Avis de recherche

Dialogue avec Daniel Roche

DOI : 10.54390/modespratiques.354

p. 170-187

Plan

Texte

Daniel Roche est en 1935. Professeur honoraire au Collège de France, il est l’un des principaux acteurs d’une transition historiographique remarquable. Les chercheurs n’en sont pas toujours conscients, mais le basculement qu’ils opèrent se mesure à la fortune des mots qu’ils ont utilisés, aux élèves qui, grâce à eux, ont donné un sens à leurs travaux. C’est à peine exagéré : tous les chercheurs ayant consacré une partie de leur temps à étudier le vêtement  les apparences ») et plus généralement la mode ou les objets en Occident, mais aussi le peuple, le livre, les voyages, le cheval, ont été enseignés, inspirés ou soutenus par Daniel Roche. Et ceux qui découvrent ses livres aujourd’hui n’ont aucune crainte à avoir. Nulle mise à jour n’est venue en démoder le ton. Nulle avancée notable n’est susceptible de renvoyer La Culture des apparences. Une histoire du vêtement, xviie-xviiie siècle (Fayard, 1989), ou l’Histoire des choses banales. Naissance de la consommation, xviie-xixe siècle (Fayard, 1997) au nombre des vieilles lunes que l’on consulterait pour se faire une idée de l’esprit du temps. Daniel Roche revient sur une histoire qui, pourtant, n’était pas gagnée d’avance. Du petit peuple aux renâclements de bêtes hors de prix, de la province à la mondialité de l’histoire, on entre petit à petit dans l’épaisseur des sujets, qui sont des leçons de méthode. La vie de la recherche, qui est faite d’institutions et d’affinités, et les résultats de la recherche, ne sont en réalité qu’une seule et même chose.

Daniel Roche

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© Olivier Roller

Histoire sociale et histoire des représentations

Gil Bartholeyns Daniel, quand nous avons programmé cette discussion, nous avons évoqué quelques sujets potentiels par téléphone. Notamment, comment tu étais passé d’un travail sur les Lumières et sur les classes populaires de Paris, à des enquêtes sur le vêtement, la mode, la consommation. Des histoires matérielles qui, avec l’histoire des représentations, constituent généralement un tout pour la jeune génération. Tu as réagi au quart de tour. Je venais d’évoquer les travaux de Georges Vigarello [1941-] pour le corps et ceux d’Alain Corbin [1936-] pour les sensibilités. Que voulais-tu dire en disant que l’histoire des représentations, des sensibilités, du corps, ne penchait pas dans le sens de l’histoire sociale de la culture et de l’interrogation sociale des consommations ? Parce que pour les gens qui sont nés dans les années soixante, soixante-dix, et maintenant quatre-vingt-dix, cela forme un tout cohérent. Cela fait partie de l’accomplissement de la « Nouvelle histoire », c’est-à-dire un approfondissement des manières d’être et d’avoir, des façons de vivre. C’est un bloc, généreux, qui va dans des directions différentes mais pas contraires. Et tu viens de me dire qu’on était tombé dans l’histoire des représentations, à quatre pattes.

Danier Roche Oui, en tout cas, pour le xviie siècle en France, plus grand monde ne travaille sur l’histoire sociale et économique, enfin à ma connaissance qui est évidemment biaisée. Tout ce que tu peux lire, l’histoire des émotions, les sensibilités à ceci ou à cela, c’est une forme de mobilisation de la littérature et des textes imprimés. J’ai connu Vigarello par son travail sur la discipline corporelle [19781]. C’était tout à fait sympathique et neuf. Mais avec Le Propre et le Sale2, je n’étais plus totalement d’accord parce que Vigarello a rarement recours aux archives et celles-ci étaient en partie abordées dans les travaux sur la société. Pour ces approches, il n’y a plus de questionnement des différenciations sociales et on ne fait plus jouer les paramètres de distinction et d’intégration des différents milieux socioculturels, ceux qui ont été acteurs et auteurs du changement, et les autres. Écrire sur l’arbre3 impose peut-être qu’on parle des bûcherons et des forestiers, et au-delà, du bois dans un monde sans plastique.

Dans une pure histoire des représentations du corps, on évite de se poser la question de l’histoire des différenciations, et des appréciations qu’elles portent. Or elles ne se lisent pas uniquement de Paris aux provinces, de l’aristocratie à la paysannerie. On ne se pose plus ou pas assez le problème de l’acculturation, des échanges culturels qui font la vie des hommes avec leurs représentations. Autrement dit, on n’utilise plus les instruments qu’on pourrait utiliser pour comprendre un type de représentation, à partir d’un corpus d’œuvres, à partir d’un corpus d’œuvres figurées, à partir d’un corpus de livres, à partir d’un corpus de documents médicaux, etc. Quelle est, en quelque sorte, la dynamique des mécanismes de différenciation ? On ne se pose plus cette question-là, on suggère « ça marche comme ça ».

GB Des travaux comme Le Miasme et la Jonquille ou consacrés à la passion nouvelle pour le bord de mer4 donnent une « image » sensible, profonde de la société, mais elle n’est pas, ou pas assez, rapportée à l’axe social. Il y manque une sociologie de la sensibilité. Mais ce n’est sans doute pas leur objectif. C’est peut-être demander quelque chose qu’ils ne souhaitent pas faire. Pour toi, une version amendée de cette histoire des représentations serait de reconstituer ces représentations à partir des groupes, des classes, de saisir le mouvement des représentations à travers le tissu social ?

DR Oui, la manière dont elles ont été élaborées par rapport au contexte culturel. Si tu veux, tu ne peux pas utiliser de la même manière, et sur le même plan, un manuel de médecine du xvie siècle et un manuel du docteur Tissot de la fin du xviie siècle, sous prétexte que ce sont tous deux des manuels de médecine. Il y a deux contextes de production. Je crois que le nœud il est là. Que l’on puisse admettre le succès, l’intérêt d’un livre comme Le Miasme et la Jonquille, c’est normal. C’est un très bon livre, c’est un livre qu’on a intérêt à connaître. Mais ceci étant, il laisse un peu perplexe, dans la mesure où l’on a presque totalement éliminé la possibilité de comprendre la différenciation sociale et comment, dans la différence, les uns et les autres pouvaient vivre avec des habitudes et des plaisirs différents. Les mauvaises odeurs par exemple pouvaient correspondre à un certain équilibre des modes de vie ; à partir du moment où elles sont dénoncées par les élites, un type de rupture existe, une coexistence de vie s’affaiblit. Il devient de bon ton de mépriser l’odeur des civils. On pourrait s’interroger sur la manière dont les différentes historiographies (la britannique par exemple) s’intéressent à ces sujets nouveaux car révélateurs de nouveaux écarts à partir des comportements.

GB Dans l’idée que je me fais de ce type de travaux, on repère, on met en cohérence une série de systèmes de représentations, sans se dire que l’intérêt historique serait peut-être de voir comment ils ont été produits en raison de la différence sociale. On pourrait donc faire la même histoire mais en partant de ton point de vue.

DR Exactement. Mais cela exigerait aussi une utilisation différente des documents figurés, de l’histoire du livre et de la lecture. Et le problème historiographique c’est quand même qu’on ne peut pas dire que ça correspond à la réalité. Comme tu dis, on ne peut pas distribuer sans discussion le résultat obtenu dans les classes d’âges, dans les sexes, dans les groupes sociaux, puisqu’on a suggéré qu’il n’y avait pas de différenciation. Alors qu’en réalité les gens vont vivre dans plusieurs systèmes à la fois. C’est ça la question.

