Poussé par des humeurs qu’il ne peut expliquer,
Mais ligoté par une crainte insensée,
Il aspire à errer sous la pluie,
Enrobé dans un vêtement de caoutchouc1
En 1994, après avoir fait l’expérience de ne porter que du latex pendant toute une semaine, la reporter de Vogue Candace Bushnell déclare : « Le latex, c’est le pouvoir et le sexe2 ». Le designer Marc Jacobs qui lance la même année sa robe en latex rouge « uptown fetish » (quelque chose comme « fétiche chic »), explique à Vogue : « Cette matière est vraiment sexuelle, j’aime créer des éléments épurés à partir de quelque chose de hard-core3 ». Le caoutchouc – la version vulcanisée du latex – est un matériau attractif. Les fétichistes parlent volontiers de leur obsession pour son caractère soyeux et la sensation de protection et de pouvoir que procure la matière qui épouse le corps et le contraint avec douceur.
L’intérêt pour le caoutchouc comme matière vestimentaire débute au cours du premier xixe siècle avec des vêtements qui utilisent la capacité du caoutchouc à imperméabiliser les tissus. Le caoutchouc est alors un nouveau matériau industriel, très demandé, utilisé – du moins essaie-t-on – dans tous les secteurs, des tenues de pluie aux moyens contraceptifs. Considéré comme une matière magique pour l’industrie, il devient vers 1850 une marchandise fétiche, reflétant le rang social élevé de ceux qui peuvent le porter, avant tout dans le cadre du sport et d’une vie de loisirs. Les manteaux Mackintosh et les gants et chaussures de caoutchouc, les premiers éléments totalement imperméables, incarnent en outre alors les progrès techniques, la matière semblant alors totalement nouvelle. Mais cet engouement pour les équipements contre la pluie change vite de nature se chargeant d’érotisme.
La fascination pour le caoutchouc dure et ces dernières années en particulier, la matière a gagné de nombreux adeptes dans la mode, parmi les arbitres des élégances comme parmi les it girls. En décembre 2009, la chanteuse Lady Gaga enfile une robe de sirène en latex rouge pour rencontrer la reine Elizabeth II. Kim Kardashian est photographiée en de nombreuses occasions portant des vêtements en latex d’Atsuko Kudo, la créatrice japonaise spécialisée dans les tenues de latex. Pour le gala d’ouverture de l’exposition Manus x Machina : Fashion In An Age Of Technology au Metropolitan Museum of Art en 2016, Beyoncé monte le tapis rouge dans une robe de latex, elle aussi créée par Atsuko Kudo, cette fois en association avec Ricardo Tisci, l’ancien directeur artistique de la maison Givenchy. Dawn Mostow, le designer de la marque de vêtements en latex Dawnamatrix, peut dire que « le latex est mainstream depuis maintenant pas mal de temps – pensez au clip de Madonna Human nature de 1995 ou plus récemment à l’émergence de Lady Gaga – et nous avons atteint un niveau de confort avec cette matière qui fait qu’elle peut être incorporée dans la mode quotidienne4 ». Malgré cela, le latex n’est pas une matière anodine et les vêtements en latex créent encore de fortes réactions chez les porteurs comme les observateurs. Même si elle gagne un public toujours plus large, associée aux pratiques fétichistes, elle conserve une charge forte qui en fait une matière symbole de pouvoir et de libération.
