000, p. 17, 34, 38, 83, 137.

23  B. dans la neige, 1933, p. 27. Impossible aussi de changer de modèle de parapluie, « sans manquer de respect à des usages de famille » (B. au pensionnat, 1929, p. 8).

24  B. alpiniste, 1923, p. 15. D’autres exemples de troubles identitaires seraient à creuser. Ainsi sa bretonnité est contestée par une déléguée de PontAven à l’Exposition de 1937 dans Les Mésaventures de B. 1939 (p. 20-21) et elle possède un sosie, mentalement aliénée, dans ce même album (p. 39, 46).

25  Sur Marie Quillouch, ses chapeaux rouges et ses changements d’habits, soit « bretons », soit « parisiens », voir L’enfance de B. (1913) jusqu’à B. cherche un emploi (1937, p. 22, 28, 38, 47). Voir aussi B. nourrice 1922 (p. 58), B., son oncle et leurs amis 1926 (p. 34 sq.), qui se moque, de plus, des nouveaux mannequins « genre moderne », de « l’habillement de luxe » et des tenues de mariage des familles Gitalanoi [la gîte à la noix est un morceau de bœuf apprécié) et Chandabat [Champ d’abats], bouchers et tripiers enrichis. Dans B. nourrice (1922, p. 31, 58) et dans Les bonnes idées de B. (1924, p. 17 : B. prend la pose-mannequin « les bras tortillés et la bouche en cœur »), ainsi que dans Les 100 idées de B. (1926, p. 16-17, 36-37, 52), apparaissent déjà des critiques de ce type. Autres parvenues endimanchées à l’excès : Mme Ténuse, ex « colonelle Carmencita Ippo » (B. mobilisée, 1918, p. 40-41, 43, 45-54, 58-60), Virginie Patate devenue châtelaine après son mariage avec Nicolas Despoix, chocolatier (Les 100 métiers de B. 1920, p. 37, 41, 61), Mme du Rond de La Tour-Ronde (B. alpiniste 1923, p. 55-56), la baronne Kiné (Les bonnes idées de B. 1924, p. 14-15, 52), la jeune Delphine en pyjamas de plage (B. aux bains de mer, 1932, p. 31-32), etc.

26  Mais jupe et corsage sont distincts in B. chez les Turcs, 1919, p. 13, et dans la plupart des albums, autant qu’on en puisse juger. À noter que les toilettes de Bécassine se font toujours « en un tour de main », par volonté de faire rire ou bien pour éviter les séances trop longues devant un miroir auxquelles pourraient succomber des lectrices coquettes (B. aux bains de mer 1932, p. 4) ?

27  Peut-être sont-ils lacés dans B. en croisière, 1936, p. 13-15), quand l’un d’eux est ciré par « l’Arbi » de Marseille, le sympathique Ali Mohammed. À noter des bottes-cuissardes (?) dans B. mobilisée 1918, p. 9 et L’automobile de B. 1927, p. 52, ainsi que des « souliers de gros cuir » et des « jambières » difficiles à « boutonner » dans B. alpiniste 1923, p. 38 sq.

28  L’expressivité du tablier – blanc – de Bécassine mériterait analyse : quand il ne tombe pas droit sur la jupe, il contredit souvent le mouvement de celle-ci, s’agite en tous sens, se gonfle, se plisse, se relève et va même jusqu’à cacher la tête de l’héroïne effondrée de chagrin (B. aux bains de mer 1932, p. 25). Petite fille, elle portait une blouse ou un tablier quadrillé rouge, parfois même orné de dentelles, de L’enfance de B. 1913, passim à B. cherche un emploi 1937, p. 22-23).