GB Il faudrait questionner les représentations en les rapportant systématiquement à tout ce problème de dialectique culturelle.

DR Oui, de relation, de production relationnelle des représentations. C’est ce que le sociologue anglais Richard Hoggart [1918-2014] nous a fait découvrir avec l’acculturation des classes populaires5. La question soulevée se heurte certainement à la compréhension même du contexte de la production historique et de la transmission universitaire.

Comment embrasser le monde ?

Ceci étant, tu comprends, il y a une énorme transformation par rapport à l’époque où j’ai enseigné en Université. Premièrement, il y a une chute des effectifs fantastique. Toute l’histoire mais l’histoire moderne, l’histoire médiévale et bien entendu l’histoire antique sont les plus touchées. Ce qui surnage, c’est l’histoire contemporaine et plus particulièrement l’histoire contemporaine à vision mondiale, à vision globalisante.

Alors là j’ai un observatoire. C’est la Revue d’histoire moderne & contemporaine6. Au comité éditorial, on reçoit à peu près deux tiers d’histoire contemporaine pour un tiers d’histoire moderne. C’était à égalité jusqu’à il y a quinze ans à peu près. Et même si tu prends des revues inter-périodes, comme les Annales, tous les grands sujets sont des sujets du type « histoire intellectuelle », ou alors des sujets mondialisés, dans lesquels les trois quarts des gens n’y connaissent strictement rien, parce qu’il y a un postulat discutable : c’est que tout le monde peut comprendre l’histoire de la mondialisation de la même façon – ce n’est pas vrai, à mon sens. On doit faire de l’histoire mondialisée, mais chacun à sa façon, parce que chacun a eu sa tradition, son rapport historique au monde.

GB L’histoire connectée, c’était justement ma deuxième entrée. On invite les chercheurs à replacer tout ce qui se passe en Europe dans une perspective mondiale. C’est d’abord l’exotisation de la culture matérielle européenne par toutes les marchandises qui sont rapportées des Nouveaux Mondes : des plumes, des perles, des teintures, des motifs, des épices… C’est aussi et surtout la mondialisation de la culture européenne. En s’installant aux quatre coins du monde, les Européens apportent un tas d’objets manufacturés et des techniques, et en même temps que ces objets et ces savoir-faire, ils apportent des concepts comme le corps, la nudité, le péché… Si tu devais tenir compte de ce gigantesque chassé-croisé, quelle histoire du vêtement ou des objets ferais-tu ?

DR La première chose à rappeler, c’est que ma génération ne s’est pas désintéressée de ce qui était en quelque sorte les « contacts » avec le reste du monde. C’est donc quelque chose que je ne comprends pas bien, cet impératif. Nous avons toujours été attentifs au fait que les transformations de la sensibilité vestimentaire, pour ne prendre que celle-là, étaient compréhensibles en étudiant les introductions, les emprunts étrangers et exotiques ; mais on pourrait regarder, et d’autres l’ont fait, la sensibilité alimentaire, les nouvelles boissons… On a eu de très nombreuses études sur l’importation des boissons nouvelles. Sur le thé, le café, le chocolat, il y a des livres absolument essentiels, classiques, qui ont été publiés en Allemand, en Anglais… Aux États-Unis sur le sucre7. On a d’une certaine manière fait ce travail de comparaison mais sans peut-être tenir assez compte des effets réciproques provoqués par les échanges.

Ce qui n’a pas été fait, et ce dont il faut en quelque sorte interroger la possibilité, c’est l’inverse. Avec quels moyens matériels et intellectuels peut-on faire systématiquement cette nouvelle histoire ? Comment veux-tu qu’un chercheur à peu près moyen, nourri de la culture historiographique européenne, dominant sans doute un peu l’anglais et l’historiographie britannique, puisse tout d’un coup se transformer en spécialiste de la rencontre culturelle avec l’Indonésie ? C’est complètement impossible. Cela ne peut être que le cas de spécialistes, ou alors tu restes à un niveau superficiel. Le cas du spécialiste : il y a un historien qui s’appelle Romain Bertrand, qui fait des analyses absolument formidables sur la rencontre des Hollandais avec les populations locales8. Je trouve que ce qu’il fait, c’est ce qu’on doit faire. Mais ce collègue, pour faire son livre, il a eu presque vingt ans de CNRS, à être payé par l’État pour faire ça, tu comprends. Tu ne peux pas, dans une université à peu près moyenne, faire éclore tout d’un coup une spécialité comme celle-là. Tu ne peux le faire que dans des petits vecteurs. Un chercheur comme Serge Gruzinski [1949-] est un des grands inventeurs de l’histoire mondialisée. C’est lui qui a inventé le terme de « culture métisse », avec les anthropologues mexicains et anglo-américains9. On ne l’a pas retenu en France. Il a un pied au CNRS, mais il enseigne surtout à Princeton et à Mexico. Maintenant d’ailleurs il est à la retraite de l’École des hautes études en sciences sociales. On peut imaginer comment son enseignement a été réalisé pour former à cette nouvelle perspective d’historiographie mondiale, même en n’utilisant que l’extraordinaire richesse des sources coloniales, hispaniques, mexicaines ou autres. C’est un vrai problème que les gens ne tranchent pas de manière générale et égalitaire. Ou alors c’est dans leur tête. Il y a quelque chose qui se joue sans qu’on le dise et qui est : pour réussir ce transfert, l’université doit correspondre au modèle américain où seules les très grandes universités feront de la recherche spécialisée mondiale. Par exemple, Sanjay Subrahmanyam [1961-] est considéré comme un des grands maîtres de l’histoire mondialisée. Il enseigne à l’Université de Californie à Los Angeles. On l’a élu au Collège de France, mais il a eu à choisir entre les conditions matérielles de la Californie et les conditions françaises. A-t-on encore le droit de se poser la question : de quel impérialisme parle-t-on ? Derrière l’entreprise missionnaire il est sûr que comprendre le point de vue de l’autre est essentiel. Subrahmanyam « découvre » que Vasco de Gama s’est lancé à la conquête du monde parce qu’il avait l’idée de convertir des peuples indigènes10. On peut peut-être s’interroger sur la nouveauté de ces évidences. Il faut se méfier du clivage entre les générations. Je pense qu’un historien comme Fernand Braudel [1902-1985] faisait de l’histoire totalement mondialisée, mais bien évidemment il ne pouvait pas avoir un accès égal à la perspective des populations autochtones. Par sa formation, Braudel n’a jamais eu la possibilité de dominer ce que pouvaient signifier par eux-mêmes les patrimoines historiques des grands continents qu’il observait.

GB Braudel et d’autres dans les années soixante, soixante-dix auront donc fait surtout de l’histoire mondiale en un sens qu’on pourrait dire « prélogique », de l’Europe vers les autres, par manque de formation ou d’accès, à quelques exceptions près comme Wachtel11. Puis, mais c’était déjà le cas avec Hodgson12 ou avec Wallerstein [1930-], on aura procédé à la description des différentes mondialisations (Océan indien, ibérique…) et surtout à l’intégration systémique des « mondes ». Le « carrefour javanais » de Lombart en est le meilleur exemple13. Toute une littérature un peu rédemptrice me semble alors saturer l’historiographie sous la maxime « remettons les pendules à l’heure » : l’Occident n’a pas le monopole du génie technique ni du raffinement ; voici tout ce qu’il doit à l’Orient. On dénonce le « vol de l’histoire14 ». Enfin on met de plus en plus en scène le point de vue de l’autre sur ces Européens qui touchent terre parfois dans l’indifférence la plus totale et qu’on mène en bateau. Ils prennent de magistrales claques symboliques. Une histoire non européenne se fait jour aussi. L’« histoire mondiale » prend donc quand même pas mal de formes différentes presque en même temps.

