Étiez-vous libre du choix de vos vêtements quand vous présentiez la météo sur TF1 ?
Vous croyez que je vais vous répondre que non ? Eh bien si, on est complètement libre ! Ou alors peut-être est-on tellement une part de la boîte où on travaille que les codes vestimentaires sont induits… Il est certain que si j’avais travaillé à Canal – mais d’ailleurs, je n’aurais pas été choisie à Canal, car ils les préfèrent beaucoup plus jeunes et girondes ! – je ne me serais pas habillée du tout comme on peut s’habiller à TF1. Et puis on s’habille différemment aussi suivant qu’on fait une météo qui passe à 13 h 30 ou à 20 h avant le journal… Il y a donc tous ces codes-là, auxquels j’ai toujours souscrit. Je n’ai jamais été en révolte contre cette obligation de mettre des robes le soir plutôt qu’à 13 h ou contre le fait que si on a mis un jour un pantalon, on va recevoir des lettres qui disent « pourquoi vous êtes-vous mise en pantalon ? »… Et on met le pantalon une ou deux fois, puis on repasse aux jupes ou aux robes, pour faire plaisir à nos spectateurs.
Il y a donc des codes pour la météo du journal de 13 h et d’autres pour le journal du soir ?
Oui, mais des codes induits, pas prescrits… Le 13 h est un peu plus décontracté que le 20 h. On peut même oser le jean sans repassage du pli quand les beaux jours arrivent ! C’est vrai que même si la température du studio est toujours la même, été comme hiver, on est influencés, nous aussi, par le temps qu’il fait. Mais il ne faut pas être trop « parisien » : quand il y a trois flocons à Paris, ça fait l’entrée du journal, mais trois flocons à Vichy, on n’en parle même pas. C’est pourquoi, sauf quand il y a eu de grandes sécheresses ou de fortes pluies (il m’est arrivé une fois de mettre un imperméable à l’antenne et, là, il y avait un rapport direct avec l’actualité météorologique), on ne colle pas vraiment directement aux saisons. Mais pour revenir à votre question, sur la différence entre le 13 h et le 20 h, c’est donc plus décontracté à 13 h, en sachant également que la météo est en direct et passe après le journal de Jean-Pierre Pernaut. Je m’imagine donc qu’on a les téléspectateurs de Jean-Pierre, qui fait des scores incroyables, et pour ce public, il faut trouver un langage assez simple, peut-être pas trop moderne, qui fasse attention aux gens qui nous regardent : qu’on n’aille pas trop vite, qu’on ne passe trop vite sur une information ou une autre, qu’on soit très sobre… Mais moi j’aime beaucoup le direct, parce que je trouve qu’il y a un défi beaucoup plus rigolo que dans l’enregistré. Et quand je dis rigolo, c’est vraiment rigolo. Je pense que je m’adresse à l’image que j’ai des personnes âgées, c’est-à-dire à la fois des personnes un peu fragiles, qui ont besoin de leur familier, de leurs intimes, et qui, en même temps, aiment bien un petit sourire de temps en temps. C’est plutôt pour eux que je fais mes bulletins de 13 h et c’est plutôt pour l’ensemble de la population que je travaille mes bulletins du 20 h.
Vous diriez que vous aviez un langage différent à 13 h et à 20 h ?
Je pense, oui, que le langage est différent. Il est un peu plus technique à 20 h. Comme le public est plus large – pas forcément plus nombreux, mais plus large –, si je donne des éléments techniques, il y a des gens que cela va intéresser forcément.
Est-ce que vos choix de vêtements sont liés à la question des saisons ou du temps qu’il fait ? Ou finalement, pas vraiment ?
