Dans le même élan que celui reconnaissant les libertés de parole, de la presse ou de culte, la Révolution reconnaît à chaque citoyen le droit à inventer. Abolition des corporations, respect de la propriété privée et reconnaissance de l’initiative individuelle : la loi du 7 janvier 1791 relative aux découvertes utiles et aux moyens d’en assurer la propriété à leurs auteurs ouvre la voie aux inventeurs de tout poil. Il est désormais possible de se faire délivrer un brevet d’invention après en avoir fait la demande auprès de l’administration. Pour une durée de cinq, dix ou quinze ans selon son choix, ce titre de propriété garantit l’exclusivité de sa découverte en échange de sa diffusion. Car la délivrance du brevet est entérinée par une publication au Bulletin des lois et chacun peut alors se présenter à la préfecture de son département pour en consulter la liste.
Et pour cause, on ne délivre pas de brevet qui aurait déjà été publié dans un ouvrage imprimé. De la même manière, le Comité consultatif qui examine les demandes rejette l’invention si elle est jugée contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. En ces temps tourmentés, et afin d’inciter les inventeurs à rester sur le territoire national, il n’est pas permis non plus d’aller déposer son brevet à l’étranger après l’avoir fait en France. En revanche, afin de dynamiser l’industrie nationale, il est tout à fait possible de demander la délivrance d’un brevet déjà déposé à l’étranger.
Ainsi, tout au long du xixe siècle, plus de 330 000 brevets d’invention sont délivrés entre la loi de 1791 et 1901, date de sa révision. Pourtant, la répartition est inégale sur l’ensemble de la période et les demandes augmentent de façon exponentielle. Elles passent de quelques dizaines par an dans les premières années, à guère plus de 2 000 vers 1850. L’essentiel des délivrances se fait dans la deuxième moitié du siècle et environ la moitié se fait entre 1880 et 1901.
Parapluies, ombrelles et parasols brevetés
Les objets qui nous intéressent ici, parapluies et ombrelles, destinés à nous protéger, soit des intempéries, soit de la chaleur ou du soleil, sont connus de longue date. Les brevets d’invention, source unique et inédite, fraîchement inventoriée, offrent l’opportunité d’en suivre les évolutions ou les dérivés, depuis la fin du xviiie siècle jusqu’au début du xxe siècle. Composé de la totalité des dossiers originaux manuscrits, le fonds patrimonial des brevets d’invention est aujourd’hui conservé par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). C’est actuellement à l’Institut que revient, entre autres, la mission de délivrer les brevets mais aussi d’enregistrer les deux autres titres de propriété industrielle que sont les marques et les dessins et modèles.
Chaque dossier de brevet est composé de plusieurs pièces et comporte un intitulé. Ce dernier est indiqué par le déposant dans sa requête adressée au ministre de l’Intérieur lors du dépôt en préfecture. Il permet de retrouver les termes parapluie, ombrelle ou encore parasol, ces trois objets étant caractérisés par un mode de construction similaire, même si les ombrelles et les parasols ne sont pas forcément étanches et ne protègent que du soleil. Même si, dans certains cas, parasol est suivi de de jardin ou de plage et désigne sans aucun doute notre parasol moderne, dans d’autres cas on peut rapprocher le terme de celui d’ombrelle, comme pour le système de parasol de poche réversible pour pêcheurs, touristes, baigneurs, cochers, etc., système dit ombrelle-Bonnet1 ou encore parasol de poche dit l’antiapoplectique2. Les termes de marquise, encas (ou encas) ou encore en-tout-cas sont plus rares. Le terme d’ombrellino qui désigne une ombrelle plate, à long manche, portée lors de processions pour abriter le Saint-Sacrement, le pape ou certains hauts dignitaires de l’Église est trouvé trois fois. Celui d’abris de lumière et de paraverse, une fois.
