Out of fashion

Les amish et la mode, entre le xvie siècle et aujourd’hui

DOI : 10.54390/modespratiques.348

p. 70-89

Plan

Texte

Photographie de presse, 1979.

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« Une famille Amish écoute attentivement un travailleur de la Croix-Rouge à Lancaster, Pennsylvanie, au mois de juin, alors qu’ils s’apprêtent à être vaccinés contre la polio. Les membres de la secte Amish évite normalement la vaccination pour maintenir leur mode de vie simple et rural. Mais comme le dit l’un d’eux : ‟Nous allons nous faire vacciner. Nous ne souhaitons pas faire de tort à nos voisins anglais (English neighbors)”. L’éruption de la polio parmi les Amish est la première aux États-Unis depuis 1972 ». Archives de l’AP Newsfeatures photo - APN Sunday Illustrations, 1979

© Collection particulière.

J’ai grandi dans le Comté de Lancaster en Pennsylvanie, près d’une communauté amish et, alors que je n’avais jamais eu l’intention de rester dans la région, j’ai trouvé, après mon diplôme en sociologie, un poste à l’Elizabethtown College, à 30 km de Lancaster. Après quinze ans à travailler sur la société et ses évolutions, j’ai eu envie de comprendre comment les amish négociaient avec la modernité. Depuis vingt-cinq ans j’y travaille. Il faut dire que j’ai grandi dans une ferme laitière et dans une communauté mennonite qui était en quelque sorte cousine des amish, je partageais avec eux des « ancêtres », entre 1 525 et 1 693, moment où, en Europe, amish et mennonites se séparent. Entre culture agricole, ancêtres communs et proximité géographique, j’avais de nombreuses raisons de m’intéresser aux amish.

Les 310 000 amish conducteurs de chevaux et de charrettes – en anglais, l’expression « horse-and-buggy » est synonyme de « démodé » – sont présents dans 31 États des États-Unis et dans trois provinces canadiennes. Ils représentent moins d’un millième de la population nord-américaine. Ils sont pourtant identifiés par tous, par leur culture, leurs pratiques singulières et leur apparence. Bien que les amish et leur Église ne fassent pas de prosélytisme, leurs pratiques singulières les rendent très visibles dans les médias américains et très présents dans la culture populaire, irriguant ainsi l’imaginaire collectif américain. En outre, ils sont de plus en plus visibles, leur population doublant tous les vingt ans alors même que leur apparence n’évolue pour ainsi dire pas.

Les racines des amish remontent au xvie siècle, au moment de la réforme protestante, quand en 1525 apparaît en Suisse un groupe d’anabaptistes. Le terme anabaptiste désigne alors non pas les chrétiens non baptisés mais ceux baptisés deux fois : la première fois, enfant, par l’Église catholique, la seconde, par leur Église récemment créée. Ce rejet du baptême des enfants et leur appel à une séparation entre l’Église et l’État conduisent le gouvernement suisse à les persécuter par une série d’édits, d’emprisonnements répétés et même d’exécutions, dans le dessein de freiner la diffusion d’un mouvement qui, aux yeux des autorités, représente une menace pour l’alliance de longue date entre pouvoir politique et Église.

Un tailleur anabaptiste

Cette persécution ne fait que confirmer aux yeux de ces anabaptistes le caractère immoral, injuste et violent du monde du « dehors », validant ainsi leur rejet de la société temporelle et matérialiste. Entre 1527 et les années 1600, les autorités tuent des centaines d’anabaptistes. Pour les amish, ce martyre est fondateur. En 1693, alors que les persécutions se poursuivent, une division apparaît au sein des anabaptistes partagés entre le Canton de Berne et l’Alsace. Jakob Ammann (ou Amman), un nouveau converti du canton de Berne, part pour l’Alsace et fonde l’Église qui prend bientôt le nom d’amish – dérivé d’Amman. Fils de tailleur et probablement tailleur lui-même, il donne dès le début un rôle central aux règles vestimentaires visant à établir des frontières entre sa nouvelle Église et le reste du monde.

Portrait de Hans Jacob Amman “Hr. Hans Jacob Amman, der beruemte Artzet in Zürich, ist sëlig ferscheiden Ao. 1658. Ae.t 72”, gravure du XVIIe siècle

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© collection particulière.