Alors, je croyais que ce n’était pas du tout lié aux saisons, et je me suis rendu compte que ce n’était pas si simple… parce que cela faisait déjà quatre-cinq ans que quand on me prêtait des robes, je refusais de porter des robes avec des manches courtes parce que je trouve mes bras affreux ! Et le bras est très important à la météo, puisque vous voyez la gestuelle, la gymnastique que l’on doit faire, le bras que l’on replie ou que l’on tend pour montrer tel endroit ou telle ville. Donc je refusais absolument de porter des robes qui montraient mes bras… Et puis je me suis rendue compte que quand il faisait très chaud à Paris (alors que j’ai toujours la même température dans le studio), je ne me posais plus la question… Lors de ma dernière année à TF1, à l’été 2016, j’ai porté des robes sans manches. Et cela m’a étonnée moi-même, puisque cela faisait déjà cinq-six ans que je disais à tous les gens qui me prêtaient de très très jolies choses : « surtout pas sans manches » ! Du coup, je me suis dit que j’aurais pu faire cela depuis longtemps… Je me demande si je n’ai pas été influencée par Brigitte Macron ! Parce qu’elle a le même âge que moi, ou j’ai le même âge qu’elle, je ne sais comment le dire, et j’ai eu l’occasion de la rencontrer – c’est vraiment une femme délicieuse. Nous sommes donc de la même génération et elle montre ses bras, et elle montre ses genoux… Alors, moi, les genoux, je ne les montre pas, ça fait trop de courrier !
… Vous receviez des courriers quand vous montriez vos genoux ?
Mais oui ! Le courrier, ce n’est pas sur la météo, c’est sur mes tenues… Et je suppose, quand je vois qu’elle s’obstine à montrer ses jolies jambes, qu’elle doit recevoir une tonne de lettres ! Moi, j’ai quitté un réseau social à cause de ça. C’était sans arrêt la question de la robe ou du pantalon… Et les courriers, les jugements, c’est toujours sur la façon dont on est habillés…
De la même façon que vous vous êtes mise à porter des tenues sans manche, portiez-vous des tenues plus « hivernales » en hiver ?
Plus hivernales, oui, mais toujours plutôt pour le 13 h que pour le 20 h. Je me permets des pulls le midi par exemple, alors que pour le 20 h, j’essaie de faire des choses un peu plus larges… Car il peut faire -20e dans le Jura et en même temps +10e en Bretagne, alors… On ne peut être centré sur un monde restreint, plus petit, tel que je l’imagine pour le 13 h, ce qui est peut-être complètement faux, mais… c’est en en parlant avec vous que j’essaie de prendre cette distance-là, d’autant que je suis à la retraite depuis un an.
Vous êtes-vous interdit des tenues parce que vous aviez intériorisé certains codes ? Vous êtes-vous dit parfois : « j’aimerais bien porter ces vêtements, mais je ne peux pas » ?
Si je me dis cela, c’est que je n’aime pas la tenue. J’ai longtemps pensé qu’il y avait une vraie différence entre la tenue de ville et la tenue des télés… mais elle n’est pas si grande que cela. Sauf que la qualité du tissu est plus évidente dans la vie qu’à la télé. Par exemple, on ne peut pas porter du lin à la télé : si on porte du lin, on donne l’impression de porter une vieille serpillière ! À l’image, c’est juste pas possible, et pourtant dans la vie c’est très joli. Par exemple, je sais qu’à la télé, ce qui me va le mieux, car j’ai tendance à être plutôt maigre que grosse, c’est d’avoir des vêtements moulés, qui dessinent la silhouette. J’ai mis un peu de temps à m’accorder ça, car ça peut être un tout petit peu provocant… Et puis, il faut le dire, même si on est amies, il y a aussi la rivalité avec Evelyne [Dhéliat]… Enfin, rivalité, c’est peut-être un bien grand mot, mais en tout cas, je pense qu’inconsciemment, on s’habille l’une en fonction de l’autre. Je ne sais pas trop de quelle manière, mais je pense que cela joue aussi.
Vous auriez construit, Évelyne Dhéliat et vous, des silhouettes qui vous soient propres ?
Je pense que oui. Mais je ne sais pas trop de quelle manière… Et puis c’est très difficile d’en parler là parce qu’Evelyne est quelqu’un de très pudique… Il y a quelque chose de très secret chez cette femme, qui est très joli d’ailleurs. Je pense en effet qu’il y a une silhouette de femme qui lui correspond et que j’en ai une autre, et que les spectateurs se retrouvent bien là-dedans.
