Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye

DOI : 10.54390/modespratiques.128

Traduction(s) :
Decree of King Henry II Regarding Reformation of the Superfluity of Silk Clothing

Texte

La rubrique « Archives » de ce premier numéro de Modes pratiques consacré aux normes vestimentaires accueille la transcription de l’une des « chétives réformations sur les habillements, la cuisine et la chicane » dont Montaigne dénonçait l’inutilité dans ses Essais. En juillet 1549, le roi Henri II promulguait une ordonnance destinée à mettre un terme à la « superfluité des habillemens de soye » qu’il constatait dans son royaume. Le texte élaborait une réglementation complexe de l’usage des tissus de soie selon la qualité du porteur, en jouant sur les différences de tissage, les couleurs (dont le prestige variait en fonction des produits tinctoriaux utilisés), les pièces de vêtement. Par exemple, les femmes de la suite de la reine étaient autorisées à porter des robes de velours de couleur, à l’exception du velours rouge cramoisi qui était réservé aux princes et princesses ; les suivantes des simples princesses n’avaient droit qu’au velours noir ou tanné (une sorte de brun orangé), mais retrouvaient plus de choix de couleur pour les autres tissus de soie. Les bourgeoises, qui avaient tendance à se faire « damoiselles de jour en autre » (c’est-à-dire à revêtir les attributs théoriques des femmes nobles), se voyaient rappeler à l’ordre : elles ne pouvaient arborer des draps de soie de couleur que sur leurs cottes et manchons.

La décision du roi se plaçait dans la longue tradition des lois somptuaires qui, depuis l’Antiquité grecque et romaine, visaient à limiter les débordements du luxe, notamment vestimentaire. Après une éclipse de plusieurs siècles, les lois somptuaires avaient revu le jour en Europe au XIIe siècle. La dimension morale de cette législation restait vive. Si les Anciens craignaient que l’excès de luxe n’amenât vice et décadence au cœur de la société, les hommes du Moyen Âge et de l’époque moderne jugeaient nécessaire de ramener l’ordre moral par ce genre de réglementation pour écarter la colère divine. Mais derrière ce poncif de la rhétorique somptuaire, les réalités économiques et sociales étaient les réels moteurs de ce type de législation. Les autorités voyaient en effet d’un mauvais œil des pratiques de consommation gourmandes en produits importés qui faisaient passer à l’étranger une part non négligeable de la monnaie du royaume. Les dépenses de luxe détournaient en outre les capitaux d’investissements jugés plus utiles, comme le soutien aux opérations militaires du roi.

L’ordonnance de 1549 mettait toutefois plus nettement en avant l’absolue nécessité de défendre la hiérarchie sociale qui était alors considérée comme intransgressible, car voulue par Dieu. Il était très grave de ne pouvoir « choisir ne discerner » un gentilhomme d’un roturier, une bourgeoise d’une « damoiselle ». Il était en revanche « très raisonnable » de permettre aux princes et princesses de rétablir la lisibilité de leur rang par « quelque différence en leurs accoustremens ». Par cet acte législatif, le roi se portait garant du respect d’un principe fondamental dans une société fondée sur l’inégalité des conditions : la concordance de l’être et du paraître. La hiérarchie, indispensable à l’harmonie de la société, se devait d’être immédiatement perceptible par l’ensemble des acteurs, et les vêtements jouaient ici le rôle de marqueur social le plus évident.

Faire respecter ces lois était cependant une gageure. Le roi l’avouait lui-même en écrivant que les précédentes ordonnances étaient « mal observees, et comme quasi contemnees [condamnées] ». Les familles en pleine ascension sociale voyaient bien l’intérêt de revêtir les attributs des catégories supérieures : c’était le premier pas vers une intégration effective en leur sein. Lucide, Montaigne pointait du doigt les effets pervers de cette législation : « Car dire ainsi, qu’il n’y aura que les Princes qui mangent du turbot, qui puissent porter du velours et de la tresse d’or, et l’interdire au peuple, qu’est-ce autre chose que mettre en crédit ces choses-là, et faire croître l’envie à chacun d’en user ? » La seule vraie solution s’imposait à lui : « Que les Rois commencent à quitter ces dépenses, ce sera fait en un mois sans édit, et sans ordonnance ; nous irons tous après. »

Le texte de l’ordonnance a été intégralement transcrit d’après l’édition publiée à Lyon chez Michel Jove et Jean Pillehotte en 1577, alors que seules les premières pages sont reproduites en photographies. Les « interprétations » (des précisions apportées par le roi dans un édit pris à Folembray en octobre 1549) n’ont pas été transcrites ici.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

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Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 10-11. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

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Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 12-13. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

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Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 14-15. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

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Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 16-17. Bibliothèque municipale de Lyon.

Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye, avec les interpretations faictes par ledict Seigneur1.
Henry par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces presentes Lettres verront. Comme dés nostre nouvel advenement à la Couronne, considerant les grandes et excessives despenses du tout inutiles et superflues, qui se faisoyent aux accoustremens que portoyent hommes et femmes, sans aucune discretion ne difference de leurs qualitez, estats, et facultez, Nous, en ensuivant les defences qui du temps du feu Roy nostre tres honnoré Seigneur et père avoyent esté sur ce autrefois faictes, eussions prohibé et defendu à toutes personnes de noz Royaume, pays, terres et seigneuries, de ne porter sur eux en habillemens ne autres ornemens, aucuns draps ne toiles d’or et d’argent, pourfilures, passements, bordures, orfevreries, cordons, canetilles, veloux, satins ou taffetas barrez d’or ou d’argent, sur les peines sur ce indictes. Et combien que lesdictes Ordonnances et defenses, ayent esté publiees par tout où besoing estoit, de sorte que nul n’en ait peu prendre aucune cause d’ignorance : si est ce que de present elles sont mal observees, et comme quasi contemnees : et non seulement continuent, mais augmentent de jour en autre telles excessives superfluitez d’habillemens et accoustremens entre Gentils-hommes et Damoiselles, gens d’Eglise et de Justice, et autres femmes et hommes de tous estats : lesquels par ce moyen l’on ne peut choisir ne discerner les uns d’avec les autres, et s’en va en cela une grande partie de leurs biens et substance, au lieu de ce que lesdicts gentils-hommes le devroyent employer au service de nous et de la chose publicque en temps d’affaires, ou bien pour leurs necessitez ou particuliers negoces : et les autres à l’entretenement de leur mesnage et famille, observant l’honnesteté et modestie, selon leurs estats et vacations où ils sont appellez.
Pource est il que nous, ayans depuis mis en consideration ce qu’il nous a semblé devoir estre consideré en ceste partie, eu sur ce advis et deliberation avec aucuns Princes et Seigneurs de nostre sang, et autres notables personnages de nostre conseil privé estans lez nous, avons derechef comme chose tres requise, necessaire, et convenable pour l’utilité du public, ordonné, prohibé et defendu, ordonnons, prohibons et defendons tres expressement par ces presentes, de noz certaine science, pleine puissance, et auctorité royal, à toutes personnes de nostredict Royaume, pays, terres et seigneuries, hommes et femmes, de quelque estat ou condition qu’ils soyent, que d’oresen-avant [sic] ilz n’ayent à porter sur eux habillemens ne autres ornemens, cordons, canetilles, veloux, satins ou taffetas barrez, meslez, couverts, ou trassez d’or ou d’argent, ne autres telles superfluitez : si ce n’est premierement quant à l’orfevrerie, en boutons ou fers seulement, sur les decoupeures des manches des robbes : et sur les sayes, au devant du corps et des fentes : et pareillement aux manches desdicts sayes qui seront decoupez, et non ailleurs. Et quant ausdictes bordures, passemens et emboutissemens, ils se pourront porter de soye, et non d’autre estoffe et matiere, aux bords et bordures des accoustremens seulement, de la largeur de quatre doigts, sans ce que l’on en puisse mettre sur les plis ne aux corps d’iceux accoustremens, soyent robbes, ou sayes. Et à fin qu’il demeure aux Princes et Princesses, comme il est tres raisonnable, quelque difference en leurs accoustremens, nous voulons et leur permettons porter en robbes tous draps de soie rouge cramoisy, sans que nuls autres hommes et femmes soyent si osez ne hardis en porter, sinon les gentils hommes en pourpoincts et hauts de chausses : et les Dames et damoiselles, en cottes et manchons. Et aussi à fin que les filles estans nourries és maisons de nostre tres chere et tres amee compaigne, la Royne, et de nostre tres chere et tres amee fille Marguerite de France, ayant accoustremens discernans des autres, nous voulons qu’elles puissent porter en robbes veloux de couleur autre que rouge cramoisy. En defendant à celles qui sont au service des Princesses ou dames, de ne porter en robbes autre veloux que noir, ou tanné : leur laissant neantmoins entre autres draps de soye, les couleurs non defendues. Et quant aux femmes des gens de nostre Justice, et autres demourans és villes de nostre Royaume, nous leur avons à toutes expressement defendu et defendons de porter aucunes robbes de veloux, ny d’autre drap de soye de couleur, leur permettant seulement, comme dict est, les porter en cottes et manchons. Et ne porteront les gens d’Eglise robbes de veloux, s’ils ne sont Princes. En defendant aussi à tous qui ne sont Gentils hommes, ou qui ne sont gens de guerre à nostre solde, de ne porter soye sur soye : c’est à sçavoir, s’ils ont un saye de veloux, ou d’autre drap de soye, ils ne pourront avoir la robbe de soye : et ainsi consequemment de leurs autres habillemens. Aussi ne porteront bonnets ne souliers de veloux, ne fourreaux de mesmes à leurs espees : exceptant et reservant quant à ce tous ceux qui sont ordinaires aupres de nostre service, et de nostre Conseil privé, qui iront accoustrez et habillez selon et ainsi qu’ils ont accoustumé. Et pource que par nosdictes premieres defenses estoit reservé de ne porter sur harnois toutes sortes d’accoustremens cy dessus prohibez et defendus, Nous en modifiant ceste licence declarons par cesdictes presentes, que sur lesdicts harnois de gens de guerre, et caparassons de chevaux, ne se portera drap ne toille d’or ou d’argent traict ne tissu, n’estoit pour une fois en acte notable, comme en une bataille et journee assignee : mais bien se pourra porter broderies ou tailleures d’or ou d’argent ou soye en bord de quatre doigts, et enrichissement de croix. Et d’ores en avant ne seront les pages, soient de Princes, Seigneurs, gentils hommes, ou autres, habillez que de drap seulement, avec un gect ou bande de broderie de soye, ou veloux, si bon semble à leur maistre. Et oultre defendons pareillement à tous artisans, mechaniques, paysans, gens de labeur, et valets, s’ils ne sont aux Princes, de ne porter pourpoincts de soye, ny chausses bandees ne bouffantes de soye. Et pource qu’une partie de la superfluité de l’usage de soye, est provenue du grand nombre de bourgeoises qui sont faictes damoiselles de jour en autre, Nous avons faict et faisons defenses, comme dessus, ausdictes bourgeoises, que d’ores en-avant pour l’advenir elles n’ayent à changer leurs estats si leurs maris ne sont gentils hommes.