29  Pour Hélène Davreux (B. ou l’image d’une femme, Bruxelles, Labor, 2006, p. 45), tout est rond sur son visage, comme le proclament, à la fois, un douanier français et Loulotte, la filleule et fille adoptive de la marquise, quand elle dessine sa gouvernante (B. alpiniste 1923, p. 23 ; B. fait du scoutisme 1931, p. 28). Aux lendemains de la guerre, la crise conjuguée de la pomme de terre et du porc obligent les parents désargentés de Loulotte à s’expatrier en Algérie avec cinq de leurs enfants, abandonnant leur petite dernière aux bons soins de sa marraine, Mme de Grand-Air (B. nourrice 1922, p. 7).

30  À noter le malaise de Bécassine quand elle doit « poser sa coiffe » pour « poser en cheveux » chez le photographe avant le voyage en Suisse et les besoins d’un passeport (B. alpiniste, 1923, p. 14). Des rajustements rapides de coiffe et de tenue (B. chez les Alliés 1917, p. 15 ; B. au pensionnat 1929, p. 16 ; B. dans la neige, 1933, p. 38). Des arrachages contraints aussi lors de disputes avec sa cousine ou lors d’expériences anthropométriques de son crâne menées par Proey-Minans, le savant ami de la marquise (B. pendant la Guerre, 1916, p. 14-15, 47 ; et autres albums).

31  B. Lehembre, op. cit., p. 32 (photo d’une vendeuse de magasin). B. cherche un emploi (1937, p. 38 sq.) montre le succès dans un studio de cinéma de l’exotisme du costume de « Bretonne ». Exemples de réalisation difficile de cette coiffe, en apparence simplette : S. Odin, ouvr. cit., p. 8, 11, 26-29, 32, 40-41, 51, 54-55. Un patron, exagérément schématique, pour habiller la poupée Bleuette est paru dans La Semaine de Suzette du 22 août 1907 (B. Les Historiettes I, op. cit. p. 43) et est contredit par les représentations graphiques des planches : le fond, encore haut, de la coiffe y est encadré par une large passe dont les pans relevés ont un volume absent des albums ultérieurs.

32  Bécassine, son oncle et ses amis, 1926, p. 3-4. Ces trois mèches et la maigre tresse, simple ou double, que B. monte en chignon et cache sous sa coiffe, donnent lieu à d’innombrables gags visuels dans l’ensemble des albums (voir, par exemple, l’embarras d’une prise de photo sans coiffe dans B. alpiniste 1923, p. 14 ; les effets d’une chevelure plus abondante dans B. dans la neige 1933, p. 17, 19).

33  B. aux bains de mer, 1932, p. 32. Mais « la coiffure de femme » d’un Apollon de plâtre ne plaît guère (B. au pensionnat, 1929, p. 53).

34  Je remercie la plasticienne Martine Lafon de m’avoir involontairement entraînée, via les dédales de l’abbaye d’Obazine, à comparer les modèles de Chanel et les habits dessinés par Pinchon et Zier.

35  Appartenant à la seule marquise, plus de douze tenues différentes ont été dénombrées dans l’album de B. nourrice, 1922 (M.-A. Couderc, La Semaine, op. cit., p. 169). Tournures 1880, corsetages 1900, crinolines de guerre 14-18, tenues à la garçonne, robes droites puis moulantes des années 20-40 fleurissent au fil du temps dans des albums que ponctuent par ailleurs des présentations régulières de modes : défilés, vitrines de magasins ou essayages privés, parodiés parfois par Bécassine elle-même, jouant au mannequin (Les 100 métiers de B. 1920, p. 16-17), tandis que Loulotte lit des catalogues illustrés, un objet longtemps décrié dans un « beau monde » fier de n’être « pas habillé à la « confection » (B., son oncle et ses amis 1926, p. 10 ; B. prend des pensionnaires 1934, p. 4 ; B. en roulotte 1939, p. 40).

36  R.-Y. Creston, op. cit., p. 144-145 (les manches vertes des femmes de Plougastel). Bécassine s’étonne de la couleur des continents sur les cartes scolaires : « l’Europe était verte et l’Asie rose », ce que contredit le paysage des deux rives du Bosphore (B. chez les Turcs, 1919, p. 50).