DR Oui mais le problème de faire une histoire en dialogue est un problème qui n’est pas seulement intellectuel, de quelques-uns. C’est aussi : comment forme-t-on les gens à cela ? Un problème institutionnel. Des Indianistes en France, il doit y en avoir une petite dizaine, même si cela s’est développé. Une des questions fondamentales serait d’inventorier, dans le cadre institutionnel, les possibilités données pour faire ce type d’histoire. C’est-à-dire la capacité de formation pédagogique qui apparaît maintenant au niveau Master et qui orienterait les gens. Mais à ma connaissance on a peu de moyens pour réfléchir, surtout dans l’actuelle période de réforme. Si tu es comme moi, « à côté », tu te demandes pourquoi certains historiens font toujours la leçon aux autres, mais pourquoi ils n’interviennent jamais institutionnellement dans le cadre des réformes pour protester contre ce que font les ministres qui se succèdent et réclamer qu’on leur donne des conditions de travail nouvelles ? Pour protester il n’y a pas grand-monde et surtout peu d’occasions. Or les universités sont confrontées aujourd’hui à un changement culturel majeur. Tout se fait maintenant par projets individuels, mais à organisation plus collective car plus visible, dit-on. Alors, si tu as la chance de pouvoir te former dans une certaine direction, à ce moment-là tu peux entrer dans des projets. Dans ma propre carrière, il y a eu un moment où un de mes professeurs d’histoire m’avait demandé d’aller rencontrer un type qui s’appelait Régis Blachère [1900-1973], qui était un des grands arabisants du moment, des années fin cinquante, soixante. J’ai calé, je n’ai pas eu le courage d’aller voir cet orientaliste qui m’aurait dit : « Bien, voilà, il faut faire dix ans d’apprentissage de la langue arabe et des dialectes… ».

Faire science comme on fait société

GB Puisqu’on en est là : un diagnostic sur le champ académique. La personnalité scientifique, les chercheurs isolés qui rayonnent, cela a été le modèle de valorisation de l’Université et des institutions de recherche. Je veux dire que c’était le moyen par lequel une institution se faisait connaître, était reconnue. Aujourd’hui au contraire on fonctionne beaucoup par projets dits collectifs et beaucoup de collègues estiment que cette organisation dilue la réputation des animateurs de la recherche, la force de frappe intellectuelle que pourraient avoir certains chercheurs tout occupés à ces affaires de projets comme des Sisyphe. Des dispositifs comme l’ANR [Agence nationale de la recherche] et l’ERC [European Research Council], ces modalités de commande de la recherche font des ventres mous…

DR Moi je formulerais autrement critique et problème. C’est un système individualiste. Dans l’ancienne organisation de la recherche, les choix et le travail étaient individualisés, mais on pouvait faire travailler les étudiants en commun, et les collèges s’ils le voulaient. Seulement on ne pouvait rien financer. Les professeurs ne disposaient pas de crédit ou très peu pour les bourses, pour les frais, pour les voyages de recherches. Dans le laboratoire que j’ai dirigé, l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, il y avait un noyau de chercheurs ou de techniciens, salariés par le CNRS, avec un budget global pour couvrir les frais des enquêtes personnelles et collectives. Toute une partie de la recherche dépendait de l’association temporaire d’étudiants de l’université et de collègues intéressés.

GB C’est encore le cas heureusement. Pour toi, la commande de la recherche c’est donc de l’individualisme.

DR Complètement. C’est un schéma individualiste. Et les dirigeants des enquêtes doivent présenter devant des commissions d’attribution de crédit, qui créent une hiérarchie, à l’intérieur du milieu académique, terrible ! Il y a ceux qui ont accès à l’Europe. Il y a ceux qui sont reconnus aux États-Unis et qui participent à des projets encore plus vastes. Puis il y a les autres. Je ne sais même pas comment on peut être candidat à ce qu’on appelle l’ANR. On m’a demandé quelquefois d’en évaluer les projets. Le jour où l’on m’a demandé de rendre le rapport en anglais j’ai répondu que j’étais partisan d’une Europe à plusieurs vitesses en matière de langue. On ne m’a jamais répondu et plus rien demandé.

GB D’autant qu’il y a peu d’anglophones dans les commissions. Celles auxquelles j’ai pris part étaient pour trois-quarts francophones, des Français, des Belges, etc. Mais c’est vrai que les projets sont aussi expertisés par des non francophones.

DR Ma critique débouche sur l’obscurité qui entoure les instances d’évaluation, même si le milieu parvient à en connaître les tenants et aboutissants, et aussi les conséquences des modèles formalisés qu’entraîne la diffusion des résultats : problème des livres, des colloques, etc. L’ANR n’existait pas quand je suis passé au Collège. Je n’ai jamais présenté de projet. Quant aux projets européens, je n’en sais que ce qu’on veut bien m’en dire. C’est-à-dire qu’il y a par exemple, à Paris 1, des collègues qui ont gagné le « prix » du projet, qui rassemblent autour d’eux des Anglais, des Allemands, des Français, etc., et qui jouissent d’une réputation absolument extraordinaire parce qu’ils peuvent gérer des budgets importants et recruter des personnels divers à titre provisoire.

GB Tous ces dispositifs carburent à la notion d’excellence. Pour un certain nombre de collègues l’excellence est une sorte de sortilège jeté au travail de fond, au travail de longue haleine. Tu disais qu’une des conditions de possibilité pour qu’émergent des travaux comme – puisqu’on en parlait – Romain Bertrand peut en faire, c’est de laisser les gens travailler, travailler longtemps, sans devoir être des prestataires de service ou la variable d’ajustement des marottes ministérielles ; que les délivrables sapent complètement la possibilité de travaux qui se démarquent par leur profondeur de vue. Ce qui fait qu’on est sur un modèle non seulement élitiste, rien de neuf, mais aussi néolibéral.

DR Oui, tout à fait.

GB Dont l’une des dernières conséquences est de rejeter les savoirs non académiques, alors qu’aujourd’hui les artistes, les architectes, les designers, les cinéastes, etc., sont de plus en plus engagés dans des démarches réflexives et qu’ils apportent énormément aux sciences sociales par des recherches personnelles. Avec la notion d’excellence, le savoir universitaire se crispe sur lui-même.