Des lits et des meules
Le terme de parapluie est employé aussi pour une meilleure compréhension de l’invention qui peut n’avoir rien de commun avec l’objet lui-même. On peut retenir notamment la fameuse invention du lit-parapluie, lit de fer portatif, se ployant comme un parapluie, mis au point en 1809 par Marie-Jean Desouches pour Napoléon 1er dont il est le serrurier du garde-meuble3. Tout au moins, le titre de ce brevet prouve qu’en ce début de xixe siècle, le parapluie pliant ou ployant est connu, déjà inscrit dans l’imaginaire collectif et dans les gestes quotidiens. De la même manière, le parapluie agricole destiné à couvrir les meules de grains, foins, etc. n’a pas de rapport avec le parapluie mais l’idée de protection contre la pluie vient immédiatement à l’esprit et exprime en un mot ce dont il s’agit4. Le terme est également utilisé dans le cas de modifications apportées à certains habillements. Habits protégeant contre la pluie évidemment : vêtement parapluie ou parapluie manteau. Mais aussi et principalement des coiffures : parapluiecoiffure, chapeau parapluie, casquette parapluie, chapeau-parapluie-ombrelle, chapeau-parapluie-parasol, etc. Coiffures unisexes ou pour femme : forme de chapeau de dame se pliant à volonté, dit chapeau-ombrelle annonce un brevet de 18685. À noter que ces brevets sont pour la plupart déposés par des chapeliers, fabricants de casquettes ou encore une modiste pour ce dernier.
Les objets liés aux parapluies et ombrelles sont aussi représentés largement : les porte-parapluies ou tous les systèmes permettant de les suspendre, les maintenir, selon les lieux où ils sont utilisés. Ces brevets sont très divers : anneaux, pinces, etc. se fixant sur les tables, les chaises, ou autres et destinés à accrocher les parapluies et les ombrelles voire les faire tenir sans avoir recours aux mains. Certains systèmes permettent même de les faire tenir lorsqu’on s’en sert, sans les avoir en main. D’autres innovations portent sur les meubles, les supports pour les ranger ou les soutenir, autres que les porte-parapluies. Pour les parapluies, les procédés destinés à éviter les flaques d’eau une fois repliés sont nombreux : appareil dit boit-l’eau destiné à éviter les flaques d’eau produites par les parapluies mouillés et mis au repos fermés. Certaines inventions découlent du développement des transports au cours du xixe siècle et surtout dans ses dernières décennies. Le voiturage hippomobile progresse ainsi que la bicyclette, puis le train, alors que l’automobile fait son apparition. Par conséquent, les protections des voyageurs face aux aléas climatiques s’adaptent et se spécifient, comme le parapluie d’omnibus (18636) ou le parapluie-ombrelle de bicyclette (18967). Une dizaine de brevets sont pris à la fin du xixe siècle pour des cycles, tricycles et bicyclettes sur lesquels sont montés des parapluies ou des ombrelles. Les autres concernent tout type de véhicules en général. Les innovations portent sur le mode de fixation, souvent rotatif ou inclinable pour remédier aux problèmes engendrés par la vitesse : nouveau support pour ombrelles destinées à être disposées au-dessus des véhicules marchant à grande vitesse annonce un brevet de 18988. Mais aussi à cause du vent qui accompagne les intempéries : parapluie, dit parapluie au vent, s’allongeant et s’inclinant à volonté9. À noter déjà l’utilisation des ombrelles pour les voitures d’enfants : mode d’application spéciale, aux voitures d’enfants, de l’ombrelle parisienne servant pour dames brevète un XX en 186610.
500 brevets d’invention
Réunissant l’ensemble de ces brevets, la recherche met à jour près de 1 500 dossiers – sur les quelques 330 000 au total – portant directement ou indirectement sur les parapluies, les ombrelles et leur fabrication, ce qui est loin d’être négligeable pour ce genre d’industrie. Environ un tiers des titres de brevets font part d’une modification ou d’un perfectionnement, apporté soit à l’objet lui-même, soit dans sa fabrication, sans qu’il soit possible d’en cerner les détails. Il faut alors se référer au mémoire descriptif de l’invention pour connaître les procédés de fabrication employés. Beaucoup concernent les pièces composant un parapluie ou une ombrelle. On retrouve dans ces titres tout le vocabulaire désignant les différents composants : coulant, montant, manche, fourchette, branche, godet, noix, coulant, monture, baleine, godet, couverture, fourreau, poignée, douille.
Une petite quantité de dossiers seulement concerne des inventions prises pour les machines, destinées à la production des parapluies ou des ombrelles. Il n’existe pas, à l’époque comme aujourd’hui, de machine pouvant fabriquer entièrement un parapluie ou une ombrelle qui réunissent des métiers très divers, de la métallurgie à la couture. Peu nombreux et indirectement liés à ces articles, ces brevets sont cependant intéressants pour mesurer le niveau et le type d’équipement ou d’outillage nécessaires : tour pour la fabrication des manches, moutons pour les battre, matrice pour des œillets. Les termes d’appareils, de machines tels que machine à canneler, courber, tailler, etc. reviennent près de vingt fois. Et nombre d’industriels rêvent à une fabrication automatique, signe des temps.