37  M.-A. Couderc, op. cit., p. ; B. Lehembre, op. cit., p. 18 ; S. Odin, op. cit., p. 40.

38  N. Pellegrin, « Porter du vert en mai. Parures textiles et végétales, XVe-xviiie siècles », in J. Grévy, C. Manigand et D. Turrel (dir.), Vert et orange. Deux couleurs à travers l’histoire, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, pp. 51-66 ; Michel Pastoureau, Couleurs. Toutes les couleurs du monde en 350 photos, p. 97.

39  B. aux bains de mer (1932, p. 55-56). Autre aimable farfelu, Proey-Minans se drape dans une cape du même ton qui est peut-être un achat de son amie, la marquise (B. alpiniste, 1923, p. 2, s16-17, 29, 31).

40  Edmonde Charles-Roux, Le temps Chanel, Paris, Éditions de La Martinière/Grasset-Fasquelle, 2004, p. 377.

41  Voir les kimonos somptueux de la marquise dans les premières historiettes de la série et ses plus célèbres équivalents : les manteaux de soirée taillés en caftans par Mariano Fortuny vers 1930 (Marnie Fogg, Tout sur la mode. Panorama des chefs-d’œuvre et des techniques, Paris, Flammarion, 2013, p. 220-221) ou les divers peignoirs portés par Gabrielle Chanel et sa bande d’amoureux quand se prend le petit déjeuner ou se mime (et s’éprouve ?) la jalousie des mâles (E. Charles-Roux, op. cit., p. 78-79). Voir aussi, deux décennies plus tôt, la mode des kimonos en Europe (Siegfried Wichmann, Japonisme, Paris, ChêneHachette, 1982, p. 16-21, 216-7). Les tenues du matin de Proey-Minans sont elles aussi très exubérantes (B. au Pays basque 1925, p. 10-11, 16-17).

42  L’automobile de B. 1927, p. 6 : « Les soucis de Madame de grand Air ».

43  Travaux en cours, entamés par les spécialistes des textiles et vêtements d’Orient importés en Europe, Ariane Fennetaux en tête.

44  C’est encore le cas dans B. au pensionnat 1929 (p. 8-9), dans B. dans la neige 1933 (p. 78, 19, 40) et dans B. en roulotte, 1939 (p. 32-33), mais là, avec son fichu sur la tête, la marquise craint de « se laisser voir en négligé de nuit » et regarde « à travers les rideaux de tulle […]. M. Proey-Minans […] avait passé une robe de chambre par-dessus son pyjama… et s’était coiffé d’un casque colonial » par-dessus son « madras » de nuit, pour sortir de sa caravane cassée avec laquelle il voulait aller explorer l’Afrique équatoriale.

45  Deux types distincts sont endossés par la marquise dans B. et la guerre, (1916) où est employé le mot de « négligé du matin » et quatre autres exemples sont présents dans B. chez les alliés (1917). Dans cet album, la planche « La nuit des zeppelins » (p. 34) montre toutes les femmes ainsi habillées pour descendre à la cave : on y voit, outre Mme de Grand Air et sa belle-fille en bleu, « trois dames anglaises », « Madame Ferluyr » la logeuse en rayures roses et Bécassine, pour la première fois, en robe de chambre qui est ici rouge et sans qualité particulière. Formes et matériaux des robes du matin de la marquise suivent-ils aussi la mode (cf. L’automobile de B., 1927, p. 6, 20 ; B. aux bains de mer 1932, p. 28-31).