De la pluie au sexe
Alors que les Aztèques et les Mayas utilisaient le caoutchouc pour enduire capes et chaussures depuis sans doute 2000 ans, c’est l’explorateur français Charles Marie de La Condamine qui le premier introduit ce matériau en Europe en en présentant des échantillons à l’Académie Royale des Sciences à Paris en 17365. Mais l’industrie du caoutchouc n’existe pas véritablement avant le xixe siècle. Dès les années 1840 et sa vulcanisation qui la rend stable et évite qu’elle poisse en été et casse en hiver, la matière soyeuse, élastique et imperméable épouse les mouvements de l’industrialisation, « stimulant les imaginations industrielles des chimistes, des mécaniciens et des confectionneurs6 ». Mais dès 1803, le caoutchouc est utilisé dans les jarretières, et se diffuse dans une gamme de plus en plus large de vêtements7. En décembre 1811, le Journal des dames et des Modes s’arrête sur l’engouement pour les bretelles élastiques :
« De toutes les inventions nouvelles, celle qui s’est peut-être le plus étendue et le plus propagée est la mode des bretelles élastiques. Les hommes ont commencé par l’adopter ; les femmes ont bientôt suivi l’exemple de ces Messieurs : les bretelles élastiques suspendent le pantalon du jeune élégant et retiennent le jupon de la petite-maîtresse. Les vieux jeunes-gens déguisent la grosseur de leur ventre au moyen d’une ceinture élastique ; les coquettes surannées soutiennent leurs appas caduc à la faveur d’un corset élastique ; les bas d’un Incroyable sont retenus par une jarretière élastique ; les gants à coude d’une belle dame sont attachés par un bracelet élastique. […] On dirait que l’artiste adroit a deviné qu’il avait affaire à des poupées qu’on ne peut faire mouvoir que par des ressorts [élastiques8] ».
En 1823, le chimiste écossais Charles Macintosh – alors sans K – prend un brevet pour un tissu enduit de caoutchouc dissout dans du naphte, matière extraite du bitume9. Macintosh insère cette mixture entre deux couches de tissu qui les rend imperméables. Les imperméables réalisés à partir de cette matière sont connus sous le nom de « Mackintoshes » ou « Macs », et ressemblaient aux trench-coats, littéralement « manteaux de tranchées » et donc imperméables10. Macintosh collabore ensuite avec l’inventeur anglais Thomas Hancock qui devient un des grands créateurs de manteaux de pluie en Angleterre puis qui prend la tête de l’entreprise Macintosh. Ensemble, ils proposent un large assortiment de vêtements imperméables mais aucun produit ne connaît la notoriété du manteau Mackintosh.
Dans les années 1850, une chanson intitulée The Age of India Rubber (L’âge du caoutchouc) annonce avec enthousiasme le succès du caoutchouc. Il est en effet employé dans les draps de lit, les tabliers, les postiches, les cordages et les chaussures – pour ne citer que les principaux usages – mais est avant tout prisé dans les pardessus de Mackintosh. Un couplet en atteste :
« Nos gentilhommes, lorsqu’ils étaient habillés, avaient une telle prestance
Nous ne pourrions jamais nous la permettre, mon ami –
Il n’y avait aucune difficulté à voir
Leur différence avec le laboureur
Mais maintenant, nos paysans, je le dis haut et fort,
Notre élite les bat de presque rien
Car ils portent des manteaux en caoutchouc d’Inde
Et ils les appellent Mackintoshes.
Ah, le caoutchouc, le Caoutchouc d’Inde véritable11 ».
L’histoire sociale du caoutchouc dans la seconde partie du xixe siècle est à la fois celle de l’exploitation de ses potentialités infinies dans la confection vestimentaire et dans l’industrie médicale. Son usage industriel pour produire une large gamme de produits quotidiens, des bottes jusqu’aux objets de toilettes les plus intimes fait qu’il a vite « conquis à la fois l’espace public et les replis de la vie privée12 ». Autour de 1880, le caoutchouc utilisé dans la contraception – en particulier pour les préservatifs –, est de ce fait associé avec le plaisir sexuel, et en particulier le plaisir dit « improductif » – les relations qui ne visent pas la reproduction –, ce qui fait que le « toucher et l’odeur du caoutchouc deviennent synonymes de sexe13 ». Cette association a la vie longue : aujourd’hui encore, “rubber” en anglais – et parfois « caoutchouc » en français – continue à désigner en argot un préservatif.