Dès 1702, moins de dix ans après la naissance du mouvement, le prêtre catholique alsacien Antoine Rice note qu’il identifie les amish par le fait que les hommes portent de longues barbes et que femmes comme hommes ne portent que des vêtements en lin, en été comme en hiver2. En réaction, renforçant les identités de chacun, les anabaptistes opposés à Amman arborent une barbe courte et s’habillent comme des catholiques. Jacob Ammann décrète en retour que les membres de son Église qui se conforment à la mode du temps en se rasant et en portant des vêtements « prétentieux » doivent être excommuniés. La distinction qui émerge alors entre les amish et les autres anabaptistes se niche jusque dans les moindres détails. Les anabaptistes suisses adoptent les poches et les boutons, alors que les amish continuent à fermer leurs manteaux avec des agrafes – encore utilisées aujourd’hui par les hommes pour fermer leurs vêtements du dimanche. Un dicton populaire, qu’on dit créé par un critique des amish, dit ironiquement :

Die mit Hacken und Ösen wird der Herr erlösen,

Die mit Knöpfen und Taschen wird der Teufel erhaschen.

Ceux qui portent des agrafes seront sauvés par Dieu,

Ceux qui portent poches et boutons seront enlevés par le diable.

America old-fashioned

Suite à l’arrêté d’expulsion des anabaptistes d’Alsace de 1712 et jusque dans les années 1850, nombre de familles amish émigrent vers les Pays-Bas puis vers l’Amérique du Nord pour trouver la liberté religieuse. Au xixe siècle, les vêtements amish se confondent avec ceux de nombreuses communautés rurales des États-Unis. Mais à partir des années 1880, une forte division au sein de l’Église Amish conduit à la création du Vieil ordre amish (Old Order Amish). Ce mouvement se construit en réaction à l’industrialisation puissante de la société américaine. De ce fait, les vêtements amish, comme arrêtés dans le temps, deviennent plus visibles à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, alors que le vêtement change dans la société du fait de la diffusion du prêt-à-porter de masse. Le vêtement amish se fige pour devenir un emblème religieux.

Photographie d'un Amish, vers 1855.

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© Collection particulière.

Depuis les années 1930, les amish ne sont plus présents qu’aux États-Unis et au Canada, la dernière congrégation amish en Europe – en Allemagne – ayant été dissoute en 19373. Ils continuent aujourd’hui à observer les croyances chrétiennes fondamentales, à chercher à mettre en œuvre au quotidien l’enseignement de Jésus et à ne baptiser que les jeunes adultes entre dix-huit et vingt-quatre ans. Seuls les enfants issus de couples amish deviennent membres de l’Église, ce que font près de 85 % des jeunes qui se font baptiser et qui s’engagent ainsi à observer les règles de l’Église.

La vie quotidienne des amish est ancrée dans une sorte de paroisse ou congrégation nommée church district. Chaque district, qui a des frontières matérielles comme des routes, des ruisseaux ou des clôtures, est composé de vingt à quarante familles. Les amish appellent « Anglais » leurs voisins parce qu’ils parlent anglais, contrairement à eux qui parlent l’allemand de Pennsylvanie (Pennsylvania German ou Pennsylvania Dutch), un dialecte d’origine alsacienne. Les membres du district se retrouvent tous les dimanches matin pour trois heures de culte qui se tiennent, à tour de rôle, dans la maison ou la grange d’un des membres.

Aujourd’hui, les pratiques sociales singulières des amish incluent le pacifisme, une valorisation de l’humilité et de la vie communautaire mais aussi l’interdiction de poursuivre les études au-delà du eighth grade (quatrième) – la cour fédérale interdisant au-delà de quatorze ans les écoles « Amish » –, le bannissement des véhicules à moteur et de l’électricité des réseaux publics, l’interdiction de la télévision, des téléphones et des ordinateurs – même si nombre de jeunes amish utilisent smartphones et les réseaux sociaux avant leur baptême – et enfin, l’obligation de porter le costume traditionnel.

Fashion district

Cette série d’interdictions tout comme les vêtements dessinent de solides frontières entre la vie des amish et la culture américaine mainstream. Cette césure est au fondement de la vie religieuse des amish qui sont attachés à une séparation visible du reste de la société sécularisée qui les entoure. Ainsi, l’Église Amish s’oppose-t-elle fermement à ce que ses membres suivent la mode : acheter des vêtements à la mode peut conduire à l’excommunication. Quantité de croyances amish liées au quotidien ont ainsi des implications sociales : les vêtements amish distinguent mais donnent aussi un sentiment d’appartenance très fort à un groupe.