46  Samy Odin, Bécassine dévoile les trésors de Loulotte, Paris, Musée de la Poupée, 2015, p. 6-9, 15-23, 32-37, 46-49,52-55 ; Colette Merlen, Bleuette, poupée de La semaine de Suzette, Paris, Les éditions de l’amateur, 1992, p. 168. La profusion des vêtements de nuit de la poupée s’accompagne d’une prolifération de désignants comme saut de lit, kimono, douillette, robe d’intérieur ; ils sont parfois nommés : « Dolente », « At home », « Convalescente », etc. Des exemples de vêtements nocturnes pour fillettes, notamment dans L’automobile de B. 1927, p. 20-21, 32.

47  Présence du jupon rouge de à B. en croisière, 1936, p. 15. À noter le geste familier et, pour moi, depuis toujours si drôle, si « impudique » et si longtemps incompréhensible, de la robe soulevée et du jupon dévoilé quand B. cherche à atteindre son porte-monnaie dans la « poche » accrochée à sa taille sous sa robe (B. chez les Alliés 1917, p. 6 ; B. mobilisée 1918, p. 46 ; B. chez les Turcs 1919, p. 12 ; B. dans la neige 1933, p. 12 ; etc.).

48  B. chez les Turcs, 1919, p. 1, 13.

49  B. alpiniste, 1923, p. 50. Ces gros motifs sont présents à la fois sur les pantalons bouffants de Féridjé la Turque et sur le « majestueux » peignoir de bain de Charlemagne, le directeur de l’hôtel Splendide à Sablefin (B. chez les Turcs 1919, p. 53-55 ; B. aux bains de mer 1932, p. 42).

50  B., son oncle et ses amis, 1926, p. 3, 19 ; B. en croisière 1936, p. 20-22 (mais le col-châle est blanc et le quadrillage simple) ; B. cherche un emploi 1937, p. 13 (occasion de jeux de mots du genre : Grèce/graisse, Acropole/accroc de robe) ; Les mésaventures de B. 1938, p. 3-4 (des ravaleurs arrivant par la fenêtre me font « bondir hors du lit, achever de passer la robe de chambre et d’installer ma coiffe »).

51  Le statut incertain de Loulotte et de sa nourrice alimente, de façon poignante, les épisodes de B. nourrice, 1922, passim. : B. pense à des mariages et rêve de se faire « inventeuse » pour gagner une dot à sa protégée.

52  Les amoncellements de malles de la marquise s’opposent à l’équipement habituellement succinct de Bécassine : son parapluie rouge, un mouchoir-balluchon, puis un sac de voyage (encore un héritage familial). Une tentative de rationalisation de la confection des bagages dans Les mésaventures de B. 1938, (p. 10-11) contraste avec les rangements purement chromatiques tentés dans L’enfance de B. 1913, p. 12 : jupons rouges et tomates y sont mis côte à côte.

53  E. Charles-Roux, ouv. cit, p. 49.

54  La rayure, verticale ou horizontale, est signe de loisirs balnéaires, tant en France qu’aux Amériques (B. voyage, 1921, p. 59 ; B. au Pays basque, 1925, p. 51 ; B. aux bains de mer 1932, p. 31, 35, 40-42). Mais, non portés par Bécassine et preuves du statut particulier de sa garde-robe, ces peignoirs sont majoritairement blancs dans B. au Pays basque, 1925, p. 57.

55  B. et la guerre, 1916, p. 52. Des marins-pêcheurs in B. aux bains de mer, 1932.

56  Voir aussi B. prend des pensionnaires, 1934, p. 40.

57  B. aux bains de mer, 1932, p. 32.

58  E. Charles-Roux, op. cit., p. 109, 112, 135 et 138 ; Lisel Anten, « La maille dans l’œuvre de Chanel, un symbole de confort et de liberté », in Marguerite Coppens (dir.), La maille, une histoire à écrire. Actes des journées d’étude, Troyes, 20-21 novembre 2009, Bruxelles-Paris, AFET, 2010, p. 241-270, ill.

59  B. dans la neige, 1933, p. 52-55. Dès leurs premiers pas, Loulotte et ses jeunes amies sont habillées de vêtements en jersey coloré et de tricots multicolores façon Jacquard (voir notamment B. au pensionnat 1929, passim).