DRSur la notion d’excellence, cela fait longtemps qu’entre les universitaires et les institutions administratives, il y a un problème. Parce que cela a toujours été une sorte, comme tu le disais, de mot fétiche, de mot magique, qu’il fallait être capable de comprendre. Mais il est bien évident que personne n’a jamais la capacité de définir l’excellence. Parce que l’échec, dans le domaine des sciences naturelles et des sciences physiques, est quelquefois tout aussi important que la réalisation de quelque chose qui aboutit. Qu’est-ce que c’est que l’excellence si ce n’est la capacité donnée à un plus grand nombre de faire avancer des enquêtes dans des directions qui sont en quelque sorte reconnues ? À partir de ça, il y a la hiérarchie des résultats, il y a les conséquences sur l’avenir. Comment peut-on définir l’excellence autrement que par la capacité d’enchaîner du progrès ? À partir de quel moment on invente ? Qu’est-ce qu’on invente ? Alors ça, c’est tout aussi valable dans les sciences humaines que dans les sciences dures. La notion d’invention dans les sciences dures c’est une construction historique. Elle apparaît en gros au xvie, xviie siècles. Avant les gens n’avaient pas le souci d’inventer. Le fait, les faits, ils les observaient, ils accumulaient. Ce n’est qu’après qu’on a, avec l’expérimentation et la mathématisation, inventé. On est donc devant un drôle de système parce que cette notion d’excellence est complètement dans le vide, elle est autodéterminée en quelque sorte. Dans les années 1950-2000, le CNRS jouait un rôle décisif dans le domaine de la définition des buts et des moyens dont avaient besoin les sciences dures comme les sciences humaines, en publiant des états de situation tous les cinq ans, qui faisaient le bilan des enquêtes qui avaient avancées, des résultats qui avaient été obtenus, à partir desquels il y avait quelquefois, pas toujours, des propositions de champs à encourager. Par exemple, je me souviens très bien qu’à un certain moment la Commission d’histoire avait reconnu que ce qu’il fallait encourager désormais, ce n’étaient plus des grandes enquêtes démographiques, à base d’études paroissiales, et ce genre de choses, mais plutôt les enquêtes urbaines. Donc il y a eu tout un basculement vers la ville de quantité d’interrogations qui n’était non pas manipulée par des grands projets mais quelquefois encouragée par des subventions. À l’IHMC [Institut d’histoire moderne et contemporaine], on a eu une subvention pour nous permettre d’étudier ce que c’était que la migration à Paris. On a dû nous donner cet argent vers 1999-2000, et l’enquête a été réalisée, cela a été publié, La Ville promise15.

GB Tu veux dire que le projet soutenu a été scientifiquement défini ?

DR Exactement, parce qu’à partir de ces bilans décennaux ou quinquennaux, un certain nombre de gens dans les directions scientifiques attribuaient des priorités, et il y avait ce que l’on appelle des crédits pour enquête d’action prioritaire programmée. Qui étaient un moyen justement, non pas de définir l’excellence, mais de définir le besoin, de définir l’intérêt des questions, et d’accorder ou non le renouvellement des crédits qui était soumis sinon à l’excellence, du moins à la qualité des résultats qui étaient examinés. Or, on a diminué le rôle du CNRS, avec des gens qui sont devenus des administrateurs de la recherche, et on a supprimé ces modalités d’évaluation. C’est triste quand même16.

GB Concernant l’apport des non scientifiques aux sciences humaines, tu as eu l’occasion de sentir que le gai savoir se produisait en dehors de l’université ?

DROui mais c’est parfaitement théorique. Personnellement je n’en ai jamais eu l’occasion. Les seules enquêtes où j’aurais pu l’avoir, c’est d’abord pour ma thèse17, mais je ne vais pas raconter la façon dont on était accueilli en Province avec un tel sujet : comment se fabriquaient les Lumières dans les élites locales ? Pour les membres des académies, il n’y a pas de problème, ils étaient les élites, ils l’avaient toujours été. Ou bien on te mettait dehors en te disant : « Monsieur, nous avons déjà écrit l’histoire de notre Académie ». Donc là c’est très difficile de répondre à cela. Quand après j’ai eu à m’occuper de la culture matérielle, c’était parfaitement envisageable. Mais ça n’est pas toujours possible. Envisageable et possible, tu as un exemple très concret à donner, c’est le cas de Steve Kaplan [1943-]. Steve Kaplan, c’est un collègue qui, avant même et en même temps qu’il s’est lancé dans cette superbe étude sur les problèmes de l’alimentation et la base essentielle du pain, a fait de la boulangerie18. Il a été chez Poilâne. Pendant des années, il passait des semaines, de temps en temps, pour travailler chez Poilâne. Donc quand il parle de pain, il sait ce que c’est. Mais dans mon domaine, par exemple, quand je me suis lancé dans l’histoire du vêtement, j’avais réussi à intéresser un certain nombre d’étudiants. Il y avait aussi des conservateurs du musée qui étaient intéressés. Ils n’étaient pas beaucoup parce que la plupart d’entre eux s’intéressaient à la mode et à son histoire et moins à une histoire de la consommation. De surcroît les collections concernent surtout les vêtements et les objets des classes riches et aristocratiques, alors que l’histoire des consommations souhaitait avoir une vision élargie avec les vêtements populaires. C’était toutefois important d’être encouragé par ce milieu car c’est de lui que dépend tout contact avec la matérialité des objets. Ainsi au Musée des Arts décoratifs de Paris, il y avait eu des gens très sympas pour parler de ça. Mais pour ce qui est des institutions économiques, à ce moment-là il y avait l’Institut français de la mode, fondé par Jack Lang et présidé par Pierre Bergé, le proche de Saint Laurent – réponse totalement négative : « Ça ne nous intéresse pas ». Un échec total.

GB Aujourd’hui il me semble qu’il y a une véritable double ouverture. Du monde professionnel vers les sciences sociales, et des universitaires vers les praticiens.

DRTu as raison, mais c’est différent dans chaque cas. Autre épisode notoire. Quand j’ai fait La Culture équestre19, le milieu des métiers, des professionnels m’a presque immédiatement répondu. J’ai rencontré des vétérinaires, des éleveurs, des maréchaux-ferrants. Il y a eu un échange. Des représentants de la Garde républicaine par exemple venaient assister au cours du Collège de France. C’était quand même sympa. Ils pouvaient suggérer des questions, ils pouvaient en poser, etc. Mais ceci étant, cela n’a jamais débouché sur aucun financement ou aucune collaboration autre que des échanges de passionnés. Par exemple, j’ai pris contact avec les sociétés de course en leur disant : « La généralisation mondialisée des courses est un des plus grands sujets actuels de l’histoire économique ». Quelle est la capitale des courses aujourd’hui dans notre monde ? Singapour. Des milliards sont engloutis, se jouent à Singapour tous les jours avec la répartition dans tous les pays du monde par les entreprises de bookmaking. Toutes les associations de courses m’ont dit : « Nous sommes au bord de la ruine, il n’y a aucun moyen de s’intéresser à ce genre de chose ». Je leur demandais de discuter, d’accéder aux archives les plus anciennes, et s’il y avait eu moyen d’obtenir de l’argent pour des postes ils auraient comblé mes vœux. Ils ne se rendent même pas compte de l’importance historique, économique de la sociabilité des courses. Enfin, je n’ai pas inventé le sujet des courses, c’est un problème passionnant que certains historiens anglais connaissent très bien. Cela fait un an que j’ai publié un bouquin [Connaissance et passion, 3e volume de La Culture équestre] dans lequel il y a soixante-dix pages sur les courses, et personne n’en a jamais noté l’intérêt. Si tu veux, le problème entre le privé et le public est très différent selon que tu le prennes par l’idée que les problèmes intellectuels peuvent être compris dans l’immédiat ou selon que des questions qui intéressent les uns et les autres peuvent être partagées pour un meilleur échange social. Ça n’existe pas en réalité, à quelques exceptions près. Il y a eu un moment où on a rêvé – les gens de mon âge en tout cas – qu’il y aurait des historiens dans les entreprises. Il y a eu une entreprise qui a recruté des historiens, c’est Saint-Gobain [fondée en 1665 par Colbert]. Pourquoi ? Parce que le président-directeur général de Saint-Gobain était le beau-frère d’Emmanuel Le Roy Ladurie.

GB Il y a beaucoup d’historiens, désormais, qui sont engagés par des entreprises pour s’occuper de leurs fonds et en tirer parti. Je pense par exemple à Florence Brachet aux Galeries Lafayette. C’est elle qui organisait tout un temps le séminaire de la mode à l’IHTP [Institution d’histoire du temps présent]. Des historiens sont souvent contactés pour faire des monographies, et ils essayent de ne pas être hagiographiques.