Si chacune des quarante communautés amish qui existent possède un vestiaire légèrement différent, les grandes règles et pratiques vestimentaires sont partagées quelle que soit la communauté. De façon générale, le plain dress ou garb – le terme est usité pour d’autres communautés chrétiennes – se définit comme un costume complet, traditionnel dans son apparence et ses coupes, modeste, et fabriqué en tissus robustes. Toutes les communautés interdisent les cosmétiques, les tatouages et les bijoux, y compris les bagues de mariage et de fiançailles, les seules bagues autorisées étant celles en cuivre, censées être un remède efficace contre l’arthrite. Et si les montres de poche sont acceptées pour les hommes et les femmes, les montres de poignet sont prohibées. Dans tous les districts, les femmes portent une coiffe (Kapp), et tous les hommes laissent pousser leur barbe, seul l’âge où ils arrêtent de la couper variant selon les communautés, les uns arrêtant de la couper après le baptême, les autres après leur mariage. Les hommes ne doivent pas porter de cravate considérée comme une parure inutile et superflue, et aucun ne porte de ceinture, seules les bretelles étant autorisées dans certaines communautés.

De l’extérieur, les amish apparaissent tous semblables. Un regard plus proche révèle pourtant une mosaïque de détails qui, du fait même de l’uniformité des vêtements, portent sens et distinctions – genre, âge, rites de passage, statut marital, obédience, rituels religieux… Les vêtements donnent des indices subtils quant à la conformité des individus aux normes du groupe. La largeur du bord d’un chapeau, la longueur des cheveux, la taille d’une coiffe, la longueur d’une jupe, et la couleur des chaussures et des bas signalent discrètement le degré d’adhésion à l’ordre amish (Amish Ordnung). Ces variations ténues annoncent sans équivoque pour le reste de la communauté si l’on est libéral ou conservateur, si l’on veut se distinguer et bousculer les règles ou au contraire manifester son obéissance aux lois de l’Église. Coupes de cheveux et des vêtements indiquent la loyauté à l’égard de l’Église. À voir la manière dont un enfant est habillé, « donne toujours à voir le cœur de sa mère » m’a déclaré une femme. Les amish jugent que les plis et jabots des manches, les minuscules nœuds papillon accrochés aux coudes des robes disent quelque chose de la maison dans laquelle les jeunes femmes ont été élevées. Les amish pensent un lien direct entre leurs vêtements et leurs convictions religieuses, entre leur apparence extérieure et leur piété intime. Le vêtement est sans doute le premier baromètre de l’humilité et de la loyauté à l’Église.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

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© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

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© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

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© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

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© Collection particulière.

Photographie d'une femme Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

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© Collection particulière.

Photographies d’un homme et d’un jeune garçon Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

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© Collection particulière.

Lancaster, Pennsylvanie, novembre 1940, un Amish vote, habillé de son vêtement traditionnel hook-and-eye. Photographie de presse retouchée à la gouache blanche.

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© Collection particulière.

L’individualisme est la valeur qui sépare le plus profondément la culture amish du reste de la société américaine. Et le vêtement en est sans aucun doute la marque la plus visible. Gilles Lipovetsky dans L’Empire de l’éphémère prétend que le monde éphémère de la mode avec sa célébration du spectacle et de la superficialité caractérise la culture moderne4. Dans notre culture contemporaine où le vêtement exprime – ou doit exprimer – l’individu, ses préférences comme son statut social, nous utilisons la mode – les styles, couleurs, marques… – pour articuler les différentes facettes de notre individualité et définir la manière dont nous apparaissons aux autres. La parure est bien une manière d’être, d’être vu et d’être reconnu. À l’intérieur de la société Amish, l’individu renonce à faire de la mode un moyen de s’exprimer. Les règles édictées par le groupe ne sont pas seulement des signaux « ethniques » d’appartenance à un groupe, mais sont aussi la marque de la soumission à l’autorité de la communauté et de l’abandon de son expression individuelle au profit de l’Église.