60  B. chez les Turcs, 1919, p. 61 ; B. voyage, 1921, p. 58-59.

61  B. alpiniste, 1923, p. 38-50.

62  Bécassine tricote, mais aussi sa maîtresse (Les mésaventures de B., 1939, p. 22 : dans le train) et, plus encore, ici ou là, de vieilles paysannes.

63  B. chez les Alliés, 1917, p. 18-20 ; Les cent métiers de B., 1920, p. 31.

64  B. fait du scoutisme, 1931, p. 32 et 37-38.

65  Ibid., p. 37 ; B. dans la neige, 1933, p. 59 ; B. au pensionnat, 1929, p. 8.

66  B. au pensionnat, 1929, p. 5. Le mot est bien orthographié, alors que Caumery pourchasse les anglicismes en décrivant la fin de semaine de Louis XIV partant en ouiqende au lieu de weekend (B. en roulotte, 1939, p. 17). Voir B. voyage, 1929, p. 16, 21 sq. C’est pour pêcher et chasser que le major Tacy-Turn arbore un trench (Les cent métiers de B. 1920, p. 32-35).

67  L’enfance de B., 1913, p. 40-41.

68  Les parapluies retournés ou envolés sont innombrables ; ils obligent même B. à mettre sa jupe sur sa tête dans B. au pensionnat, 1929, p. 7 (d’éloquents montages de gros plans réalisés par B. Lehembre, op. cit., p. 3, 17, 38, 41, 42, 51). Sur les pouvoirs « magiques » du parapluie, voir B. pendant la guerre 1916, p. 21, B. chez les Turcs 1919, p. 16 et B. voyage 1929, p. 37.

69  B. chez les Turcs, 1919, p. 53-57. Cet album, le dernier des quatre consacrés à la guerre 14-18, est un de ceux où Pinchon montre le mieux ses talents de graphiste et de témoin averti et partial : il a connu en effet les Dardanelles dans les services de camouflage de l’armée et se représente face aux magnifiques paysages du Bosphore (p. 60). Sa vision n’en est pas moins violemment caricaturale vis-à-vis des réalités turques.

70  Marcelle Tinayre, Notes d’une voyageuse en Turquie. Jours de bataille et de révolution […], Paris, Calmann-Levy, 1909 ; Christine Peltre, Femmes ottomanes et dames turques. Une collection de cartes postales (1880-1930), SaintPourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2014, p. 98-99, 114 ; N. Pellegrin, Voiles. Une histoire, Paris, CNRS, 2017, p. 323 et 329.

71  B. Voyage, 1921, p. 39. Un sac à main en peau de daim, peinte et frangée, qu’elle a acheté à San Francisco, complète sa tenue et voltige en tous sens au gré des émotions que lui prête son dessinateur tout au long de du périple trans-américain. À noter que son compagnon en trench-coat, Pierre Kiroul, et la plupart des hommes de la tribu qui les accueille portent au moins trois plumes ; Charles Fennik, au contraire, n’en porte qu’une et, devenu « Indien », il conserve son gilet brodé bas-breton : originaire du Finistère, il a été pêcheur, marin, terrassier, valet de chambre, coureur cycliste, cireur de bottes, bûcheron, puis « PeauRouge » (Ibid., p. 33).

72  Quand, aux Tuileries, deux pigeons se posent sur sa coiffe (la « froissant »), Bécassine inspire à une modiste un nouveau type de chapeau à plumes pour femmes, « simple, distingué, original » (B. nourrice, 1922, p. 31).

73  B. alpiniste, 1921, p. 4, 16-18, 29, 31-33, 37-44.

74  Ibid., p. 63.

75  B. pendant la Guerre, 1916, p. 3. Dans le même album, elle rajoute un grand nœud alsacien à sa coiffe afin de gagner le sud des lignes françaises de l’Est (p. 59). B. mobilisée 1918, p. 9).