Forteresse de caoutchouc et effet mouillé
Du fait de cet imaginaire, dans les années 1920, des femmes et des hommes sensibles au son, à l’odeur et au toucher du caoutchouc forment la plus ancienne société fétichiste, la Mackintosh Society. L’objet fétiche le plus couru est alors le manteau comme l’indiquent les lettres publiées dans le magazine le London Life dès 192614. Le courrier de lecteurs – parfois entre lecteurs – devient un espace de liberté où les Britanniques pouvaient développer leurs goûts et mettre en récits leurs désirs sexuels15. Les lettres adressées au London Life évoquent souvent les « frissons » créés par les corsets très étroits, par les pratiques de bondage ou par un matériel fétichiste spécifique comme les sous-vêtements en caoutchouc ou le port de soie sur une seule jambe comme l’écrivait une lectrice en 193016. La correspondance des adeptes du Mackintosh souligne le sentiment de protection que communique ce vêtement17 en même temps que le plaisir olfactif et sonore que leur procurent leurs équipements de latex18. La Mackintosh Society encourage au même moment, dans les années 1930, l’ouverture de petites fabriques à domicile de chemises, corsets et de toute sorte de vêtements de caoutchouc qui moulent les corps19. Un courrier daté de 1955 et envoyé au magazine fétichiste Bizarre souligne lui l’engouement renouvelé pour le Mackintosh et tous les vêtements en caoutchouc : « C’est très encourageant de voir que l’intérêt pour les vêtements en caoutchouc et le Mackintosh ne faiblit pas. […] Personnellement, je crois que la tendance est à utiliser le caoutchouc dans une gamme variée de vêtements comme jamais auparavant20. »
Dans le film Dressing for Pleasure sorti en 1977, un commentateur explique : « Le caoutchouc a ses caractéristiques mais il prend les caractéristiques de la personne qui le porte21 ». Le caoutchouc épouse les corps ce qui en fait une parfaite protection contre la pluie, et plus largement contre le monde extérieur. En ce sens, il confère à sa porteuse ou son porteur un sentiment de puissance ; les fétichistes attribuent bien souvent l’attrait de leurs tenues à cette sensation. Dans une lettre qu’il écrit en 1973 au magazine spécialisé AtomAge Magazine, un lecteur nommé Surrey porte aux nues cette matière qui « offre une complète protection – la sensation d’être enfermé, au chaud et au sec y compris quand à l’extérieur bat la pluie et la tempête22 ». Un autre lecteur décrit la sensation du latex contre le corps comme une sensation de seconde peau : « avec le caoutchouc, la fermeture et la protection sont totales et absolues23 ».
Il faut préciser que tôt les fétichistes s’attachent à imiter l’eau à la surface du latex et du caoutchouc comme pour en renforcer la protection et en même temps l’érotisme. Le brillant glamour semble essentiel au plaisir. Or le caoutchouc naturel est mat, d’où quantité de techniques pour lui donner un « effet mouillé » à l’aide de vernis, polish ou lubrifiants.