Vous dites par exemple que le lin est impossible à porter à la télé, mais y a-t-il d’autres matières pour lesquelles c’est le cas également ?
Oh… je vous parlais des pulls que l’on peut porter en hiver, mais les vêtements trop épais, on ne peut pas les porter. Et pour revenir aux bras, une fois – c’était au début où je faisais la météo – on m’avait prêté une tenue avec de grandes franges sur les manches. Je me suis sentie obligée de la porter car c’était un très bel objet, très bien fait… Et vous imaginez l’ampleur qu’ont pris mes bras quand j’ai présenté la météo avec cette tenue ! Comme un rideau de perles sur la carte ! Donc, plus jamais… Mais ce que je trouvais difficile dans mon métier, c’est qu’en fait, il n’y avait personne pour me dire comment m’habiller. Personne pour me dire, « là ça va, là ça va pas ». Personne non plus pour me dire, « là tu parles trop vite, là c’est trop lent ». En plus, je sais que c’est très difficile de dire ça à quelqu’un, et quand on sort d’un bulletin météo, que ce soit enregistré ou du direct, on est très fragile en fait… Un jour mon directeur de la rédaction, qui ne m’a jamais adressé la parole en quinze ans de télé (enfin, j’en ai fait vingt-huit, mais les directeurs se sont succédés plus vite que moi je n’ai quitté la météo) en passant me dit « très jolie ta voix dans le bulletin d’hier soir ! ». C’est la seule fois où il m’a parlé de ce que je faisais : il n’osait pas parler des vêtements, auxquels il ne connaissait rien, et de météo non plus… Sauf parfois pour me dire de supprimer les satellites en disant qu’il n’y comprenait rien ! Mais ce n’est pas toujours le même dont je vous parle !
Présenter la météo est un exercice solitaire où la seule juge, c’est vous, ou les réactions que vous recevez par courrier ?
C’est ça. Et mon entourage ne me dira jamais non plus que ce n’était pas bien… car mon entourage connaît bien mes faiblesses et mes fragilités.
Vos vêtements ont changé au fil des années. Diriez-vous que ces changements sont liés à vous, à votre parcours de vie, ou à votre activité en elle-même, avec ses codes et ses pressions intériorisés ?
Je pense que l’inconscient joue un plus grand rôle que les décisions volontaires de porter telle ou telle couleur, mais je me rends bien compte, en faisant un pas de côté – comme dirait mon analyste –, qu’il y a des couleurs que, tout à coup, je ne mets plus. Le rouge est une couleur très significative – de quoi ? Je ne sais pas, mais… Le rouge fait signe. Il y a des moments où j’ai adoré porter du rouge, surtout à la fin de ma carrière et c’est en vous parlant, que je m’en rends compte, alors que dans le cours, disons normal, je m’accorde très peu souvent le rouge.
Et vous sauriez l’expliquer ?
Le rouge, pourquoi ? Le rouge, tout d’abord, est une couleur difficile à incruster. Cela peut-être un peu compliqué, car il y a souvent du bleu dans le rouge… Avec de très bons inscrustateurs, cela peut passer, mais c’est difficile. Mais je pense que c’est surtout parce que ma mère était espagnole et que, pour moi, le rouge c’est l’Espagne et c’est aussi le jugement de maman, qui était couturière, sur l’une de ses filles. Ça joue beaucoup ! J’ai passé mon adolescence devant une armoire à trois faces avec ma mère en train de dire « lève le bras », « baisse-le ! », parce qu’elle le faisait pour nous, ses filles, mais aussi pour ses amies, des connaissances. Elle avait renoncé à en faire son métier, car c’est une femme des années 1950, où les femmes commençaient à travailler, mais tout juste. Donc, elle faisait des choses à la maison, mais pas plus que cela… Pourquoi vous disais-je cela ? Ah oui, le rouge ! Donc le rouge c’est maman pour moi et puis maman a eu cette terrible maladie d’Alzheimer et elle ne me reconnaissait pas, et ne reconnaissait même pas le rouge. Sauf que, ça c’était très amusant, quand on était plusieurs dans la pièce et qu’elle voyait quelqu’un qui portait une couleur éclatante – pas forcément du rouge, mais du mandarine, du jaune vif ou du vert pétant – elle se dirigeait vers cette personne et elle caressait ses vêtements. Il y avait donc encore une sensibilité à ça.