76  B. pendant la Guerre, 1916, p. 45 ; B. chez les Alliés, 1917, p. 18-20 (casque et fourrure d’aviation) ; B. mobilisée, 1918 : couverture, 15, 17-33 (le calot). C’est avec nostalgie qu’elle repense à ce calot quand elle est aux États-Unis et se revêt d’une casquette de contrôleuse de train pour laisser des loisirs à l’Afro-Américain, Joe Jipp, employé mélomane de qualité (B. voyage 1921, p. 28-29).

77  Françoise Thébaud, Les femmes au temps de la guerre 14-18, Paris, Payot, 2013 (1986) ; B. Lehembre (op. cit., p. 52-65) intitule un chapitre de son livre : « B., pionnière de la libération de la femmes ».

78  B., son oncle et ses amis, 1926, p. 20.

79  B. en croisière, 1936.

80  Le casque du très couard chasseur de fauves, Crainrien, a une forme haute et désuète et c’est le premier des croisiéristes à se coiffer de la sorte quand les autres passagers sont encore coiffés ou chapeautés à leur ordinaire jusqu’à l’escale de Djibouti (Ibid., p. 39, 43, 48).

81  Tirailleurs sénégalais, forbans turcs, rois africains, touristes à l’Expo, ouvriers de chocolaterie, aubergiste sudiste, nourrices antillaises, les figures de Noire-s sont nombreuses et moralement diversifiées dans les albums de Pinchon et Caumery (étude en cours). Voir notamment B. pendant la Guerre 1916 (p. 56-57 : le prince Boudou de Tombouctou, croix de guerre et peintre cultivé), B. voyage 1921 (p. 28 : un contrôleur de train, « nègre » et mélomane), B. nourrice 1922 (p. 36 : rêve d’un mariage entre sa pupille, Loulotte, et le petit Zozo XV, héritier d’un très riche affairiste vivant en France), B. en croisière 1939 (passim : le maître d’hôtel plein de ressources).

82  Allusion goguenarde au célèbre clown Chocolat et aux publicités Banania dans l’affiche « Colas remplace Chocolat. Coûte moins !! Nourrit plus !! » : y figure un porteur de canotier à anneaux d’oreilles, noir et jovial (Les cent métiers de B. 1920, p. 39). Une éventuelle inversion du slogan dans la farce du méchant « Sidi », homme à tout faire chassé de l’Hôtel-Villa Charlemagne de Sablefin et vindicatif au point d’user de faux arsenic : « Poudre blanche, y en a bon, très bon. Pas poison, petite purge » (Les mésaventures de B. 1938, p. 31).

83  Ibid., p. 9, 40-43, 56 sq. Réminiscence de fameux portraits de femmes peints par Rubens ou Vigée-Lebrun ?

84  J.-J. Gabut, op. cit., p. 21. Un avis tout différent : H. Davreux, op.cit., p. 44.

85  E. Charles-Roux, op. cit., p. 118 et 377.

Illustrations

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine dans la neige, couverture de l’album, 1933 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Le club des aiguilles

Le club des aiguilles

© Agence Kharbine-Tapabor.

Bécassine à la neige

Bécassine à la neige

© Agence Kharbine-Tapabor.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor.

Un souvenir de famille

Un souvenir de famille

© Agence Kharbine-Tapabor.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

Bécassine aux bains de mer, couverture de l’album, 1932 édition Gautier-Langeureau.

© Agence Kharbine-Tapabor

References

Bibliographical reference

Nicole Pellegrin, « Quelques habits saisonniers de Bécassine », Modes pratiques, 3 | 2018, 55-79.

Electronic reference

Nicole Pellegrin, « Quelques habits saisonniers de Bécassine », Modes pratiques [Online], 3 | 2018, Online since 18 September 2023, connection on 22 January 2025. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/384

Author

Nicole Pellegrin

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