Les plaisirs du polychlorure de vinyle
Comme le souligne Valerie Steele dans son livre Fetish : Fashion, Sex and Power, les pratiques fétichistes se réinventent avec l’arrivée de la production industrielle de vêtements en caoutchouc24. Le latex dans une forme synthétique plus stable revient dans les années 1960 dans le vêtement, y compris fétichiste. Mais dans le même temps, le plastique remplace aussi le caoutchouc et en particulier le polychlorure de vinyle dit PVC. Il est vite adopté par les fétichistes25. Les vêtements en PVC deviennent visibles dans les années 1960 quand des couturiers commencent à expérimenter cette matière encore peu orthodoxe dans la mode. L’engouement est lié tout à la fois à un nouvel optimisme attaché aux techniques « nouvelles » et à une forme de libération de la mode et du vêtement accompagnant celle des corps. En 1964, l’année suivant sa collection en PVC brillant intitulée « Wet » (mouillé), Mary Quant déclare à Women’s Wear Daily que la passion de la mode pour le vinyle « met l’accent sur le sexe, mais aussi engage la mode sur une voie pudibonde26 ». Peu de temps après, Pierre Cardin et André Courrèges créent des robes en vinyle très haute couture. Et dès 1965, la couturière américaine Betsey Johnson lance ses jupes et vestes moulantes en vinyle laissant deviner les corps à travers les bandes de plastique, modèles créés pour la très branchée boutique Paraphernalia à New York27. Les publicités des manteaux et des bottes en vinyle célèbrent alors le « wet-look » (l’effet mouillé) de ces habillements contre la pluie. Mais alors qu’ils charrient une image de jeunesse et d’exubérance, ils relancent aussi, comme l’a noté Valerie Steele, la « vieille passion pour les pardessus » qui « portent inévitablement avec eux l’évocation du fétichisme28 ». Spécialisé dans le vêtement de latex – le terme remplace volontiers celui de caoutchouc dans la seconde partie du xxe siècle –, la boutique SEX de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren sur King’s road à Londres opère une forme de légitimation du caoutchouc en associant latex, fétiche et mode, faisant passer les modèles des pratiques marginales à une culture de plus en plus admise et diffuse.
Malcolm McLaren, l’ancien membre des Sex Pistols29, se souvient qu’il a eu sa « première expérience de vêtements érotiques » à vingt-cinq ans en achetant en fripes un pardessus en caoutchouc noir30. Doté d’un large col contre le vent, d’une ceinture et de bretelles intérieures pour passer ses jambes, le manteau avait été conçu à l’origine pour « les messagers de la mort », les motards du Troisième Reich. « Le résultat était un vêtement mortel et vilain » note McLaren. « De manière inattendue, je me suis senti glamour dans cette vieille relique chargée d’un sale passé31. » Pour McLaren, cette expérience du manteau en caoutchouc est décisive. Dans un article écrit pour le New York Times en 2006, McLaren exprime le sentiment de puissance que confère la nature protectrice de ce manteau alors que la pluie « dégringole sur la surface lustrée, du caoutchouc noir d’un quart de pouce d’épaisseur32. »
La puissance d’une combinaison
En parallèle, la mode du vinyle et du latex fait son chemin via la télévision – et l’on sait le poids des séries dans la diffusion des modes. Dans les années 1960, alors que la télévision s’installe dans les foyers américains et européens, un body moulant en vinyle noir devint le look caractéristique de l’actrice Diana Rigg qui campe la super espionne Emma Peel dans la série télévisée britannique The Avenger, diffusée entre 1961 et 1969. La nature érotique de son costume est indéniable, complément de sa froide indifférence quant à l’effet qu’elle fait aux hommes. Son habillement n’est pas accessoire : il est au cœur de l’attrait du personnage et il fait de l’espionne l’égale, à la fois sur le plan mental et physique, de son homologue masculin33. Le vinyle est en outre alors un matériau alors moderne, réservé aux modes futuristes d’un Courrèges. Il souligne ainsi le caractère moderne de l’espionne face au très classique espion John Steed, tout de tweed vêtu. La matière manifeste et incarne un corps à la fois souple – élastique – et robuste34.