Nacre, plumes et aluminium
Les titres des brevets ne donnent pas les noms des matériaux « classiques » avec lesquels sont fabriqués les parapluies ou les ombrelles à cette époque, tels que le bois, le jonc, les fanons de baleine, les différents métaux ou tissus. Encore une fois, il faut se référer directement aux dossiers. Cependant, certains titres indiquent l’emploi de matériaux de qualité, chers ou rares : dentelle, plumes, fleurs artificielles semi-précieux ou même précieux : ivoire, nacre, pierres et verres de diverses couleurs, perles rondes et ovales, or et argent en livret et bronze en poudre. De plus, l’emploi de ces matières nécessite un savoir-faire technique certain : découpure en marqueterie, tabletterie en écaille, en buffle, en corne et en gélatine, gainerie, maroquinerie, placage en ivoire, procédé de décalcomanie. Un soin particulier est apporté aux finitions des objets comme cette application d’un cordon factice sur les cannes, manches de fouets, ombrelles et cravaches, au moyen du décalque de l’impression en taille-douce, de la peinture et de la lithographie11.
En parallèle, de nouveaux matériaux sont introduits, comme l’aluminium : application de l’aluminium aux montures de parapluies12. Le caoutchouc dont la découverte de la vulcanisation vers 1850 permet l’emploi industriel : application de toutes étoffes […] rendues imperméables par l’emploi du caoutchouc ou autrement, à la couverture des parapluies, ombrelles et en-cas13. Il est notable que ce dernier brevet déposé en 1882 le soit par la Société des grands magasins du Printemps qui se positionne là en tant que fabricant innovant et non revendeur de produits finis comme on pourrait le croire. Le celluloïd, forme d’imitation de l’ivoire, élaboré aussi vers 1850 apparaît : godets et coulants à couverte en celluloïd pour parapluies, ombrelles et en-cas14. Certaines pièces sont remplacées par d’autres, plus faciles à se procurer ou à utiliser, peut-être moins onéreuses et plus solides : genre de baleines factices en fer, propres à suppléer la baleine naturelle dans les montures de parapluies15. Le terme de baleine a cependant été conservé pour décrire ces parties de l’armature. En 1899, un brevet cite même le roulement à billes. Breveté en Angleterre depuis 1794, le roulement à billes est cependant encore peu répandu, sauf dans l’industrie automobile ou dans la construction des bicyclettes. Il ne sera réellement mis au point qu’à partir du xxe siècle : parapluie monté sur roulements à billes et tournant sous l’action de l’air16.
Fabriqué dans des matières couteuses ou parfois innovantes, qui nécessitent une technique certaine pour être convenablement employées, le parapluie ou l’ombrelle est un objet qui ne paraît pas bon marché. Réservés à une clientèle réduite, ce sont des produits de valeur supposés véhiculer une image de luxe et d’élégance. L’ombrelle n’est-elle pas censée conserver le teint pâle afin de se différencier des classes inférieures à la peau naturellement tannée ?
De la campagne et de la ville
Une recherche rapide nous fait découvrir qu’à l’âge du plein essor du parapluie, son industrie se concentre à Paris mais également dans le Cantal et plus précisément à Aurillac, la capitale du département. L’hiver, les nombreux colporteurs auvergnats reviennent au pays après leurs tournées pour y réparer des parapluies. Certains y ouvrant une boutique ou une fabrique. Pourtant, si 82 % des déposants font effectivement élection de domicile à Paris, aucune adresse ne mentionne Aurillac ou le Cantal. Pas d’inventeurs en Auvergne ?
En revanche, il ressort que 11,5 % des adresses concernent Lyon. Lyon, après Paris, se détache donc nettement en tête des adresses indiquées dans les dossiers de brevets. Cela est dû en partie aux brevets Revel. Créée en 1851, cette maison est spécialisée dans la confection de parapluies jusque pendant l’entre-deux guerre. Elle dépose jusqu’à 34 brevets de 1881 à 1901 sous le nom de Revel père et fils. À en croire les traces disponibles, parmi les brevetés dans le domaine des parapluies, il semble que ce soit l’entreprise spécialisée la plus ancienne. De nombreux dépôts de marque, conservés aussi à l’INPI depuis 1857, témoignent aussi de l’importance de cette maison.