DR Il ne faut pas refuser ça. Je suis pour, mais il faut que le contrat soit clair, une histoire d’entreprise ce n’est pas une histoire hagiographique, sur la piété de Solvay en Belgique ou en Angleterre.

Mode et consommation : un tournant moderne ?

GB Imaginons justement qu’on soit de retour en 1980. Nous n’avons pas entre les mains Les Dessus et les dessous de la bourgeoisie de Philippe Perrot [1981] et tu mets la dernière main au Peuple de Paris [198120]. Comment passes-tu au vêtement ? Qu’est-ce qui fait que tu bascules d’un sujet « démographique » qui analyse le quotidien et la consommation populaire, à un objet qui est quasiment prismatique de ces problèmes ? Comment tu arrives à La Culture des apparences en 1989 ?

DR Il y a deux facteurs principaux. Le premier c’est l’étude des consommations rassemblées à Paris, et qui étaient vérifiées par des collègues qui me communiquaient quelquefois les recherches qu’ils faisaient faire sur les provinces bretonnes, sur le Dauphiné – René Favier par exemple, je cite des exemples qui me reviennent à l’esprit, ou à Lyon, avec les amis que je connaissais. Tous ces gens aboutissaient au même résultat. C’est-à-dire que la structure de la consommation était très importante, mais à l’intérieur de cette hiérarchie des consommations il y avait un élément révélateur qui était les conduites vestimentaires, les pratiques vestimentaires. Parce que c’est là où l’écart est maximum, de 1 à 1 000, entre ce que peut dépenser un prolétaire parisien et ce que peut dépenser un aristocrate versaillais, par exemple, à l’époque de Louis XIV. Ça fait une telle différence que l’idée de vérifier la manière dont cette situation vestimentaire s’était produite, et qui s’était accélérée avec le siècle, s’imposait.

Au début, on est de 1 à 1 000, et à la fin on est de 1 à 10 000, si tu veux. La composition des garde-robes est quand même ahurissante. Tu retrouveras les chiffres dans La Culture des apparences. Donc, qu’est-ce qui s’est passé derrière ? Et quels ont été les effets induits par ce phénomène, parce que les consommations les plus élevées n’étaient pas en quelque sorte inaccessibles d’une manière totale à l’ensemble de la population ? Il y avait des relais de diffusion de la consommation. Donc c’est un peu cette idée de savoir comment on pouvait comprendre les écarts et les transformations qui s’imposaient. Cela met en cause l’industrie textile, évidemment, puisqu’une partie de l’industrie textile a généralisé un certain nombre d’objets qui ont été accessibles à un plus grand nombre, même s’ils n’étaient pas transformés et apprêtés avec le luxe que connaissaient les classes élevées – et là on pourrait retrouver la mondialisation, les cotonnades et les Indiennes, si tu veux. Des choses qui n’ont pas du tout été réservées aux aristocrates mais qui ont été diffusées d’une certaine manière et qui ont opéré un changement de sensibilité parce que ce n’est pas du tout le même contact sensible de s’habiller avec des cotonnades que de se vêtir avec des vêtements de laine. Il y a un changement général qui se produit parce qu’une partie de la population tire vers le haut. Et une partie de cette population qui tire vers le haut est directement mondialisée en quelque sorte, et c’est comme ça que se crée une distribution générale. Ça, c’est une raison en partie d’historiens économistes, d’historiens sociaux.

GB Est-ce que le passage de « 1 à 1 000 » à « 1 à 10 000 » procède essentiellement d’une spirale du luxe où chacun, dès qu’il peut, essaie de rivaliser, ou bien plutôt de l’augmentation du nombre de choses qui s’offrent à la consommation ?

DR Les deux. Les Anglais appellent ça le luxus populus ou le populus luxus. Il y a une forme en quelque sorte de diffusion des objets. Tu vas prendre un objet comme le parapluie par exemple. Tu vas le trouver « objet de luxe », mais il se diffuse partout. Donc il y a des objets qui créent leur propre circuit et qui deviennent complètement utiles. Ils entrent définitivement dans la sphère du besoin. La transformation des besoins n’est pas dictée par le choix des entreprises et la nécessité de faire du cash, mais elle est le résultat d’une grande transformation générale des comportements sociaux, parce qu’avant chacun restait à sa place, défini par un statut vestimentaire aussi bien que social, alors qu’avec l’accroissement du commerce, des modes de consommation nouveaux se créent, définis par les possibilités, les capacités d’accès à l’information et l’imitation. Au niveau le plus élevé, le changement c’est la mode.

GB Qu’est-ce que tu entends par « accès à l’information » ?

DR Pour certaines catégories qui lisent, il y a une presse, comme de nos jours. Une presse, comme les journaux de mode, qui ne sont pas du tout réservés aux classes élevées.

GB C’est ce que je voulais te demander. Parce qu’aujourd’hui La Culture des apparences est un livre qui entre en droite ligne dans la littérature sur la mode. Il est incontournable probablement parce que le champ même des études de mode, des fashion studies s’est considérablement élargi. Mais ton travail sur la mode, à proprement parler, ne concerne dans ce livre que le seizième chapitre, celui consacré à « la naissance de la presse de mode », étant entendu que tout ce travail, comme tu viens de me l’expliquer, explique les mécanismes…

DR… la mise en place des mécanismes de la mode et de ceux de la consommation. Mais tu sais, je crois qu’on doit rendre hommage à d’autres qui ont travaillé sur le même argument. Tu évoquais Philippe Perrot, qui est un auteur totalement intéressant. J’ai eu beaucoup d’admiration pour son travail sur le xixe siècle. L’ennui avec Philippe Perrot, c’est qu’il a disparu. Il a publié deux livres, et puis après… Notre approche était très complémentaire car il mettait l’accent sur le xixe siècle et il s’intéressait autrement à des objets identiques : le linge, les dessous.

Derrière cela – c’est le deuxième facteur – il y a quand même quelque chose qui a joué et qu’on ne peut pas nier. C’est qu’on était alors à la première grande étape de la société de consommation. Ce n’est pas pour rien qu’un sociologue comme Gilles Lipovetski [1944-] a écrit un livre sur la mode qui s’appelle L’Empire de l’éphémère [198721]. Il en exagérait d’ailleurs peut-être la force par rapport aux moyens.

GB Et déjà Baudrillard avec La Société de consommation [1970] qui était dans la ligne critique du matérialisme historique, après La Société du spectacle [1967] de Debord.

DR Baudrillard, oui, exactement. Lipovestki, non, parce qu’il était assez libéral d’un certain point de vue ; mais Baudrillard condamne le changement aliénant. Avant eux, il y avait un philosophe comme Henri Lefebvre [1901-1991], qui a été dans ce domaine-là extrêmement important, et dont personne ne cite jamais les travaux22. Sauf peut-être quelques vieux marxistes attardés.

Il y a un autre déclencheur à mon propre choix, c’est la référence aux travaux des Anglais. Le Peuple de Paris est édité en 1981, mais en 1982, Plumb, Brewer et McKendrick publient The Birth of a Consumer Society23. C’est un livre tout à fait important, qui a entraîné beaucoup de recherches en parallèle avec ce que moi j’avais continué du côté du vêtement, avec à peu près les mêmes instruments archivistiques, les inventaires après-décès, les déclarations de succession, tous ces documents d’archives, et qui ont donné des résultats, y compris sur l’Amérique, le développement de l’économie de consommation des États américains. Ceci étant, j’ai rencontré une fois John Brewer [1947-]. C’était alors à l’Institut européen de Florence un professeur qui n’avait pas beaucoup envie de collaborer avec d’autres chercheurs que ceux qui étaient avec lui. Je n’avais pas les moyens non plus de lui dire : « John, venez passer un mois ici pour me raconter… ». Il y a ces aspects matériels, institutionnels et financiers qui ont joué et qui joueraient peut-être moins maintenant.