En outre, les membres revêtent en quelque sorte « l’uniforme de l’entreprise » parce qu’ils sont en service permanent en tant que représentants de leur communauté. Le costume complet, central aussi bien pour l’identité individuelle que de groupe, est ce qui permet d’articuler loyauté et appartenance à l’Église. Le costume ordinaire amish accomplit ainsi plusieurs devoirs sociaux : 1. Il signale qu’un membre se rapporte à un ordre collectif (Amish ordnung) ; 2. Il prévient contre l’usage des vêtements à des fins individuelles ; 3. Il promeut l’égalité ; 4. Il soutient l’identité du groupe ; et 5. Il érige des frontières symboliques autour du groupe. Le costume codifié n’est pas seulement un instrument de contrôle social, les amish de l’ordre ancien pensent que le costume complet doit refléter les valeurs bibliques d’humilité, de modestie, de sacrifice de soi, de simplicité et de séparation du monde. Les vêtements, résume un membre du vieil ordre interrogé, doivent être « soignés, unis, simples, bon marché et couvrir la totalité du corps ». Le livre de catéchisme des amish, 1001 Questions and Answers on the Christian Life, consacre neuf pages et 43 questions au sujet du vêtement, en seconde place après l’entrée « paradis »… Le contrôle du vêtement n’y est généralement pas lié aux Écritures mais y est accepté en tant que tradition d’Église, comme approuvée par Dieu.

DonaldKraybill Un amish interrogé compare le vêtement prescrit avec l’uniforme de police, en tant qu’il est l’incarnation de la fonction. Un autre leader amish que j’ai interrogé pense que les hommes amish ne devraient pas avoir honte d’être identifiés à leur Église et à Dieu, dans la mesure où les hommes sont généralement fiers de leur uniforme qui est toujours une manière d’incarner un pouvoir, de marquer sa soumission à un ordre et de marquer sa différence d’avec le reste du monde.

Chapeaux de paille et wringer washer : les pratiques quotidiennes

Les mères fabriquent les robes et parfois les chemises des membres de la famille. Mais la majorité des vêtements, en particulier les costumes masculins, sont fabriqués par des tailleurs, au sein de la communauté amish. Les chaussures, chemises et sous-vêtements sont achetés dans des magasins de détail, le plus souvent tenus par des amish. Les chapeaux et les bonnets de femmes, emblématiques, sont toujours réalisés dans la communauté. Dans la communauté de Lancaster, les chapeaux de paille qui sont portés l’été par les hommes sont faits à partir de paille de riz tressée, importée de Chine et achetée dans le commerce, puis retaillée à la manière amish. Matières comme formes varient de ce fait largement selon les communautés.

Les amish ne portent pas seulement du noir et du blanc comme le suggèrent les stéréotypes. La plupart des communautés rejettent les rouges, oranges et jaunes brillants, comme toutes les combinaisons de couleurs voyantes. Les couleurs ordinaires chez les amish sont volontiers sombres – violet, bleu, brun, vert, gris, autant que le noir et le blanc. Dans les groupes les plus progressistes, les vêtements des enfants, en particulier les robes des filles, sont le plus souvent pastel – vert, lavande… Les vêtements sont faits de tissus unis, les tissus imprimés et à motifs étant rejetés. Une plongée attentive dans les communautés amish montre cependant qu’encore une fois, tout en suivant des règles communes, chaque communauté se fixe des dominantes colorées.

Publicité pour une machine à laver Maytag, 1916

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© Collection particulière

Ancien modèle de machine à laver Maytag, années 1950.

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© Collection particulière

La culture amish se ressent jusque dans l’entretien des vêtements. La question est d’autant plus forte que les enfants sont nombreux et que l’essentiel de la vie amish est rural et attaché à la vie dans les fermes. La mère de famille est en charge du lavage et du repassage des vêtements. Les amish les plus traditionnels utilisent des machines à laver à manivelle alors que les plus progressistes ont trouvé des aménagements, des compromis. Les amish refusant la connexion au réseau électrique, des groupes électrogènes produisent de l’électricité ou encore de l’air comprimé pour actionner de petites machines à laver à tambour, communes dans les années 1950, le plus souvent des marques Maytag ou Haag, d’où un marché d’occasion de ces machines anciennes sans programmateurs électriques et économes. Le passage sous des rouleaux et parfois de petites essoreuses – les sèche-linges sont interdits – permettent de pré-sécher le linge qui est ensuite étendu à l’air libre sur des fils, stéréotype de la représentation des amish5.

Les vêtements circulent au sein des familles, souvent nombreuses, en particulier entre les enfants. Mais plus significatif, les quilts6 – ces pièces de tissus assemblés – sont transmis avec soin dans les familles amish, au demeurant comme dans de nombreuses familles rurales américaines.