Parallèlement apparaissent quelques noms de sociétés non spécialisées. Françaises tout d’abord comme Peugeot et Compagnie, connue au xixe siècle pour la diversité de ses productions. Peugeot dépose plusieurs brevets dont en 1871 un perfectionnement apporté dans l’assemblage ou rivage des fourchettes sur les branches de parapluies, en-cas, ou ombrelles en général17. D’autres sociétés françaises ou même étrangères comme que la société belge Vlaminx et Blondieau ou autrichienne Bruder-Wuster peuvent être signalées mais leurs dépôts de brevet ne sont pas significatifs.
Pour le reste, la localisation des brevetés est disséminée dans toute la France, sans tropismes locaux ou régionaux particuliers. Pourtant, il est indéniable que les inventeurs sont en majorité des citadins et qu’ils déposent en tant que personnes physiques. Extrayons-en quelques-uns de cette masse anonyme. Outre Marie-Jean Desouches le serrurier du garde-meuble déjà cité, on trouve JeanBaptiste Marcadée, identifié lui aussi grâce à sa profession de fabricant de parapluies et fournisseur de sa S. M. la reine des Français qui dépose un parapluie à noix tournante et ressort pivotant en tous sens18. Antoine Gibus, inventeur déjà breveté de nombreuses fois pour le chapeau claque, prend un brevet pour une disposition de canne-parapluie19. De nombreux brevets concernent la manière dont les parapluies trouvent leur place dans l’espace urbain, et en particulier dans les appartements. Pour exemple, François-Étienne Calla, industriel et fondeur d’art, met au point un meuble destiné à recevoir les parapluies mouillés en 182420. Quant à Jean-Baptiste-André Godin, célèbre fondeur de poêles économiques se désignant comme manufacturier, il dépose un système de construction des porte-parapluies et des porte-pelles et pincettes21. Ces deux derniers exemples démontrent que ces objets sont omniprésents dans la vie quotidienne du xixe siècle, en particulier urbaine.
Savoirs et savoir-faire
Dans 556 dossiers, soit 40 % du corpus total, les brevetés indiquent leur profession. Cette information permet de dresser, pour près de la moitié des brevets, le panorama du milieu professionnel dans lequel évoluent les inventeurs. Plus de la moitié (55 %) sont effectivement fabricants de parapluies, d’ombrelles ou de parasols ou les trois à la fois. Fabriquent-ils l’ensemble des pièces qui les constituent, une partie ou en sont-ils assembleurs ? Il faudrait encore une fois se pencher en détail sur chaque invention pour répondre. Beaucoup d’autres professions nous donnent plus de détails. Il existe alors, à l’époque et comme dans presque tous les autres domaines industriels, un maillage d’ouvriers spécialisés, ne façonnant qu’une sorte de pièce ou qu’une partie de l’ensemble. Ainsi, les canneur de joncs, fabricant de rotin pour parapluies, fabricant de baleines, fabricant de bouts de baleine et d’anneaux de parapluies, fabricant de fourchettes de parapluies, fabricant de fourchettes et branches en acier pour parapluies et ombrelles, fabricant de fournitures pour parapluies et ombrelles, fabricant de glands pour parapluies et ombrelles, fabricant de manches, fabricant de montures, fabricant de montures métalliques, fabricant de tenons de parapluie, fabricant de poignées ou encore tourneur en baleines et tourneur en cuivre pour fourniture de parapluies. Ils constituent tous une branche qualifiée de cette industrie. Les autres monteurs en parapluies et ouvriers en parapluies peuvent peut-être se trouver parmi eux ou, comme les fabricants, au bout de la chaîne de production.
L’industrie fait également intervenir d’autres professions, toutes aussi spécialisées mais dont les savoirs et savoir-faire ne sont pas limités à ce seul domaine : bijoutier, bimbelotier, ciseleur, concessionnaire en soierie, fabricant d’acier, fabricant d’articles de passementerie, fabricant de caoutchouc, fabricant de soierie, fabricant de tissu en crin, fabricant de tulle, fabricant doreur, fabricant-tabletier, graveur, guillocheur sur métaux, passementier, sculpteur sur ivoire, souffleur de verre et émailleur, tabletier et tourneur tabletier, tapissier et enfin tréfileur, autant de professions qui soulignent que parapluies et ombrelles sont des « articles de Paris », autrement dit des accessoires de mode.