Il y a donc des couleurs ou des motifs qu’on ne peut pas porter à la télé…
Oui, oui. C’est mieux de porter de l’uni, et des choses mates, sans reflet. C’est ce qui passe le mieux et que les inscrustateurs préfèrent. Et il ne faut pas oublier non plus que si l’incrustation est réussie sur la robe, elle peut être parfois ratée sur le visage…
Et est-ce que ce choix de couleur est influencé par les saisons ?
Si. Quand il y a un temps gris pendant des jours et des jours, j’ai tendance à mettre du blanc pour réveiller un peu tout ça…
Cela joue donc plutôt par contraste… ?
Oui, c’est exactement ça : par contraste. Il y a des moments où le manque de lumière est difficile à supporter, donc s’habiller en blanc est toujours une solution. Et puis c’est doux le blanc – mais il faut que cela soit un blanc un peu cassé. J’ai noté d’ailleurs que Claire Chazal avait des périodes comme cela, où pendant deux mois, elle s’habillait en blanc.
Y avait-il aussi ces jeux de contraste l’été ?
Pas tout à fait. Les couleurs comme mandarine, vert vif, jaune, je les portais plutôt l’été, quand il y a du soleil… Le gris, lui, même s’il passe bien à l’image, est une couleur un peu triste. Et puis, il y a le noir… Si je m’étais écoutée, je n’aurais porté que ça ! C’est chic et protecteur… Mais je devais faire attention, car comme j’étais un peu maigre, cela pouvait faire une silhouette « mouche écrasée » à l’image !
Aviez-vous le droit de porter une seconde fois – ou plusieurs fois – une tenue que vous aviez déjà portée pour présenter la météo ?
Oui, tout est possible, dans la mesure où on me laissait faire ce que je voulais et que le travail le plus difficile dans ce métier, c’est précisément le costume. Alors, oui, j’ai mis plusieurs fois une même tenue, surtout quand on me prêtait des vêtements, car je savais que j’allais devoir les rendre ! Donc, pendant dix jours, j’en profitais. Et puis, ce que j’ai fait de plus en plus, c’est que j’ai acheté mes tenues, des vêtements dont on est sûre, ainsi, que l’on se sentira bien dedans. Finalement, au fil du temps, j’ai de moins en moins porté des vêtements que l’on me prêtait et de plus en plus porté des vêtements que j’achetais.
Y avait-il des recoupements entre votre vestiaire de présentatrice et votre vestiaire quotidien ?
Il y avait des liens, c’est vrai, même si je ne m’habille pas tout à fait en « Catherine Laborde » dans la vie !
Pour revenir aux matières, diriez-vous qu’il y a des matières d’été et des matières d’hiver ?
Oui… mais c’est vrai qu’on peut porter des tenues très décolletées en hiver : on n’est pas tenue de s’habiller en fonction des saisons. Par exemple, une petite robe noire, on peut la mettre aussi bien en plein été que l’hiver… et c’est pareil dans la vie. Et puis, cela ne se voit pas si l’on ne porte pas de bas et l’on peut rester jambes nues, en les poudrant si on a peur que cela brille.
Quant au pantalon, il suscitait donc beaucoup de protestations ? Et aussi bien de la part des hommes que des femmes ?
Oui, oui. Plus de la part des hommes, mais aussi de la part des femmes, surtout des femmes un peu plus âgées. Elles considèrent que c’est plus féminin !
Et cela induisait quelles réactions chez vous ?