Si la communauté s’attache tant au vêtement, c’est qu’il est une manière d’apparaître mais aussi d’être. Habillés dans ces vêtements singuliers, les enfants apprennent à agir, penser et sentir en amish dès le berceau. À quelques nuances près, ils s’habillent comme leurs parents, en particulier les garçons qui portent ainsi des vêtements reprenant les coupes, les couleurs et les associations des vêtements de leur père. Mais ces formes de transmission et la rigidité des règles n’empêchent que les amish comme toutes les communautés craignent le délitement de ces pratiques. Les leaders amish redoutent plus que jamais la perte du vêtement complet du fait d’une assimilation à la culture dominante de la société américaine. Un homme amish m’a décrit comment la perte du costume amish – le « déshabillage » – pourrait arriver : « d’abord, disait-il, on nous autorise à enlever nos bonnets, puis les côtés de nos capuchons, puis les ficelles ; les robes deviennent progressivement plus courtes et plus serrées et les couvre-chefs, un peu plus petits ; et puis, à un moment donné, sans que l’on sache comment, la cape est abandonnée. Bien sûr, le tablier aura déjà disparu, bien avant. Bientôt, tous les prétextes seront bons pour abandonner le costume : bras nus, encolures basses, corsets serrés et jupes courtes. Cela ne se fait pas en un an ou même en une génération… mais ce qui s’est passé avec le bonnet, montre que de grands changements sont à l’œuvre », regrettait-il, inquiet.

Couple Amish, figurines souvenir en aluminium, année  1960

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Pennsylvania The Little Red Schoolhouse, affiche, 1939

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© Collection particulière

Les amish et Madison Avenue7

Les codes vestimentaires amish semblent compliqués autant que contraignants mais aux yeux des amish les libèrent du fardeau du choix. Même si des jeunes filles pressent leurs mères d’acheter la bonne couleur de pastel pour qu’elle corresponde à celles de leurs amies, elles sont moins soumises aux variations de la mode. Les amish peuvent nous apparaître comme obsédés par le vêtement et la mode, mais dans le même temps, ils échappent aux règles édictées depuis Madison Avenue. Les goûts des amish étant régulés par leur Église, ils ne répondent ni aux designers, ni aux modèles que sont les people.

On l’aura compris, les vêtements sont le symbole et le signe le plus distinctif de l’identité amish. Sans l’uniforme civil – the plain garb –, l’identité publique d’un amish serait invisible. Y compris dans le cercle des amish, le vêtement joue un rôle central, donnant sur son porteur des indices quant à son statut et à son adhésion au groupe. Si l’enjeu principal d’une collectivité est de contrôler l’individualisme et d’assurer l’engagement de chacun, le vêtement codifié des amish remplit ce rôle. Dans le quotidien, le costume crée un fossé culturel qui enferme et sépare, et qui lie les membres entre eux et leur donne une identité commune jusque dans l’intimité, à l’écart du monde. Symbole manifeste d’une contre-culture, le costume amish n’exprime pas seulement le rejet des marques et des stylistes, mais de toutes les valeurs d’une culture hypermoderne de la consommation.

Pourtant les images séduisent. Leur image, et en particulier celle de leurs vêtements, est une construction sociale et médiatique à la fois utopique et nostalgique. Beaucoup de fermiers amish, par exemple, ne font pas d’agriculture biologique – même si certains s’y mettent avec la flambée des prix. Mais de fait, les amish sont en rupture avec la culture mainstream américaine. Paradoxalement, le rejet amish de l’hyperconsommation et de Madison Avenue sert de modèle à l’industrie de la mode.

Bibliographie annotée

Fabienne Randaxhe, « Temporalités en regard. Le Vieil Ordre amish entre slow et fast time », Annales, 2002, no 2, p. 251-274.

Donald B. Kraybill, Karen M. Johnson-Weiner, and Steven M. Nolt. The Amish, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2013. A definitive study of the Amish in North America and a companion to “The Amish” a two-hour video produced by the American Experience and shown on the US public broadcast system (PBS).

Donald B. Kraybill and Carl Bowman, On the Backroad to Heaven: Old Order Hutterites, Mennonites, Amish, and Brethren, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001. A comparison of the cultural practices Old Order traditional groups.

Donald B. Kraybill, The Riddle of Amish Culture. Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001. A study of how the Amish of Lancaster County Pennsylvania negotiate with modernity ; Donald B. Kraybill, Les Amish. Une énigme pour le monde moderne, Paris, Éditions Excelsis, 2004 (French translation of the above book).