Oure-Atlantique, c’est le règne de Catwoman. L’actrice Julie Newmar incarne le rôle dans la série télévisée américaine Batman diffusée entre 1966 et 1968. Semblable à Emma Peel, la Catwoman de Newmar porte une combinaison de lurex noire, tout aussi suggestive sur le plan sexuel. Newmar déclare à propos de son costume : « Vous vous sentez plus puissante […]. Tu es à la fois cachée et exposée. Tu es caché par le noir ; tu es exposée par la tenue si près du corps35 ». Comme l’explique Suzanne Colon, auteure de Catwoman : The Life and Times of a Feline Fatale, « ce fut l’un des premiers personnages féminins à la télévision qui parlait réellement de responsabilisation et de prise de pouvoir [empowerment] […], un proto-féminisme très sexy, joli et féminin, et pourtant très fort36. » Sans surprise, les incarnations ultérieures du costume de Catwoman évoque plus directement encore le fétichisme. La Catwoman de Batman Returns (1992) de Michelle Pfeiffer ne porte-t-elle pas une combinaison de vinyle noir, des gants à griffes, un masque couvrant tout le visage et son arme de prédilection ne ressemble-t-elle pas à un fouet de bondage ? Dans les magazines fétichistes des années 1970, des scènes incluant Catwoman sont courantes. On ne sera pas surpris de trouver dans les boutiques spécialisées des dizaines de tenues de l’héroïne.
De la pluie à la moiteur des clubs
Durant les années 1980 et 1990, les vêtements en vinyle et latex, directement issus des pratiques fétichistes, trouvent leur place sur les scènes des clubs, se fixant ainsi dans une nouvelle forme de modernité. Leigh Bowery, par exemple, performeur et couturier qui dirige le club londonien Taboo, promeut une esthétique exubérante qui intègre quantité d’éléments fétichistes. À New York, la reine de la nuit Diane Brill utilise le latex et le PVC pour faire exister son personnage sur la scène des clubs37. Son allure dessinée par le latex inspire la dragqueen RuPaul qui adopte, outre une longue crinière blonde à la Jane Maynsfield, une tenue en vinyle rouge lorsqu’il devient en 1994 le visage de la campagne « Viva Glam » des produits de maquillage MAC cosmetics38. La scène des clubs est centrale dans ces années-là, réunissant nombre de subcultures étroitement liées à la mode. Bien souvent, les looks fétichistes y occupent le devant de la scène, inspirant des créateurs qui transfèrent ensuite ces styles dans une culture, si ce n’est dominante, au moins commerciale. C’est le cas des couturiers Thierry Mugler et Jean-Paul Gaultier, tous les deux inspirés par les clubs de New York et de Paris qu’ils fréquentent, qui mêlent des éléments de la culture fétichiste à leurs créations. Dans les années 1990, le « style fétichiste » chemine ainsi dans la mode.
Des clubs underground aux chambres à coucher
Utilisé dans la mode, le latex et le vinyle jouent un rôle esthétique mais aussi performatif. Le couturier anglais installé à Paris, Gareth Pugh, ainsi largement mobilise le latex et le PVC en s’inspirant à la fois des costumes de scènes sur lesquels il a travaillé et des performances et des tenues observées dans les clubs londoniens les plus marginaux. En couvrant ses modèles en latex de la tête aux pieds, Gareth Pugh ne transforme pas pour autant les femmes en objets-fétiches. L’intention, à l’image de pratiques dans de nombreux clubs et boîtes de nuit, est inverse. Comme l’a noté un journaliste, Gareth Pugh crée pour les danseuses et les danseurs « une fétichisation pour eux », ce que font alors nombre de clubbeurs eux-mêmes. Le couturier peut ainsi déclarer : « Je cherche toujours à faire quelque chose qui a l’air puissant, qui donne de la force aux femmes39 ». Pour sa collection remarquée du printemps 2016, Gareth Pugh couvre de latex les visages des mannequins, évocation explicite du performeur et danseur Leigh Bowery, figure incontournable des clubs londoniens et new-yorkais des années 1980 et 1990, mort en 1994. Le public aurait pu y voir des figures de la domination : les modèles apparaissaient au contraire