Et bien cela me faisait penser au concours du Conservatoire, que j’ai passé dans les années 1970, et où les filles devaient absolument être vêtues en robe. Ce qui fait que pour être sûre de ne pas être prise, et surtout parce que je trouvais cela scandaleux, j’ai commencé de dos au jury ! Et bien sûr, je n’ai pas été prise… Ça me fait penser aussi à toutes les obligations de porter des robes ou des jupes quand j’étais petite ou jeune fille. Je suis née à Bordeaux, et il y avait là-bas beaucoup de cours privés catholiques, et je voyais défiler à l’heure du déjeuner toutes les petites filles avec des jupes plissées bleu marine… Ce n’est pas si vieux. Moi, j’étais dans un lycée public – mon père était prof d’anglais, très hostile à la soumission à l’ordre religieux. Ma famille était catholique, mais très attachée à l’ordre républicain, et il y avait cette tension qui se traduisait dans l’ordre du vêtement…
Vous êtes-vous interdit de porter des pantalons devant les réactions ?
Non, j’en ai porté pas mal, mais c’est vrai que c’était plutôt sur le 13 h que sur le 20 h.
Et, sinon, que vous disait ce courrier ?
Beaucoup de courrier demandait où j’avais acheté tel ou tel vêtement. « Mon mari vous trouve très très bien dans cette robe-là et je voudrais lui faire la surprise ! »… Même chose pour le coiffeur. Ou alors, il y a des gens qui m’écrivaient pour me dire : « oh là là ! vous étiez tellement bien dans cette robe, pourquoi ne la mettez-vous plus ? »… Les gens donnent beaucoup beaucoup leur avis sur mes vêtements. Il y avait aussi ce monsieur qui, chaque fois que je mettais un chemisier blanc, me prenait en photo et m’envoyait la photo !
Est-ce que parfois cela vous agaçait qu’on ne vous parle pas de la météo et qu’au final, on ne vous parle que de votre apparence ?
Non, cela ne me gênait pas, cela ne m’agaçait pas… Je me disais juste qu’il fallait qu’on travaille un peu plus ! Mais je recevais aussi des coups de fil – et ça c’est plus embêtant – qui n’en finissaient plus… des lettres pornos aussi… Et j’ai une histoire très triste aussi, alors ce n’est pas lié aux vêtements ni aux saisons, mais j’y pense. C’est quelqu’un qui m’a envoyé un mail en me disant qu’il m’admirait énormément et qu’il voudrait venir me voir. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai dit oui – alors qu’on dit toujours non – pour le mois suivant. Et puis juste avant notre rendez-vous, je reçois un mail me disant « je suis désolé, je ne peux pas venir cette fois-ci, est-ce qu’on peut remettre ? »… Je n’ai pas répondu… Et six mois après, je reçois un coup de fil à TF1 d’une dame m’expliquant que son frère m’avait écrit pour me rencontrer et assister au bulletin météo, et qu’il était décédé d’un cancer généralisé trois mois auparavant. Voilà pourquoi il m’avait écrit… Et cette femme me dit aussi qu’il avait un cadeau pour moi et que cela lui ferait très plaisir de me l’apporter. Et ils sont venus à une quinzaine dans mon bureau, c’était des ouvriers qui travaillaient à l’usine Pierrefontaine, et ils m’ont apporté un énorme vase en cristal que j’ai gardé. J’en ai été très émue. Voilà, il y a des choses comme ça qui se sont passées. J’ai reçu aussi des lettres de prisonniers, de gens qui deviennent fous en prison et m’écrivaient de très belles choses…
Cela dit beaucoup de choses du lien qui se tisse entre vous et les téléspectateurs. Cela permet de comprendre ce que vous disiez du fait que vous vous vêtissiez aussi, et surtout, pour les gens…
Oui. Et je pense que le bulletin de la météo c’est un peu comme l’Angélus de Millet… C’est quelque chose qui rythme le quotidien. C’est un rendez-vous rituel, rassurant aussi.
Pour reprendre le fil, y a-t-il des tenues que vous avez regretté d’avoir portées ?
Les manches à franges, ça c’est sûr ! Ou des vestes trop grandes… c’est pire que tout de porter un truc trop grand, car vous êtes complètement perdue dans le vêtement. Il y avait une jeune femme très sympa, qui me prêtait des tas de vêtements et je les ai tous portés jusqu’à ce qu’un jour ma chef me dise « tu sais ta robe hier soir… » Elle a juste dit ça, avec un petit hochement de tête dubitatif. Et ça m’a libérée, vous ne pouvez pas savoir ! Je ne me suis plus sentie tenue de mettre ce qu’on m’avait prêté… Et du coup, ensuite, quand on me proposait quelque chose, je pouvais dire « non, ça, ils ne vont pas vouloir » !