Si donnons en mandement par ces presentes à noz amez et feaulx les gens de noz Cours de Parlements, et à tous nos Baillifz, Seneschaulx, Prevosts, et tous autres noz justiciers et officiers qu’il appartiendra, que nosdictes Ordonnances, prohibitions et defenses, ils facent publier et signifier par tous les lieux et endroicts de leurs ressorts, destroicts et juridictions que besoing sera : et icelles de poinct en poinct entretenir, garder et observer inviolablement, soubs peine à ceux qui de dans huict jours apres la publication des presentes seront trouvez transgresseurs et violateurs, de confiscation des habits et accoustremens que l’on trouvera sur eux contre nosdictes Ordonnances et defenses, et de mil escus d’or soleil d’amande à nous à appliquer, et tenir prison jusques à plein payement. Lesquelles peines nous voulons estre executees et observees sur lesdicts transgresseurs reaument et de faict : nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans prejudice d’icelles, pour lesquelles ne voulons estre differé. En enjoignant tres expressément à noz Advocats et Procureurs generaulx en nosdicts Parlements, et à leurs substituts esdicts Bailliages, Seneschaucees et jurisdictions, sur ce tenir la main, et faire les poursuites et instances en tel cas requises pour le deu de leurs estats et offices, et services qu’ils ont à nous : en certifiant par eux de six mois en six mois les gens de nostre Conseil privé des diligences et devoir qui se feront à l’observation et entretenement de nosdictes Ordonnances, prohibitions et defenses, à fin que selon cela il y soit pourveu ainsi qu’il appartiendra. Car tel est nostre plaisir. Et pource que de ces presentes l’on pourra avoir affaire en plusieurs et divers lieux, nous voulons que au Vidimus d’icelles deuëment collationné, foy soit adjoustee comme au present original. Donné à Paris le 12. Jour de Juillet, l’an de grace 1549. Et de nostre regne le troisiesme. Ainsi signe sur le reply,
Par le Roy.
DU THIER.
Et seellé du grand seel de cire jaune.

1 Le texte de l’ordonnance a été intégralement transcrit d’après l’édition publiée à Lyon chez Michel Jove et Jean Pillehotte en 1577, alors que

Notes

1 Le texte de l’ordonnance a été intégralement transcrit d’après l’édition publiée à Lyon chez Michel Jove et Jean Pillehotte en 1577, alors que seules les premières pages sont reproduites en photographies. Les « interprétations » (des précisions apportées par le roi dans un édit pris à Folembray en octobre 1549) n’ont pas été transcrites ici.

Illustrations

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 10-11. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 12-13. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 14-15. Bibliothèque municipale de Lyon.

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

« Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye avec les interpretations faites par ledit Seigneur. »

Edition publiée chez Michel Jove et Jean Pillehotte, Lyon, 1577, p. 16-17. Bibliothèque municipale de Lyon.

Citer cet article

Référence électronique

Marjorie Meiss-Even, « Ordonnance du Roy Henry II. Contenant Reformation de la superfluité des habillemens de soye », Modes pratiques [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 01 février 2022, consulté le 20 avril 2024. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/128

Auteur

Marjorie Meiss-Even

Université de Lille

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