GB Tu évoquais les nouveaux moyens de consommation et, comme moment clé, notamment l’invention de la presse de mode. Ces images, ces textes, ces réclames, ces descriptions, ces promotions enchantées, ces critiques acides, ces tendresses d’étoffes projettent la mode dans des formes de médiation non corporelles. Quels effets produit cette médiation de la culture matérielle ? Tu viens de me le dire, mais est-ce que c’est bien ça ? Ce système d’information fait que beaucoup plus de monde connaisse et reconnaisse les objets et les signes dont il faut se prévaloir pour entrer dans une courbe de différentiation sociale ou simplement déjà dans l’élégance, le bon goût.

DR Oui, c’est ça. Mais évidemment cela concerne le système et la possibilité d’accès à la culture de la figuration, à la culture des imprimés. Et avant cela je crois que l’étape préalable c’est l’accès au spectacle lui-même des choses. C’est-à-dire la vision que donne une « autre » société de l’utilisation de certains objets, qui se fait à la fois directement parce qu’on voit les objets, et indirectement parce que, dans l’espace privé et public, il y a des catégories d’intermédiaires qui copient, et qui ont les moyens, en quelque sorte privilégiés, d’avoir accès à ces objets. Quand dans une grande famille aristocratique quelqu’un meurt, une partie de la garde-robe va aux domestiques. Cette partie de la garde-robe, ce n’est pas celle qui est conforme à la mode du moment, mais c’est celle qui a été dans le cœur de la mode vingt ans avant.

GB Y compris la fripe, comme autre voie de percolation des garde-robes ? Parce que c’est aussi une première forme de prêt-à-porter.

DR Alors la fripe c’est autre chose parce qu’elle a généralisé les nouveaux textiles, les nouvelles formules, des choses comme le pantalon pour les hommes, et les différentes nouveautés de la robe pour les femmes. Ça a été le second marché : celui de la revente, la création du marché d’occasion. Les fripiers ont repris en quelque sorte, à l’occasion de ces vêtements qu’ils faisaient circuler, un type de présentation qui a été à la base de la confection du prêt-à-porter. Ils sont à l’origine à la fois de la diffusion des nouveautés et, progressivement, de la création d’un nouveau mode de diffusion qui, au xixe siècle, sera le prêt-à-porter. Au départ, on a les tailleurs à Paris ; ils te font le vêtement sur mesure. Pour les femmes c’est la couturière, surtout à l’époque de la corporation des couturières. Il y en a eu en province aussi. Quelquefois ils vont chez les gens. Et après, alors, dans les grands centres urbains, il y a ces gens qui reprennent les vêtements, les nettoient, les ajustent, s’ils étaient troués, ils les raccommodent et les remettent en vente. Et au bout d’un certain temps, ces gens-là vont se mettre à fabriquer sans mesures, si tu veux, sans prendre les mesures des gens.

GB Donc le second marché devient le « premier » marché, et au départ il donne un accès inédit à des matériaux, à des formes nouvelles, venus d’ailleurs.

DR Oui, venus d’ailleurs, tout à fait. Il est évident que, par rapport aux questions de la mondialisation, j’aurais dû, c’est vrai, être plus attentif à tout ce qui montrait l’exotisme en quelque sorte, ou la capacité d’exotisme. C’est quand même merveilleux de voir qu’il y a un grand livre d’histoire économique sur les rapports entre la Chine et l’Europe occidentale, de Louis Dermigny [1916-1974] – je ne sais pas si tu y as jeté un œil –, un travail énorme. Une hyper-grosse thèse des années cinquante. Dermigny a étudié tous les aspects du rôle actif des Compagnies des Indes, du commerce avec la Chine. Et on nous dit qu’on ne s’est pas intéressé à ce qu’on devrait ? Une critique est cependant valide. Dermigny a établi les flux, il a calculé les profits, il a montré les mouvements, mais il n’a pas montré les mécanismes de diffusion. Il ne s’est pas intéressé à la diffusion sociale des marchandises, à ses acteurs et à ses consommateurs. Il enseignait l’histoire économique. Mais il aurait pu quand même, peut-être, poser la question : à partir de quel moment la consommation ne relève pas de l’économie, mais est une autre production qui va provoquer une transformation ? Ce qui nous aurait tous poussés, plus rapidement, vers une mondialisation-globalisation de la circulation des objets dans l’échange.

GB Est-ce que tu serais d’accord avec cette idée ? Les premières lois somptuaires médiévales datent du xiie-xiiie siècle – le premier effet de ces lois n’est pas de réordonner les choses, de colmater les brèches sociologiques, mais de publier une sorte de signalétique de la distinction sociale, qui accélère le processus : on ne consomme plus seulement des biens mais aussi des signes sociaux.

DR Tout à fait et c’est ce que je raconte en partie dans La Culture des apparences, il y a un petit paragraphe… Le problème des lois somptuaires, qui se sont quand même arrêtées à la fin du xviie siècle, c’est quoi ? À la fin du xviie, elles existent encore mais c’est uniquement pour limiter les consommations qui entraînent des sorties numéraires. C’est devenu un instrument économique. Avant ce n’est pas cela. Avant, il s’agit de définir les consommations qui définissent les statuts. Donc les lois somptuaires – c’est le premier problème – c’est de bien comprendre pourquoi, tout d’un coup, les rois, les administrateurs qui gèrent avec eux ces aspects, se donnent la peine de donner des listes de choses. Ce qui nous entraîne vers le deuxième problème : il n’y a jamais eu d’étude sur l’application judiciaire des lois somptuaires. Je n’en connais pas.

GB Récemment un ouvrage est paru, édité par Christiane Klapisch-Zuber [1936-] et plusieurs autres historiens, contre le luxe, surtout des femmes, dans la Florence des années 1340. Je veux dire un document historique, difficile, désormais brillamment édité, où l’on peut lire la description de bijoux et de plusieurs milliers de pièces de vêtements déposés parce qu’ils étaient en contravention avec la législation24.

DR Y a-t-il une étude de la surveillance, de l’exécution d’une loi ? Y a-t-il des procès ? Moi j’avais cherché à Paris, je n’avais rien trouvé.

GB Je pense que l’idée encore souvent colportée, selon laquelle ces lois seraient rééditées parce qu’elles n’étaient pas suivies, est deux fois fausse. Elles sont suivies au sens où elles publient une information sociale de premier plan, suivie de près par tout un tas de gens qui ont les moyens ou juste assez de moyens pour s’accrocher à l’échelle sociale. Quand Michelle Perrot [1928-] constate que les « priorités budgétaires des ouvriers » vont au vêtement et pas à leur logement, ce n’est pas rien.