Et avez-vous regretté des tenues, non pas seulement rétrospectivement, en vous voyant par exemple, mais dans l’instant même, du fait des gestes que vous avez à accomplir et qui doivent influencer vos tenues ?
Oui, terriblement. Comme je suis d’un naturel assez timide, quand j’arrivais devant la caméra, je voyais tout de suite si le vêtement allait ou pas, ou si j’avais mis des bas trop foncés ou trop clairs, ou trop mates… Et durant les dix premières années, je n’osais pas dire « attendez ! ça ne va pas ! je reviens dans cinq minutes », mais, évidemment, durant les dernières années, je l’ai fait et j’ai bien fait. Et d’ailleurs, j’aurais dû le faire plus tôt. Et en effet, juste avant qu’on démarre l’enregistrement du 20 h, qui reste la météo phare de la journée, j’allais me changer. Mais je ne le faisais pas pour le direct du 13 h…
Pour le maquillage, comment est-ce que cela se passait ?
Le maquillage : confiance totale aux maquilleurs ! Les dix premières années, je les ai « emmerdés », j’en ai même fait pleurer une ou deux et puis, un jour, j’ai compris leur talent et j’ai admis que c’était leur métier. Donc, j’ai arrêté de les embêter. Et j’ai beaucoup de chance d’avoir travaillé avec ce groupe de maquilleuses – elles ne sont pas très nombreuses.
En jetant un regard rétrospectif sur toutes vos tenues, diriez-vous que vous avez été influencée par la mode ?
Vous n’écriviez pas votre météo, vous n’aviez pas de texte ?
Quand je prépare, en effet, je ne rédige pas de texte mais il y a des charnières auxquelles je tiens : celles qui donnent la cohérence et les explications scientifiques. Je commente directement, mais après un long travail avec les prévisionnistes et les graphistes, et j’ai toujours une sorte de trame du bulletin. Alors parfois j’ai le trac – davantage sur l’enregistré que sur le direct – et j’oublie des choses…
Vous disiez que vous étiez plus angoissée par le bulletin enregistré que par le bulletin en direct ?
Oui, parce que l’enregistré doit être parfait et qu’il ne l’est jamais ; c’est impossible. Alors que le direct, c’est le défi, c’est plus joyeux et c’est plus un jeu.
On évoquait tout à l’heure les liens entre votre vestiaire quotidien et votre vestiaire professionnel. À l’inverse de ce qu’on évoquait, il y a des tenues de météo qui sont devenues ensuite des tenues quotidiennes ?
Oui. Pas pour tous les vêtements… l’armoire est pleine de robes que je ne mettrai plus jamais, mais pour certains oui. Ainsi pour mes bras : la météo m’a libérée sur ce point ! Et puis cette année, j’ai eu la chance d’aller assister à un défilé de mode. Il se trouve que mon filleul habite maintenant à New York, il s’appelle Joseph Altuzarra et fait partie des jeunes pousses extrêmement talentueuses de la mode. Lors de la dernière Fashion Week, il m’avait invitée à son défilé et j’en suis restée ébahie. Alors, évidemment, ce sont des choses que l’on ne peut pas porter à la télé, mais maintenant que je n’y suis plus, il me semble que j’ai plus de liberté par rapport à tout ça et la prochaine fois j’essaierai de m’habiller en « fashionista ».
Je voudrais revenir sur les vêtements qu’on vous prêtait et sur la façon dont cela se passait : vous proposait-on un vêtement ou un choix ?
Ce sont soit les maisons de couture soit des impresarios de couturiers qui les prêtent et on nous propose un choix, mais qui n’est pas toujours facile. C’est pourquoi j’ai porté des trucs qui ne m’allaient pas du tout ! Mais l’essentiel de ce que je portais, c’est ce que j’avais acheté moi-même et qui me faisait une sorte de fond de garde-robe, que je pouvais marier avec d’autres choses.