Les revendeurs, spécialisés ou non, ne sont pas non plus en reste et montrent un intérêt particulier à innover et faire évoluer les produits qu’ils commercialisent : marchand de parapluies, négociant en parapluies, commissionnaires, marchands en général, marchands de baptistes ou marchands de nouveautés.
Enfin, ce sont les inventions les plus farfelues qui sont brevetées par des catégories professionnelles n’ayant aucun rapport avec le domaine qui nous intéresse. Et pour cause, ces inventions combinent bien souvent d’autres technologies plus familières à ces déposants : fabricant de stéréoscopes pour un mode d’adaptation des longues-vues aux cannes, parapluies, cravaches, etc22., horloger pour un mode d’application d’une montre aux poignées de parapluies, ombrelles, cannes, etc23. Nous trouvons encore d’autres professions comme limonadier, peintre, meunier, architecte, etc. Objet technique et mécanique autant que familier et quotidien, le parapluie excite les imaginations industrielles des myriades d’inventeurs-amateurs.
Pliable, portable, transportable et automatique
Si le parapluie et l’ombrelle pliable sont connus au début du xixe siècle et probablement avant, il n’empêche que tout au long de ce siècle, les inventeurs ne cessent de les perfectionner afin d’en réduire l’encombrement et permettre à ses utilisateurs de les transporter partout ou presque. Le développement des transports en commun, des omnibus hippomobiles puis du métro, en particulier à Paris, appelle des accessoires de plus en plus pliants et réduits. Nombre de systèmes sont ainsi brevetés dans cette optique ; dans près de 200 dossiers, les titres contiennent le terme pliant ou pliable. On trouve également le terme réductible : parapluie, ombrelle ou en-cas réductibles (189224) ou encore système de parapluies réductibles ou de poche (187325). Mouvement général dans la société urbaine – canapés-lits, lits pliants… – comme dans le monde du voyage – fauteuil pliant, tentes… – qui cherche à emporter partout avec soi le confortable.
De la même manière, les systèmes d’ouverture et de fermeture automatiques sont brevetés par dizaine : parapluie-portefeuille s’ouvrant seul, et, étant fermé, se diminuant de la moitié de sa longueur (186426), parapluie […] s’ouvrant et se refermant à l’aide d’un seul doigt de la seule main qui le tient (187727), système servant à fermer d’une seule main, et à retenir fermés les parapluies et les ombrelles (187728). Apparemment, les parapluies ou les ombrelles mis au point au xixe siècle disposent déjà de toutes les innovations techniques qui caractérisent nos parapluies dernier cri : ressorts et charnières rendent l’accessoire quasi magique et sa manutention sans l’effort qui gâcherait toute élégance.
Son coin de parapluie
Le parapluie est aujourd’hui devenu impersonnel, on le prête, on le perd, on le rachète. Il n’en va pas de même au xixe siècle. Fabriqué dans des matériaux chers, par de la main-d’œuvre qualifiée, on peut supposer qu’il est un objet d’un prix assez élevé et, par conséquent, réservé aux classes supérieures. On peut supposer également qu’ayant une certaine valeur, les propriétaires leur portent une attention toute particulière. Ces objets sont donc beaucoup plus personnels qu’aujourd’hui et en cas de perte on espère qu’ils soient rapportés : perfectionnements aux moyens d’indiquer le propriétaire d’un parapluie, d’une ombrelle, d’une canne, etc. pour éviter de perdre ces objets (189429). D’où l’insuccès des différentes tentatives de louer des parapluies à Paris dans les bureaux de tabac, dans les années 1860 et à nouveau dans les années 187030. A contrario, le Bureau des objets trouvés, créés en 1804 par la Préfecture de Police de Paris – puis développé dans toutes les villes – est saturé tout au long du siècle de parapluies, oubliés dans les transports en commun, dans les églises ou les restaurants et les cafés. Les statistiques sont parlantes : les seuls agents de la compagnie des omnibus parisiens ont ramené pour l’année 1865 17 452 objets perdus dont principalement des porte-monnaie, des cannes, des parapluies et des livres de messe31.