Donald B. Kraybill, “Slo-mo Amish Fashion”, Vestoj, Issue Five: “On Slowness”. http://vestoj.com/

Steven M. Nolt, The Amish: A Concise Introduction, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2016. A short, succinct overview of the Amish in North America.

Stephen Scott, Why Do They Dress That Way? Intercourse, PA: Good Books 1986. A comparison of dress practices in various Old Order Amish and related groups.

http://groups.etown.edu/amish-studies/

http://facultysites.etown.edu/kraybilld/ (Prof. Kraybill’s website)

http://amishamerica.com/

Lancaster, Pennsylvanie, octobre 2016

Vêtement masculin, 2016, communauté Amish du Lancaster.

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Carte postale, non datée.

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Photographie de J. E. Hess. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Les hommes et les femmes amish ne peuvent ni photographier ni filmer. Cette règle est respectée par l’ensemble de la communauté. Tout appareil qui servirait à la reproduction optique du monde est interdit. Poser et fixer son image est un acte grave, surtout pour les adultes. La photographie fut admise durant une courte période au xixe siècle. Quelques portraits de famille amish furent réalisés en studio par des photographes professionnels. Mais cette technologie est bannie de la communauté dès 1863. En parallèle de cette interdiction, beaucoup de cartes postales sont imprimées à partir de photographies de paysage et de portraits faits en extérieur. Ce sont des scènes de rue, de travail ou de sport.

Vêtement de poupée, 2016, communauté Amish du Lancaster.

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenues de jeunes filles, 2016, communauté Amish du Lancaster

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Bas féminins, 2016, communauté Amish du Lancaster.

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenue de femme, 2016, communauté Amish du Lancaster.

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Vêtements de garçons, 2016, communauté Amish du Lancaster.

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Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenue de jeune fille, de 5 ans jusqu’au mariage, 1998.

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Photographie de James R. King pour la revue Pennsylvania Mennonite Heritage, volume 21, Numéro 3, juillet 1998. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Col d’un manteau masculin avec le système de fermeture « hooks-and-eyes », non daté.

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Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Photographie de famille, anonymes, entre 1850 et 1880.

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Photographie de D. J. R. Smucker faite en 1999 à partir d’un album de famille appartenant à David B. Fisher. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster.

1 Une partie de cet article est une version adaptée de chapitres publiés dans Donald B. Kraybill, Karen M. Johnson-Weiner, and Steven M. Nolt. The

2 Voir Robert Baecher, “Research Note: the Patriarche of Sainte-Marie-aux-MinesC, Mennonite Quarterly Review 74, January 2000, p. 145-158.

3 Voir John A. Hostetter, “Old World Extinction and New World Survival of the Amish: a Study of Group Maintenance and Dissolution“, Rural Sociology

4 Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987.

5 www.amishamerica.com

6 Sur la place du Quilt aux États-Unis, voir Géraldine Chouard, « “Once Upon Quilt” : la fabrique de l’Amérique », Revue française d’études

7 Madison Avenue à New York est depuis les années 1920 le lieu qui concentre les grandes agences de publicité ; elle est devenue synonyme de culture

Notes

1 Une partie de cet article est une version adaptée de chapitres publiés dans Donald B. Kraybill, Karen M. Johnson-Weiner, and Steven M. Nolt. The Amish, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2013.

2 Voir Robert Baecher, “Research Note: the Patriarche of Sainte-Marie-aux-MinesC, Mennonite Quarterly Review 74, January 2000, p. 145-158.

3 Voir John A. Hostetter, “Old World Extinction and New World Survival of the Amish: a Study of Group Maintenance and Dissolution“, Rural Sociology 20, no 3/4, 1955, p. 212-219.

4 Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987.

5 www.amishamerica.com

6 Sur la place du Quilt aux États-Unis, voir Géraldine Chouard, « “Once Upon Quilt” : la fabrique de l’Amérique », Revue française d’études américaines, 2008, 2008/2, no 116, p. 20-33 [NdT].

7 Madison Avenue à New York est depuis les années 1920 le lieu qui concentre les grandes agences de publicité ; elle est devenue synonyme de culture commerciale dominante.

Illustrations

Photographie de presse, 1979.

Photographie de presse, 1979.