DR Oui, mais les priorités budgétaires correspondent à des choix collectifs et personnels et ils ne sont pas dictés par des lois, bien qu’ils puissent y avoir des attitudes de réprobation manifestes quand on n’est pas habillé comme il convient. Il y a un moment où ça commence à être visible, c’est quand il y a des poursuites ou des dénonciations, mais celles qu’on cite toujours, c’est quand on a fait des lois rigoureuses sur la vaisselle d’or et d’argent, qui entraînait la consommation des métaux précieux. À partir de ce moment-là on a fait des saisies. Mais c’est très limité. Les lois somptuaires datent de trois, quatre siècles, et c’est tout à la fin qu’on voit apparaître cela. C’est par exemple l’histoire d’Hans Medick [1939-] avec l’emprisonnement [en 1804] d’un tonnelier de Laichingen qui avait osé entrer dans la salle publique en tenue de travail au lieu des habits bleus du dimanche25. Medick a fait un scoop. Mais il y en a peu. Medick est un très bon historien allemand qui était, comme on disait, historien du point de vue d’en bas, from below. Mais ceci étant, il était compliqué parce que tu étais toujours ou bien trop marxiste ou bien pas assez. C’était difficile de se retrouver avec Medick.

GB Pour revenir à l’idée que l’on consomme des signes et plus seulement des biens, qu’il y a une sorte de nouvelle sémiologie sociale, grâce ou à cause des lois somptuaires, et qu’ensuite il y aurait un deuxième moment – est-ce que tu serais d’accord avec ça ? – qui fait que la mode est un buffet culturel, visible plus seulement sur les corps mais visible aussi par d’autres moyens, en particulier grâce à la presse de mode.

DR Mais alors c’est un mouvement qui commence assez tôt parce que dans les grandes villes productrices de vêtements et Paris en tête, on voit se diffuser des gravures représentant les personnages importants. Et ce qui compte ce n’est pas tellement la physionomie du personnage que la manière dont il est vêtu et présenté au reste du monde. Tu as même des procédés qui sont techniquement plus au point. Tous les ans, à l’automne, partait de Paris la poupée de mode, qui atteignait le bout du monde, où on voyait les accessoires et les pièces principales qui devaient en quelque sorte orienter la consommation du moment.

GB D’accord, il y a donc plusieurs facteurs qui jouent, qui s’additionnent, dans une chronologie « tuilée » qu’il faudrait essayer de mieux saisir. Parce que la presse de mode, c’est 1750 environ, mais il y a la gravure.

DR La gravure, c’est déjà le xvie siècle, oui. Mais là-dessus on a plus de connaissance sur la fin que sur le début.

GB Il y a par exemple tous ces « recueils d’habits » à partir du xvie siècle qui montrent à la fois l’apparence de l’artisan et celle de la princesse, la Française et l’Italienne, et les Nations du monde, et c’est comme si chaque figure présentait une façon irréductible d’être au monde.

Quel rôle, quand même, la presse de mode a joué dans l’histoire du genre ? Parce que c’est un moment où la femme se reconnaît, paradoxalement, comme sujet de l’homme. Elle est le sujet de cette presse et elle en est parfois l’instigatrice. Est-ce qu’il y a par là une prise de conscience des rapports de genre ?

DR Un constat, si tu veux. Dans les domaines de la consommation, pour des raisons qui ne dépendent pas de la nature féminine ou de la nature masculine, c’est quand même les femmes qui mènent le branle, qui sont en quelque sorte les pionnières de la transformation. Dans le domaine alimentaire et quotidien, il est bien évident que ce n’est pas par nature qu’elles ont un « privilège » à organiser l’intérieur du foyer, et à contrôler les garde-robes, mais ça fait partie de la fabrication de leur nature sociale. Et en ce domaine, elles ont un rôle tout à fait décisif. Les vêtements de femme, même dans le petit peuple, occupent une place deux fois plus grande que les vêtements masculins. Ils sont donc changés plus souvent. Et il y a plus, dans ce domaine, de diffusion entre les femmes, par les femmes. De ce point de vue-là je crois que ça fait partie de la conception même que les illustrateurs et les « journalistes de mode » ont voulu donner des femmes, qui ont leur domaine réservé, et qui doivent avoir des responsabilités dans ce domaine réservé. Quand on en sort, on sait bien ce qui leur arrive ! On a brûlé Jeanne d’Arc parce qu’elle montait à cheval et ainsi de suite. Je ne me suis jamais aventuré dans l’histoire des femmes directement, si tu veux. C’était très bien fait par des gens comme Michelle Perrot26. On voyait très bien quels étaient les enjeux par rapport à l’actualité, etc. Donc je n’apporte là, dans le domaine de la culture matérielle, que, peut-être, des faits à discuter. On peut peut-être en discuter.

La querelle du luxe

GB Tu me disais l’autre jour que tu étais étonné du peu de suivi des chantiers ouverts autour des objets. L’objet comme interface sociale. Même sur le cas du vêtement, tu disais que ça n’avait finalement pas donné grand-chose, ça n’avait pas tellement pris.

DR À mon sens, ce n’est pas complètement inutile quand même, ou alors je n’ai plus qu’à me fusiller. Ça a eu pour effet positif d’élargir la manière dont on a essayé de comprendre les rapports sociaux, les rapports entre les sexes, les rapports entre les parents et les enfants, à l’intérieur de l’ancienne société. Dans une société de statuts, on a essayé de comprendre comment ces statuts étaient vécus, utilisés, matérialisés à travers différents types de consommation, et comment cela a évolué. Autrement dit, si tu veux, ce n’est pas pour rien que la grande querelle du luxe27 coïncide, au milieu du xviiie siècle, avec la généralisation, amorcée déjà depuis pas mal de temps, de consommations accrues. Le fait que les gens commencent à porter plus de choses et à en changer plus souvent, à consommer autrement en faisant plus attention, à avoir des consommations de loisir – c’est toute l’histoire du budget familial, qui a été faite en Angleterre, comme elle a été faite en France. Ce n’est pas pour rien qu’on voit apparaître des gens qui disent : « Attention, il va y avoir un excès de consommation, et le luxe ceci, et le luxe cela ». Le luxe moteur ou le luxe dépréciateur de l’ancien fonctionnement social hiérarchisé par le statut. Les premiers qui se rendent compte que les choses changent, ce sont par exemple les prédicateurs et les curés, les confesseurs et les pasteurs.

GB J’ai le sentiment que c’est assez constant. Ce type de discours ne cesse pas. À chaque génération, c’était mieux avant. Une sorte d’effet biographique des lettrés qui, en l’espace d’une vie d’adulte, voient les choses changer. Et le changement c’est toujours, en tout cas pour les moralistes, pour le pire.

DR « Faites attention, vous allez consommer au-delà de votre condition », c’est absolument un thème constant de l’Église, mais qui va être relayé par l’État, autrement. En particulier par l’école.

GB Oui, autrement. Déjà au sein de l’Église. Quand je dis « discours à répétition », ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas épanouissement, à certains moments, de la consommation. Et quand on regarde de près les principes de ces discours, ils changent beaucoup avec le temps. On en a les premiers témoignages médiévaux par des clercs sourcilleux à souhait dans des chroniques du xie siècle : « en l’espace de quelques années, le luxe a tout envahi, tout gâché… » Le luxe est alors condamné comme attitude non chrétienne. Ce n’est pas encore, comme à partir du xiiie siècle, le luxe qui brouille les statuts, et encore moins le luxe qui devient une prérogative réglée. Parce qu’on en arrive à une espèce de droit au luxe pour la haute société, même si la critique du dispendieux, à cause des banqueroutes notamment, continue sa course à travers les semonces des hommes d’Église et même des humanistes. Autrement dit : la retenue pour les femmes et les hommes qui s’élèvent par le travail, le juste milieu pour les grands, et le privilège voire la nécessité de magnificence pour le souverain. Ce sont des choses déjà établies par la théorie politique d’un Gilles de Rome par exemple.

DR Quand les curés de campagne s’aperçoivent que les jeunes filles commencent à avoir des foulards d’Indiennes qu’elles mettent le dimanche pour aller à la messe, ils s’inquiètent, pas seulement du point de vue de l’immoralité, mais de ce que cela veut dire dans l’assemblée et pour les rapports sociaux, la modestie nécessaire – oui, les deux.