Objets de valeur et pourquoi pas convoité, d’autres brevets sont pris pour palier d’éventuels vols : serrure portative ou cadenas perfectionné pour attacher les parapluies et autres articles similaires (190032). On peut aussi donner l’alerte en cas de vol avec l’application de la sirène à plaque vibrante à la serrure ou fermeture de porte et au manche de cannes et parapluies (188933). Dans ce cas, un système de sifflet a pour but d’épouvanter par un bruit insolite et effrayant et arrêter ainsi le voleur dans le méfait qu’il médite de commettre et permet de donner à l’aide de ce bruit l’alarme aux voisins et aux proches passants de la rue. Les nombreuses combinaisons de parapluies associées avec des armes donnent cette fois l’occasion de se défendre en cas de vols voire carrément de mauvaises rencontres : pistolet-révolver-poignard pouvant se dissimuler, soit dans une canne ordinaire, soit dans le manche d’un parapluie (188434), projecteur de liquide principalement applicable comme arme défensive et pouvant être construit sous forme de canne, tige de parapluie, etc. (189435). Et si jamais notre bourgeois est importuné par quelques Apaches vipérins, rien de tel que le système d’armes défensives dites fléaux indiens, applicable aux cannes, parapluies, casse-têtes, etc. (187036).
Mais s’il est cher et convoité, peut-on considérer le parapluie, ou l’ombrelle, comme l’un des marqueurs sociaux du xixe siècle ? Dans tous les cas, ce sont des objets en vue, et bien en vue : au siècle de la réclame, au milieu de catégories socio-professionnelles d’un certain niveau, ils sont des supports publicitaires à part entière. Plus d’une dizaine de dossiers traite de la question : parapluie-publicité (189337), mode de publicité par le parapluie-réclame (187638), genre de parasols, ombrelles, pare-soleil à annonces-réclames, etc. (187339), autant d’inventions qui transforment le passant en homme-sandwich.
Multifonctionnalité
Le parapluie et l’ombrelle évoluent en fonction des nouveautés techniques ou des nouvelles matières employées à leur fabrication. De nombreux inventeurs modifient également leur fonction initiale. Ces objets deviennent alors des accessoires multifonctionnels. À la protection contre la pluie ou le soleil viennent s’ajouter et se combiner d’autres applications, des plus simples et évidentes aux plus complexes et insolites. Ces nouveautés conduisent à des objets hybrides qui semblent destinés à parer à toute éventualité, en tout lieu et en toute circonstance. Pour cette partie, les brevets les plus nombreux sont ceux pris pour transformer les parapluies ou les ombrelles en cannes. On trouve autant de brevets sur la transformation de parapluies ou d’ombrelles en canne que l’inverse – 126 sont ainsi déposés pour cette modification. Il en va de même pour les parapluies et ombrelles qui deviennent éventails et l’inverse. On ajoute aussi toutes sortes de nécessaires, pour dames, pour fumeurs, etc. Il semble que tout un chacun peut y trouver son compte : application d’un nécessaire à poudrer dans la pomme des parapluies, en-cas, ombrelles, parasols, cannes, etc. (189640), perfectionnements apportés dans la construction des cannes, des parapluies, et objets analogues pour y loger des cigares et des cigarettes (188741), porte-allumettes, glaces, montres, photographies et tous autres objets de petite dimension renfermés dans les pommes de cannes, parapluies, ombrelles, cravaches, etc. (187442).
Portables et transportables par excellence, le manche, le pommeau ou encore la poignée du parapluie ou de l’ombrelle est la partie qui concentre toutes les transformations, dans tous les domaines : éclairage, optique, horlogerie. Voici quelques-uns de ces brevets : dispositif d’éclairage automatique pour pommes ou poignées de cannes, de parapluies et d’autres objets semblables (189143), lunettes adaptées aux poignées de cannes ou aux manches de parapluies (190144), parapluie à canne avec lunette à longue-vue (181245), mode d’application d’une montre aux poignées de parapluies, ombrelles, cannes, etc. (188746).
Après l’invention de la photographie, sa popularisation et la miniaturisation des appareils à partir de la fin du xixe siècle ne peuvent qu’intéresser les inventeurs. Trois brevets sont déposés en 1891 et 1893 pour l’introduction d’une chambre photographique dans les manches : poignée-manche contenant un appareil photographique, applicable aux cannes, ombrelles, parapluies47. Un autre brevet pris au même moment transforme quant à lui un parapluie en pied photographique48.