« Une famille Amish écoute attentivement un travailleur de la Croix-Rouge à Lancaster, Pennsylvanie, au mois de juin, alors qu’ils s’apprêtent à être vaccinés contre la polio. Les membres de la secte Amish évite normalement la vaccination pour maintenir leur mode de vie simple et rural. Mais comme le dit l’un d’eux : ‟Nous allons nous faire vacciner. Nous ne souhaitons pas faire de tort à nos voisins anglais (English neighbors)”. L’éruption de la polio parmi les Amish est la première aux États-Unis depuis 1972 ». Archives de l’AP Newsfeatures photo - APN Sunday Illustrations, 1979

© Collection particulière.

Portrait de Hans Jacob Amman “Hr. Hans Jacob Amman, der beruemte Artzet in Zürich, ist sëlig ferscheiden Ao. 1658. Ae.t 72”, gravure du XVIIe siècle

Portrait de Hans Jacob Amman “Hr. Hans Jacob Amman, der beruemte Artzet in Zürich, ist sëlig ferscheiden Ao. 1658. Ae.t 72”, gravure du XVIIe siècle

© collection particulière.

Photographie d'un Amish, vers 1855.

Photographie d'un Amish, vers 1855.

© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

© Collection particulière.

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

Cartes postales des années 1910-1960, Pennsylvanie

© Collection particulière.

Photographie d'une femme Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

Photographie d'une femme Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

© Collection particulière.

Photographies d’un homme et d’un jeune garçon Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

Photographies d’un homme et d’un jeune garçon Amish dans une rue commerçante de Lancaster, Pennsylvanie, années 1900.

© Collection particulière.

Lancaster, Pennsylvanie, novembre 1940, un Amish vote, habillé de son vêtement traditionnel hook-and-eye. Photographie de presse retouchée à la gouache blanche.

Lancaster, Pennsylvanie, novembre 1940, un Amish vote, habillé de son vêtement traditionnel hook-and-eye. Photographie de presse retouchée à la gouache blanche.

© Collection particulière.

Publicité pour une machine à laver Maytag, 1916

Publicité pour une machine à laver Maytag, 1916

© Collection particulière

Ancien modèle de machine à laver Maytag, années 1950.

Ancien modèle de machine à laver Maytag, années 1950.

© Collection particulière

Couple Amish, figurines souvenir en aluminium, année  1960

Couple Amish, figurines souvenir en aluminium, année  1960

Pennsylvania The Little Red Schoolhouse, affiche, 1939

Pennsylvania The Little Red Schoolhouse, affiche, 1939

© Collection particulière

Vêtement masculin, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Vêtement masculin, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Enquête photographique par Juliette Angotti

Carte postale, non datée.

Carte postale, non datée.

Photographie de J. E. Hess. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Vêtement de poupée, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Vêtement de poupée, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenues de jeunes filles, 2016, communauté Amish du Lancaster

Tenues de jeunes filles, 2016, communauté Amish du Lancaster

Enquête photographique par Juliette Angotti

Bas féminins, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Bas féminins, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenue de femme, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Tenue de femme, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Enquête photographique par Juliette Angotti

Vêtements de garçons, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Vêtements de garçons, 2016, communauté Amish du Lancaster.

Enquête photographique par Juliette Angotti

Tenue de jeune fille, de 5 ans jusqu’au mariage, 1998.

Tenue de jeune fille, de 5 ans jusqu’au mariage, 1998.

Photographie de James R. King pour la revue Pennsylvania Mennonite Heritage, volume 21, Numéro 3, juillet 1998. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Col d’un manteau masculin avec le système de fermeture « hooks-and-eyes », non daté.

Col d’un manteau masculin avec le système de fermeture « hooks-and-eyes », non daté.

Collection Société Historique Mennonite de Lancaster, Pennsylvanie.

Photographie de famille, anonymes, entre 1850 et 1880.

Photographie de famille, anonymes, entre 1850 et 1880.

Photographie de D. J. R. Smucker faite en 1999 à partir d’un album de famille appartenant à David B. Fisher. Collection Société Historique Mennonite de Lancaster.

Citer cet article

Référence papier

Donald B. Kraybill et Juliette Angotti, « Out of fashion », Modes pratiques, 2 | 2017, 70-89.

Référence électronique

Donald B. Kraybill et Juliette Angotti, « Out of fashion », Modes pratiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 05 avril 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/348

Auteurs

Donald B. Kraybill

Juliette Angotti

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Traducteur

Manuel Charpy