Paris, 1er juillet 2016.

La suite de l’entretien est disponible dans le numéro 3 de Modes pratiques publié en décembre 2017.

1 Georges Vigarello, Le Corps redressé, histoire d’un pouvoir pédagogique, 1978, réédité chez A. Colin, 2e éd. 2004.

2 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Seuil, 1985.

3 Alain Corbin, La Douceur de l’ombre. L’arbre, source d’émotions, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2014.

4 Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, 1re éd. Paris, Aubier, 1982. LeTerritoireduvide.

5 Sur la culture du pauvre, Richard Hoggart, The Uses of Literacy. Aspects of Working Class Life, Londres, Chatto and Windus, 1957.

6 Daniel Roche est directeur de la Revue d’histoire moderne & contemporaine.

7 Par exemple, Sidney W. Mintz, La Douceur et le Pouvoir. La place de sucre dans l’histoire moderne[1985], nouvelle éd. Bruxelles, Éditions de l’

8 Romain Bertrand, L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident, xvie-xviie siècle, Paris, Seuil, 2011.

9 Serge Grunzinski, par exemple La Colonisation de l’imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol, xvie-xviie siècle

10 Sanjay Subrahmanyam, The Career and Legend of Vasco da Gama, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, trad. française Vasco deGama.

11 Nathan Wachtel, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570), Paris, Gallimard, 1971.

12 Marshall G. S. Hodgson, “The interrelations of societies in History”, Comparative Studies in Society and History, 5, 1963, p. 227-250.

13 Denys Lombart, Le Carrefour javanais. Essai d’histoire globale, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.

14 Jack Goody, The Theft of History, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

15 La Ville promise. Mobilité et accueil à Paris, fin xvii-début xixe siècle, sous la direction de Daniel Roche, Paris, Fayard, 2000. Voir aussi

16 Daniel Roche s’exprime notamment sur le problème de la recherche par « projets » et la gouvernance de la recherche devant Aurore Chery pour le

17 Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris-La Haye, Éditions de l’EHESS Mouton

18 Steve Kaplan, par exemple Le Meilleur pain du monde. Les boulangers de Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1996.

19 Daniel Roche, La Culture équestre de l’Occident, xvie-xixe siècle : l’ombre du cheval, t. 1 Le Cheval moteur : essai sur l’utilité équestre, t. 2

20 Daniel Roche, Le Peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, Aubier, 1981.

21 Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987.

22 Voir par exemple, Critique de la vie quotidienne, Paris, Grasset, 1947, et sa suite Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’

23 Neil McKendrick, John Brewer, J. H. Plumb, The Birth of a Consumer Society. The Commercialization of Eighteenth-century England, Londres, Europa

24 Prammatica, édition, traduction et études de Laurence GérardMarchant, Christiane KlapischZuber, Franek Sznura, Giuseppe Biscione, Jöel F. 

25 Voir en français Hans Medick, « Une culture de la considération. Les vêtements et leur couleur à Laichingen entre 1750 et 1820 », Annales.

26 Histoire des femmes en Occident, 5 vol., sous la direction de Michelle Perrot et Georges Duby, Plon, Paris, 1990-1992.

27 Cf. Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 127-143 et 494-519.

Notes

1 Georges Vigarello, Le Corps redressé, histoire d’un pouvoir pédagogique, 1978, réédité chez A. Colin, 2e éd. 2004.

2 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Seuil, 1985.

3 Alain Corbin, La Douceur de l’ombre. L’arbre, source d’émotions, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2014.

4 Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, 1re éd. Paris, Aubier, 1982. Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Paris, Flammarion, 1988.

5 Sur la culture du pauvre, Richard Hoggart, The Uses of Literacy. Aspects of Working Class Life, Londres, Chatto and Windus, 1957.

6 Daniel Roche est directeur de la Revue d’histoire moderne & contemporaine.

7 Par exemple, Sidney W. Mintz, La Douceur et le Pouvoir. La place de sucre dans l’histoire moderne [1985], nouvelle éd. Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2014.

8 Romain Bertrand, L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident, xvie-xviie siècle, Paris, Seuil, 2011.

9 Serge Grunzinski, par exemple La Colonisation de l’imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol, xvie-xviie siècle, Paris, Gallimard, 1988.

10 Sanjay Subrahmanyam, The Career and Legend of Vasco da Gama, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, trad. française Vasco de Gama. Légende et tribulation de Vice-Roi des Indes, Paris, Alma, 2012 (Seuil, « Points Histoire », 2014).

11 Nathan Wachtel, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570), Paris, Gallimard, 1971.

12 Marshall G. S. Hodgson, “The interrelations of societies in History”, Comparative Studies in Society and History, 5, 1963, p. 227-250.

13 Denys Lombart, Le Carrefour javanais. Essai d’histoire globale, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.

14 Jack Goody, The Theft of History, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

15 La Ville promise. Mobilité et accueil à Paris, fin xvii-début xixe siècle, sous la direction de Daniel Roche, Paris, Fayard, 2000. Voir aussi Daniel Roche, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003.

16 Daniel Roche s’exprime notamment sur le problème de la recherche par « projets » et la gouvernance de la recherche devant Aurore Chery pour le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUPH), mise en ligne le 15 mars 2015 sur Dailymotion, http://www.dailymotion.com/video/x2jkcgl_le-role-de-l-historien-aujourd-hui-par-daniel-roche_ school .

17 Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris-La Haye, Éditions de l’EHESS Mouton, 1978, 2 vol. (Paris IV, 1973).

18 Steve Kaplan, par exemple Le Meilleur pain du monde. Les boulangers de Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1996.

19 Daniel Roche, La Culture équestre de l’Occident, xvie-xixe siècle : l’ombre du cheval, t. 1 Le Cheval moteur : essai sur l’utilité équestre, t. 2 La Gloire et la puissance : essai sur la distinction équestre, t. 3 Connaissance et passion, Paris, Fayard, 2008-2015.

20 Daniel Roche, Le Peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, Aubier, 1981.

21 Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes, Paris, Gallimard, 1987.

22 Voir par exemple, Critique de la vie quotidienne, Paris, Grasset, 1947, et sa suite Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’Arche, 1961.

23 Neil McKendrick, John Brewer, J. H. Plumb, The Birth of a Consumer Society. The Commercialization of Eighteenth-century England, Londres, Europa Publications, 1982.

24 Prammatica, édition, traduction et études de Laurence GérardMarchant, Christiane KlapischZuber, Franek Sznura, Giuseppe Biscione, Jöel F. Vaucher-de-laCroix, Draghi rossi e querce azzurre. Elenchi descrittivi di abiti di lusso (Firenze, 1343-1345), Florence, Sismel, 2013.

25 Voir en français Hans Medick, « Une culture de la considération. Les vêtements et leur couleur à Laichingen entre 1750 et 1820 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 4, 1995. p. 756 et suivantes.

26 Histoire des femmes en Occident, 5 vol., sous la direction de Michelle Perrot et Georges Duby, Plon, Paris, 1990-1992.

27 Cf. Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 127-143 et 494-519.

Illustrations

Daniel Roche

Daniel Roche

© Olivier Roller

Citer cet article

Référence papier

Gil Bartholeyns, « Avis de recherche », Modes pratiques, 2 | 2017, 170-187.

Référence électronique

Gil Bartholeyns, « Avis de recherche », Modes pratiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 28 mars 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/354

Auteur

Gil Bartholeyns