totalement libérés. « Ils ont marché, note le magazine AnOther, en s’affirmant de façon agressive, avec une confiance presque surnaturelle ; les modèles étaient incroyablement séduisants malgré leurs visages cachés […]. Leur sexualité leur donnait du pouvoir, ils étaient vulgaires et beaux40 ». Atsuko Kudo qui travaille le caoutchouc et le latex depuis 2001 explique en 2016 l’attrait de ce matériau en évoquant aussi la question du pouvoir : « J’ai réalisé son pouvoir il y a longtemps… Quand j’ai essayé un vêtement de latex pour la première fois, j’ai adoré sortir avec, ça m’a vraiment donné un sentiment de pouvoir. Je me suis sentie comme une super-femme ! Quand j’ai réalisé ce que cela me faisait, j’ai pensé que ça devait pouvoir le faire pour d’autres femmes41. »
À l’automne 2018, l’attirance pour le fétichisme du caoutchouc est à nouveau à l’honneur dans la collection de vêtements pour hommes de Jeremy Scott pour Moschino. Avec sa gamme provocante de modèles de masques en latex noir brillant, de leggings en cuir vernis et de surfaces lisses et brillantes qui glissent sur le corps comme une seconde peau, son défilé dégage un érotisme singulier. Le couturier est explicite : « Les gens contrôlent leur sexualité et leur apparence, vous détenez votre propre pouvoir42. » Bien que cette collection inclue corsets et bondages S&M, cette construction veut parler de libération43 : il ne s’agit pas alors de plaisir sexuel mais encore une fois d’association entre pouvoir et attrait érotique.
Les vêtements en caoutchouc influencent encore largement la mode actuelle. L’aspect du latex fait partie du vocabulaire visuel de l’industrie de la mode du xxie siècle. Fenella Hitchcock du London College of Fashion estime que la popularité croissante du latex vient du besoin de la mode de se renouveler mais aussi de provoquer44. Bien que cela soit peut-être vrai, des films comme Fifty Shades of Grey ont aussi créé une nouvelle familiarité avec le monde jadis tabou du fétichisme sexuel et ont sans doute converti nombre de foyers au fétichisme du vêtement de pluie, ce que semblent confirmer les achats plus nombreux – et plus aisés – en ligne de tenues de latex.
Formes pleines
Un autre facteur contribue à la diffusion de ces vêtements : la capacité du latex à souligner, voire surligner, les courbes. Kim Kardashian joue en ce sens un rôle important en mettant en scène ses courbes. À plusieurs reprises, elle comme ses sœurs portent du latex lors de leurs apparitions médiatiques. En 2015, alors qu’elle est enceinte de son deuxième enfant, Kim Kardashian a choisi de faire une apparition publique vêtue d’une robe en latex rose avec un décolleté plongeant, création d’Atsuko Kudo45. La matière comme la teinte donnent l’illusion qu’elle est presque nue, habillée d’une sorte de réplique en latex d’elle-même. Fenella Hitchcock a noté que pour Kim Kardashian, pure figure de la mode et des médias, « la nouveauté vestimentaire étant un élément essentiel de sa vie professionnelle […], le latex est avant tout un jeu esthétique », ce qui la différencie de Katy Perry ou Lady Gaga davantage liées à la culture des clubs46. Mais c’est aussi pour elle une réponse en forme de provocation aux critiques suscitées par ses tenues jugées inconvenantes, car inadaptées lors de sa première grossesse. Même couvrant, le caoutchouc moulant et érotique demeure sulfureux.
La pratique du Mackintosh semble affranchie des saisons, affaires aussi bien d’extérieurs en demi-saisons – automne et printemps – que d’intérieurs, des scènes de cabarets aux pratiques fétichistes. Mais le printemps est sa saison comme le montrent les magazines spécialisés, saison des « giboulées de mars » – appelés « April showers » au Royaume-Uni mais aussi saison du « May flowers » et saison de l’accouplement pour la plupart des animaux des climats tempérés. Se dessine ainsi une étrange association faite d’une fusion avec la nature d’un désir primal, et d’une sophistication extrême du désir par un vêtement radicalement artificiel.