Portiez-vous des accessoires, des bijoux, des boucles d’oreilles, etc. ?
J’aurais aimé, mais les gens du son n’étaient pas d’accord. Parce qu’un collier à proximité du micro fait du bruit… Et même les deux bagues que je ne quitte jamais, ils ont voulu me les faire enlever à cause du cliquetis qu’elles produisaient. Mais j’ai refusé en disant qu’on les voyait et qu’à partir du moment où on les voyait, le bruit se trouvait justifié. Et puis cette bague c’est ma mère, l’autre mon mari, je ne voulais pas les enlever. Ce sont mes deuils et mes joies.
Vous évoquiez votre mère qui était couturière ; diriez-vous, donc, que le vêtement a une importance pour vous depuis votre enfance ?
Oui. Par exemple, sur des… Je vais vous montrer un truc… Nous étions, nous, ses trois filles, les modèles de maman. Vous voyez, maman aimait bien nous habiller pareil… Là, c’est moi, là c’est ma grande sœur : on est toutes petites, toutes nues, mais on a toutes les deux le même chapeau ! Mais je ne retrouve pas celle que je voulais vous montrer : on est sur un banc public, ma sœur aînée et moi, et on porte un très joli petit manteau de fourrure avec un bonnet tricoté à la main, blanc, et ma mère porte un très beau manteau de fourrure également avec un petit chapeau. Alors je me suis beaucoup révoltée contre ça. Ça m’agaçait ! Voyez j’en tremble encore… Je n’aimais pas être habillée comme ma sœur. Mais c’est très espagnol ça, parce que je suis allée en Espagne il n’y a pas très longtemps, et j’ai vu encore que les petites filles sont habillées pareil, même de générations différentes. Il faudrait que vous alliez interviewer les présentatrices de la météo espagnole !
Petite, vous faisiez donc de nombreux essayages, en gardez-vous un bon ou un mauvais souvenir ?
Très mauvais ! Parce qu’il ne fallait pas bouger et, moi, j’avais les jambes qui me démangeaient très vite. Et une fois que ma mère avait fait tout ce qu’elle voulait faire, il fallait enlever la robe qui était pleine d’épingles. Oh le nombre d’épingles qui m’ont griffée ! Et mon père en retrouvait dans le lit lorsqu’il se couchait le soir !
Vous ne portiez que des vêtements faits par votre mère ?
Oui. On n’achetait que très très rarement des vêtements… Ma mère parlait de la « confection » avec un mépris ! Elle nous habillait de pied en cap et c’était sa joie. Elle jouait à la poupée, elle le disait elle-même. Et en même temps, c’était aussi son rôle de mère de famille économe. Ma mère a toujours fait les magasins et elle rentrait en disant : « j’ai fait des économies formidables ! ».
Vous aviez le droit de choisir ?
En dehors de la révolte, non ! On ne disait rien.
Diriez-vous que cette enfance a façonné une partie de vos goûts vestimentaires – que ce soit par fidélité ou par révolte ?
Oui, je pense. J’ai fait partie des gens qui ont fait Mai 68 et c’est là que j’ai pris l’habitude de m’habiller uniquement en pantalon, uniquement en col roulé et tout ça en noir. C’était les seuls vêtements que j’acceptais de porter. J’étais très très loin des exigences de TF1 à cette époque-là !
Mais alors, avec cette histoire, comment avez-vous intériorisé tous les codes vestimentaires – même tacites – de la présentation de la météo ?
Mais parce qu’ils étaient déjà rentrés en nous avec les vêtements de maman ! J’ai une forme de docilité en moi. Je disais bonjour en faisant la révérence quand j’étais toute jeune… Quoique j’ai peut-être porté trop de noir à TF1 et cette tentation du noir, elle me vient de Mai 68. Un jour j’avais acheté un pantalon très très cher, très beau, qui m’allait très bien… l’un des premiers jeans avec une fausse déchirure, toute petite. C’était il y a une quinzaine d’années. Je fais mon bulletin en direct avec et puis, quelqu’un rentre dans mon bureau en disant « Catherine, Catherine, Étienne veut te parler ! » (Étienne Mougeotte évidemment). Alors on me le passe et il me dit – c’est la seule fois où c’est arrivé – : « mais c’est quoi ce pantalon ? ». Et la seule chose que je trouve à lui répondre c’est : « mais je l’ai payé une fortune ! »… Ce qui était d’un ridicule… Je l’ai fait disparaitre immédiatement de ma garde-robe, j’avais tellement honte : honte de l’avoir porté, honte de ma réaction devant Mougeotte.