Si au xixe siècle le parfum reste un produit de luxe, les avancées de la chimie et la découverte des molécules de synthèse simplifient, élargissent et augmentent les productions. Le parfum devient un élément indispensable de la parure féminine et les fabricants intègrent des réservoirs dans les poignées : poignée à flacon de sels ou odeurs pour ombrelles, parapluies (187449), poignée d’ombrelle porte-flacon (187850).
Des brevets sont pris pour transformer le parapluie dans les cas d’utilisations hors de la ville comme pour la chasse : parapluie pliable pour chasse dont le manche est spécialement conçu pour s’introduire dans le canon du fusil. Le fusil ainsi tenu à l’épaule protège le chasseur lors de la marche (189951). Parapluie de l’urbain à la campagne encore : système de parapluie pour peintres (1882), au moment où les impressionnistes sortent des ateliers et où les peintres amateurs s’aventurent en excursions52. La même année est breveté un système de chevalet de campagne pour peintres, avec collier à vis de serrage, permettant son montage sur une canne, un parapluie, un bâton, etc. (188253). Curiosités aussi : on trouve encore parmi tant d’autres un parapluie chauffage (187254), un parapluie calendrier (188155), une canne-parapluie avec pharmacie de voyage (189856) et l’indispensable parapluie tire-bouchon extracteur (188757). Affaire de météorologie aussi, en toute logique : sans parler du parapluie parlant qui indique s’il est présumable qu’il fasse beau ou mauvais temps par l’introduction d’un hygromètre dans le manche (188258).
Un seul brevet tente enfin de combiner plusieurs systèmes : canne-parapluie-épée-révolver et longue-vue (188059). Si le contenu des dossiers montre que ces inventions sont réalisables théoriquement, rien ne prouve qu’elles aient été pratiquement exécutées. Certains dossiers en font douter… C’est le cas de celle consacrée au parapluie de sauvetage avec flotteur et grappin (188860). D’autres intriguent : parapluie à ventouse (186561), parapluie excentrique (185762), genre de bouquets magiques pouvant former un éventail, une ombrelle et une coiffure (187463), application de l’aimantation ou force magnétique aux parapluies, ombrelles, en-cas, parasols, etc. (188164), ou encore ombrelles et parapluies lumineux (188165).
Quoi de plus banal et impersonnel aujourd’hui qu’un parapluie, objet devenu de consommation courante pour ne pas dire produit jetable ? Quant aux ombrelles, leur utilisation n’est plus qu’un lointain souvenir associé aux allées ensoleillées des jardins à la Française… Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Faisant appel à des matériaux de qualité, la fabrication de ces objets nécessite, au xixe siècle, des savoir-faire multiples, monopolisant une main-d’œuvre qualifiée. Ils sont donc destinés à une clientèle aisée. Après la Révolution, le parapluie, comme la canne, est alors vu comme la marque distinctive du bourgeois et plus particulièrement du rentier.
Leurs fabricants, vus à travers leurs dépôts de brevets d’invention, sont majoritairement parisiens ou tout du moins citadins. Peut-être pour être en contact avec leur clientèle ? Probablement au contact des nouveautés également, ils n’hésitent pas à se tourner vers de nouvelles matières ou des procédés d’exécution plus modernes, même si la portabilité de ces objets pousse quelques inventeurs à procéder à certaines améliorations plus ou moins farfelues et sans suite. L’apparition de machines entraîne la mécanisation progressive de la fabrication en même temps que l’objet évolue vers sa version définitive, celle que l’on connaît aujourd’hui. On voit ainsi l’émergence d’entreprises capables de mettre en place une production spécialisée soit de pièces, soit de produits finis dans le but de pouvoir proposer des objets moins chers à une clientèle plus nombreuse. L’exemple de cette étude illustre la mue d’un artisanat en industrie, la transformation d’un objet de luxe en objet de consommation courante. Mais le fonds patrimonial des brevets d’invention déposés au xixe siècle n’offre pas seulement une source supplémentaire à l’histoire des techniques, c’est un passage obligé pour qui veut cerner les évolutions d’une société traversée par un nouveau rapport aux objets industriels et un désir grandissant pour les urbains de conjurer les aléas météorologiques.