Je repense à l’histoire de l’imperméable que vous évoquiez tout à l’heure, pourriez-vous revenir dessus ?
Un jour, on m’avait proposé un imperméable Burberry à 50 % et j’avais trouvé cela fantastique. Bon, cela restait très très cher, mais je n’ai rien osé dire et je l’ai acheté quand même. J’ai donc voulu le rentabiliser et je l’ai mis un jour à TF1. Et là, j’ai reçu du courrier du genre « est-ce que vous étiez nue sous votre imperméable ? » !
Pour revenir à la question des saisons et aux tenues associées au temps, pensez-vous à d’autres exemples de tenues que vous avez portées en lien direct avec le temps qu’il faisait ?
Oui, par exemple, quand il fait très chaud l’été, partout, je porte des choses très légères, mais c’est à peu près le seul moment : parce que, dans ce cas, cela concerne la France entière.
Pour finir, on n’a pas parlé des chaussures…
On ne les voit pas !
Mais que portiez-vous quand même ?
Je portais des chaussures à talon, très hautes, pour des raisons esthétiques, parce que j’ai tendance à me « tasser » au cours du bulletin…
On parlait des couleurs, y a-t-il une couleur que vous n’avez jamais portée à la télé ?
Je ne suis pas sûre d’avoir jamais porté du vert. Je ne suis pas sûre. Ce dont je me souviens, c’est qu’un jour, j’étais toute petite, j’arrive à la radio, il y avait Edwige Feuillère qui était là, et j’avais une robe verte. Et elle s’est écriée : « Avec cette jeune fille ! ce n’est pas possible, elle est habillée en vert ». Je devais avoir dix-huit ans, je l’ai regardée terrorisée… Donc le vert, avec parcimonie, à cause de cette superstition des acteurs. Et puis il y a du bleu dans le vert, donc les inscrustateurs n’aiment pas beaucoup. Sinon, il y a des couleurs que je mets à l’antenne, parce qu’elles passent très bien à l’image, et que je ne mets pas vraiment dans la vie : les roses pâles, les bleus pâles. Il faut éviter aussi les couleurs ou les matières qui brillent.
… Ce qui tend à dire que la gamme de couleurs est, malgré tout, plus variée que dans votre vestiaire quotidien ?
Oui, bien sûr. Il y a beaucoup plus de couleurs acidulées, qu’on ne met pas beaucoup dans le quotidien… Et qui n’existent pas vraiment non plus dans la haute couture.
Il y a donc un regard technique qui pèse beaucoup ?
Oui, mais on peut quand même discuter ! Tout n’est pas que technique…
Une dernière question : vous avez porté, enfant, les vêtements faits par votre mère, vous êtes-vous fait faire des vêtements sur mesure par la suite ?
Non, c’est un usage de l’enfance, lié à elle… Je me souviens qu’un jour, quand j’étais jeune femme, ma mère m’avait fait une robe à godets extrêmement féminine et que des cousins qui étaient arrivés m’avaient regardée comme si j’étais déguisée en Père Noël ! Ma mère avait fait de moi une princesse… Je me souviens encore de cette robe…
Je ne pensais pas arriver à parler de ma mère pour cet entretien, cela m’a fait plaisir de reparler de ces moments. Sans doute mes sœurs n’auraient-elles pas le même regard sur notre enfance…
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
Une chose qui, peut-être, n’a rien à voir… Hier soir, j’ai entendu parler un chirurgien qui a réalisé une greffe de peau qui a sauvé un jeune homme brûlé à 95 %. Il disait que la peau est quelque chose qui tout à la fois nous isole et nous protège… Comme le vêtement en réalité. Comme une mère qui fabrique des vêtements pour ses filles.